Disco Afrika ★☆☆☆

Kwamé, un jeune malgache parti prospecter des saphirs, revient chez lui à Tamatave, avec la dépouille de son ami, tué par les militaires. Il retrouve sa mère qui accepte enfin de lui parler de son père, mystérieusement disparu quand Kwamé était encore enfant. Alors qu’il mène l’enquête sur les causes de son décès, Kwamé est entraîné par Idi, un ami d’enfance, dans un trafic lucratif.

Les films qui nous viennent de Madagascar sont trop rares pour être ignorés. J’avais vu en 2005 Mahaleo, un documentaire musical, et j’ai bêtement cru que Disco Afrika en serait un lui aussi. Or il n’en est rien. Disco Afrika est un film de fiction dont le titre renvoie au passé du père de Kwamé, chanteur et bassiste d’un petit groupe de musique.

Le titre, décidément piégeux de ce film, n’est pas son seul handicap. La direction d’acteurs est trop lâche. Si le personnage principal, interprété par Parista Sambo, sort son épingle du jeu, les rôles secondaires sont caricaturaux : la mère éplorée, le père de substitution, le petit malfrat aux cheveux calamistrés…. Le scénario aussi est bien faiblard, qui retarde d’une bonne demi-heure le début de l’histoire alors que le film pourtant ne dure qu’une heure vingt à peine. Enfin la mise en scène manque de rythme, ce qui se ressent dans les scènes d’action.

Restent néanmoins cette langue malgache aux sonorités si étonnantes, une BOF très riche et des paysages exotiques et délicieusement dépaysants.

La bande-annonce

King of Kings: à la poursuite d’Edward Jones ★☆☆☆

Qui connaît Edward Jones (1898-1963) ? Il n’a même pas les honneurs d’une page Wikipedia à son nom. Pourtant, il fut l’un des hommes les plus riches des Etats-Unis. Descendant d’esclaves, obligé de fuir le Mississipi sous la menace du Ku Klux Klan, il s’installe avec ses deux frères et sa mère à Chicago et y fait fortune dans l’entre-deux-guerres grâce à un jeu d’argent illégal, l’ancêtre de la Loterie nationale. Sa petite-fille Harriet Marin a décidé d’exhumer sa mémoire.

Ce documentaire raconte une vie rocambolesque. Edward Jones s’est follement enrichi, a dû émigrer, en France en 1937, au Mexique quelques années plus tard, a été emprisonné, kidnappé par la mafia… King of Kings nous plonge dans le Chicago de Scarface, de la Prohibition, de la mafia de Sam Giancana avec lequel Jones et ses frères ont mené un combat à mort. Il évoque aussi les discriminations dont étaient victimes les Afro-Américains.

Pour exhumer cette mémoire effacée, sa petite-fille Harriet Marin est revenue de Paris où elle a immigré à Chicago. Elle a interviewé quelques rares survivants de ces temps anciens – parmi lesquels un lointain cousin, le célèbre Quincy Jones – et des historiens. Elle a rassemblé des archives. Le défaut du montage est d’être lesté d’une musique envahissante et inutile.

Symboles d’un melting pot américain à l’envers, les descendants d’Edward Jones ont essaimé à travers le monde. On a parfois l’impression que ce documentaire a d’abord été réalisé pour eux et que nous, simples spectateurs, avons été conviés à une soirée diapo qui ne nous était pas destinée. Mais l’originalité du destin d’Edward Jones nous autorise à nous y inviter.

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L’Évangile de la révolution ★☆☆☆

En Amérique latine, dans les années 70 et 80, l’Eglise catholique s’est dressée contre les dictatures militaires. Au nom de la « théologie de la libération », elle a pris le parti des plus pauvres contre la domination des plus riches. Elle a appuyé des mouvements révolutionnaires et s’est attiré les foudres du pape Jean-Paul II.

