Baden Baden ★★★☆

Coup de cœur pour ce petit film français au titre décalé qui n’a rien à voir avec Baden Baden sinon qu’il se déroule à Strasbourg, de l’autre côté du Rhin. De là à dire que Baden Baden est au cinéma ce que La Chartreuse de Parme est à la littérature il y a un pas que je ne franchirai pas. D’ailleurs je me demande si je ne vais pas rayer cette phrase qui alourdit inutilement ma critique et n’y apporte pas grand-chose.

Anna a 26 ans. Un peu garçon manqué, beaucoup paumée, elle se cherche. Entre deux petits boulots, elle passe l’été chez sa grand-mère adorée. Elle lui construit une douche vénitienne, cueille des mirabelles, rencontre son ex toxique, perd son permis et tombe peut-être amoureuse. Bref elle vit.

J’assume totalement la subjectivité de ce coup de cœur pour ce premier long sans prétention, qu’on imagine volontiers autobiographique, d’une jeune réalisatrice servie par une actrice étonnamment juste. On y retrouve la fraîcheur de ce nouveau cinéma français dont Vincent Macaigne ou Vimala Pons sont devenus les porte-étendards. Des films bricolés avec deux bouts de ficelle, parfois gentiment foutraques (Pauline s’arrache) mais toujours animés d’une énergie communicative, d’une soif de vie revigorante.

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Keeper ★★★★

Maxime et Mélanie ont quinze ans. Ils s’aiment. Mélanie tombe enceinte. Gardera ? Gardera pas ? Le titre, pas très heureux, nous met sur la piste. Et on se doute que si Mélanie avortait,le film tournerait court. Donc, même si la décision n’intervient qu’au mitan du film, elle le garde. Vous pensez que je viens de vous gâcher le suspense ? Vous vous trompez. Car la fin du film, étonnante et inéluctable, vous scotchera.

Mais n’allons pas si vite en besogne. Ou plutôt ne passons pas à côté de ce qui fait l’intérêt de ce premier film, si juste, qui soutient la comparaison avec les chefs-d’œuvre des Dardenne et de Kechiche, excusez du peu. De quoi s’agit-il ? Pas seulement de dénouer le dilemme gardera/gardera pas. Mais surtout de décrire les paradoxes de l’adolescence.

Guillaume Senez est sans cesse sur la corde raide. On tremble tout le long du film qu’il n’en tombe, en versant dans le moralisme et/ou dans le sentimentalisme. Il parvient étonnamment à éviter ces deux périls. Son ton est toujours juste. Il réussit miraculeusement à décrire un âge contradictoire. Maxime et Mélanie sont deux gamins amoureux, qui se roulent des pelles et s’écrivent des textos (admirablement bien orthographiés, seule entorse au réalisme du film) et qui s’enflamment à l’idée d’avoir un enfant. Ils n’ont évidemment pas la moindre conscience des conséquences de leur choix. Et on frémit pour eux des périls qui les guettent : la fatigue de la petite enfance, la lassitude dans le couple, le décalage avec les amis du même âge…

Cette conscience-là, ce sont leurs parents qui tentent de la leur faire acquérir. Du côté de Mélanie, une mère dont on comprend qu’elle a eu, elle aussi, un enfant très jeune. Et qui refuse à sa fille la liberté de faire, comme elle, le mauvais choix. Du côté de Maxime, deux parents, plus âgés, plus aisés, mais divorcés : un père, entraîneur de foot, qui rêve pour son fils la carrière de joueur qu’il n’a pas eue, et une mère qui porte seule l’éducation de son fils.

Vous me direz que le sujet a déjà été traité dans Juno. Et vous aurez raison. J’ai un excellent souvenir de Juno… le problème est que je n’en ai aucun souvenir ! Du coup, sauvé par mon Alzheimer, j’ai savouré Keeper comme l’un des tout meilleurs films de ce début d’année 2016.

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Les Ogres ★★★★

Quel film ! deux heures vingt-quatre ! Rien de moins ! Un film inclassable. Ni intello ni vulgaire. Mi-documentaire mi-fiction. Qui décrit une troupe de théâtre ambulant, jouant Tchekhov. Mais dont la création artistique n’est pas l’objet. Plutôt la vie. La vie de chacun des membres de la troupe. Son directeur tyrannique. Sa femme humiliée mais aimante. Sa fille en quête d’émancipation. Une ancienne maîtresse amoureuse. Un acteur qui ne parvient pas à faire le deuil de son fils. une femme qui attend un bébé.

