Suburra ★★★☆


Le cinéma italien est de retour.
Et il ne se réduit pas à Nanni Moretti, largement galvaudé.

Une génération de jeunes cinéastes nourris au lait – ou plutôt au Red Bull – des séries américaines est en train de prendre la relève. Sa marque de fabrique : des polars compliqués qui croisent le crime et la politique. Ses titres phares : ACAB (All Cops Are Bastards), Romanzo Criminale, Gomorra
Stefano Sollima a réalisé le premier et dirigé les séries TV inspirées des deux suivants. Il a utilisé un scénario de Giancarlo De Cataldo (l’auteur du roman dont Romanzo Criminale a été tiré). Son action se passe à Rome où jadis les puissants et la pègre se croisaient dans le quartier de toutes les débauches, Subure.

Suburra est un film choral peuplé de toutes les caricatures du film noir : le politicien véreux, la pute au grand cœur, le tueur froid, le caïd sous acide…
Une intrigue, à la fois très complexe et parfaitement lisible, va les rapprocher bien malgré eux.
Sollima réussit à croquer des personnages bigger than life. On n’oubliera pas de sitôt la maison des Anacleti, cette famille tzigane enrichie dans le racket, bruyante et saturée des symboles d’une richesse trop vite acquise. Ou l’appartement de Numéro 8 construit sur la plage d’Ostie qu’il rêve de transformer en Las Vegas.
Suburra ne résiste pas à quelques facilités de mise en scène : une esthétique de pub, une BOF envahissante. Mais ces défauts ne suffisent pas à ternir le plaisir qu’on prend à ce film sous ecstasy.

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The Revenant ★★★☆


L’actualité cinématographique de ce mois de février était dominée par deux films événements : Ave, César ! des frères Coen et The Revenant de Alejandro G. Iñárritu. Deux films marquants dans deux registres radicalement différents. Le premier est un bijou d’humour parodique ; le second est d’une âpre rudesse. C’est peu dire que le premier m’a déçu et le second impressionné.

Impressionnante est l’histoire – vraie – du trappeur Hugh Glass qui, laissé pour mort après avoir été grièvement blessé par un grizzly, parcourt 300 km sans armes ni vivres en 1823 dans les montagnes enneigées du Dakota jusqu’au poste le plus proche. Pour survivre il se nourrit de racines, pêche à mains nues et dispute à des loups la viande d’un bison mort. Pour se protéger du froid, il dort dans un cheval éviscéré.

Impressionnant surtout est le parti qu’en a tiré Alejandro G. Iñárritu et son directeur de la photographie Emmanuel Lubezki. Avec la révolutionnaire caméra Alexa 65 mm, ils filment l’action en tourbillonants plans-séquences. Quand les Indiens attaquent, quand le grizzly charge, quand les trappeurs lancent la poursuite, on est au coeur de la scène comme on l’a rarement été, assourdis par la mitraille, assommés par les coups, hébétés par la bataille. Malick (« Le Nouveau Monde »), Boorman (« La Forêt d’émeraude ») et Kurosawa (« Ran ») prennent un sacré coup de vieux.

« The Revenant » est tout à la fois intimiste et grandiose. Intimiste par son scénario épuré : un homme, seul face à une nature hostile, survit pour se venger. Grandiose par ses paysages dans lesquels cette histoire est campée : les montagnes enneigées du Dakota où l’homme est si fragile.

Évidemment, The Revenant ne fait pas dans la dentelle. Leonardo DiCaprio – qui aura amplement mérité son Oscar – est trop occupé à cautériser ses plaies avec de la poudre à canon et à manger de la viande de bison crue pour verser dans la romance. L’accumulation d’épreuves qui jalonne sa route confine au chemin de croix et pourrait révulser les âmes sensibles. La Passion de Mel Gibson avait la même propension au sadisme et au voyeurisme.

Pour autant, je n’ai pas trouvé les deux heures trente-six que dure The Revenant trop longues alors que l’heure quarante-six de Ave, César ! m’avait semblé interminable.

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Spotlight ★★★☆

En lice pour les Oscars, Spotlight arrive sur les écrans précédé d’une critique flatteuse. Il la mérite amplement.