Documentariste altermondialiste, François-Xavier Drouet a beaucoup voyagé en Amérique latine et y a été influencé par les pratiques zapatistes du pouvoir. En bon marxiste, il pensait, de son propre aveu, que la religion se résumait à l’opium du peuple avant de reconsidérer ses certitudes et de porter sur le fait religieux en Amérique latine un regard moins réducteur. Il souligne combien le message porté par la théologie de la libération rejoint celui des mouvements révolutionnaires : agir pour un règne de justice en faveur des plus pauvres.

Son documentaire est divisé en quatre parties qui se déroulent successivement au Salvador, au Brésil, au Nicaragua et au Mexique. On découvre l’histoire souvent mal connue de ces pays où des dictatures se sont heurtées à des mouvements révolutionnaires. Des hommes d’Eglise se sont courageusement dressés contre les pouvoirs établis : Monseigneur Óscar Romero au Salvador, assassiné en 1980 en pleine messe, Dom Hélder Câmara ou Leonardo Boff au Brésil.

En faisant étape au Nicaragua, le voyage auquel nous invite F.-X. Drouet évoque un pays où la dictature a été renversée. La rébellion sandiniste a pris le pouvoir et y a hélas reproduit les mêmes mécanismes de domination que ceux qu’elle entendait éradiquer.

Le choix de ces quatre pays pourra sembler arbitraire. Le documentaire en oublie d’autres, aussi importants dans l’histoire de l’Amérique latine et dans celle de la théologie de la libération, comme le Pérou ou l’Argentine. On pourra également reprocher au montage sa division un peu simpliste qui aurait mieux convenu à un reportage en plusieurs épisodes qu’à un film d’un seul tenant.

Aux quatre épisodes s’ajoute un dernier en forme d’épilogue. Alors que les quatre premiers évoquaient le passé, celui-ci évoque le présent et l’avenir. Il dresse le bilan de la théologie de la libération. Bilan mitigé : certes les dictatures sont tombées, mais la démocratie en Amérique latine reste fragile, comme le montrent l’exemple brésilien et les dérives extrémistes du président Bolsonaro. Quant à la religion catholique, elle souffre de la concurrence grandissante des mouvements évangéliques. F.-X. Drouet filme un sermon hallucinant d’un pasteur dément dans un temple brésilien. Il donne froid dans le dos.

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Kontinental ’25 ☆☆☆☆

Un clochard se suicide en se pendant à un radiateur durant son expulsion du local qu’il occupait sans titre. Orsolya, l’huissière de justice chargée de cette expulsion, ne se remet pas de ce drame et cherche auprès de son entourage le réconfort.

Dans le très riche cinéma roumain (Mungiu, Puiu, Porumboui….) Radu Jude occupe une place à part : celle de sujets très provocateurs qui critiquent le régime roumain, les discriminations dont il est coupable, et celle d’un traitement formel radical (son dernier film, N’attendez pas trop de la fin du monde comportait un plan fixe de quarante-cinq minutes !).

Kontinental ’25 se présente à nous sous les atours sympathiques d’une comédie avec son affiche arty, son titre  façon Europe 51 et son affiche qui rappelle Audrey Hepburn et les films américains des années 50. Le contre-sens – ou plutôt la tromperie sur la marchandise – ne pouvait pas être plus grand.

Car Kontinental ’25 – dont je n’arrive pas à comprendre le titre – a les deux pieds dans le monde contemporain. Il a été tourné à Cluj, la capitale de la Transylvanie, dont chaque coin de rue est filmé en plans fixes, au point, lors de la dernière séquence d’une vingtaine (?) de plans immobiles successifs, qu’on a l’impression de visiter une exposition photo sponsorisée par JC Decaux. Il met en scène un clochard dont on suit d’abord les déambulations jusqu’à son suicide. Le film alors change de focale et se concentre sur le personnage d’Orsolya, que ses origines hongroises désignent à l’hostilité de la population roumaine.

Le sujet pourrait être intéressant : comment une huissière de justice vit-elle le suicide du clochard qu’elle a expulsé de son domicile ? Mais son traitement devient vite insupportable. Radu Jude filme en plans fixes les longs tête-à-tête qu’Orsolya a successivement avec son mari, avec son patron, avec sa meilleure amie, avec sa mère, avec un ancien étudiant et avec un prêtre. Ces plans interminables et leur logorrhée sont venus à bout de ma résistance, à l’exception peut-être de celui avec l’étudiant qui prend un tour savoureux.

