Dans les angles morts ★☆☆☆

Catherine Clare (Amanda Seyfried) est une New-Yorkaise restauratrice d’art. Sa vie auprès de George (James Norton), son mari, un brillant universitaire, et de Franny, sa ravissante petite fille de quatre ans, est en apparence épanouie ; mais Catherine, qui souffre secrètement d’anorexie, n’est pas heureuse.
Son malaise va grandir lorsque son couple tente un nouveau départ en allant s’installer dans le nord de l’Etat de New York, sur les bords de l’Hudson, où George prend un nouveau poste dans une petite université. La famille s’installe dans une vieille ferme dont les anciens occupants, qui y sont morts dans d’obscures circonstances, leur envoient des signaux inquiétants.

Elizabeth Brundage a écrit All Things Cease to Appear en 2016. Son roman fut traduit en français et publié début 2018 sous le titre Dans les angles morts. C’est sous ce titre là qu’il est diffusé par Netflix France depuis le 29 avril 2021, son titre anglais ayant lui été remplacé par Things Heard and Seen. Ces hésitations onomastiques reflètent l’indécision qui entourent le film : s’agit-il d’un film fantastique ? d’un film policier ? d’une tragédie familiale ?

Le roman d’Elizabeth Brundage, que le confinement m’avait donné le loisir de lire, était riche et complexe. Le film lui est fidèle. Paradoxalement, il est beaucoup moins réussi. Peut-être parce qu’il donne à voir des personnages qu’on imaginait autrement. Amanda Seyfried par exemple, malgré ses trente-cinq ans bien sonnés, y est beaucoup plus jeune et plus jolie qu’on s’était représentée l’héroïne du livre. C’est aussi le cas de James Norton, trop lisse pour incarner la duplicité de George. En revanche, F. Murray Abraham semble ne pas avoir pris une ride depuis son interprétation de Salieri dans Amadeus il y a près de quarante ans,

La fin du film respecte quasiment à la lettre celle du livre. Mais, en basculant dans le surnaturel, elle fait définitivement chavirer l’ensemble.

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La Sagesse de la pieuvre ☆☆☆☆

Craig Foster est un biologiste marin sud-africain, un apnéiste et un réalisateur qui a filmé ses plongées sous-marines au large du Cap. Il y a observé pendant toute une année une pieuvre d’une exceptionnelle intelligence. Le documentaire qu’il en a tiré, diffusé sur Netflix depuis septembre, a été couvert de prix et vient de remporter l’Oscar 2020 du meilleur documentaire.

J’avais repéré depuis quelques mois sur le catalogue Netflix ce documentaire. Mais le sujet ne m’intéressant pas, je n’avais pas choisi de le regarder. L’Oscar qu’il a reçu m’a fait changer d’avis. Mal m’en a pris !

La Sagesse de la pieuvre (laborieuse traduction de My Octopuss Teacher) nous montre des images sous-marines que commente en voix off le plongeur. Il raconte sa relation avec une pieuvre dont il découvre admirativement les stratégies d’adaptation. Il la montre chasser sa nourriture, résister aux attaques des requins-pyjamas – qui réussiront néanmoins à lui arracher une tentacule (pardon du spoiler) – se reproduire puis se laisser mourir à la fin de sa courte vie. L’inconvénient du procédé est que, comme souvent dans les documentaires animaliers, on projette sur les animaux des sentiments humains : la peur, la confiance et même la joie.

J’attendais du meilleur documentaire de l’année qu’il sorte du lot. La Sagesse de la pieuvre n’en sort pas. Pire : il nous met la tête dessous (gloussements).

Peut-être séduira-t-il les passionnés de plongée sous-marine, les amis de la faune subaquatique, les propriétaires d’aquarium. Quant aux autres….