Le paragraphe précédent vous a donné le tournis ? Il est à l’image du film. Plein de fièvre, de mouvement. Ne vous laissant pas une seconde de répit. Vous entraînant d’un personnage à l’autre, d’une histoire à l’autre.

Ce film follement énergisant est l’œuvre de Léa Fehner. Elle y raconte la vie de ses parents, qui créèrent une troupe de théâtre dans l’euphorie soixante-huitarde et continuent avec le même enthousiasme à la faire vivre. Il faut une sacrée impudeur pour déballer ainsi son linge sale, pour régler quelques comptes avec son père et sa mère, mais aussi pour leur adresser la plus belle déclaration d’amour filial qui soit.

J’avais adoré le premier film de Léa Fehner, Qu’un seul tienne et les autres suivront, vu fin 2009, au cœur de l’hiver, dans une salle parisienne qui a depuis fermé ses portes. Avec une brochette de jeunes espoirs : Reda Kateb, Pauline Étienne et Marc Barbé. Ce dernier joue un des rôles des Ogres – pas le premier ni le second car il n’y a ni héros ni personnages secondaires dans ce film profondément démocratique. Marc Barbé a une biographie à la Kerouac (muni d’un C.A.P., il exerce dix ans aux États-Unis le métier de menuisier avant de revenir en France comme traducteur de romans et de pièces de théâtre) et une gueule inoubliable. Dans Les Ogres, il est en couple avec Adèle Haenel qui crève littéralement l’écran. Avec un ventre tout rond de huit mois de grossesse et, au diapason des autres acteurs, une énergie folle.

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No Land’s Song ★★★★

Le film à voir cette semaine est un documentaire. Un documentaire sur l’Iran dont j’ai déjà dit ici , pas plus tard que jeudi dernier, dans ma critique de Nahid, combien il nous devenait familier à force de voir des films et des documentaires à son sujet.

Sauf que No Land’s Song n’est pas seulement un documentaire de plus à ajouter à une liste qui deviendrait trop longue.

C’est un aspect particulier de la réglementation iranienne qui est ici en cause : l’interdiction faite aux femmes de chanter en solo devant des hommes. Interdiction insultante, absurde, ridicule. Insulte aux femmes, bâillonnées dans leur expression. Mais insulte aussi aux hommes qui seraient incapables de maîtriser leur désir à l’audition du chant d’une femme.

Sara Najafi, une compositrice iranienne aussi belle qu’intelligente, a décidé d’organiser un concert. Son frère, Ayat Najafi, la filme pendant deux ans, tentant de bureau en bureau d’obtenir des services du ministère de la Culture et de la Guidance islamique (sic) une autorisation constamment refusée. Cette quête don-quichottesque donne lieu à un splendide portrait de femmes. Sara Najafi d’abord. Ses sœurs de combat iraniennes ensuite, notamment ses aînées qui se remémorent avec nostalgie l’époque pré-révolutionnaire où le chant des femmes était autorisé. Et enfin Jeanne Cherhal, Elise Caron et Emel Mathlouthi qui viennent de France pour participer au concert que Sara Najafi organise.

Car il ne s’agit pas simplement de pousser la chansonnette devant un public de militants, truffé de mollahs sourcilleux. Le chant n’est pas un prétexte mais bien une finalité en soi. Et le résultat est splendide, d’un professionnalisme impeccable qui donne envie de se ruer sur la BO du film.

Deux coups de cœur pour le prix d’un. Cinématographique et musical.

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Brooklyn ★★★★

Eilis Lacey est irlandaise, jolie et intelligente. Elle saisit la première opportunité pour émigrer à New York, laissant derrière elle sa mère et sa soeur. Installée à Brooklyn, elle se laisse gagner par le mal du pays jusqu’à ce qu’un joli plombier italien l’en guérisse. Mais la vie la rappelle en Irlande.

Disons-le tout net : j’ai adoré « Brooklyn ». Sans méconnaître les reproches qu’on pourrait légitimement adresser à ce film trop sage : un scénario tire-larmes, une reconstitution trop proprette, une fin bâclée.

Mon enthousiasme vient précisément de son héroïne si sage. Saoirse (prononcez sir-cha) Ronan confirme le bien qu’on pensait d’elle.  Elle a mérité haut la main sa nomination aux Oscars. Ses robes sont d’une folle élégance me donnant, comme à chaque fois que je regarde un film qui se déroule dans les années 50, le regret d’être né trente ans trop tard.

