Hors normes ★★★★

La Voix des justes est une association qui accueille des enfants et des adolescents autistes, des « cas complexes » que les autres institutions ne peuvent plus ou ne veulent plus prendre en charge. L’Escale forme des jeunes défavorisés à encadrer ces autistes.
Bruno (Vincent Cassel) dirige la première, Malik (Reda Kateb) la seconde.

Toledano & Nakache forment un duo étonnant. Ces deux amis d’enfance tournent ensemble depuis vingt ans. Ils ont décroché le jackpot en 2011 avec Intouchables : une comédie sur le handicap, un duo d’acteurs qui crève l’écran… et presque vingt millions d’entrées au box office. On pouvait se demander comment ils réussiraient à rebondir après ce phénoménal succès. Samba – qui capitalisait sur Omar Sy – fut un échec. Mais Le Sens de la fête réconcilia les deux co-réalisateurs avec leur public.

Avec Hors normes, Toledano & Nakache creusent un sillon quasi-documentaire. Leur film évoque l’action bien réelle menée par deux associations parisiennes – dont on espère que la publicité que leur aura fait ce film les sortira de la précarité financière.

Même s’ils ont tourné avec des « vrais » autistes – avec les difficultés qu’on imagine sans peine – Toledano & Nakache réalisent une fiction auréolée du prestige de ses deux stars. Cassel et Kateb n’avaient jamais tourné ensemble. Ils sont parfaits. Plus que parfaits. Kateb a un charme fou. Comme toujours. Comment peut-il avoir un tel charme avec une gueule pareille ? C’est un mystère insondable. Cassel est à contre-emploi, pataud avec les femmes, d’une délicatesse folle avec les enfants, dans le rôle d’un Juif ultra-orthodoxe à kippa et tsitsit. Sa religion n’est pourtant jamais évoquée. L’eut-elle été, elle aurait lesté le film d’une dimension dont il n’avait pas besoin.

Le sujet est bouleversant. Il arracherait des sanglots aux pierres. Il aurait pu être racoleur. Hors normes évite le piège du voyeurisme. C’est ce qui fait le succès du cinéma de Nakache & Toledano depuis Intouchables : rester sur la ligne de crête qui sépare le rire des larmes. Il y a bien sûr beaucoup d’artifice derrière cette fausse authenticité. Le spectateur n’est pas dupe. Et s’il l’est, cela n’entame en rien son plaisir et son émotion.

On pourrait reprocher à Hors normes de ne pas avoir de scénario. Ce serait lui faire un procès injuste. Il ne raconte pas une histoire, mais en tisse cinq ou six : le contrôle mené par les deux inspecteurs de l’IGAS (pour une fois que des énarques ont l’air sympathiques !), les déboires sentimentaux de Bruno, le personnage de Joseph, cet autiste qui ne réussit pas à prendre le métro sans tirer la sonnette d’alarme, celui de Dylan, un môme de banlieue foudroyé d’amour devant une jolie orthophoniste (interprétée par Lyna Khoudri la révélation de Papicha), celui de Valentin enfermé dans sa violence…

Film kaléidoscopique qui réussit sans temps mort à tenir le rythme de ses presque deux heures, film infiniment touchant qui ne verse jamais dans le sentimentalisme, film porté par deux stars au charme magnétique, Hors normes a tous les ingrédients pour être le grand succès de l’automne sinon de l’année.

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Chambre 212 ★★★☆

Maria (Chiara Mastroianni) a beau aimer profondément son mari Richard (Benjamin Biolay), cela ne lui interdit pas de multiplier les aventures. Lorsque Richard découvre la dernière en date, en interceptant un sms sur le téléphone de son épouse, vingt années de félicité maritale s’écroulent.
Maria quitte le domicile conjugal, traverse la rue et prend une chambre d’hôtel. C’est là, dans la chambre 212, que ses fantômes s’invitent.