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La Tour de glace ☆☆☆☆

Dans la Savoie des années 70, Jeanne (Clara Pacini), une jeune orpheline, fugue de son foyer. Elle trouve refuge dans un hangar de la ville voisine qui abrite, le temps d’un tournage, les décors d’un film, La Reine des neiges. La diva Cristina Van der Berg (Marion Cotillard) interprète le rôle principal et fascine Jeanne.

Née en 1961, diplômée de l’Idhec, l’ancêtre de la Fémis, Lucile Hadzihalilovic est l’auteur d’une œuvre rare, d’une grande cohérence, constituée de quatre longs métrages à peine. Tournant le dos aux engagements politiques et sociaux de ses camarades de promotion (Laurent Cantet, Robin Campillo, Dominik Moll…), elle a opté pour un cinéma purement esthétique, hors du temps, flirtant avec le conte. L’enfance et les démons qui la hantent constituent son terreau de prédilection : Innocence, son premier film sorti en 2005, se déroulait dans un pensionnat de jeunes filles, Evolution, son deuxième en 2016, mettait en scène de jeunes garçons soumis à d’inquiétantes expérimentations, Earwig son troisième en 2023 avait pour héroïne une jeune femme édentée appareillée avec un dentier en verre.

La Tour de glace est tout aussi bizarre, tout aussi envoûtant que ces précédents films. Il est construit autour de la fascination qu’exerce sur la jeune Jeanne, une star de cinéma qu’on croirait tout droit sortie d’un magazine de mode. Marion Cotillard – qui en faisait la promotion sur France Télévision devant Léa Salamé avant d’être maladroitement interrogée sur son couple – y est plus impériale que jamais. Son interprétation convoque les grandes figures du cinéma : Marlene Dietrich, Greta Garbo, Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges

On peut se laisser hypnotiser par cette œuvre hypnotisante. Le Monde s’y est laissé prendre qui y voit un chef d’œuvre. J’avoue hélas être totalement hermétique à ce cinéma-là où je m’ennuie ferme, d’autant que le film dure presque deux heures. Envoutant et scintillant pour Le Monde, La Tour de glace m’a semblé surtout ennuyeux et kitsch.

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Rembrandt ★☆☆☆

La quarantaine bien entamée, Claire (Camille Cottin) et Yves (Romain Duris) sont tous les deux ingénieurs atomistes. Ils travaillent chez ENF (Électricité nucléaire de France ?). Un jour, en visitant la National Gallery, Claire tombe en arrêt devant une toile de Rembrandt. Ce choc la métamorphose. Elle se met à interroger le sens de son travail et à s’inquiéter des dangers du nucléaire face au changement climatique.

Rembrandt contient trois films en un.

Le premier est celui que son titre annonce : l’effet brutal, disrupteur, copernicien si on ose dire, que peut produire la rencontre d’une oeuvre d’art. C’est un sujet passionnant, terriblement subtil, qui convoque l’histoire de l’art, l’esthétique, la psychologie et la sociologie, et qui n’a, autant que je sache, jamais été traité au cinéma. Le problème est que Rembrandt se désintéresse très vite de Rembrandt…. avant d’y revenir in extremis à la toute fin du film. Les amoureux de la peinture hollandaise repasseront.

Le deuxième, qu’on voit sur l’affiche, est l’industrie nucléaire et ses dangers. On est ici sur des terres mieux balisées, celles qui mettent en avant, depuis quelques années dans le cinéma français, des courageux lanceurs d’alerte qui révèlent au grand public des secrets enfouis, qu’il s’agisse de l’affaire Clearstream (L’Enquête), du Mediator (La Fille de Brest), des boues rouges de Gardanne (Rouge), ou encore d’Areva (La Syndicaliste). Le sujet est traité avec beaucoup de pédagogie qui nous montre que les centrales nucléaires telles qu’elles sont conçues aujourd’hui ne sont pas formatées pour résister à des scénarios « extrêmes », tels qu’une vague scélérate, une chaleur caniculaire ou un assèchement radical des cours d’eau. On se croirait parfois dans le documentaire d’Al Gore Une vérité qui dérange.

