L’Odyssée ★★★☆

Coup de cœur pour « L’Odyssée » bien mal servi par une critique assassine (celle du Monde gagne la Palme de la méchanceté vipérine) mais qui rencontre depuis mercredi un succès public mérité.

On connaît tous le commandant Cousteau, son bonnet rouge, ses fines lunettes et ses drôles de costumes futuristes. On connaît moins la vie de ce capitaine de corvette qui démissionna de la Marine nationale pour filmer le « monde du silence ». L’époque n’était ni aux documentaires animaliers façon National Geographic ni aux plaidoyers écologiques. Financé par l’industrie du pétrole, Jacques-Yves Cousteau filmait les océans pour mieux les conquérir. C’est sous l’influence de son fils Philippe qu’il posa à la fin de sa vie à l’ambassadeur de la planète en danger.

Pour raconter la vie du plus américain de nos héros nationaux, c’est le plus américain des réalisateurs français qui a été choisi. Jérôme Salle, le réalisateur des « Largo Winch » et de « Zulu », sait y faire. La production ne lui a pas mégoté son budget. Son scénario qui rebondit d’un continent à l’autre (la côte varoise, le détroit d’Ormuz, New York, Ushuaia) a un petit air de James Bond.

Mais c’est surtout par ses interprètes que vaut « L’Odyssée ». Pierre Niney a un rôle qui manque de l’ambiguïté qui lui aurait donné de la profondeur. Audrey Tautou fait un tabac, la clope au bec, dans celui de Mme Cousteau, menant à la baguette ses hommes. Enfin, Lambert Wilson force l’admiration. Aussi crédible à quarante ans qu’à soixante-dix, il adopte tous les tics du personnage (le bonnet rouge, les lunettes et même l’horrible accent Frenchie) sans donner l’air de le singer ou de se déguiser. Chef égocentrique vénéré par ses hommes, amoureux fou de sa femme et mari infidèle, brisé par la mort d’un fils qu’il n’a pas su aimer, il est convainquant jusque dans ses paradoxes.

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Much Loved ★★★☆

« Much loved » suit au quotidien quatre prostituées à Marrakech : Hlima qui débarque du bled, Randa qui préfère les femmes aux hommes, Soukaina, romantique au cœur tendre, et Noha qui fait office de grande sœur. Sans oublier Said, le silencieux homme à tout faire, tour à tour chauffeur, coursier et garde du corps.

Nabil Ayouch filme la société marocaine et ses hypocrisies : les femmes se voilent dans la Casbah mais se dévoilent sitôt refermées les portes des riads de Marrakech où de riches Saoudiens libèrent leurs pulsions réprimées.

Tout y passe : la corruption de la police, les violences faites aux femmes, la tartufferie des hommes face au déni de leur homosexualité, la pédophilie… Les officiels marocains ne l’ont pas supporté et en ont interdit la sortie dans leur pays. Agressée à Casablanca, l’actrice principale, Loubna Abidar, a dû prendre le chemin de l’exil vers la France.

« Much loved » n’évite pas la complaisance dans la description un brin répétitive des nuits de Marrakech. Il aurait pu sans peine être amputé de son dernier quart d’heure. Mais ce beau portrait de femmes – qui rappelle « Le Harem de Madame Ousmane » ou l’exceptionnel « Party Girl » – laisse une empreinte durable, forte et belle.

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Victoria ★★★☆

Ténor du barreau, sexy et intelligente, Victoria est pourtant en pleine crise de la quarantaine : sa vie sexuelle est un néant, son ex la diffame sur son blog, son meilleur ami, accusé d’agression à main armée, insiste pour qu’elle assure sa défense au mépris des règles déontologiques de sa profession.

La bande-annonce semblait tout dire d’une RomCom au déroulé prévisible : cette cousine de Bridget Jones allait se tirer d’une mauvaise passe en retrouvant l’amour avec son baby sitter. Bizarrement, « Victoria » raconte cela. Mais il le fait avec une telle subtilité, un tel charme, une telle intelligence que ce film moins léger qu’il n’y paraît est une réussite absolue.

Grâce à qui ? À Justine Triet, espoir de la nouvelle vague française, révélée par son premier film « La Bataille de Solférino ». Son scénario est un splendide portrait de femme. Sur la corde raide de la comédie et du drame. Infiniment crédible. Victoria, on l’a tous déjà rencontrée – surtout si on est parisien, juriste et quarantenaire. C’est la fille sympa, brillante et drôle qui a toujours su traverser la vie et ses cahots à force de volonté. On sent qu’elle a des fêlures, mais elle les cache bien. Le film de Justine Triet montre à la perfection comment ces fêlures menacent de s’élargir. La séquence sans paroles qui voit Victoria sombrer dans la dépression est un modèle du genre.