Christophe Honoré est sans doute un des réalisateurs français contemporains les plus importants. Il avait commencé sa carrière à la fin des années quatre-vingt-dix comme critique de cinéma et s’était fait connaître avec une critique au bazooka publiée aux Cahiers contre le cinéma « moralisateur » de Robert Guédiguian et d’Anne Fontaine. Il avait commencé à tourner des longs métrages au début des années 2000. Je dois avouer que ses films ne m’avaient jamais réellement conquis. J’éprouvais à leur égard ce que le collégien boutonneux ressent pour l’élève le plus talentueux de la classe : un mélange de jalousie et d’admiration. Ma mère, Les Chansons d’amour, Les Biens-aimés étaient pour moi trop parisiens, trop branchés, trop arty, trop déprimants pour emporter mon enthousiasme. Les brassées d’éloges qui ont accueilli son dernier film, Plaire, aimer et courir vite m’avaient laissé au mieux perplexe.

Mon contentieux avec Christophe Honoré est en passe d’être soldé avec ce Chambre 212 qui m’a enthousiasmé. Son sujet était pourtant bien rebattu (l’adultère) et son traitement casse-gueule qui emprunte à la fois à la poésie de Resnais au réalisme magique de Blier et au vaudeville de Guitry.

Miracle ! Ça marche. Ça marche grâce aux acteurs remarquablement dirigés. Chiara Mastroianni n’a jamais été aussi belle ni aussi juste. Elle a amplement mérité le prix de l’interprétation féminine à la section Un certain regard et sera certainement en lice aux Césars. Vincent Lacoste, dont la bouche molle m’horripile, n’en est pas moins charmant (je laisse à ma voisine, moins pudique que moi, le soin de commenter son postérieur) . Benjamin Biolay accepte sans mégoter de s’enlaidir en homme au foyer en pilou-pilou. Le diamant du film, c’est Camille Cotin en fantasmatique professeure de piano d’une folle sensualité. Le César du meilleur second rôle féminin lui est promis.

Ça marche grâce à une BOF épatante qui mélange Scarlatti, Vivaldi (revisité par Max Richter), Charles Aznavour et Barry Manilow.

Mais ça marche surtout par un scénario qui renverse les stéréotypes du couple adultère. C’est la femme qui travaille à l’extérieur tandis que son époux – dont on ne saura jamais la profession – l’attend au foyer, fait la lessive et prépare le repas. C’est la femme qui enchaîne les adultères tandis que son époux ne l’a jamais trompée. Quand la crise éclate, c’est la femme qui part et le mari qui reste. Ce renversement n’est pas d’une audace folle en ces temps féministes, mais suffisamment original pour être salué.

Chambre 212 est léger sans être frivole, grave sans peser des tonnes. Chambre 212 est délicat et intelligent. Sans verser dans le moralisme ni dans le cynisme, Chambre 212 s’amuse de l’usure du couple et de l’adultère. Chambre 212 parle avec justesse du désir qui passe et de l’amour qui reste. À voir, surtout si on a passé la quarantaine et fêté ses noces de porcelaine (ce qui me place en cœur de cible), en couple, avec son mari ou sa femme, son amant ou sa maîtresse… mais pas les quatre ensemble. 

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Papicha ★★★☆

À Alger, au début des années quatre-vingt-dix, Nedjma (Lyna Khoudri) vit à la cité universitaire. Elle étudie les lettres modernes. Passionnée de stylisme, elle dessine, découpe et coud des robes pour ses amies. Avec ses voisines de dortoir, Wassila, Samira et Kahina, elle mène la vie d’une jeune femme libérée, fait le mur, sort en boîte.
Mais la situation du pays se dégrade. L’islamisme gagne du terrain. Quand la sœur de Nedjma est assassinée sous ses yeux, la jeune femme décide d’organiser un défilé de mode.

Quatre héroïnes sur l’affiche. Mais une actrice qui crève l’écran : Lyna Khoudri. On l’avait remarquée dans Luna (un des meilleurs films de l’année dernière passé injustement inaperçu) et dans Les Bienheureux. Elle explose cet automne où on la verra dans le Nakache/Toledano Hors normes et dans la série de Canal + Les Sauvages avant d’avoir un rôle dans le prochain film de Wes Anderson The French Dispatch (aux côtés de Timothée Chalamet, Tilda Swinton, Mathieu Amalric, Frances McDormand, Bill Murray, Benicio del Toro, Owen Wilson, Adrien Brody, Léa Seydoux… to name but a few!)