Son personnage n’a rien de manichéen : ni ange, ni démon, c’est une fille de son temps qui veut quitter l’Irlande étriquée des années 50 pour vivre selon son coeur tout en ayant conscience de la dette qu’elle a contractée auprès des siens. Le dilemme auquel elle est confrontée est poignant. Rien de grandiloquent, presque rien de dramatique. La vie tout simplement.

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Suburra ★★★☆


Le cinéma italien est de retour.
Et il ne se réduit pas à Nanni Moretti, largement galvaudé.

Une génération de jeunes cinéastes nourris au lait – ou plutôt au Red Bull – des séries américaines est en train de prendre la relève. Sa marque de fabrique : des polars compliqués qui croisent le crime et la politique. Ses titres phares : ACAB (All Cops Are Bastards), Romanzo Criminale, Gomorra
Stefano Sollima a réalisé le premier et dirigé les séries TV inspirées des deux suivants. Il a utilisé un scénario de Giancarlo De Cataldo (l’auteur du roman dont Romanzo Criminale a été tiré). Son action se passe à Rome où jadis les puissants et la pègre se croisaient dans le quartier de toutes les débauches, Subure.

Suburra est un film choral peuplé de toutes les caricatures du film noir : le politicien véreux, la pute au grand cœur, le tueur froid, le caïd sous acide…
Une intrigue, à la fois très complexe et parfaitement lisible, va les rapprocher bien malgré eux.
Sollima réussit à croquer des personnages bigger than life. On n’oubliera pas de sitôt la maison des Anacleti, cette famille tzigane enrichie dans le racket, bruyante et saturée des symboles d’une richesse trop vite acquise. Ou l’appartement de Numéro 8 construit sur la plage d’Ostie qu’il rêve de transformer en Las Vegas.
Suburra ne résiste pas à quelques facilités de mise en scène : une esthétique de pub, une BOF envahissante. Mais ces défauts ne suffisent pas à ternir le plaisir qu’on prend à ce film sous ecstasy.

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The Revenant ★★★☆


L’actualité cinématographique de ce mois de février était dominée par deux films événements : Ave, César ! des frères Coen et The Revenant de Alejandro G. Iñárritu. Deux films marquants dans deux registres radicalement différents. Le premier est un bijou d’humour parodique ; le second est d’une âpre rudesse. C’est peu dire que le premier m’a déçu et le second impressionné.

Impressionnante est l’histoire – vraie – du trappeur Hugh Glass qui, laissé pour mort après avoir été grièvement blessé par un grizzly, parcourt 300 km sans armes ni vivres en 1823 dans les montagnes enneigées du Dakota jusqu’au poste le plus proche. Pour survivre il se nourrit de racines, pêche à mains nues et dispute à des loups la viande d’un bison mort. Pour se protéger du froid, il dort dans un cheval éviscéré.

Impressionnant surtout est le parti qu’en a tiré Alejandro G. Iñárritu et son directeur de la photographie Emmanuel Lubezki. Avec la révolutionnaire caméra Alexa 65 mm, ils filment l’action en tourbillonants plans-séquences. Quand les Indiens attaquent, quand le grizzly charge, quand les trappeurs lancent la poursuite, on est au coeur de la scène comme on l’a rarement été, assourdis par la mitraille, assommés par les coups, hébétés par la bataille. Malick (« Le Nouveau Monde »), Boorman (« La Forêt d’émeraude ») et Kurosawa (« Ran ») prennent un sacré coup de vieux.

« The Revenant » est tout à la fois intimiste et grandiose. Intimiste par son scénario épuré : un homme, seul face à une nature hostile, survit pour se venger. Grandiose par ses paysages dans lesquels cette histoire est campée : les montagnes enneigées du Dakota où l’homme est si fragile.

Évidemment, The Revenant ne fait pas dans la dentelle. Leonardo DiCaprio – qui aura amplement mérité son Oscar – est trop occupé à cautériser ses plaies avec de la poudre à canon et à manger de la viande de bison crue pour verser dans la romance. L’accumulation d’épreuves qui jalonne sa route confine au chemin de croix et pourrait révulser les âmes sensibles. La Passion de Mel Gibson avait la même propension au sadisme et au voyeurisme.

