Les Musiciens ★★☆☆

Astrid Carson (Valérie Donzelli) est l’héritière de son père, un richissime homme d’affaires récemment décédé. À la tête de la fondation qu’il a créée, elle essaie de réaliser son rêve : réunir quatre Stradivarius et leur faire jouer le quatuor qu’il avait commandé un quart de siècle plus tôt au compositeur Charlie Beaumont (Frédéric Pierrot). Mais réunir quatre musiciens d’exception pour monter cet enregistrement s’avère plus difficile que prévu.

Le film de Grégory Magne (Les Parfums) a un défaut quasi rédhibitoire : on sait par avance comment il va se terminer. On sait par avance que les tensions qui existent entre les quatre musiciens finiront par s’apaiser et que, dans la dernière scène du film, ils interpréteront, à l’unisson, devant son compositeur ému aux larmes, une oeuvre sublime.

Fort heureusement, ce défaut est compensé par trois qualités remarquables. La première est un scénario rebondissant, qui maintient la tension et soutient l’attention. Il montre l’évolution au sein du groupe entre ses quatre membres : le premier violon si égocentrique, le second violon, malvoyant, qui fait les yeux doux (sic) à la violoncelliste, la jeune altiste, en mal de reconnaissance…

La deuxième est Frédéric Pierrot, dans le rôle d’un compositeur lunaire (!), qui entend se départir de tout artifice, pour revenir à ce qui, selon lui, constitue l’essence de la musique : sublimer les bruits de la Nature. Frédéric Pierrot est particulièrement drôle dans ce rôle qui frise le burlesque. Mais il réussit en même temps à y être d’une étonnante profondeur.

Enfin, et c’est le plus important, Les Musiciens vaut par sa musique. Une oeuvre originale en quatre mouvements a été commandée à Grégoire Hetzel. Ce célèbre compositeur de musique de films est régulièrement nominé aux César : en 2011 pour L’Arbre, en 2016 pour Trois souvenirs de ma jeunesse, en 2019 pour Un amour impossible, en 2020 pour Roubaix, une lumière, en 2023 pour L’Innocent. Sa composition est superbe. Je craignais que le dernier plan se termine à la seconde où le concert commencerait. J’ai été heureux, même si l’effet dramatique est moins fort, que la caméra tourne encore quelques minutes pour nous laisser écouter ce résultat splendide.

La bande-annonce

Mexico 86 ★☆☆☆

Maria (Bérénice Bejo) est une militante de l’Armée révolutionnaire guatémaltèque qui combat contre la dictature et milite pour le retour de la démocratie dans cette petite république d’Amérique centrale. Après l’assassinat de son mari à la fin des années 70, elle s’est exilée au Mexique, y vit sous couverture comme correctrice dans un journal et poursuit la lutte clandestine. Elle a laissé son fils au Guatemala aux bons soins de sa mère qui, atteinte d’une maladie incurable, ne peut plus assumer sa garde.

Mexico 86 est un film d’autant plus touchant que son réalisateur, César Diaz, s’est inspiré de sa propre vie et de celle de sa mère. Comme son titre l’indique, il se déroule à Mexico, en 1986, au moment de la Coupe du monde de football (dont la France, on s’en souvient, s’est fait une nouvelle fois éliminer par la Mannschaft en demi-finale sans réussir à prendre sa revanche de Séville quatre ans plus tôt).

Le film tisse deux histoires. La première est celle d’un récit d’espionnage avec ses fausses identités, ses postiches, ses filatures, ses courses-poursuites. La seconde investit un tout autre registre, celui de la relation mère-fils.

Le problème de Mexico 86 est qu’il échoue à tenir la balance entre ces deux dimensions.
Autant la première est réussie, grâce à la performance de Bérénice Bejo, délicieusement paranoïaque, dont on sait combien elle est une grande artiste (OSS 117, The Artist, Le Passé, L’Economie du couple…). On retrouve le parfum des vieux films des années 70 façon Les Hommes du président, accompagnés par une musique nerveuse.
Autant la seconde est trop convenue, trop prévisible, trop tire-larmiste pour convaincre.