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Pinocchio ★★☆☆

Geppetto (Roberto Benigni) est un pauvre menuisier solitaire, sans femme ni enfant. Un beau jour, dans un morceau de bois aux propriétés extraordinaires, il sculpte un pantin qui prend vie. Il le coiffe d’un chapeau pointu, le vêt d’un costume rouge. La jeune marionnette, que Geppetto chérit d’un amour paternel, se révèle vite un bambin espiègle. Il quitte Geppetto pour suivre Mangefeu, le marionnettiste. Il croise le Chat et le Renard qui abusent de sa crédibilité, le détroussent et manquent de le pendre. Il est sauvé par la Fée bleue (Marina Vacth). Avec un autre orphelin, Lucignolo, il gagne le pays des jouets mais y est transformé en âne. Jeté à la mer, il est avalé par une baleine et retrouve Geppetto. Finalement, suivant les conseils de la fée bleue, il se met à étudier sérieusement et devient un beau jour un vrai petit garçon.

Après avoir fait exploser le box-office en Italie – et avant d’y récolter une brassée de Davids, l’équivalent de nos Césars – le Pinocchio de Matteo Garrone devait sortir en France le mercredi 18 mars 2020. Las ! La veille, le premier confinement débutait et repoussait sine die sa sortie. Pendant des semaines, des autobus quasiment vides passaient sous mes fenêtres avec sur leurs flancs les affiches désormais inutiles annonçant sa sortie. Finalement, Pinocchio ne devait jamais trouver le chemin des salles en France et serait diffusé sur Amazon prime dès le mois de mai 2020.

Il m’a fallu pourtant près d’un an pour le voir. Il faut dire que le sujet ne m’intéressait guère. Pour moi, Pinocchio était irrémédiablement un personnage de dessin animé réservé aux enfants. Je me trompais en partie. Sans qu’il soit besoin de convoquer Bruno Bettelheim, la marionnette inventée à la fin du dix-neuvième siècle par Carlo Collodi ne se réduit pas à un jouet pour gamins. Le filmer avec le nez qui s’allonge face à la ravissante fée bleue n’est pas aussi innocent que cela en a l’air et rappellera à tout spectateur normalement constitué quelques épisodes embarrassants de sa pré-adolescence.

Les aventures de Pinocchio sont terrifiantes. Je ne me souviens plus de celles qu’il traversait dans le dessin animé de Walt Disney, si ce n’est sa transformation, passablement traumatisante, en âne et son séjour, avec Geppetto, dans le ventre de la baleine (dont il s’échappait je crois en allumant un feu). Dans celles de Garrone, elles le sont assurément, l’angoisse étant accrue par des lumières ténébreuses et inquiétantes. Jiminy Cricket qui, chez Walt Disney, incarnait la bonne conscience pleine d’humour et de sagesse du petit garçon, est ici un ignoble gnome. Même la fée bleue ou le gentil escargot sont des personnages lugubres et inquiétants. On reconnaît la patte de Matteo Garrone dont les décors et les costumes rappellent ceux de Tale of Tales.

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The 13th ★☆☆☆

Le treizième amendement de la Constitution américaine abolit l’esclavage en 1865. Il réserve toutefois une hypothèse : l’emprisonnement des individus condamnés pour crime.
Le documentaire militant d’Ava DuVernay, réalisatrice engagée de Selma (2014), soutient une thèse radicale : la population afro-américaine a troqué les chaînes de l’esclavage pour les barreaux des prisons.

Elle le démontre chiffres à l’appui, qui donnent froid dans le dos : si la population afro-américaine représente à peine 8 % de la population totale américaine, les prisonniers noirs-américains représentent à eux seuls plus de 40 % de la population carcérale. Autre chiffre plus impressionnant encore : si un Blanc sur dix-sept sera un jour emprisonné, un Noir sur trois court statistiquement le risque de l’être une fois dans sa vie.