Le troisième, qu’on voit également sur l’affiche, c’est l’histoire d’un couple qui ne regarde plus dans la même direction. Unie à son époux par vingt-cinq ans de mariage, une passion partagée pour un travail commun, une fille unique qu’ils chérissent (Céleste Brunnquell décidément de moins en moins convaincante), Claire s’éloigne inéluctablement d’Yves. Et Yves essaie sans succès de comprendre ce lent détachement.

Le problème de Rembrandt est de vouloir à tout prix faire tenir ces trois films en un.

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Muganga ★☆☆☆

Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le gynécologue congolais Denis Mukwenge a ouvert à Bukavu dans le Sud-Kivu un hôpital qui accueille, opère et accompagne durant leur convalescence des femmes victimes de viols et de mutilations génitales. Il reçoit le prix Sakharov en 2014 et le prix Nobel de la Paix en 2018.

La réalisatrice Marie-Hélène Roux fait son hagiographie. Elle lui adjoint un gynécologue belge, Guy-Bernard Cadière, qui vient opérer avec lui dans son hôpital. À travers ce second personnage, le spectateur occidental s’identifie. Le même procédé est à l’œuvre dans une courte séquence qui ouvre le film où l’on voit la paix d’une famille belge, tendrement réunie autour du repas du dimanche, brutalement rompue par l’irruption de trois soldats qui violent la mère, sous les regards impuissants du père, avant de s’en prendre à leur fille.

À l’instar de cette première scène, le film est éprouvant. Car la réalité de ce qu’endurent ces femmes violées, mutilées, l’est encore plus. Le film est interdit à bon droit aux moins de douze ans avec avertissement. mais il est pourtant d’utilité publique. Il faut voir Muganga ; il faut le faire voir pour prendre conscience de l’horreur vécue par ces femmes et de la grandeur de l’œuvre menée par le Dr Mukwenge.

C’est hélas le seul motif – et non des moindres – pour aller voir ce film et pour en faire l’éloge. Car hélas, il n’y en a pas d’autres. D’un point de vue cinématographique, Muganga est bien pâle. Ses acteurs sont caricaturaux : Isaach de Bankolé joue un Mukwenge corseté, gardant un calme absolu en toutes circonstances, que rien ne fera jamais dévier de sa mission; Vincent Macaigne en rajoute juste un peu trop dans le rôle du muzungu (le Blanc en kiswahili) perché.
Le scénario a construit quelques personnages de patientes afin de présenter un échantillon aussi représentatif que possible des cas traités à Panzi : Blanche, qui doit traverser le pays ravagé par la guerre, après avoir vu son mari et son fils tués sous ses yeux, Neema, qui refuse d’être opérée par un Blanc, Antoinette devenue folle après que les soldats ont forcé ses fils à la violer…

Il y a dans le film un personnage et une situation qui surnagent : celui de Busara interprété par Déborah Lukumuena (Divines, Les Invisibles, Entre les vagues…). Après le viol qu’elle a subi, elle est tombée enceinte. Sa grossesse la révolte. Elle demande à Mukwenge d’y mettre un terme ; il essaie de l’en dissuader au nom de ses principes religieux et de l’innocence de l’enfant à naître ; Cadière n’est pas du même avis.

Muganga mérite d’être vu pour le sujet qu’il porte et moins hélas pour la façon dont il le porte.

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TKT ☆☆☆☆

Fille unique, couvée par des parents aimants et protecteurs, Emma, seize ans, est une adolescente comme tant d’autres. Elle a des camarades d’école fidèles, Manon, Lou, Jeanne, un amoureux, Raph et des voisins, Jeanne et Max, auxquels l’unit l’amour de la musique. Mais bientôt, tout se dérègle dans la vie d’Emma.