Pour autant, je n’ai pas trouvé les deux heures trente-six que dure The Revenant trop longues alors que l’heure quarante-six de Ave, César ! m’avait semblé interminable.

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Spotlight ★★★☆

En lice pour les Oscars, Spotlight arrive sur les écrans précédé d’une critique flatteuse. Il la mérite amplement.

Les faits sont connus : en 2001-2002 une équipe de journalistes du Boston Globe enquête sur les actes pédophiles reprochés à des prêtres catholiques et sur le silence complice gardé par leur hiérarchie.

Comme Les Hommes du Président, Spotlight est un film sur le journalisme d’investigation. Le sujet de cette investigation importe peu : Spotlight n’est pas – et c’est tant mieux – un film sur la pédophilie. Pas plus que Les Hommes du Président n’était un film sur le président Nixon.

Le film de Tom McCarthy est admirable par son refus du sensationnalisme. On imagine sans peine avec quels rebondissements un vulgaire faiseur hollywoodien aurait assaisonné son scénario : des journalistes obsédés par leur enquête au point d’y sacrifier leur vie privée, des révélations théâtrales recueillies entre chien et loup d’un indicateur patibulaire, des menaces de mort, une course-poursuite, etc.

Rien de tout cela dans Spotlight qui filme un sujet terriblement peu cinématographique : une équipe de cinq journalistes qui fait son travail. Scrupuleusement. Méthodiquement. Ennuyeusement ? Pas du tout ! Je n’ai pas vu passer les deux heures que dure le film – même si j’entends certaines critiques s’élever contre cette durée excessive. Quand bien même on connaît l’issue de cette enquête, l’absence de suspense ne prive pas le film d’intérêt.

Qu’il fasse l’éloge (funèbre ?) d’une presse écrite condamnée à disparaître face aux médias électroniques et à la tyrannie de l’instantanéité n’importe pas tant que ça… mais ne fait pas de mal non plus.

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Nous trois ou rien ★★★☆

« Nous trois ou rien » c’est « Persepolis » + « L’Arabe du futur ». Soit, sur les traces de Marjane Satrapi et sur celles de Riad Sattouf, l’autobiographie d’une famille qui fuit la dictature pour s’installer en France. À me faire regretter d’être le fils d’un vétérinaire varois qui, du fait de cette filiation bien peu romanesque, n’écrira jamais de best-seller autofictionnel !

Vous imaginez déjà la suite de cette critique : « c’est pas mal… mais ce n’est pas très novateur », asséné avec la morgue du monsieur-je-sais-tout qui a vu tous les films et la moue du cynique que plus rien ne transporte.

Eh bien… vous avez raison… et tort. Il ne serait pas honnête de passer sous silence la principale faiblesse du film de Kheiron : l’antériorité de « Persepolis » qui, sur la forme comme sur le fond, était innovant, authentique, bouleversant. Je manquerais tout autant d’objectivité en omettant les bons sentiments un peu trop sucrés dans lesquels le film s’englue au risque de se noyer dans une ode boursouflée au vivre-ensemble républicain.

Pour autant, celui qui n’aura pas ri et pleuré devant une histoire aussi déchirante que celle des parents de Kheiron, résistants au Shah, dupés par la révolution de Khomeiny, obligés de fuir leur pays pour se réfugier en France. Celui dis-je qui, devant cette histoire racontée avec légèreté et humour, sans jamais verser dans la mièvrerie ni la vulgarité,  n’aura pas fondu de bonheur, celui-là a un cœur de pierre.

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Toto et ses soeurs ★★★☆

Toto est un petit Rom de dix ans. Ses soeurs, Andreea et Ana, en ont quinze et dix-sept. Leur mère est en prison, leur père aux abonnés absents. L’appartement qu’ils occupent est devenu un squat de drogués.

On se croirait dans un drame social. C’est pourtant un documentaire que Alexander Nanau, un réalisateur roumain aujourd’hui installé en Allemagne, est retourné filmer à Bucarest. Pendant quatorze mois, il a suivi cette fratrie abandonnée à elle-même qui évoque les orphelins de « Nobody knows ». L’aînée glisse doucement dans la drogue. La cadette, à quinze ans à peine, remplace la mère absente. Toto révèle des dons étonnants dans un stage de hip-hop. Que la vie puisse lui sourire, alors qu’elle semblait jouée d’avance, est le plus beau des cadeaux que nous offre ce documentaire plein d’espoir.

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