Cette surreprésentation carcérale a des racines anthropologiques profondes : la peur du Noir, voleur et violeur, que le Blanc animalise dans son subconscient et imagine comme une bête menaçante et violente, incapable de dominer ses passions, criminelles. Ava DuVernay l’illustre par des extraits nombreux de Birth of a Nation, le premier blockbuster de l’histoire du cinéma, qui connut en 1915 un immense succès en développant des thèses profondément racistes.

Elle a aussi des causes plus récentes : la criminalisation de la consommation de drogue qui, à partir des années 80 et de la présidence de Ronald Reagan, multiplie les incarcérations. Un mouvement que les deux présidences démocrates de Bill Clinton, qui redoute d’apparaître « soft on crime », n’interrompra pas. Un quart des détenus sont aujourd’hui consommateurs ou trafiquants de drogues. De 500,000 en 1980, la population carcérale est ainsi passée à plus de 2,000,000 en 2012. Un système capitaliste profitable s’est créé (construction et entretien des prisons, fournitures, exploitation du travail quasi-gratuit des prisonniers…) qui résiste de toutes ses forces à la décrue des effectifs.

L’enquête menée tambours battants par Ava Duvernay est remarquablement documentée. Elle fait parfois penser aux réalisations de Michael Moore. Mais elle en présente comme elles les défauts. J’en relèverai deux.

Un de forme : après avoir annoncé le sujet qu’il traiterait – la surreprésentation des Noirs américains en prison – The 13th s’en éloigne pour en traiter d’autres, connexes mais distincts : l’emprisonnement comme politique sociale de lutte contre la pauvreté des Noirs comme des Blancs, les violences policières dont les Noirs sont victimes, l’essor du mouvement #BlackLivesMatter….

Un de fond : si la surreprésentation des Afro-américains en prison est évidente et scandaleuse, c’est friser avec le complotisme que de soutenir, comme le fait le documentaire, que le « système » américain a sciemment vidé de sa substance le treizième amendement pour maintenir la population noire en servitude.

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Marshall ★★☆☆

L’avocat Thurgood Marshall (Chadwick Boseman) travaille pour le NAACP qui le missionne partout dans les Etats-Unis pour assurer la défense bénévole d’accusés afro-américains dans des procès souvent teintés de racisme. Une affaire, qui scandalise la Haute société blanche, vient d’éclater dans le Connecticut où un chauffeur de maître est accusé de viol et de tentative de meurtre sur l’épouse de son employeur (Kate Hudson).
L’audience est présidée par un juge de parti-pris (James Cromwell), qui interdit à Marshall de prendre la parole. Aussi doit-il utiliser un jeune avocat inscrit au barreau (Josh Gad) pour assurer la défense de son client.

Thurgood Marshall est une figure américaine d’anthologie, aussi célèbre aux Etats-Unis que méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique. Aussi n’était-il pas surprenant qu’un jour ou l’autre le cinéma se saisisse de sa vie. Hollywood aurait pu en faire un biopic classique en racontant son enfance dans une famille modeste du Maryland, le refus qu’il a essuyé du fait de sa race de rejoindre les bancs de l’Université du Maryland (un refus qu’il réussira une dizaine d’années plus tard à faire annuler dans une de ses premières affaires), sa formation à l’Université Howard auprès du doyen Charles Hamilton Howard, son premier mariage avec Vivian « Buster » Burey qui décède en 1955 d’un cancer du poumon, ses succès dans les prétoires et enfin sa consécration en 1967 avec sa nomination par Lyndon Johnson à la Cour suprême.

Bizarrement, le réalisateur Reginald Hudlin ne retient pas ce parti là. Il choisit de se concentrer sur une affaire plaidée par le jeune Thurgood Marshall en 1940 dans le Connecticut. Une affaire moins célèbre que celles qu’il gagna par la suite pour l’avancement de la cause des Noirs américains, notamment Brown vs. Board of Education qui met un terme à la ségrégation raciale dans les écoles publiques.