Adapté d’un court roman jeunesse de l’auteure belge Elena Tenace, « Tout ira bien », TKT veut nous refaire le coup de LOL, en commençant par son titre censé capter quelques chose de l’air du temps. [Pour les illettrés comme moi, TKT et LOL sont des abréviations utilisées par les jeunes : Tkt = T’inquiète (merci aux concepteurs de l’affiche de l’avoir précisé, hélas en trop petits caractères pour que les gens de mon âge puissent le lire, fût-ce avec des lunettes)].

En 2008, Lisa Azuelos, avec la star Sophie Marceau et la graine de star Christa Théret, peignait avec LOL, le portrait de la génération Z, des Digital Natives, nés avec le numérique, ultra-connectée. Près de vingt ans plus tard, l’ambition de Solange Cicurel est plus limitée. Elle entend raconter l’un des maux les plus dangereux qui menacent la génération suivante : le harcèlement scolaire.

TKT est en effet, comme le livre qui l’a inspiré, un film à thèse. C’est ainsi d’ailleurs que son producteur l’a présenté lors de l’avant première à laquelle j’ai assisté la semaine dernière à l’UGC Ciné Cité Bercy, sous le parrainage d’Orange – qui oeuvre à une utilisation plus responsable des écrans chez les très jeunes comme en témoigne sa dernière campagne de pub – et de l’association E-Enfance qui gère le numéro vert 3018 mis à disposition des jeunes victimes de cyberharcèlement.

Le sujet est grave. Le problème de TKT est de le traiter aussi pauvrement. Il emprunte certes au livre une idée stimulante : raconter l’histoire en flashback à partir du lit d’hôpital où Emma est plongée dans le coma et d’où son double métempsychique mène l’enquête sur un passé qu’elle a oublié. Mais ce procédé mis à part, copié sur Ghost, tout dans TKT est d’une affligeante médiocrité : les personnages caricaturaux, les situations prévisibles, la direction d’acteurs (même Emilie Dequenne – paix à son âme – réussit à être mauvaise dans le rôle de la mère éplorée)…
Sur le sujet connexe de l’éducation à la sexualité et des limites du consentement, À genoux les gars était autrement plus convaincant.

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Une bataille après l’autre ★★★☆

Bob Ferguson (Leonardo DiCaprio) est un militant d’extrême gauche qui met au service d’un groupe paramilitaire, les French 75, ses talents d’artificier. Sa compagne, Perfidia Beverly Hills (Teyana Taylor) fait partie du groupuscule qui, lors d’une opération musclée dans un centre de rétention de réfugiés, humilie le commandant de la base, le colonel Lockjaw (Sean Penn) et noue avec lui une relation SM. Perfidia tombe enceinte et accouche d’une petite fille juste avant qu’un braquage qui tourne mal oblige le groupe à se dissoudre et ses membres à disparaître aux quatre coins de l’Amérique sous de fausses identités.
Bob élève seul sa fille Willa (Chase Infiniti) dans la paranoia de ses poursuivants. Seize ans plus tard, aiguillonné par une confrérie suprémaciste blanche, le colonel Lockjaw retrouve leur trace. Pour lui échapper Bob peut compter sur le professeur de karaté de sa fille, Sensei Giorgio (Benicio Del Toro).

Paul Thomas Anderson s’est affirmé comme l’un des plus importants réalisateurs du cinéma américain contemporain avec des films aussi marquants que Magnolia, There Will Be Blood ou Phantom Thread (wink Berthe Edelstein). Adapté d’un roman de Thomas Pynchon, l’un des plus grands et des plus mystérieux écrivains du vingtième siècle, avec son casting trois étoiles, il constituait l’un des films les plus attendus de l’année.

Le film est à la hauteur des attentes qu’il a fait naître. C’est un « grand » film dans tous les sens du terme : par sa durée qui flirte avec les trois heures, par son style flamboyant et classique à la fois, par son ambition enfin : offrir, comme Eddington sorti juste avant lui, une radioscopie de l’Amérique schizophrène écartelée entre ses deux extrêmes de droite et de gauche.