La bande-annonce

Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé ★★☆☆

Le 21 décembre 1989, en direct à la télévision roumaine, le dictateur Nicola Ceaușescu est hué par la foule. Il sera exécuté quatre jours plus tard avec sa femme après un procès expéditif. Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé, Grand Prix du dernier festival de Venise, suit pas à pas la vie de six Bucarestois ordinaires la veille de la chute du régime : un ouvrier dont le fils vient d’envoyer au Père Noël une bien embarrassante missive, un réalisateur à la télévision nationale obligé de retourner dans l’urgence la soirée du Nouvel An et de trouver une nouvelle actrice après la défection de la précédente, son fils qui a décidé de fuir le pays, un employé de la Securitate, la police secrète, sa mère qui refuse d’abandonner la maison où elle a toujours vécu….

On connaît la richesse du cinéma roumain depuis la Palme d’or ô combien méritée attribuée en 2007 à Christian Mungiu pour Quatre mois, trois semaines, deux jours. On sait que la fin du régime de Ceaușescu est un de ses sujets de prédilection. Ainsi 12h08 à l’est de Bucarest (2006) de Corneliu Porumboiu montrait avec une cruelle ironie comment les Roumains avaient souvent héroïsé leur participation à la chute de la dictature. 

Ce Nouvel An… a une texture quasi documentaire. Il vaut d’abord par son échantillonnage sociologique : quatre hommes, deux femmes, de tous les âges et de tous les milieux. Parmi eux, un, l’employé de la Securitate, sert le régime, deux autres, l’actrice et le fils, le détestent, les trois autres le subissent avec résignation. Il vaut surtout par la finesse des caractères dépeints : ni héros, ni salaud, chacun a ses raisons et interroge celles que nous aurions eues si nous avions été dans la même situation. Défendre des valeurs, certes ; mais surtout sauver sa peau et celle des siens face à un avenir encore inconnu.

Ce Nouvel An… souffre d’une faiblesse structurelle. On en sait par avance la fin. On sait comment l’histoire se finira et on sait qu’elle se finira « bien », par la chute du dictateur et la fin de la dictature. Cette connaissance rétrospective éclaire d’un jour moins dramatique les événements traversés par les six protagonistes. Le drame devient moins dramatique (on ne tremble pas quand Laurențiu est arrêté), la comédie plus drôle. Il est caractéristique que l’épisode le plus réussi du film soit le plus ironique : la lettre au père Noël du fils de Gelu l’ouvrier.

La bande-annonce

Tu ne mentiras point ★★☆☆

William Furlong (Cilian Murphy) est charbonnier à Wexford dans le sud-ouest de l’Irlande des années 80. Son passé se dévoile à travers plusieurs flashbacks. Il a été élevé dans les années 50 par une mère célibataire recueillie par une riche douairière. Il s’est marié, a fondé un foyer et est aujourd’hui le père de pas moins de cinq filles. Il livre le charbon régulièrement au couvent de la Madeleine et prend lentement conscience des mauvais traitements que ses pensionnaires y subissent.

En 2002, le film de Peter Mullan, The Magdalene Sisters, avait popularisé les sévices subis par plusieurs dizaines de milliers de jeunes filles pendant plus de soixante-dix ans dans des établissements religieux irlandais. Dix ans plus tard, Philomena de Stephen Frears racontait l’histoire vraie d’une Irlandaise dont l’enfant lui avait été retiré à la naissance un demi-siècle plus tôt. Tu ne mentiras point (dont le titre anglais, plus subtil, est Small Things Like These) revient sur ce passé irlandais qui ne passe pas.