Mais c’est surtout à Virginie Efira que « Victoria » doit sa réussite. De tous les plans, l’actrice belge a peut-être trouvé le rôle de sa vie. Un rôle qui la tire loin des comédies un peu pataudes dans lesquelles sa fraîcheur menaçait de se faner. Un rôle loin des caricatures que ce cinéma-là nous sert trop souvent : Victoria n’est ni une célibataire en mal de mec, ni une bourgeoise mal mariée. Victoria est une femme de son temps. Une mère célibataire. Qui aime son travail, mais n’y réussit pas toujours. Qui aime ses enfants mais ne leur consacre pas assez de temps. Qui aime l’amour, mais est saturée de sexe ; qui aime le sexe, et qui cherche l’amour. Victoria, c’est vous ; Victoria, c’est moi. Enfin presque.

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Éternité ★★★★

C’est l’histoire d’une famille sur près d’un siècle. Depuis Valentine (Audrey Tautou) et Jules. Henri (Jérémie Renier) épouse Mathilde (Mélanie Laurent) dont la cousine Gabrielle (Bérénice Béjo) épouse Charles (Pierre Deladonchamps). Du monde extérieur, rien n’est dit ou presque. Seuls comptent les naissances, les baptêmes, les mariages, les enterrements. De la splendide villa construite dans les collines qui surplombent la Méditerranée, on ne sortira jamais. Car, nous dit le film, c’est là que l’essentiel se déroule : dans une vie pure et sans histoire.

Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Les filmer n’en est que d’autant plus difficile. S’inspirant d’un livre d’Alice Ferney au titre merveilleux L’Elegance des veuves, le réalisateur franco-vietnamien Tran Ahn Hung réalise un film hors norme.

Je conçois aisément les critiques qui pourraient lui être adressées. Une lenteur étouffante. Une beauté trop léchée. Une histoire hors du temps, suspendue dans une bulle. Une voix off pontifiante. Une musique envahissante. Elles sont toutes pertinentes.

Et pourtant j’ai follement aimé ce film bouleversant. Je me suis laissé prendre à son faux rythme. J’ai été subjugué par la beauté de chaque plan, construit comme des tableaux de maître (on pense à Ingres, à Renoir), par les costumes, par les décors. Et j’ai été emporté par la musique qui repique la quasi-intégralité des titres de ma play list de CSP++ germanopratin : Bach, Haendel, Ravel, Debussy…

La bande-annonce

Divines ★★★★

Dounia et Maimounia sont « deux mouflettes de banlieue » – pour reprendre la jolie expression de Télérama dont elles font la couverture. Dounia est une beurette poids plume à la langue bien pendue qui vit misérablement dans un bidonville avec sa mère pute et alcoolo ; Mamounia est une renoi poids lourd dont le père est l’imam de la salle de prière. L’une et l’autre sèchent les cours du BEP, maraudent au centre commercial, rêvent d’argent facile.

Ainsi pitché, Divines ne justifiait à mes yeux de critique ni la Caméra d’Or qu’il a obtenu à Cannes ni les critiques dithyrambiques de la presse. Critique blasé, quarantenaire et vaguement réac, je me disais que cette semaine était décidément trop politiquement correct après le Nocturama de Bonello dont j’ai fait mon coup de gueule. Je ne voyais a priori aucune originalité dans Divines, ressassant le thème de la banlieue et de sa jeunesse sans repères exploré avec succès par Abdellatif Kechiche (L’Esquive), Laurent Cantet (Entre les murs) ou Céline Sciamma (Bandes de filles). Et j’ai été franchement rebuté par les interviews de la réalisatrice Houda Benyamina qui enfonce les portes ouvertes à coup de formules creuses

Coup de cœur. Toutes mes préventions ont disparu en deux scènes. La première sur des images sans dialogues de la cité anonyme où Douna et Maimouna chahutent au son paradoxal et inattendu du Nisi Dominus de Vivaldi. Mais surtout la deuxième : Dounia est en classe et joue le rôle d’une hôtesse d’accueil pour préparer l’examen qui sanctionnera son BEP et lui permettra peut-être de décrocher un emploi humiliant et sous-payé. La jeune élève se rebelle ; le ton monte ; elle injurie l’enseignante vite débordée. Je suis scotché. Dans quel film suis-je tombé ?

