Miss Americana ★★☆☆

Tout le monde connaît la chanteuse Taylor Swift … sauf moi qui ai provoqué chez mes enfants un regard consterné quand je leur ai demandé si c’était un homme ou une femme.
Pour avoir l’air un peu moins bête la prochaine fois à la table familiale, j’ai décidé de regarder le téléfilm que Netflix lui a consacré. Il faut bien que ma boulimie de films et de documentaires servent à quelque chose : recouvrer l’estime depuis longtemps perdue de mes enfants. Las ! Ils ont levé les yeux au ciel quand le lendemain, tout faraud, j’ai chantonné Me! en passant à table.

Aurais-je donc perdu mon temps en regardant Miss Americana ? Sans doute. Il s’agit d’un produit très formaté qui ne prend même pas la peine de cacher son seul objectif : servir d’outil promotionnel à la chanteuse en attendant la sortie de son prochain album. Le titre en annonce la couleur : Miss Americana – qu’on pourrait traduire par « La Petite Fiancée de l’Amérique ». Les fans en auront pour leur argent avec ces quatre-vingt minutes à la gloire de leur idole.

Mais Miss Americana n’est pas seulement une enfilade de clips vidéos. Il révèle une jeune femme qui, non contente d’être incroyablement jolie et d’avoir un sacré filet de voix, a du chien – quand bien même elle préfère les chats. Taylor Swift n’est pas seulement une enfant star promue trop jeune à une célébrité qui la dépasse. C’est une artiste qui écrit et qui compose ses chansons. C’est surtout une femme intelligente qui montre une conscience aigüe des privilèges et des devoirs que son statut emporte.

Il faut attendre la seconde moitié du documentaire pour le comprendre. On y voit Taylor Swift prendre le risque de s’engager pour les causes qui la touchent, au risque de heurter une partie de ses fans. Cette chanteuse venue de la country, qui a grandi à Nashville, une des régions les plus conservatrices des Etats-Unis, prend fait et cause pour le droit des minorités LGTBQ+ (le single et le clip You Need To Calm Down) et appelle à voter contre les candidats républicains aux midterm elections. Bien entendu, ces prises de position contiennent une part de calcul. Ce que Taylor Swift perd à sa droite, elle le gagne probablement à sa gauche. Mais pour autant, ce serait lui faire un médiocre procès de n’y voir que stratégie marketing.

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À deux heures de Paris ★☆☆☆

Sidonie (Erika Sainte), une hôtesse de l’air, la petite trentaine, est une jeune femme belle et indépendante. À seize ans, alors qu’elle vivait en baie de Somme une jeunesse insouciante, passant d’un amant à l’autre, elle est tombée enceinte. Ses parents n’ont pas accepté son choix de garder l’enfant qu’elle a élevée seule. Lolo (Matilda Marty) la presse de questions sur l’identité de son père. Pour y répondre, Sidonie, accompagnée de sa fille, part « à deux heures de Paris » retrouver ses anciens amoureux : un garagiste taiseux (Fred Testot), un vieil esthète décadent (Frédéric Perrot), un patron de boîte de nuit (Bruno Slagmulder), un entraîneur de foot, un médecin de campagne infidèle….

À deux heures de Paris avait de quoi séduire. À commencer par son actrice principale, la rousse Erika Sainte, jusqu’alors cantonnée aux seconds rôles (la série Baron noir, La vie est belge, Le Serpent aux mille coutures, Jeune femme, etc.), entourée de quelques partenaires de talent : Frédéric Perrot, aussi décoiffé que dans En Thérapie, Thierry Frémont, qu’on aimerait voir plus souvent, Fred Testot qui n’utilise pas la veine comique qui l’a rendu célèbre avec Omar Sy, et même deux actrices qu’on pensait à tout jamais rangées des voitures : Fanny Cottençon et Valérie Mairesse. Autre atout : les paysages tellement zen de la baie de Somme.

Malheureusement, la réalisatrice Virginie Verrier, dont c’est le premier, et à ce jour, le dernier film, n’utilise pas toutes ces ressources. Son scénario, s’il se termine par une jolie pirouette, repose sur des bases bien fragiles : comment croire qu’une adolescente, aussi délurée et inconstante soit-elle, ait pu avoir cinq rapports avec cinq hommes différents en l’espace d’une semaine ?