Du coup, Marshall devient un film de prétoire assez conventionnel, comme on en a déjà vu des dizaines, avec ses personnages stéréotypés et son lot de rebondissements. Certes, il se déroule dans les années quarante avec ses costumes et ses décors d’une folle élégance. Certes Kate Hudson – qui n’aura pas eu la carrière que son incroyable beauté laissait augurer – y est parfaite dans le rôle de la victime mythomane. Mais cela ne suffit pas à distinguer ce film semblable à tant d’autres. Sa seule originalité consiste dans l’attelage hétéroclite que Thurgood Marshall est obligé de former avec l’avocat Samuel Friedman, par la bouche duquel il est contraint de s’exprimer – même si ce duo formé d’un Noir et d’un Juif, pourtant fidèle aux faits, fleure un peu trop l’intersectionnalité des luttes pour ne pas être suspect.

Sorti aux Etats-Unis fin 2017, Marshall n’a pas réussi à se frayer un chemin en salles en France. Netflix, qui offre une panoplie particulièrement riche de black movies (Le Blues de Ma Rainey, Malcolm et Marie, 40 ans, toujours dans le flow, Juanita, High Flying Bird, Beasts of No Nation, Moonlight, Loving, I Am Not Your Negro, La Couleur des sentiments, Django Unchained, La Ligne verte…) l’a ajouté fin 2019 à son catalogue.

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Hot Girls Wanted ★★★☆

L’industrie du porno sur Internet est florissante. Elle suscite chaque année des milliards de clics. Les spectateurs nourrissent le fantasme de la « girl next door », la fille d’à côté, simple et naturelle. Ils le réalisent avec des modèles toujours plus jeunes et plus nombreuses qui, attirées par l’argent facile, passent devant la caméra au risque d’y détruire leur réputation, leur santé et leur équilibre.
Ce documentaire, diffusé à Sundance début 2015 avant d’être mis en ligne par Netflix, suit quelques unes de ces jeunes filles en Floride à Miami – où la météo autant que la législation (qui n’oblige pas les acteurs porno à utiliser de préservatif) attirent les tournages. Elles ont répondu à une petite annonce de Riley Reynolds, qui se présente comme un agent d’actrice et donne plutôt l’image d’un maquereau bas-du-front. C’est lui qui héberge les jeunes filles, veille sur elles avec la bonhomie d’un grand frère, négocie leurs contrats avec les producteurs de films et empoche 10 % de leurs revenus.

Hot Girls Wanted est un documentaire marquant qui dévoile les dessous d’un business glauque. Sa principale qualité est d’éviter les deux écueils qui le menaçaient. D’un côté le voyeurisme glamour du porno. De l’autre sa condamnation pudibonde sur fond de moralisme.

Hot Girls Wanted montre la réalité telle qu’elle est, ni plus, ni moins sordide qu’elle est. Il montre des jeunes filles plus ou moins jolies, plus ou moins à l’aise avec leurs corps encore poupins, loin de l’image photoshopée de reines du sexe hyper-maquillées que le porno sublime. Ces filles sont souvent en rupture avec leurs familles, en échec scolaire, même si on ne verse pas dans le misérabilisme dickensien. L’argent facile est leur principale motivation : elles gagnent en une séquence cent fois ce qu’une heure de travail à la caisse enregistreuse d’un Walmart leur permettrait d’empocher. Mais elle n’est pas la seule. Il y a, chez elles, une excitation encore adolescente à quitter leur famille et à s’assumer, une découverte joyeuse de la sororité avec les autres actrices avec lesquelles elles cohabitent dans une ambiance étonnamment apaisée sans les disputes et les jalousies qu’on aurait volontiers imaginées, une vanité narcissique à voir leur nombre de followers augmenter en flèche à chaque nouvelle publication d’une photo un peu plus osée.