Certes, Divines n’est pas exempt de défaut. Il hésite entre le réalisme documentaire et la fable sans arrêter son parti. Dounia et Mamounia se disent matérialistes, prêtent à tout pour « faire du fric », rêvant de conduire une Ferrari à Phuket et hurlant de joie dans une décapotable sur les Champs-Elysées ; et elles sont en même temps émues au tréfonds d’elle-même par les chorégraphies du ballet de danse contemporaine dont elles espionnent en cachette les répétitions. Le caïd de la cité est Rebecca, une aînée qui renverse les codes de l’hypervirilité ; mais le personnage manque de crédibilité et en perd plus le film avance.

Pour autant, j’écarte les réserves que Divines peut inspirer et lui accorde, conscient de la subjectivité de ma notation, les quatre étoiles que sa contagieuse vitalité mérite.

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L’Économie du couple ★★★★

La première scène de « L’Économie du couple » l’introduit et le résume. Marie rentre dans sa maison avec ses deux filles jumelles. Chargée de paquets, un peu débordée par la vivacité de ses enfants qui renâclent à faire leurs devoirs et aller se doucher, elle découvre avec déplaisir la présence de Boris dont on comprend qu’elle vient de se séparer mais qu’il habite toujours sous le même toit sans toujours respecter les règles de leur cohabitation.

Dans « L’Économie du couple » il est question, comme le titre l’annonce, d’argent. Si Marie et Boris vivent encore ensemble, c’est à cause d’un désaccord financier. La maison appartient à Marie qui l’a acquise grâce à un prêt de ses parents grands bourgeois ; Boris est lui d’une origine plus modeste mais a assuré lui-même la restauration et l’embellissement de leur demeure. Pour que son conjoint quitte les lieux, Marie est prête à lui en payer le tiers ; mais Boris en réclame la moitié.

Le dernier film de Joachim Lafosse – dont j’avais déjà beaucoup aimé les précédentes réalisations – est un bijou.

Un bijou d’écriture. Joachim Lafosse filme le désamour. Il ne leste pas ses personnages d’une inutile dimension psychologique. Pas d’amant ni de maîtresse qui expliquerait la déliquescence d’un couple qui se délite parce qu’il ne s’aime plus. Entre lourds silences et violentes disputes, l’histoire de cette rupture est décrite avec une froideur clinique et une précision sadique. Jacques Mandelbaum dans Le Monde parle d’un « cinéma intelligemment désagréable ». Je ne saurais mieux dire.

Un bijou de mise en scène. La caméra ne quitte pas l’appartement de Marie filmé en longs plans-séquence. Baigné par une belle lumière, il est à la fois accueillant et oppressant : Marie a envie d’y rester mais souhaite que Boris en parte. C’est seulement à l’ultime fin du film qu’on le quittera, pour trois scènes qui viennent clôturer le film et lui donner sa cohérence.

Un bijou d’interprétation. J’adore Bérénice Béjo depuis « Meilleur espoir féminin » qui l’avait révélée. « The Artist » – qui lui valut le Casar de la meilleure actrice et une nomination aux Oscars – n’est pas à mon avis son meilleur film. Je lui préfère « Le Passé » d’Ashgar Farhadi qui est aussi l’histoire d’une séparation et où le personnage interprété par Bérénice Béjo se prénommait déjà Marie. Elle n’a jamais été aussi belle, la mine sévère, les cheveux tirés, si forte dans sa détermination de rompre et de protéger ses filles, si fragile dans le combat qu’elle livre contre l’homme qu’elle a cessé d’aimer. Cédric Kahn a le rôle ingrat de Boris. Sa force jupitérienne menace à chaque instant d’exploser. Mais, pour autant, tous les torts ne sauraient lui être imputés. Si l’irritation de Marie se comprend, Boris n’en demeure pas moins un personnage attachant. Cette absence de manichéisme, ce refus d’instruire le procès à charge d’un des deux membres du couple ne sont pas la moindre des qualités de ce film si juste.

Dans une livraison qui n’a pas brillé par sa qualité, « L’Économie du couple » est haut la main le meilleur film de l’été et peut-être de l’année.

La bande-annonce

Je suis à vous tout de suite ★★★☆

La bande-annonce augurait le pire : une comédie franchouillarde à l’humour gras. Le film au contraire est un bijou d’originalité. La réalisatrice avait co-signé les scénarios de Au nom des gens et Hippocrate. Deux belles réussites — déjà — du cinéma français.

Je suis à vous tout de suite se résume mal : un couple mixte (Ramzy et Jaoui) a une fille et un fils qui suivent deux évolutions différentes : elle est française jusqu’au bout des ongles, il recherche ses racines dans le retour à l’islam.