La relation entre Sidonie et sa fille n’est pas assez creusée. Il en va de même du conflit jamais soldé qui a opposé Sidonie à ses parents. Autre personnage délaissé : Jeanne, la meilleure amie de Sidonie pendant son adolescence, qui, elle, est restée au pays et y a connu la vie immobile que Sidonie a refusée. Du coup, le film se réduit à la narration sans surprise des cinq rencontres successives de Sidonie. Ces cinq amants ont dans l’ensemble plutôt mal vieilli – au point qu’on se demande ce qu’elle a pu leur trouver et pourquoi elle ressent le besoin de remettre le couvert avec trois d’entre eux. Nostalgie quand tu nous tiens….

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Ava ☆☆☆☆

Ava Faulkner (Jessica Chastain) est tueuse à gages. Ancienne militaire, alcoolique en sursis, protégée par son mentor (John Malkovich), elle exécute avec sang-froid les contrats qu’une mystérieuse organisation lui assigne de Paris à Riyad. De retour à Boston auprès de sa mère malade (Geena Davis), elle est confrontée à ses vieux démons tandis que ses commanditaires ont décidé de l’éliminer.

Produit et interprété par une des actrices les plus bankables de Hollywood, Ava a le mérite de féminiser une figure ultra-virile du cinéma : le tueur à gages façon Jason Bourne ou John Wick. Jessica Chastain est de chaque plan du film – sauf peut-être de ceux trop sportifs où elle est doublée par une cascadeuse en perruque rousse. Mais cette énième resucée de Nikita – l’histoire d’une gamine mal dans sa peau transformée en machine à tuer – accumule les tares. Son scénario est d’une platitude désespérante ; ses scènes d’action réussissent à être ennuyeuses ; et pire que tout, des acteurs normalement excellents tels que John Malkovich et Colin Farrell ne réussissent pas à nous faire oublier qu’eux aussi ont des impôts à payer.

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L’Incroyable Histoire de l’île de la rose ★★☆☆

À la fin des années soixante, Giorgio Rosa, un ingénieur italien épris de liberté, décide de construire en mer Adriatique, en face de Rimini, juste au-delà des eaux territoriales italiennes, une plateforme soutenue par des piliers posés au fond de la mer. Quatre compagnons le rejoignent : un ami d’études qui étouffe dans l’entreprise de son père, un Allemand apatride, un plaisancier naufragé et taiseux et une serveuse de bar enceinte. Cette joyeuse équipée entend vivre comme elle l’entend. Mais son entreprise prend un tour plus politique, au risque d’irriter les autorités italiennes, lorsque Giorgio déclare l’indépendance de l’île de la rose, la dote d’un drapeau, d’une langue officielle, d’un service postal, émet des passeports et dépose à l’ONU puis au Conseil de l’Europe une demande de reconnaissance officielle.

L’Incroyable Histoire de l’île de la rose s’inspire de faits réels qui se sont déroulés au large de l’Italie à une époque où la transgression de l’ordre bourgeois et le rêve d’une vie sans interdits constituaient encore de sympathiques et inoffensives vertus. Il rappelle une autre histoire similaire qui avait inspiré Good Morning England, un film très réussi de Michael Curtis (le réalisateur de Quatre Mariages et Un Enterrement, du Journal de Bridget Jones et de Love Actually) : celle de Radio Caroline, la radio pirate qui, dans les années soixante, émettait depuis les eaux internationales vers l’Angleterre.

L’Incroyable Histoire de l’île de la rose soulève de passionnantes questions de droit international public : qu’est-ce qu’un État ? comment manifeste-il sa souveraineté ? comment s’organise-t-il ? comment peut-il être reconnu et trouver sa place sur l’échiquier international ? Hélas, ces questions ne sont qu’à peine effleurées et le MdC qui chercherait désespérément à distraire intelligemment ses étudiants ne serait qu’à moitié inspiré en leur recommandant le visionnage de ce film. En particulier, le long épisode au Conseil de l’Europe, dans un Strasbourg en carton pâte (qui ressemble plus à une station de sport d’hiver suisse qu’à la capitale alsacienne), manque de convaincre.