C’est l’adaptation d’un livre de Claire Keegan, dont un autre roman très réussi vient tout juste d’être porté à l’écran : The Quiet Girl racontait les quelques semaines passées par une fillette renfermée chez un couple aimant d’agriculteurs sans enfant. J’ai trouvé que ces deux films se ressemblaient – même si l’un se déroulait pendant un été ensoleillé alors que l’autre baigne dans un hiver humide. Ils ont en commun un rythme lent, le refus des rebondissements spectaculaires, une pudeur à ne pas trop en dévoiler.

Tu ne mentiras point a le défaut de ses qualités : sa retenue le dessert. Il est happé, comme un trou noir, par la composition magistrale de Cillian Murphy, sans doute l’un des acteurs les plus impressionnants de sa génération, comme l’a montré son interprétation de Oppenheimer. Son mutisme, dont on se demande ce qu’il cache, aspire tout, au risque de réduire le film au silence.

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Les Linceuls ★☆☆☆

Karsh (Vincent Cassel) est un riche quinquagénaire rendu fou de chagrin par la mort de sa femme. Avec sa fortune, il a commercialisé un procédé technologique futuriste permettant de suivre, grâce aux capteurs qui tapissent le linceul dans lequel le cadavre est enterré, la lente putréfaction du corps de l’être cher. Or, le cimetière où repose Rebecca son épouse (Diane Kruger) est profané. Qui est à l’origine de cet acte de vandalisme ? Une ONG écologiste basée en Islande ? L’investisseur hongrois qui souhaite prendre des parts dans la société de Karsh ? Les services de renseignement chinois ou russe ? Le propre frère de Karsh (Guy Pearce), brisé par son divorce ? L’ex-oncologue de Rebecca mystérieusement disparu à l’occasion d’un congrès international ?

David Cronenberg, à quatre-vingts ans passés, fait partie de ces géants du cinéma, dont l’œuvre impressionnante (La Mouche, Le Festin nu, Crash, A History of Violence…) suscite une admiration révérencieuse. Chacun de ses nouveaux films – dont on peut craindre légitimement qu’il soit le dernier – est ipso facto sélectionné à Cannes (ce fut le cas de Maps to the Stars en 2014 et des Crimes du futur en 2022) quelles que soient ses qualités intrinsèques. Et d’ailleurs, si je suis allé voir dès sa sortie son dernier film, c’est précisément en raison de l’admiration respectueuse que je porte à l’un des plus grands réalisateurs canadiens contemporains (ex aequo avec Denis Villeneuve, Xavier Dolan et James Cameron).

Pour autant, quitte à passer pour un ilote, force m’est de confesser que je n’aime pas Cronenberg. Je n’ai jamais compris ses névroses, ses pulsions refoulées, son obsession pour le corps humain et sa mutilation. Crash par exemple sur l’érotisation de l’accident de la route et la fusion de l’humain et du mécanique (une thématique faussement transgressive plagiée par Julia Ducournau dans Titane dont je soutiens qu’il ne méritait pas la Palme d’or) m’a profondément mis mal à l’aise.

Aussi très logiquement n’ai-je pas aimé ces Linceuls. J’ai trouvé son idée de départ peu réaliste. Qui aurait sérieusement l’idée de filmer le lent pourrissement du cadavre de sa femme ? D’autant que Vincent Cassel, un acteur toujours aussi sautillant et débordant d’énergie, n’est guère crédible dans le rôle d’un veuf inconsolable. Le jeu des acteurs, à commencer justement par celui de Vincent Cassel, qu’on sent à chaque réplique obsédé par sa prononciation anglaise, m’a semblé particulièrement mauvais. J’ai  également trouvé le film terriblement bavard, enchaînant les longs face-à-face paresseusement filmés en plans/contre-plans mettant en présence le héros avec tous ceux qu’il soupçonne successivement de l’abuser. Le scénario enfin m’a semblé excessivement filandreux, qui multiplie, comme un mauvais James Bond, les fausses pistes.