Il y a bien des façons de raconter la « décennie noire » traversée par l’Algérie dans les années quatre-vingt-dix. Les Bienheureux s’y était essayé du point de vue d’un couple d’Algériens cultivés faisant partie de l’intelligentsia (Nadia Kaci qu’on retrouve au générique de Papicha et Sami Bouajila). Le Harem de Madame Osmane l’avait fait en radioscopant un immeuble façon Les Choses de Perec.

Papicha décide de mettre au centre de l’histoire une bande de jeunes filles. Chacune a sa personnalité. Samira est voilée et fait ses prières. Kahina ne rêve que de départ. Nedjma et Wassila, son double, sont plus légères. Elles sont heureuses en Algérie et n’imaginent pas une autre vie. Mais elles ne peuvent concevoir que leurs libertés soient remises en cause par l’islamisme qui monte

Cette « bande de filles » – pour reprendre le titre du film de Céline Sciamma sorti en 2014 auquel Papicha emprunte la même fraîcheur – a son franc-parler. Les répliques fusent dans un sabir « françarabe », qui mélange les mots de français et d’arabe. L’ensemble a une énergie, une force roboratives.

Le film s’autorise certaines facilités. L’assassinat de Linda, la sœur aînée de Nedjma, est un événement trop important pour être traité si rapidement. Des seconds rôles sont trop brièvement esquissés qui auraient mérité plus d’attention, ainsi de la mère de Nedjma ou de sa directrice. Comme souvent dans un premier film, sa réalisatrice Mounia Meddour charge trop la barque.

Mais ses défauts lui seront pardonnés. Car Papicha, si remarquablement servie par son interprète principale, déborde d’énergie et suscite une vraie émotion.

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Au nom de la terre ★★★☆

En 1979, Pierre Jarjean (Guillaume Canet) revient d’un long séjour au Wyoming pour racheter à son père (Rufus) la ferme familiale en Mayenne. Galvanisé par ce qu’il a découvert en Amérique, il compte bien appliquer les mêmes méthodes avant-gardistes et transformer la modeste exploitation en agri-business.
Les années passent. Pierre a fondé un foyer. Sa femme Claire (Veerle Baetens) et lui ont eu deux enfants. Leur fils aîné (Anthony Bajon) participe aux travaux de la ferme. Mais l’exploitation n’est toujours pas rentable. Pour rembourser les emprunts, Pierre est obligé à une fuite en avant . Il s’agrandit, s’endette à nouveau, se condamne à des cadences infernales et à un stress qui le ronge.

Le drame rural constitue un genre cinématographique à part entière. Il a connu en 2017 un succès inattendu avec Petit paysan, récompensé de trois Césars. Mais la ferme, sa rude discipline, sa routine, les dignes figures de paysans qui s’y affairent ont inspiré plus d’une fiction (L’Apprenti de Samuel Collardey, C’est quoi la vie ? de François Dupeyron) et une foultitude de documentaires (La Vie moderne de Raymond Depardon, Les Terriens de Ariane Doublet, Bovines d’Emmanuel Gras).

Edouard Bergeon rassemble un casting hétéroclite qu’on n’a jamais vu fonctionner ensemble. Mais la sauce prend. Guillaume Canet, qui ressemble de plus en plus à François Cluzel, incarne le rôle du père ; la Flamande Veerle Baetens (découverte dans Alabama Monroe), celui de la mère ; Rufus, qui fut toute sa vie durant cantonné dans des rôles comiques, celui du père ; c’est le jeune Anthony Bajon, dans le rôle du fils, révélation de La Prière, qui sort le mieux son épingle du jeu.

Au nom de la terre a une dimension supplémentaire. Son réalisateur, Edouard Bergeon, y raconte l’histoire de son père. Guillaume Canet pousse le scrupule jusqu’à copier la tonsure particulièrement inélégante de cet homme obsessionnel, entêté mais aussi profondément aimant. Le mausolée que son fils lui dresse aurait pu verser dans l’indécence. Le tableau d’une paysannerie étranglée par les marchés aurait pu tourner au réquisitoire. Il est profondément poignant.