A défaut de nourrir une stimulante réflexion juridique, L’Incroyable Histoire de l’île de la rose peut revendiquer d’autres qualités. C’est une savoureuse comédie italienne, qui fait revivre les années soixante, qui s’égare parfois dans une histoire d’amour sans intérêt sinon celui d’être jouée par la ravissante Matilda De Angelis et qui surtout raconte avec nostalgie un rêve de liberté.

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Tigertail ★★★☆

Orphelin de père, le jeune Pin-Jui grandit à Taïwan dans les années cinquante. Près de l’usine où il travaille avec sa mère, il retrouve, adulte, Yuan Lee, une jeune femme qu’il avait rencontrée durant son enfance. Mais l’idylle qui les rapproche se brise sur le rêve du jeune homme de quitter Taïwan pour les États-Unis, un rêve qu’il ne peut réaliser qu’en épousant Zhenzhen, la fille de son patron. Arrivé à New York, le couple peine à s’intégrer et ne réussit pas à se cimenter. Pin-Jui travaille ; Zhenzhen s’ennuie. L’arrivée de deux enfants n’y fera rien. Pin-Jui, toute sa vie durant, gardera la nostalgie de son amour perdu.

Tigertail est un film produit par Netflix et diffusé depuis avril 2020 sur cette plateforme. On pourrait lui reprocher son formatage : il vise tout spécifiquement la communauté sino-américaine qui sera touchée d’y retrouver quelques unes de ses figures les plus caractéristiques (la matrone attachante qui ne vit que par l’amour qu’elle porte à son fils, le père tiraillé entre deux mondes, sa fille, les deux pieds désormais solidement ancrés aux États-Unis, mais en mal de racines, etc.). On pourrait surtout lui reprocher sa banalité : Tigertail raconte, sans rebondissement ni coup de théâtre, la vie d’un homme qui a raté sa vie, incapable d’aimer la mère de ses enfants, incapable de nouer avec sa fille qui lui en fait l’amer reproche des liens de père à fille.

Si je lui attribue, avec beaucoup d’indulgence, trois étoiles, c’est que Tigertail fonctionne avec un carburant qui me touche infiniment : la nostalgie. La vie de Pin-Jui est présentée à travers ce prisme : la rizière où il rencontre, encore enfant, Yuan rappelle le vert paradis des amours enfantines, les troquets où ils dansent ensemble ont les tons sépia des vieux clichés oubliés…

L’histoire de cet « homme sans qualités » est racontée en voix off par un Pin-Jui au crépuscule de sa vie (le rôle est interprété par Tzi Ma qu’on avait déjà croisé dans L’Adieu, dans Mulan et dans la série The Man in the High Castle). C’est le même procédé qui est utilisé dans des films immensément connus et terriblement romantiques : Out of Africa, Sur la route de Madison, Titanic… Cette construction rétrospective leste le film d’une gravité supplémentaire, lui donne un sens inéluctable.

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La Mission ★☆☆☆

Réformé de l’armée sudiste, le capitaine Kidd sillonne le Texas et lit, au gré de ses haltes, à des pionniers pour la plupart analphabètes les nouvelles du jour (le titre original du film et du livre de Paulette Jiles dont il est tiré est d’ailleurs News of the World). Entre deux étapes, il recueille une fillette égarée, habillée d’une tunique indienne, incapable de parler anglais. Un document officiel le renseigne : il s’agit de Johanna Leonberger dont les parents, immigrés d’Allemagne, ont été tués par les Indiens et qui a été élevée par une tribu kiowa. Après avoir vainement tenté de la remettre aux autorités, le capitaine Kidd décide de la ramener lui-même à sa famille en traversant le Texas. Bien des obstacles entraveront l’exécution de sa mission.

À soixante ans bien sonnés, Tom Hanks est entré dans le dernier tiers d’une carrière impressionnante. Mieux que personne, il a interprété l’Américain moyen, honnête et vertueux, dont des circonstances exceptionnelles révèlent le courage qu’il cache en lui. À ce titre, il fut souvent comparé à James Stewart. Avec La Mission (quel titre fade !), c’est sur les pas de John Wayne et de sa Prisonnière du désert qu’il marche en explorant un des genres les plus mythiques du cinéma américain, le western.