Les faits sont connus : en 2001-2002 une équipe de journalistes du Boston Globe enquête sur les actes pédophiles reprochés à des prêtres catholiques et sur le silence complice gardé par leur hiérarchie.

Comme Les Hommes du Président, Spotlight est un film sur le journalisme d’investigation. Le sujet de cette investigation importe peu : Spotlight n’est pas – et c’est tant mieux – un film sur la pédophilie. Pas plus que Les Hommes du Président n’était un film sur le président Nixon.

Le film de Tom McCarthy est admirable par son refus du sensationnalisme. On imagine sans peine avec quels rebondissements un vulgaire faiseur hollywoodien aurait assaisonné son scénario : des journalistes obsédés par leur enquête au point d’y sacrifier leur vie privée, des révélations théâtrales recueillies entre chien et loup d’un indicateur patibulaire, des menaces de mort, une course-poursuite, etc.

Rien de tout cela dans Spotlight qui filme un sujet terriblement peu cinématographique : une équipe de cinq journalistes qui fait son travail. Scrupuleusement. Méthodiquement. Ennuyeusement ? Pas du tout ! Je n’ai pas vu passer les deux heures que dure le film – même si j’entends certaines critiques s’élever contre cette durée excessive. Quand bien même on connaît l’issue de cette enquête, l’absence de suspense ne prive pas le film d’intérêt.

Qu’il fasse l’éloge (funèbre ?) d’une presse écrite condamnée à disparaître face aux médias électroniques et à la tyrannie de l’instantanéité n’importe pas tant que ça… mais ne fait pas de mal non plus.

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Nous trois ou rien ★★★☆

« Nous trois ou rien » c’est « Persepolis » + « L’Arabe du futur ». Soit, sur les traces de Marjane Satrapi et sur celles de Riad Sattouf, l’autobiographie d’une famille qui fuit la dictature pour s’installer en France. À me faire regretter d’être le fils d’un vétérinaire varois qui, du fait de cette filiation bien peu romanesque, n’écrira jamais de best-seller autofictionnel !

Vous imaginez déjà la suite de cette critique : « c’est pas mal… mais ce n’est pas très novateur », asséné avec la morgue du monsieur-je-sais-tout qui a vu tous les films et la moue du cynique que plus rien ne transporte.

Eh bien… vous avez raison… et tort. Il ne serait pas honnête de passer sous silence la principale faiblesse du film de Kheiron : l’antériorité de « Persepolis » qui, sur la forme comme sur le fond, était innovant, authentique, bouleversant. Je manquerais tout autant d’objectivité en omettant les bons sentiments un peu trop sucrés dans lesquels le film s’englue au risque de se noyer dans une ode boursouflée au vivre-ensemble républicain.

Pour autant, celui qui n’aura pas ri et pleuré devant une histoire aussi déchirante que celle des parents de Kheiron, résistants au Shah, dupés par la révolution de Khomeiny, obligés de fuir leur pays pour se réfugier en France. Celui dis-je qui, devant cette histoire racontée avec légèreté et humour, sans jamais verser dans la mièvrerie ni la vulgarité,  n’aura pas fondu de bonheur, celui-là a un cœur de pierre.

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Toto et ses soeurs ★★★☆

Toto est un petit Rom de dix ans. Ses soeurs, Andreea et Ana, en ont quinze et dix-sept. Leur mère est en prison, leur père aux abonnés absents. L’appartement qu’ils occupent est devenu un squat de drogués.

On se croirait dans un drame social. C’est pourtant un documentaire que Alexander Nanau, un réalisateur roumain aujourd’hui installé en Allemagne, est retourné filmer à Bucarest. Pendant quatorze mois, il a suivi cette fratrie abandonnée à elle-même qui évoque les orphelins de « Nobody knows ». L’aînée glisse doucement dans la drogue. La cadette, à quinze ans à peine, remplace la mère absente. Toto révèle des dons étonnants dans un stage de hip-hop. Que la vie puisse lui sourire, alors qu’elle semblait jouée d’avance, est le plus beau des cadeaux que nous offre ce documentaire plein d’espoir.

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