Hot Girls Wanted montre sans en rien édulcorer, sans sombrer non plus dans le voyeurisme, la réalité d’un industrie où le corps des femmes est une simple marchandise. On ne voit guère de tournage. Mais ce qu’on en voit donne froid dans le dos : les scénarios y sont d’une stupidité rance, les acteurs masculins, vieux et gorgés d’amphétamines, affichent un machisme satisfait – même si, étonnamment, les actrices vantent leur douceur et leur gentillesse – la misogynie et les stéréotypes racistes sont de mise. Les jeunes filles opposent une résistance crâne aux humiliations et aux maladies, affirmant qu’il s’agit d’un métier comme un autre et qu’il faut être prêtes à en accepter les servitudes. Mais on les sent fragiles, prêtes à rompre.

La caméra de Jill Bauer et de Ronna Gradus a particulièrement suivi l’une d’entre elles, Tressa Silguero aka Stella May . Sa filmographie est éloquente : Cum Fiesta, Accidentally Lesbian, Real Slute Party, Babes…. On la voit chez ses parents, au Texas, auprès de sa mère qui apprend avec angoisse son nouveau travail, de son père auquel la jeune fille n’ose rien dire, de son petit copain qui l’incite à décrocher. C’est une jeune fille ordinaire, un peu boulotte, le visage couvert d’acné, à peine sortie de l’adolescence. Aucune tragédie familiale, aucune maltraitance ne semble expliquer son choix et le rend d’autant plus incompréhensible. [attention spoiler] Elle finira par décrocher et reprendre une vie « normale ». Mais d’autres filles l’ont remplacée à Miami chez Riley Reynolds dont le business n’a jamais été aussi florissant.

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El Camino : Un film Breaking Bad ★☆☆☆

Qu’est-il arrivé à Jesse Pinkman (Aaron Paul) après l’ultime et épique épisode de Breaking Bad ? Tel est l’objet de ce film de deux heures qui se présente comme une suite – ou comme un épilogue – de la série de soixante-deux épisodes qui, pendant cinq saisons, de 2008 à 2013, nous tint en haleine.
On y retrouve Jesse, le petit dealer que s’était adjoint Walter White alias Heisenberg, le professeur de chimie d’Albuquerque reconverti en baron de la drogue.

El Camino – du nom de la voiture qu’il conduisait pendant les saisons précédentes – raconte sa fuite désespérée. Il est entrelardé de flashbacks qu’il serait délicat de raconter sans dévoiler à la fois les ressorts de ce film et ceux de la célèbre série et la façon dont elle s’est tragiquement conclue.

On y retrouve quelques uns des principaux protagonistes de la série, à commencer par Bryan Cranston (qui a pris un coup de vieux malgré le maquillage), Jonathan Banks (qui joue Mike, le tueur à gages) et Jesse Plemons dans le rôle de Todd, le psychopathe. On aurait bien aimé en voir quelques autres, auxquels on s’était particulièrement attaché : je pense à Skyler, la femme de Walter White, à son fils handicapé Walter Jr. et bien sûr à Saul Goodman qui a eu droit, on le sait, à sa propre série dérivée Better Call Saul.

Il est difficile de regarder El Calmino sans avoir vu Breaking Bad et sans en avoir gardé un souvenir pas trop effacé par les ans. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce film qui joue sur la nostalgie des spectateurs mais dont la raison d’être – capitaliser sur le succès de Breaking Bad – est un peu trop grossière pour être tout à fait honnête.

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What Happened, Miss Simone? ★★☆☆

Nina Simone fut sans doute l’une des plus grandes chanteuses de jazz. On lui doit quelques uns des standards les plus connus du siècle dernier : My Baby Just Cares for Me, Don’t Let Me Be Misunderstood, I Put a Spell on You… Mais ce fut aussi une rebelle, victime du racisme et des violences conjugales, atteinte de troubles bipolaires tardivement diagnostiqués, qui s’engagea sans retenue dans la lutte contre les discriminations  au risque de compromettre sa carrière.
En 2015, Netflix qui n’était pas encore l’immense plateforme qu’elle allait devenir, avait fait beaucoup de publicité autour de la sortie de ce documentaire. Le confinement et le tarissement rapide d’un catalogue de films, que je trouve moins riche que je l’escomptais, me permettent de le découvrir tardivement.