C’est à ma déférence envers le vieux maître que le film doit sa seule étoile. Si j’avais été moins respectueux, je ne lui en aurais mis aucune.

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La Chambre de Mariana ★★☆☆

Dans la Bucovine, occupée depuis l’été 1941 par les troupes allemandes, les Juifs sont persécutés. Le père de Hugo, douze ans, a déjà été arrêté. Pour le sauver d’une mort certaine, la mère de Hugo le confie à la garde de Mariana, une amie d’enfance aujourd’hui prostituée dans un bordel dont l’essentiel de la clientèle est constitué de soldats allemands. Mariana le cache dans un débarras adjacent à sa chambre.

La Chambre de Mariana est l’adaptation du livre éponyme et en partie autobiographique de Aharon Appelfeld, écrivain israélien né en 1932, qui, comme il le raconte dans Histoire d’une vie, s’est caché pendant trois ans dans les forêts d’Ukraine.

Le film est réalisé par Emmanuel Finkiel qui clôt avec lui une trilogie entamée en 1999 avec Voyages et poursuivie en 2017 avec La Douleur, l’adaptation du livre de Marguerite Duras. Mélanie Thierry y jouait le rôle principal et c’est elle qu’on retrouve en tête d’affiche. Pour interpréter Mariana, elle a relevé un défi qui force l’admiration : apprendre l’ukrainien et le parler quasiment à la perfection. À part elle, l’ensemble du casting est ukrainien. Le film aurait dû être tourné sur place mais le tournage s’est délocalisé en Hongrie après l’invasion russe de février 2022, compliquant considérablement le travail de la production.

La Chambre de Mariana a deux héros. Son histoire nous est racontée par les yeux et les oreilles de Hugo qui n’en a qu’une perception amputée. Le film joue intelligemment sur les cadrages. Hugo observe, par un trou de son réduit, la cour où il voit des colonnes de Juifs déportés et des Allemands en uniforme. Il regarde par l’entrebaîllement de la porte la chambre où Mariana se dénude et reçoit ses clients. Mais la principale héroïne est Mariana elle-même, Maman et putain, Juste sans le savoir, donnant à l’enfant placé sous sa garde l’amour dont il a été trop tôt sevré.

La Chambre de Mariana coche toutes les cases du drame historique, de l’enfance martyrisée, du lait de la tendresse humaine. D’où vient alors qu’il nous laisse insensible ? D’où vient qu’on ne s’y laisse pas emporter ? De sa longueur ? Il n’a pas suffisamment à dire pour occuper efficacement ses deux heures vingt. De sa prévisibilité ? Rien ne s’y passe qu’on ne voie venir longtemps à l’avance et qui ne nous y surprenne. De la médiocrité du jeu des acteurs, Mélanie Thierry mise à part ?

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L’amour c’est surcoté ★☆☆☆

Anis (Hakim Jehili) est un adulescent secrètement traumatisé par la mort de son meilleur ami, Isma, trois ans plus tôt. Gentil loser, glandeur professionnel, soudé à ses deux amis, Paulo et Sekou, il est incapable de construire une relation sentimentale apaisée. Tout change quand il rencontre Madeleine (Laura Felpin).

L’amour c’est surcoté. C’est surtout survendu. Première nous vend le film comme le meilleur du mois. Adapté du roman éponyme de Mourad Winter, le film est censé réinvéter les codes de la romcom.

Certes les punchlines crépitent, aussi rapides dans leur débit (il faut régler son sonotone pour, à mon âge, arriver à toutes les comprendre) que dans leur rythme. On ne s’y ennuie pas. On rit parfois, mais pas toujours, soit qu’on ne les ait pas entendues (voir le sonotone supra) soit qu’on en ait pas saisi le sens.