Hélas, le western est un genre qui a vieilli. On a beau dire qu’après une longue somnolence dans les années soixante-dix et quatre-vingts, il serait revenu à la mode depuis Impitoyable de Eastwood, ce ne sont pas la poignée de westerns qui se tournent chaque année, plus ou moins réussis (l’ironique Ballade de Buster Scruggs, l’excellent Hostiles, l’oubliable Jane Got a Gun, le surcoté Les Frères Sisters, etc.) qui lui feront retrouver l’âge d’or qu’il connut dans les années cinquante avec John Wayne précisément.

La Mission (ah ! ce titre !), malgré la publicité que lui en fait Netflix ces jours-ci, qui en a racheté les droits internationaux (le film est sorti en salles aux Etats-Unis fin décembre par Universal), ne restera pas dans les annales. Son sujet en est trop banal, son déroulé trop prévisible. On a trop vu de poursuites à cheval, de fusillades dans la sierra, de mercenaires aux trognes patibulaires chiquant un mauvais tabac, de prostituées au grand cœur et d’Indiens mutiques observant à distance la progression des pionniers dans la plaine pour en être encore aujourd’hui surpris.

Mais La Mission (mais quel est diable le stagiaire de troisième qui a pondu un titre pareil ?!) peut s’enorgueillir d’une qualité inattendue : la prestation de la jeune Helena Zengel. On l’avait déjà vue dans le – remarquable – film allemand Benni. Ici, dans un rôle sans paroles, où ses émotions ne peuvent passer que par le regard, la gamine de douze ans seulement réussit à voler la vedette au grand Tom Hanks. On a oublié les actrices féminines qui jouaient au côté de John Wayne ; je prends le pari qu’on n’oubliera pas cette jeune actrice-là.

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Je veux juste en finir ★☆☆☆

Lucy (Jessie Buckley révélée par Jersey Affair et Wild Rose) accepte d’accompagner Jake (Jesse Plemons, le Texan qui monte, qui monte), son boyfriend, chez ses parents pour un week-end. Le blizzard fait rage sur la route qu’emprunte le couple embarqué dans une longue discussion. Le malaise de Lucy croît quand elle arrive à destination. La mère (Tomi Collette) et le père (David Thewlis) de Jake manifestent en effet un comportement déroutant qui l’incite à hâter son départ. Mais sur le chemin du retour, Jake insiste pour faire un détour par son lycée.

Charlie Kaufman est sans doute un des scénaristes américains les plus originaux. On lui doit Dans la peau de John Malkovich et Eternal Sunshine of a Spotless Mind. Passé à la réalisation il signe avec cette adaptation d’un roman de Iain Reid son troisième film.

On y retrouve les thèmes qui lui sont chers et sa façon unique et immédiatement identifiable de les traiter. Volontiers surréaliste sinon fantastique, Je veux juste en finir se présente comme une plongée dans la psyché de Lucy, la seule personne apparemment sensée du film par les yeux de laquelle l’action est filmée. Sauf que Lucy – et le spectateur avec elle – se met bientôt à douter de ses perceptions voire de son identité (Lucy est parfois présentée sous les prénoms de Lucia, Louisa ou Ames).

Le film devient de plus en plus incompréhensible au fur et à mesure de son avancée au point d’égarer définitivement le spectateur dans son dernier tiers. Je n’en spoilerai rien, ni les questions qu’il soulève ni les réponses qu’il leur donne … pour la bonne raison qu’il ne les donne pas.

Autant d’obscurité peut entraîner deux types de réaction. La première est de chercher à comprendre – comme avec Mullholand Drive. L’autre est d’y renoncer…. Aux premiers je recommande, après avoir vu le film, la lecture de cet article qui offre quelques clés. Que recommander aux seconds ?