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La Famille ★★★☆

Carlo (Vittorio Gassman) célèbre son quatre-vingtième anniversaire. Il aura vécu toute sa vie dans le même appartement cossu du centre de Rome. Il y sera né, y aura grandi auprès de son frère Giulio, moins armé que lui face à la vie, qui finira par épouser Amelia, la bonne. Il y aura accueilli son épouse Béatrice (Stefania Sandrelli) dont il aura eu deux enfants et de nombreux petits-enfants.
Mais c’est de la sœur aînée de Beatrice, Adriana (Fanny Ardant), une concertiste partie vivre en France, que Carlo aura été toute sa vie amoureux.

Le cinéma d’Ettore Scola utilise comme moteur le sentiment qui m’étreint le plus au monde : la nostalgie. La Famille (1987) est construit selon le même principe que Nous nous sommes tant aimés (1974) et Le Bal (1983). Il s’agit de raconter le temps long, le temps d’une vie, en recourant aux mêmes acteurs qu’on aura copieusement grimés pour les rajeunir ou les vieillir (ainsi de Vittorio Gassman qu’on voit successivement avec des cheveux noir corbeau et blanc comme neige). Si ce mode de narration conduit à un émiettement du récit, organisé selon une succession de petites saynètes chacune séparée de la suivante par les années qui passent, son unité est assurée par l’unité du lieu. Pas plus qu’on ne sortait du dancing où se déroulait Le Bal, on ne met les pieds hors de l’appartement où vivent les personnages de La Famille.

Comme dans Une journée particulière, où la grande histoire (la rencontre à Rome du Führer et du Duce en 1938) servait d’arrière-plan à la petite (la rencontre de deux voisins, un homosexuel (Marcello Mastroianni) et une femme au foyer (Sophia Loren)), l’histoire du XXème est l’arrière-plan discret du récit intimiste que raconte La Famille. C’est ainsi qu’on y voit Carlo, jeune professeur de littérature, hésiter dans les années trente à prendre, comme son cousin Enrico, le chemin de l’exil. C’est ainsi qu’on voit sa famille souffrir des privations de la Guerre et de l’immédiat après-guerre. En revanche, rien n’est dit sur les années de plomb que traverse l’Italie dans les 70ies.

Le regard mélancolique que lance Ettore Scola et ses fidèles co-scénaristes Furio Scarpelli et Ruggero Maccari sur ce passé qui passe n’est jamais amer ni cynique. Pourtant, la vie de Carlo aurait pu l’autoriser. Il épouse une femme qu’il n’aime pas vraiment et passe sa vie à regretter le choix qu’il n’a pas eu le courage de faire. Son histoire est non seulement traversée par la nostalgie. Elle l’est plus encore par le regret : regret de la décision qu’il n’a pas osé prendre.
Mais ce regret n’est pas délétère. Après la mort de Béatrice frappée d’un cancer, vient pour Carlo l’âge de la solitude et de la vieillesse. Un âge que vient égayer sa nombreuse descendance. Le jour de son quatre-vingtième anniversaire, elle l’entoure pour une photo souvenir en tous points similaire à celle qui avait immortalisé l’anniversaire de son grand-père quatre-vingt ans plus tôt.
Le film se clôt comme il s’était ouvert. Ainsi va le cycle de la vie. La sagesse recommande de s’y plier.

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La Vie scolaire ★★★☆

« La Vie scolaire », c’est le nom qu’on donne à l’unité administrative d’un collège qui, sous l’autorité du CPE (conseiller principal d’éducation) et de quelques surveillants est chargée de faire respecter le règlement intérieur.
Sur un mode quasi-documentaire Grands Corps malade et Mehdi Idir – qui y usa ses fonds de culotte – sont retournés au collège des Francs-Moisins, en Seine-Saint-Denis, à une encablure du Stade de France, filmer une année scolaire d’une classe de troisième.
L’ensemble est fictionnalisé avec quelques acteurs professionnels – Zita Hanrot (qui creuse lentement, depuis Fatima qui lui valut le César du meilleur espoir féminin, son chemin dans le cinéma français) et Alban Ivanov (qui multiplie depuis Le Grand Bain les seconds rôles en or) – entourés d’amateurs recrutés sur place.