Bien sûr les acteurs sont attachants : Hakim Jemili, en nounours cachant ses cicatrices derrière un déluge de blagues plus ou moins affûtées et surtout Laura Felpin, épatante de naturel. Mais hélas, le traitement de l’histoire est désespérément convenu. Le titre du film nous faisait espérer autre chose : une autre façon de concevoir le couple, comme on le lit parfois dans les essais sociologiques qui analysent la vie amoureuse des millenials, hors des catégories traditionnelles de l’amour et de la sexualité. Mais hélas, son titre doit platement se lire par antiphrase : L’amour c’est surcoté est la millième comédie romantique qui raconte – comme cette semaine Une pointe d’amour – la rencontre amoureuse, la parade amoureuse ponctuée de rapprochements et de malentendus et l’inévitable happy end à la fin de ce long processus joué d’avance.

À supposer qu’il capte quelque chose de l’esprit du temps, L’amour c’est surcoté se condamne par son sujet à être très vite terriblement démodé

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Une pointe d’amour ★★☆☆

Mélanie (Julia Piaton), une avocate handicapée atteinte d’une maladie dégénérative, décide d’offrir à son meilleur ami Benjamin (Quentin Dolmaire), paraplégique et, comme elle, condamné à la solitude affective, un cadeau original : une virée dans un bordel espagnol. Pour les y véhiculer, Mélanie recrute l’un de ses clients, Lucas (Grégory Gadebois), un ex-taulard qu’elle vient de réussir à faire libérer.

Une pointe d’amour se présente comme le remake d’un film espagnol très réussi, Hasta la Vista (2011). Il en emprunte le motif, le voyage en minivan d’une bande de handicapés vers un bordel pour y goûter, au moins une fois dans leur vie, aux joies de l’amour physique. Mais il en modifie la structure : le film espagnol avait pour héros trois handicapés alors que le film français se referme sur le couple Mélanie-Benjamin. Le couple, car dès les premières images on a le pressentiment qu’Une pointe d’amour nous racontera l’histoire de la formation sans cesse retardée de ce couple, empêchée par leur handicap. Autre pressentiment : le film se conclura par la mort tragique de Mélanie dont le cœur est voué à lâcher brutalement.

Le scénario tranquille de ce road movie gentillet confirmera – ou pas – nos pressentiments. Son thème central est le handicap. On ne l’évoquait jamais au cinéma au siècle dernier (je me creuse sans succès la tête pour citer un seul titre [post scriptum : mais si ! Le Huitième Jour (1996)]). C’est devenu un marronnier depuis dix ans : Intouchables, Hors normes, Un p’tit truc en plus, Mon inséparableSimón de la montaña pas plus tard que la semaine dernière…. Cette irruption mériterait une analyse cinématographique et politique plus approfondie. Que dit-elle de notre société ?

Une pointe d’amour (un titre que je n’ai pas compris) vaut surtout par son trio d’acteurs. Quentin Dolmaire ne m’avait pas convaincu dans ses premiers rôles chez Desplechin. Je trouvais horripilante sa diction languissante. Mais force m’est de reconnaître qu’il est parfait dans le rôle de Benjamin. Julia Piaton, qui ressemble de plus en plus à sa mère, Charlotte de Turckheim, est elle aussi parfaite de beauté translucide, de fragilité et de détermination. Mais c’est Gregory Gadebois qui décroche, comme à chaque fois, le pompon. Ce qu’il réussit à communiquer, avec un haussement de sourcil, une intonation de voix, est hallucinant.

Road movie en fauteuil, Une pointe d’amour ne restera pas dans les annales. Il n’en a pas d’ailleurs l’ambition. Mais c’est un film sympathique qui se laisse agréablement regarder.

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Simón de la montaña ★★★☆

Simón a vingt-et-un an. Il est handicapé – ou peut-être ne l’est-il pas. Toujours est-il qu’il fuit sa famille pour passer ses journées avec les résidents d’un centre d’accueil pour handicapés.