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Fyre : The Greatest Party That Never Happened ★★☆☆

Pour promouvoir Fyre, une nouvelle application mobile, un entrepreneur, Billy McFarland, et un rappeur, Ja Rule, ont imaginé organiser un immense concert sur une île paradisiaque des Caraïbes. En décembre 2016, ils ont tourné une vidéo promotionnelle avec quelques uns des tops models les plus célèbres de l’époque : Kendall Jenner, Bella Hadid, Hailey Baldwin, Emily Ratajkowski… La vidéo faisait miroiter un concert extraordinaire sur une île déserte, au bras des plus belles filles du monde. Les réservations affluèrent immédiatement. Mais, sur place, la préparation du festival prévu en avril 2017 se heurte à bien des déboires.

On a tous, dans notre vie professionnelle ou dans notre vie privée, travaillé à une plus ou moins grande échelle, à la préparation d’un « événement » : les Jeux olympiques, le G7, les assises de la gastro-entérologie, son mariage…. On a tous vécu le stress et l’excitation des jours décomptés, des contre-temps qui s’accumulent, du sentiment grandissant que « rien ne sera prêt à temps »… et finalement, le jour venu, du soulagement qu’en dépit de quelques loupés mineurs que personne n’aura remarqués, « tout finalement s’est bien passé ».

C’est avec une joie mauvaise qu’on assiste à la chronique d’un crash annoncé. Car, hélas, on sait depuis le début, comment la préparation du Fyre Festival s’achèvera : par un immense, chaotique, humiliant désastre. Le jour venu, sur la soi-disant île paradisiaque, dont les promoteurs auront été entretemps délogés, rien ne sera prêt : les jets privés censés transporter les clients se seront transformés en charters low cost, les artistes programmés se seront décommandés les uns après les autres, les villas de luxe n’auront pas été construites à temps et les repas fins concoctés par des chefs s’avèreront n’être que d’insipides toasts au fromage.

Malheureusement, on connaît, depuis le début, la fin de l’histoire. Aussi suit-on les préparatifs fiévreux du festival avec moins d’anxiété. Les interviews des participants à ce fiasco – à l’exception des deux principaux dont les ennuis judiciaires les ont sans doute dissuadés sinon empêchés de témoigner – n’en restent pas moins triplement intéressants. Ils détaillent souvent avec humour les obstacles qu’ils ont rencontrés sans réussir à les surmonter. Ils évoquent simultanément l’électrisante énergie qui les animait tous et qui les laissait espérer que tout finalement finirait par rentrer dans l’ordre. Enfin ils dénoncent l’aveuglement de leur patron, contraint à une suicidaire fuite en avant – au risque d’occulter leur propre responsabilité à l’avoir suivi sur cette pente.

Ces faits étonnants ont inspiré deux documentaires sortis quasiment le même jour en janvier 2019, le premier pour Hulu, le second pour Netflix. Je n’ai pas vu le premier. Le second ne brille pas par ses qualités cinématographiques mais a le mérite de documenter scrupuleusement ce grandiose fiasco.

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Rebecca ★☆☆☆

Une jeune femme désargentée (Lily James) – dont on ne saura jamais le nom – travaille comme dame de compagnie d’une riche rombière en villégiature sur la Côte d’Azur. Elle y fait la connaissance du très séduisant Maxim de Winter (Armie Hammer) qui lui demande sa main. Le couple retourne s’installer à Manderley, la grande demeure familiale en Cornouailles, hantée par le fantôme de la première Mrs de Winter, morte dans de troubles circonstances, dont la gouvernante, Mrs Danvers (Kristin Scott Thomas), entretient maladivement le souvenir.

Quand j’étais gamin, à la fin des années soixante-dix, j’ai vu à la télévision, en noir et blanc, la mini-série en quatre épisodes que la BBC avait tiré du roman de Daphné du Maurier. J’en ai gardé un souvenir précis et terrifié. Je me souviens de l’apparition de la nouvelle Mrs de Winter en haut des marches le soir du bal. Je me souviens de l’épave du bateau découverte près de la côte par quelques mètres de fond. je me souviens de la vision d’enfer du dernier plan de l’œuvre.

Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai vu le film de Hitchcock – qui lui valut son seul et unique Oscar – et que j’ai lu le roman de Daphné du Maurier. J’avais grandi et n’y avais pas retrouvé la peur éprouvée à neuf ans devant la série de la BBC – que personne ne mentionne tant elle était certainement sans intérêt.