Le duo avait réalisé en 2017 Patients, sur l’univers hospitalier. Le film, aussi drôle que juste, avait remporté un succès critique et public légitime. Il figurait dans mon Top 10.
La Vie scolaire reprend les mêmes ingrédients avec la même réussite.

Dans une veine qui m’a rappelé l’autobiographie épatante de Kheiron Nous trois ou rien, La Vie scolaire maintient un équilibre fragile entre l’humour et la gravité. Chaque scène est drôle, qui se nourrit de la « tchatche » incroyable des jeunes face à laquelle l’autorité des adultes peine à ne pas se fissurer. Mais chaque scène est en même temps grave, qui souligne les failles d’une institution incapable d’offrir un avenir à ses élèves malgré l’humanité débordante des enseignants.
On frise souvent le pathos ; mais on n’y tombe jamais comme dans ce conseil de discipline où chaque argument, aussi pertinent soit-il (« L’institution n’est pas faite pour moi »), un contre-argument qui ne l’est pas moins (« Non, Yanis, ne renverse pas les responsabilités en mettant tes fautes sur le dos de l’institution »).
On rit franchement à quelques running jokes : l’élève mytho qui excuse ses retards avec des motifs toujours plus rocambolesques (la grève d’Air France, une antilope qui bloque le trafic…), le surveillant bas du front qui se bourre de chips, le prof d’EPS obèse qui pratique des sports improbables (le hockey à roulette, le foot-vélo…)

Bien sûr, La Vie scolaire n’est pas le premier film qui, avec plus ou moins de réussite, filme la classe. Il est difficile de dépasser le modèle du genre : Entre les murs, sans parler de succédanés moins marquants : La Vie en grand, Les Héritiers, Swagger
Le sujet n’a rien de novateur, le traitement n’a rien de révolutionnaire ; mais il y a une telle humanité, une telle énergie dans cette Vie scolaire, dans ses enseignants si empathiques, dans ses collégiens si attachants, qu’il serait dommage de la rater.

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Midsommar ★★★★

Dani (Florence Pugh qui tenait déjà le haut de l’affiche dans The Young Lady) vient de vivre le pire des traumatismes. Elle peine à trouver auprès de Christian (Jack Reynor), son boyfriend, le réconfort dont elle a besoin.
Etudiant en anthropologie, Christian était sur le point de partir en Suède avec des camarades assister à une cérémonie folklorique. Dani l’y accompagne.
Les cinq jeunes gens découvrent une communauté accueillante, coupée du monde. Mais lorsque les festivités commencent, elles prennent bientôt un tour de plus en plus inquiétant.

L’histoire d’une bande de post-ados américains perdus dans un environnement hostile et lentement décimés par une force invisible, on en a vus treize à la douzaine. Mais le génie de Ari Aster est de réaliser, à partir de cette trame ultra-classique, un film complètement original.
Nuit ténébreuse, maison hantée, monstre effrayant aux pouvoirs surnaturels : il n’utilise aucun des ingrédients qui constituent la recette traditionnelle des films dits « de genre ».
Midsommar se déroule en plein été. La Midsommar est un ensemble de célébrations qui marque en Scandinavie le solstice d’été. C’est la période de l’année où les jours sont les plus longs et, à ces latitudes, des « nuits blanches » où le soleil ne se couche quasiment jamais. C’est donc sous un soleil de plomb, sans jouer sur notre peur du noir, que l’action se déroulera. Que ceux qui les ont en horreur soient rassurés et que ceux qu’ils font délicieusement sursauter ne les attendent pas en vain : nul jump scare ne fera hurler de terreur la salle.
Quant aux « méchants », il n’y en a pas vraiment. Les hôtes de Dani et de Christian, une bande d’aimables suédois jodlant en longues robes blanches en sirotant des jus de baies plus ou moins hallucinogènes, vieillards barbichus et jeunes filles en fleurs, tiennent plus de la communauté hippie que de la secte satanique.

La terreur, Ari Aster la distille autrement. L’an passé, son premier film , Hérédité, avait fait sensation. On l’a retrouvé dans bon nombre de Top10 2018. Quant à moi, je n’y avais rien compris. J’en étais manifestement passé à côté.
Car force est de reconnaître le génie – un terme bien emphatique que j’utilise déjà pour la deuxième fois dans cette critique – de ce jeune réalisateur de trente ans à peine.