Très classiquement, What Happened, Miss Simone? raconte l’histoire d’une vie. Celle d’une enfant de Caroline du nord qui rêvait de devenir la première pianiste classique noire. Elle ne réalisa pas ce rêve (la légende veut qu’elle ait été refusée par l’Institut Curtis à raison de sa race, accusation dont se défend l’institut qui invoque la présence parmi ses élèves de jeunes pianistes de couleur) ; mais elle fit mieux et devint immensément célèbre par d’autres voies.

Elle joua d’abord dans des bars, à Atlantic City puis à New York pour financer ses cours de piano. En 1957, elle enregistre I Loves You, Porgy de Gershwin qui devient un succès du box office. Sa carrière est lancée. Un ancien officier de la brigade des mœurs, Andrew Stroud,  y veille, qui devient son agent puis son mari et le père de sa fille.

Mais à partir de la fin des années soixante, Nina Simone se radicalise. Elle prend une part de plus en plus active dans le combat pour les droits civiques, n’hésitant pas à afficher sa sympathie avec les militants les plus violents de la cause. Elle ne supporte plus le « système » qu’elle accuse de tous les maux. Elle refuse la logique du show business, quitte les Etats-Unis pour la Barbade, puis pour le Libéria et enfin pour la France, ne consentant à remonter sur scène que lorsque sa situation financière l’y accule.

What Happened, Miss Simone? remplit honnêtement son cahier des charges en racontant la vie de la chanteuse et  en nous en faisant écouter les titres les plus connus (on regrette l’absence de son interprétation déchirante du Ne me quitte pas de Brel). Il effleure une question à laquelle il ne répond pas et à laquelle il n’y a peut-être pas de réponse : Nina Simone a-t-elle sombré dans la rébellion paranoïaque à l’ordre américain à cause de ses antécédents médicaux ? ou bien sa prise de conscience du racisme structurel qui gangrène les Etats-Unis a-t-elle eu raison de son équilibre mental et de sa santé physique ?

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40 ans, toujours dans le flow ★★☆☆

Radha Blank est en pleine crise de la quarantaine. Voilà plus de dix ans qu’elle n’a pas réussi à concrétiser les espoirs que ses premières œuvres théâtrales avaient fait naître malgré les efforts que déploie son agent et ami d’enfance. Célibataire, en surpoids, elle vit à Harlem dans un appartement exigu et peine à faire le deuil de sa mère qui vient de mourir. La production de sa prochaine pièce l’oblige à des compromis auxquels elle se refuse. En attendant, elle vivote en donnant des cours de théâtre dans un lycée dont les élèves lui mènent la vie dure.

L’autobiographie de l’auteur en proie au doute créatif est un genre éculé. C’est, tout bien considéré, assez logique : les auteurs qui cherchent désespérément un sujet d’inspiration finissent tous immanquablement par écrire sur leur expérience immédiate de l’angoisse de la page blanche. C’est aussi un genre dangereux qui court les risques alternatifs ou cumulatifs du nombrilisme, de la complaisance et de l’insignifiance : quoi de plus égocentrique et de plus ennuyeux qu’un auteur en train de raconter le vide de sa vie ?

Radha Blank parvient avec beaucoup de pudeur à éviter ces embûches.
Certes son autobiographie ne bouleverse pas les canons du genre et ne réserve guère de surprises. Comme on s’y attendait, il n’y a pas un plan qui ne la montre, seule chez elle, sur le chemin de son lycée, avec ses élèves, en compagnie de son agent ou bien encore durant les répétitions de sa pièce. Son omniprésence pourtant n’est pas envahissante ; car elle fait preuve de tant d’humour, de tant de lucidité qu’on ne peut très vite que s’attacher à elle. Les dialogues sont ciselés. Aucun ne provoque d’éclat de rire ; mais tous font naître une émotion.