Quatre-vingt ans après le roman et le film de Hitchcock, quarante après la série de la BBC (oubliée donc de tous sauf de moi), Netflix a lancé fin 2018 la production de ce remake. La plateforme a parié sur deux acteurs pleins d’avenir : Lily James, dont j’ai déjà dit dans ma critique de The Dig tout le bien que je pensais, et Armie Hammer, dont la carrière vient de se briser début 2021 sur les révélations glaçantes de quelques unes de ses ex. Mais le pari n’a pas réussi : accueilli par de fraiches critiques, le film n’a pas trouvé son public.

Pourquoi ce remake ? Pour attirer les spectateurs qui, comme moi, ayant gardé un bon souvenir des premières versions, sont curieux de voir quelle adaptation on peut en faire aujourd’hui ? Mais le risque semble grand de les décevoir : la copie pourra-t-elle jamais dépasser l’original ? C’est hélas la tare prévisible de ce Rebecca-là. Ses décors ont beau être splendides, ses costumes luxueux, son scénario impeccable, tout y semble artificiel ; et quand bien même on y passerait un bon moment, on se dit qu’on en aurait passé  un meilleur encore avec Hitchcock, Laurence Oliver et Joan Fontaine.

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Malcolm & Marie ★★★☆

Après l’avant-première de son film, Malcom rentre à minuit passé dans la superbe villa que la production a louée pour lui à Malibu avec sa petite amie Marie. La soirée s’est bien passée. L’avant-première a été un triomphe. Malcolm jubile. Mais Marie lui en veut pour l’avoir oubliée dans son discours de remerciement. Une violente dispute éclate entre les deux amoureux.

Malcolm & Marie partait à mes yeux avec un lourd handicap. Huis clos théâtral mettant en scène deux personnages qui se disputent le temps d’une nuit, il avait toutes les caractéristiques de ces films statiques, bavards et artificiels dont j’ai déjà eu si souvent l’occasion de dire tout le mal que j’en pensais par exemple dans mes critiques de Fences ou du Blues de Ma Rainey – sans parler du Bonheur des uns ni du Dindon.

Preuve qu’il faut savoir aller au-delà de ses a priori – et preuve aussi que, faute de sorties au cinéma, on en est réduit ces temps ci à regarder toutes les nouveautés sur Netflix – j’ai regardé Malcolm & Marie et ne le regrette pas. Au contraire. J’y avais été incité par l’identité de son réalisateur, Sam Levinson, dont j’avais adoré le précédent film, le trop méconnu et punk Assassination Nation qui faisait partie de mon Top 10 en 2018.

En revanche, je ne connaissais pas Zindaya et dois reconnaître que l’héroïne de Spider-Man: Homecoming a du talent. C’est elle qui crève l’écran, dans un rôle en or qui lui permet de déployer toute la palette de son jeu. Vamp en robe de soirée au décolleté époustouflant, femme-enfant en débardeur blanc et petite culotte, forte et fragile à la fois, elle dit ses quatre vérités à John David Washington (le héros jamesbondien de Tenet) qui, lui, convainc moins. Son rôle est plus ingrat, son orgueil plus ridicule, son ingratitude plus antipathique.

Pendant près de deux heures filmées dans un noir et blanc soyeux, jusqu’à un ultime plan d’une sublime beauté, rien ne nous fera échapper à ce face-à-face étouffant. Sans doute pourrait-on lui reprocher un rythme un peu répétitif : 1. une engueulade 2. une réconciliation 3. un morceau de jazz. Mais ce serait lui faire un méchant procès car on, ne s’ennuie pas une seconde en compagnie de Malcolm et Marie.

En donnant à un réalisateur noir le rôle principal, Malcolm & Marie nous parle de cinéma, de la façon dont il se construit, de la part des expériences personnelles dans l’écriture d’une fiction, de l’assignation à laquelle un réalisateur afro-américain est souvent condamnée. Mais l’essentiel de son propos n’est pas là. Malcom & Marie est avant tout un film sur le couple, comment il se construit, sur quel pacte, tacite ou explicite, il dure, la part de concessions qu’il suppose, le dialogue et l’écoute auxquels il oblige et surtout peut-être la douce félicité qu’il apporte.

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