Midsommar s’étire sur 2h27, une durée hors norme, de nature à dissuader le public zappeur auquel les films d’horreur sont traditionnellement destinés. Sa durée excessive, loin d’être un handicap, est son principal atout. Car elle nous oblige à nous plonger dans ce huis clos paradoxal, tourné en plein air. Une fois arrivés sur place, les personnages n’en partiront plus, alors qu’aucune enceinte, aucun gardien ne les y retient.

Ces 2h27, on ne les voit pas passer, tant on est happé par le trou noir que le film ouvre sous les pieds de ses personnages. Au son d’une musique incantatoire, une atmosphère de plus en plus lourde s’installe. Les journées de la cérémonie se succèdent apportant chacune leur lot de bizarreries et de mystères. Elles sont filmées avec une maniaquerie géométrique dans des compositions d’une sinistre beauté où Ari Aster démontre, avec parfois la vanité qui caractérise les jeunes génies (et de trois !), sa maîtrise du cadre.

On craint un instant que le film ne se termine, comme c’est hélas souvent le cas, par une révélation sinistre qui déchirerait le voile d’ignorance dans lequel le spectateur a été maintenu : le chef du village est la réincarnation de l’Antéchrist ? les chers disparus de Dani vont se réincarner en Suède ? Ce n’est pas le cas. Et c’est tant mieux. Midsommar suit sa logique implacable jusqu’à sa conclusion qui ne l’est pas moins.
On en comprend alors tout le sens. Il ne s’agissait pas, comme dans les films d’horreur ordinaires, de comptabiliser la lente décimation d’une bande de jeunes héros. Le propos du film est plus psychologique : par une catharsis, l’héroïne achève un travail de deuil et sanctionne un manque d’amour. Monstrueux et dérangeant point d’orgue à une expérience qu’on n’oubliera pas de sitôt.

Midsommar est interdit aux moins de 18 ans au Royaume-Uni, en Australie, en Espagne.
Interdit aux -16 ans au Québec, aux Pays Bas, au Brésil, en Finlande
Rated R aux USA
Et en France… -12 ans à l’instar d’autres films à l’affiche actuellement autrement inoffensifs : Les Baronnes ou Le Gangster, le flic et l’assassin.
Triste constat des errements de la classification cinématographique en France et de l’urgence d’une réforme.

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L’Intouchable, Harvey Weinstein ★★★☆

Harvey Weinstein : ce nom vaut désormais à lui seul condamnation. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui, dans l’opinion publique, ont atteint une si funeste réputation : Dutroux et la pédophilie, Papon et la collaboration, Lehman Brothers et la crise des subprimes…
Les innombrables viols et tentatives de viol dont ce magnat hollywoodien se serait rendu coupable ont provoqué une prise de conscience planétaire. C’est au lendemain de leur révélation par deux enquêtes quasi-concomitantes du New York Times et du New Yorker publiées en octobre 2017 que le mouvement #metoo a été lancé sur les réseaux sociaux – bientôt repris en France avec #balancetonporc.

Pas facile de faire le portrait d’un tel « porc ». Le documentaire de Ursula Macfarlane ne prétend pas à l’objectivité. Alors que le procès de Weinstein va se tenir et que le recueil des témoignages s’est probablement heurté au déroulement parallèle de l’enquête judiciaire, il ne donne guère la parole à la défense. Si l’ironie était permise, on dirait qu’il juge à charge plus qu’à décharge.

Aussi ne trouve-t-il guère de circonstances atténuantes au comportement prédateur du patron de Miramax sinon d’avoir été un outsider (« underdog ») avide de revanche sociale et un adolescent obèse et boutonneux dont les filles se moquaient. Si ce businessman de génie a, avec son frère, construit un empire et insufflé un grand courant d’air frais dans le cinéma des années 80 et 90 en produisant Soderbergh ou Tarantino, c’est en usant de méthodes inadmissibles.
Rien ne devait lui résister. « C’était un homme qui n’acceptait pas qu’on lui résiste ». Dans les affaires… comme dans la vie privée.