Simón de la montaña est un film troublant dont on comprend que la Semaine cannoise de la critique l’ait couronné de son Grand prix.

Il reprend la même situation que le succès surprise du box office français de l’an passé, Un p’tit truc en plus : l’infiltration par un non-handicapé d’un groupe de jeunes handicapés. Mais si vous avez aimé le film d’Artus, lisez cette critique jusqu’au bout avant de vous y ruer.

En effet, Simón de la montaña n’a rien d’une comédie. Il ne joue pas, comme Un p’tit truc en plus sur les situations parfois drolatiques que cette rencontre fait naître. Pas plus ne joue-t-il sur la corde sensible qui voudrait nous émouvoir de ces êtres différents et de leur irréductible dignité.

L’originalité de Simón de la montaña est de porter un regard inversé sur le handicap. Je m’explique (et renvoie à Berthe Edelstein qui l’explique beaucoup mieux que moi) : depuis Elephant Man ou Rain Man, l’handicapé est dépeint comme un monstre rejeté par la société qui cache en fait des qualités qui devraient nous inciter à lui faire une place. Le mouvement de ces films-là va de l’extérieur (de la société) vers l’intérieur. Le mouvement de Simón de la montaña est inversé : son héros va de l’intérieur vers l’extérieur. Il ne souhaite pas transformer des handicapés en non-handicapés mais devenir lui-même un des leurs.

L’explication que je viens de faire est bien verbeuse. Elle est surtout manichéenne. Or, Simón de la montaña n’a aucun de ces deux défauts. Il a au contraire une immense qualité : il maintient jusqu’au bout l’ambiguïté sur le personnage de Simón : est-il un mythomane qui souhaite obtenir un certificat de handicap pour bénéficier des avantages qui s’y attachent ? pour approcher les jeunes filles du centre, notamment l’attirante Colo, et abuser d’elles ? ou est-il au contraire un garçon mal dans sa peau, affecté de troubles psychologiques, qui cherche à échapper à une mère toxique et à un beau-père violent ?

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Sebastian ★☆☆☆

Max est un jeune auteur ambitieux. Il a déjà publié une nouvelle dans une revue prestigieuse où il est employé comme pigiste. Il travaille à son premier roman avec le soutien de son agent. Le héros du roman est un jeune prostitué. Max prétend travailler sur la base de témoignages recueillis auprès d’escorts gays. Mais, pour nourrir son roman, il s’adonne à la prostitution sous le nom de Sebastian.

Interdit aux moins de douze ans en raison de ses scènes de sexe très crues, Sebastian, déjà diffusé à Paris en novembre dernier dans le cadre du festival Chéries, Chéris, nous promet une plongée voyeuriste dans le monde de la prostitution londonienne chic et gay. Mais il ne s’y résume pas. Sebastian nous fait miroiter une stimulante réflexion sur le travail de l’écrivain, sur sa mise en danger pour se documenter sur son sujet, sur le risque qu’il court de se perdre entre deux identités, la sienne et celle du personnage qu’il prétend être.

On pense au journaliste italien Fabrizio Gatti qui s’est glissé dans la peau d’un migrant subsahélien pour documenter le long voyage des immigrés africains vers l’Europe. On pense aussi à la romancière française Emma Becker qui a travaillé pendant deux ans dans un bordel berlinois pour écrire Maison close et dont les romans ultérieurs, écrits à la première personne, entretiennent la confusion entre le roman et l’autobiographie.

La comparaison s’arrête là. Sebastian ne convainc pas. Pourtant le jeune acteur italo-écossais Ruaridh Mollica paie de sa personne et on retrouve avec plaisir le grand acteur de théâtre Jonathan Hyde. Mais le scénario de Sebastian manque trop de surprise, les dilemmes auxquels son jeune héros est confronté sont trop convenus, pour laisser une trace marquante.

La bande-annonce