Tourné dans un noir et blanc velouté, en 35mm, 40 ans, toujours dans le flow (traduction calamiteuse de The Forty-Year-Old Version) se déroule à Harlem, dans le nord de Manhattan. Il réussit le pari paradoxal de filmer New York avec élégance sans en montrer aucun des clichés caractéristiques.

L’autobiographie de Radha Blank est aussi l’histoire d’une hésitation et d’une bifurcation : Radha continuera-t-elle à écrire des pièces de théâtre en usant jusqu’à la corde des sujets qu’elle et d’autres ont déjà explorés ? ou osera-t-elle avec le beau D, malgré leur différence d’âge, slamer ses textes sur une musique de rap ? La conclusion est sans surprise ; mais elle sonnera comme un message d’espoir pour tous ceux qui traversent la crise de la quarantaine en désespérant de se réinventer.

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War Machine ★★★☆

Quand le général McChrystal est nommé en 2009 à la tête de l’ISAF, la coalition des forces armées en Afghanistan, la guerre y dure depuis déjà huit ans sans perspective réaliste d’une issue victorieuse. Certes, les talibans ont été chassés de Kaboul et se terrent à la frontière pakistanaise. Mais le pays, lesté par ses traditions, foncièrement hostile aux forces d’occupation, peine à se reconstruire. L’armée américaine et celles de ses alliés, taillées pour gagner la guerre, peinent à gagner la paix.

Michael Hastings, un journaliste de Rolling Stone, signa un reportage qui provoqua le départ anticipé de McChrystal de son commandement. Il en tira ensuite un livre, The Operators.
C’est ce livre volontiers ambigu que David Michôd, le réalisateur australien de Animal Kingdom et Le Roi, porte à l’écran.

War Machine est un film désarmant qui hésite constamment entre deux registres : d’un côté la réflexion très fine sur l’interventionnisme militaire dans l’après-guerre froide, de l’autre la bouffonnerie vers laquelle le tire l’interprétation outrée par Brad Pitt de son héros.

Car Brad Pitt en fait des tonnes pour caricaturer le malheureux général McChrystal qui n’en méritait pas tant – et dont on serait curieux de connaître la réaction à ce spectacle embarrassant. Quelque part entre le Patton de George C. Scott (Oscar – refusé – du meilleur acteur en 1971) et Le Dictateur de Sacha Baron Cohen, Brad Pitt force le trait, campant un général droit dans ses bottes, affublé de tics (regardez ses pouces !), entouré d’une bande de joyeux drilles qu’on croirait tout droit sortis de M*A*S*H ou d’un épisode des Têtes brûlées (vous vous souvenez de la série avec Robert Conrad que vous regardiez sur Antenne 2 à la fin des années 70 ?). Il croise un président Karzai pas moins caricatural, interprété par Ben Kingsley dans deux scènes désopilantes.

Le film manque de prendre définitivement le virage de la comédie loufoque. C’eût été un choix radical et pourquoi pas envisageable. La réussite dans ce registre des Chèvres du Pentagone ou de La Guerre selon Charlie montre qu’on peut rire des guerres menées par les Etats-Unis en Afghanistan ou en Irak. Mais, assez miraculeusement, War Machine reste du début à la fin dans un entre-deux qui se révèle diablement stimulant. Il ne va jamais jusqu’au bout de sa loufoquerie. Il continue inébranlablement à traiter sérieusement d’un sujet sérieux : l’incapacité d’une force militaire d’occupation à reconstruire un pays conquis. Et le regard qu’il porte sur ce sujet reste incroyablement balancé, et donc très stimulant (à la différence d’un M*A*S*H qui versait dans une posture antimilitariste pas très fine selon moi).

Ce film déconcertant réussit à la fois à nous faire rire et à nous faire réfléchir. Double pari qu’on pensait impossible à réussir simultanément.

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