L’Intouchable documente avec beaucoup de finesse l’hubris qui s’empare d’un homme ivre de puissance. Une hubris qui se caractérise d’abord par un comportement inadmissible avec ses collaborateurs, harcelés, humiliés, rabaissés. Une hubris qui se manifeste ensuite par un comportement sexuel prédateur : « ma puissance est si grande qu’aucune femme ne peut se refuser à moi ».
L’Intouchable documente aussi – c’est l’angle que le choix de son titre indique – l’omerta qui s’est installée autour de Weinstein. Shérif autoproclamé de la ville (Hollywood/New York), le producteur a, pendant vingt ans, fait régner sa loi sans que personne n’ose la dénoncer. Pendant tout ce temps, la rumeur est allée bon train ; mais personne n’a parlé, ni les collaborateurs terrifiés ni les victimes qui, lorsqu’elles faisaient mine de lancer des poursuites, devaient, sous la contrainte, monnayer leur silence en signant des accords de confidentialité.

Il a fallu un immense courage à ces victimes pour parler. Le point fort du documentaire est de les avoir retrouvées et de les avoir convaincues de témoigner. Sur une liste initiale de 600 noms, 400 personnes ont été contactées et 128 ont consenti à parler à l’équipe du film. Au final, 29 personnes ont été interviewées, nous indique le dossier de presse.
Leurs témoignages sont étonnamment similaires. Pendant quarante ans, le modus operandi de Weinstein n’a guère varié. Il propose à une starlette, croisée dans une soirée, de le raccompagner dans son hôtel. Y voyant une opportunité extraordinaire pour sa carrière, elle accepte. Mais sitôt la porte de la suite refermée, Weinstein devient plus violent, usant de menace verbale et physique pour parvenir à ses fins. Certaines y concèdent, paralysées par la peur ; d’autres s’y refusent et réussissent à s’échapper.
Leur témoignage est glaçant : « J’imaginais qu’une femme violée se débattait et hurlait. C’est l’image qu’on s’en fait. Mais c’est faux. Je suis restée immobile. J’étais paralysée. J’avais peur de recevoir des coups. Je me suis dit que moins je bougerais, mieux ça se passerait. J’espérais que ça dure cinq minutes et que ce serait oublié. Mais je n’arrive pas à oublier »

Bien sûr, le documentaire de Ursula Macfarlane n’est pas sans défauts. On peut pointer le classicisme de sa forme, plus télévisuelle que cinématographique. On peut aussi lui reprocher son manque d’objectivité et considérer qu’il eût mieux fallu attendre la conclusion du procès de Weinstein pour dresser son portrait. Mais la stratégie de ses avocats étant de le faire durer au maximum – car espérer innocenter leur client est illusoire – il y a fort à craindre que la procédure ne s’éternise. Il y avait urgence à raconter Weinstein ; il y avait, plus encore, urgence à donner la parole à ses victimes. C’est chose faite. Et c’est tant mieux.

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Un merveilleux couple ★★★☆

Jeune couple aimant, Malte et Liv sont en vacances aux Baléares quand ils sont violemment agressés par trois jeunes. Malte prend un coup de couteau et, impuissant, assiste au viol de Liv.
Deux ans passent pendant lesquels le couple de jeunes enseignants panse lentement ses plaies. Malte fait de la boxe pour retrouver confiance en lui ; Liv termine une psychanalyse. La vie semble reprendre ses droits.
Mais, un jour, Malte croit reconnaître dans la rue le violeur de Liv. Que va-t-il faire ? Le suivre ? L’aborder ? Se venger ? Appeler la police ?

Si Un merveilleux couple touche une corde si sensible c’est qu’il nous confronte tous à une situation à la fois terrifiante et réaliste. Comment réagirions-nous à un viol ? Un viol qu’on aurait soi-même subi ? ou un viol sur notre partenaire auquel on aurait assisté sans pouvoir l’empêcher ?