Ses acteurs sont épatants. Tout le film repose sur Leonardo DiCaprio, qui constitue, pour tous les spectateurs de mon âge, un marqueur : on l’a découvert, ado, sublimement beau et romantique, avant de le voir lentement vieillir et s’empâter. Son rôle aurait pu sombrer dans la caricature : celui d’un vieux révolutionnaire en robe de chambre, dont les vieux idéaux se sont envolés dans la fumée de la marie-jeanne et dont l’amour pour sa fille est devenue sa seule boussole. À ses côtés, Sean Penn signe une performance incroyable. Lui aussi aurait pu sombrer dans la caricature : celle du militaire guindé à la mâchoire serrée, aux cheveux et aux idées courts. Mais ces deux immenses acteurs arrivent à donner vie à leurs personnages caricaturaux et on passe le film à se pincer devant ce qu’ils osent faire. Cerise sur le gâteau : Benicio Del Toro dans le rôle improbable d’un professeur mexicain de karaté. On imagine que la jeune Chase Infiniti ne devait pas en mener large entre ces trois monstres sacrés et on admire d’autant plus son cran.

Une bataille après l’autre se regarde comme un thriller ample et puissant avec un final d’anthologie, dans un décor tellement américain.
C’est aussi un film d’une brûlante actualité, qui, s’il évoque les groupuscules terroristes des années 70, résonne avec les dérives suprémacistes du trumpisme et la criminalisation des mouvements antifa.

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Classe moyenne ★★☆☆

Dans la famille Trousselard, on demande le père (Laurent Lafitte) : riche avocat d’affaires parisien, très sûr de lui, qui aime parsemer ses maximes d’expressions latines souvent inappropriées. La mère (Elodie Bouchez), actrice jadis célèbre en quête d’un impossible come back. La fille, Garance (Noée Abita), une peste idiote et narcissique qui rêve de devenir actrice à son tour. Le petit ami de Garance (Sami Outalbali), d’origine modeste sorti major de sa promotion à Assas avant de passer avec succès l’examen du barreau, mais discriminé à l’embauche par les grands cabinets qui lui préfèrent des fils de.
Les Trousselard possèdent une luxueuse villa perdue dans la garrigue cévenole. Les Azizi (Laure Calamy et Ramzy Bedia) sont leurs gardiens.

La bande-annonce de Classe moyenne a bien failli me dissuader d’aller le voir. Elle laissait pressentir une comédie grasse, une farce lourde à laquelle n’auraient manqué que Christian Clavier et Josiane Balasko, ou encore une ruben-östlunderie made in France– puisque c’est ainsi qu’on désigne désormais des comédies grinçantes et malaisantes qui, sans peur de l’outrance, se rient des travers de nos sociétés contemporaines. À l’aune de ce naufrage annoncé, Classe moyenne fut plutôt une bonne surprise – même si je n’en ai toujours pas compris le titre.

La bande-annonce évoque l’affrontement grotesque entre des propriétaires parisiens et leurs gardiens. Le scénario, heureusement, est plus subtil, qui commence par le commencement – la relation déséquilibrée entre un couple de riches vacanciers et un autre, bon.ne.s à tout faire, payés pour déboucher leurs canalisations et nettoyer leur piscine – et monte lentement en puissance.

Antony Cordier – qu’on avait découvert en 2005 avec le très réussi Douches froides et qui avait disparu depuis – ciselle une comédie théâtrale à sept personnages remarquablement bien écrite. Les personnages et les acteurs y sont remarquables, la meilleure étant Élodie Bouchez dans un rôle pourtant pas facile qui aurait pu être éclipsé par celui de Laurent Lafitte, toujours impérial.
Mais c’est son scénario qui m’a convaincu. Car le film aurait pu se contenter de poser côte à côte ces deux familles que tout oppose. Il a le mérite de les faire interagir dans une histoire qui ménage son lot de rebondissements jusqu’à son climax que rien ne laissait augurer, aussi surprenant que logique.

Classe moyenne n’est certainement pas le film du mois. Mais c’est un film drôle et malin. Si vous ne le voyez pas au cinéma, vous pourrez le voir sans préjudice à la télévision ou sur votre ordinateur. Vous passerez un excellent moment.

La bande-annonce