Le sujet est grave. Il est traité avec légèreté, mais sans la vulgarité que la bande-annonce laissait craindre. Un coup de cœur qui doit beaucoup à son héroïne : Vimala Pons, brune piquante déjà remarquée aux côtés de Vincent Macaigne (La Fille du 14 juillet) et de Bruno Podalydès (Comme un avion).

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Sicario ★★★☆

Les Américains vivent sur un territoire aseptisé et hypersécurisé qui coexiste, à sa frontière méridionale, avec ce qu’ils croient être une jungle sans loi.

Le cinéma américain a, depuis quelques années, mis en scène cette frontière et la peur paranoïaque qu’elle suscite chez le brave Yankee : Traffic de Soderbergh, Savages de Stone, Babel d’Iñárritu, sans parler de Breaking Bad sont des œuvres au titre explicite.

Sicario s’inscrit dans cette généalogie.
Emily Blunt (Edge of Tomorrow, Looper) est un agent du FBI embringuée, à son corps défendant, dans une opération undercover contre les cartels mexicains de la drogue. CIA ? Barbouzes ? Elle plonge, et nous avec, dans le déluge de violence que déchaînent ses coéquipiers. Les fins de leur action sont-elles justes ? En tout état de cause, les moyens pour y parvenir sont répréhensibles.

Sicario est un film d’une redoutable efficacité. La musique oppressante de Jóhann Jóhannsson, le désert texan filmé par Roger Deakins (qui avait signé la photo de No Country for Old Men), la fragilité à fleur de peau d’Emily Blunt et la colère rentrée de Benicio del Toro : tout concourt pour faire du film de Denis Villeneuve un film terriblement excitant.

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Mon roi ★★★★

Les critiques n’ont pas épargné le film de Maïwenn : trop impudique, trop hystérique, trop tout. Je n’y souscris pas. J’ai été touché. Maïwenn n’esthétise pas. Elle ne fictionnalise pas. Elle filme cash.

La relation entre Georgio et Marie-Antoinette (alias Tony) est juste de bout en bout. Leur première fois est filmée sans l’afféterie des embrasements romantiques et les lumières tamisées qui n’existent qu’au cinéma. On couche. On rit. On parle. C’est cru, mais vrai.

Leur relation est très moderne. Le couple en 2015 ne se vit plus – et ne se filme plus – comme avant. On est loin de Roméo et Juliette ou de César et Rosalie. L’amour fou vire vite à la folie. Excessifs dans le coup de foudre, les amants deviennent hystériques dans leur déchirement entrecoupé de réconciliations solaires.

Le film repose sur ses acteurs. Emmanuelle Bercot est le double de Maïwenn à l’écran. Elle en a l’énergie, les éclats de rire… les dents. Elle mérite haut la main sa Palme d’or. Vincent Cassel la méritait tout autant. Je n’ai jamais aimé sa tête de fouine et son jeu faussement décontracté, mais je dois reconnaître qu’il est parfait dans le rôle.

Elle n’est pas une gourde enamourée ; il n’est pas un pervers narcissique ; ils forment un couple incapable de vivre ensemble, incapable de rompre. Plutôt que Mon roi emprunté à Elli Medeiros, With or without you de U2 les aurait mieux résumés.

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Illégitime ★★★☆

Extraordinaire vitalité du cinéma roumain ! Après Cristian Mungiu (4 mois, 3 semaines, 2 jours), après Corneliu Porumboiu (12h08 à l’est de Bucarest), après Calin Peter Netzer (Mère et fils), voici Adrian Sitaru. Ce quarantenaire creuse la même veine que ses collègues : le rapport de l’individu au groupe dans une société sans repères qui peine à tourner la page du communisme.

Un repas de famille réunit un médecin récemment veuf, ses quatre enfants, leurs compagnons. L’alcool aidant, les langues se délient. Le père avoue à ses enfants scandalisés qu’il avait empêché des femmes d’avorter au temps du communisme. Ses jumeaux Sasha et Roméo entretiennent une relation incestueuse. Sasha attend un enfant de son frère. Elle l’avoue à son père. L’encouragera-t-il à avorter ?

On l’aura compris : Illégitime traite de sujets lourds (l’avortement, l’inceste). Il le fait dans une forme haletante, quasi documentaire, en longs plans-séquences filmés très serrés de réunions de famille qui dégénèrent en foire d’empoigne. Aucun plan de coupe entre les scènes qui laisserait au spectateur le temps de reprendre son souffle. On pense à Pialat ou à Lars von Trier.

La conclusion du film n’est pas son point fort. Trop apaisée, trop optimiste. Mais on n’oubliera pas de sitôt la figure de Sasha, déchirée entre l’amour gémellaire de son frère et le respect dû à son père.

La bande-annonce