La première scène du film qui décrit ce film est perturbante. Pourtant, elle n’y met aucune complaisance. On pense à Funny Games de Hanneke, le sadisme du réalisateur en moins. La seconde décrit la vie ordinaire d’un couple apparemment sans histoire dans une grande ville allemande. Tout sonne juste dans cette description du quotidien banal de Malte et de Liv dont le spectateur sait désormais le traumatisme qui les leste et qu’ils essaient de résorber.

La rencontre de Liv et de l’auteur du viol ouvre l’horizon des possibles. Le scénario pouvait choisir plusieurs directions : nous faire douter sur l’identité du violeur ? ou engager une véritable enquête policière pour le retrouver après avoir perdu sa trace. Il préfère se focaliser sur la psychologie de Malte : va-t-il partager avec Liv sa découverte ? ou la garder pour lui ? va-t-il traquer le coupable pour se venger ? pour s’expliquer ? pour lui pardonner ? ou va-t-il se rendre à la police pour le dénoncer ?

Un merveilleux couple s’enrichit d’un troisième caractère : le violeur lui-même qui n’est pas réduit à une simple silhouette mais qui – et c’est au fond logique – a sa propre psychologie. Est-il un être maléfique imperméable au remords ? ou au contraire se repend-il d’un acte criminel, peut-être commis sous l’effet de l’alcool et de la drogue, et cherche-t-il à reprendre le cours d’une vie normale ?

On n’en dira pas plus. On regrettera peut-être que les options choisies par le scénariste culminent dans un épilogue pas vraiment crédible. Mais ce bémol n’affectera pas l’intérêt et le plaisir qu’on aura pris à ce film bouleversant.

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Once Upon a Time… in Hollywood ★★★☆

Hollywood. Février 1969. Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) a réussi à inscrire son nom en haut de l’affiche d’une série TV. Mais il redoute une gloire éphémère. Sa doublure Cliff Booth (Brad Pitt) est aussi son chauffeur et son seul ami.
Rick Dalton habite sur Cielo Drive une luxueuse villa à côté de laquelle Sharon Tate (Margot Robbie) et son mari Roman Polanski viennent de s’installer.
À quelques kilomètres, Charles Manson, un hippie psychopathe, a pris sous sa coupe quelques jeunes filles en rupture de ban.

On l’attendait avec une adolescente impatience. Le neuvième film de Quentin Tarantino, projeté à Cannes en sélection officielle, précédé d’un matraquage publicitaire digne d’un film MCU, est sorti hier sur les écrans. Le succès est immediat : il a attiré près de deux cent mille spectateurs. J’en étais dans une salle du sud de la France, entouré d’estivants en espadrilles, avec quelques amis ravis de partager l’espace d’un soir ma cinéphagie autour d’un film qui, pour une fois, n’était ni lituanien ni en noir et blanc.

Ils sont sortis de la salle mitigés : « trop long, trop décousu ».
Je comprends volontiers leur déception, à la hauteur de l’attente suscitée par ce qui s’annonçait comme le meilleur film de l’été.

Pour autant, un Tarantino même mineur reste mille pieds au-dessus du tout-venant cinématographique. Il y a dans les 2h41 de Once Upon a Time… – durant lesquelles on ne regarde jamais sa montre – à boire et à manger pour tout un été.

Une reconstitution soignée des sixties finissantes avant que la tuerie de Cielo Drive n’en sonne le glas.
Une BO éclectique que je vais écouter en boucle dans les prochaines semaines.
Une pléiade de stars qu’on retrouve avec jubilation. Mention spéciale pour Brad Pitt – dont le devoilement des abdos parfaits à 56 ans laisse pantois la salle – dans un « second » rôle sans malice et pour Margaret Qualley (la jeune fille déjà remarquée dans la série The Leftovers) en hippie sexy. Et pour Margot Robbie dont la photo sur l’affiche lui vaudrait selon moi sans hésitation le titre de plus belle femme au monde (mes amis ne sont pas d’accord et invoquent Emma Stone ce qui, je l’avoue, m’ébranle).
Enfin – quoi qu’on puisse reprocher aux langueurs du scénario – une histoire avec un début, un milieu et une fin. Et quelle fin ! Tarantinesque à souhait jusque dans ses outrances killbillesques et uchronique comme seuls les contes sont capables d’en raconter.

Ne boudons pas notre plaisir !

La bande-annonce