Les Traducteurs ☆☆☆☆

Pour garantir la confidentialité de la sortie du dernier tome d’une trilogie à succès, oeuvre d’un romancier anonyme, l’éditeur Eric Angstrom (Lambert Wilson) réunit dans un bunker coupé du monde neuf personnes chargées de sa traduction.
Malgré ces mesures de sécurité draconiennes, les dix premières pages du roman sont bientôt mises en ligne gratuitement. Le hacker réclame une rançon faramineuse sous la menace de dévoiler le reste du roman. Le coupable se cache nécessairement parmi les neuf traducteurs.

Le pitch des Traducteurs met l’eau à la bouche. On escomptait le même plaisir à ce Cluedo que celui qu’on a pris, il y a quelques semaines, devant À couteaux tirés. Las ! la déception est aussi grande que l’attente était forte.

Rien ne marche. À commencer par l’interprétation grand-guignolesque de Lambert Wilson qui semble, depuis Matrix, condamné à interpréter des rôles de méchants Mérovingiens, grands seigneurs et grandiloquents. Le reste du casting, très cosmopolite, n’est guère plus convaincant. Les neuf acteurs caricaturent les nationalités qu’ils représentent : l’Italien est beau parleur, l’Allemande maniaque de l’ordre et le Grec…. homo. Soupirs. Même la toujours excellente Sidse Babett Knudsen, l’héroïne de Borgen, réussit à mal jouer. [Au passage, on se demande bien pourquoi le roman serait traduit en danois et en grec et pas en arabe, en japonais ou en turc]

L’intérêt d’un whodunit repose sur deux ingrédients : l’épaisseur de l’énigme et la subtilité de sa résolution. Hélas, les deux font défaut. L’énigme se réduit au résumé que j’en ai fait tout à l’heure. Sa résolution qui essaie pathétiquement de multiplier les rebondissements – y inclus une scène d’action sur la ligne 6 du métro dont on apprendra plus tard qu’elle ne servait à rien – défie l’entendement et n’excite jamais l’intelligence.

Une catastrophe pathétique…

La bande-annonce

Notre dame ★★★☆

Maud Crayon (Valérie Donzelli aussi à l’aise devant la caméra que derrière) est une maman solo. Provinciale montée à Paris, elle y a rencontré le père de ses deux enfants, un adulescent immature (Thomas Scimeca). Elle s’en est séparée, tout en continuant à l’accueillir de temps en temps sous son toit et dans son lit. Et elle apprend qu’elle attend de lui un troisième enfant.
Architecte DPLG, elle travaille dans un cabinet dirigé par un patron tyrannique (Samir Guesmi à contre-emploi) mais peut compter sur l’amitié de son collègue (Bouli Lanners lui aussi à contre-emploi dans le rôle d’un employé timide).
Par un incroyable concours de circonstances, Maud Crayon emporte le concours de la ville de Paris pour la réhabilitation du parvis de Notre-Dame. Un journaliste (Pierre Deladonchamps charmant et charmeur) va l’aider à affronter les médias qui bientôt se déchaînent contre son projet disruptif.

On adore Valérie Donzelli, son charme, son humour parfois loufoque, parfois fantastique, la délicatesse très contemporaine du regard qu’elle porte sur les gens et les choses. C’est un acte de foi qu’il faut poser au début du film, une condition sine qua non à sa réception. Mais c’est une condition qui n’est pas si difficile à réunir : on voit mal comment on pourrait ne pas adorer Valérie Donzelli.

Valérie Donzelli a creusé un sillon bien à elle dans le cinéma français. Elle a commencé sa carrière comme actrice sous la direction de Gilles Marchand, d’Anne Fontaine ou de Guillaume Nicloux, avant de réaliser des films auto-fictionnels. La Reine des pommes racontait les chagrins d’amour d’une trentenaire. La guerre est déclarée, sans doute l’un des meilleurs films français de la décennie, le combat d’un jeune couple contre la leucémie de leur enfant. Main dans la main l’amour fusionnel entre un miroitier de province et la directrice de l’école de danse de l’Opéra Garnier. À chaque fois le rôle masculin principal des films de Valérie Donzelli était interprété par Jérémie Elkaïm, son compagnon à la ville et le père de ses deux enfants dont elle s’est depuis séparée.

Après l’échec injuste de Marguerite & Julien, Valérie Donzelli revient devant la caméra et tourne sans Jérémie Elkaïm – même si le rôle interprété par Thomas Scimema et son phrasé dans la dernière scène rappellent inexorablement le grand absent parti refaire sa vie avec Anaïs Demoustier.
Valérie Donzelli réalise une comédie incroyablement attachante, qui louche du côté de la BD, mettant en scène le Paris d’avant l’incendie de Notre-Dame. Les relations humaines n’y sont pas toujours bienveillantes (les claques cinglent, les jurons fusent) ; mais la ville est belle.
L’héroïne célibattante inspirera à tous les spectateurs une immédiate sympathie : elle ploie sous la même charge mentale qui nous écrase tous mais sait la gérer avec la désinvolture gracieuse des vraies Parisiennes au cœur d’artichaut.

Et puis, surtout, Notre dame est drôle. Très drôle. On n’avait plus autant ri devant la scène de présentation du projet architectural de Maud Crayon et les réactions outragées qu’il suscitera le lendemain dans la presse.

Notre dame est si attachant qu’on en excuse les erreurs. C’est que Valérie Donzelli s’essaie à tous les genres avec un inégal succès : présentation 3D, film muet à cartons, comédie musicale… Tout ne fonctionne pas. Mais, on l’aura compris à la lecture de cette critique partiale et subjective, tout lui est pardonné.

La bande-annonce

Une vie cachée ☆☆☆☆/★★★★

Un conscrit autrichien, Franz Jägerstätter fut décapité  pendant la Seconde guerre mondiale pour avoir refusé de prêter allégeance au Führer.

Le dernier film de Terrence Malick – comme d’ailleurs ses précédents – ne saurait laisser indifférent. Il suscitera la fascination ou la répulsion.

Dans la première hypothèse, on se laissera hypnotiser par une œuvre radicale, puissante, écrasante portée par une caméra tourbillonnante, une musique élégiaque et une interprétation inspirée. On sera ému jusqu’à l’âme par le dilemme qui se pose à Frantz : transiger ou pas, sauver sa peau ou mourir pour ses principes. On sortira durablement bouleversé de la salle, traumatisé par la dernière demie heure d’un film qui, comme peu d’autres, nous aura fait ressentir la peur de la mort et le courage inhumain qu’il faut pour l’affronter.

Dans la seconde, on aura trouvé le temps effroyablement long. Près de trois heures pour raconter une histoire qui se résume en une phrase. Terrence Malick ne cherche d’ailleurs pas d’échappatoire : il n’enrichira sa trame d’aucun artifice, d’aucune histoire secondaire qui lui donnerait plus de chair.
Au surplus, il a une façon de monter ses scènes qui leur donne un tempo incroyablement rapide. Il refuse la banalité du champ-contrechamp, filmant chaque scène comme on le ferait dans un clip vidéo, avec une musique envahissante et des ellipses qui en rendent parfois la compréhension difficile et empêchent l’émotion de s’installer. Ainsi, paradoxalement, ce film trop long est couturé de scènes trop courtes (ainsi de la confrontation entre Franz et le président du tribunal militaire qui le juge, interprété par un Bruno Ganz mourant qui allait décéder quelques semaines plus tard).
Les tics qui caractérisent son cinéma deviennent vite envahissants : ses travelings interminables sur des champs de blé, cette voix off susurrante semblable à celle d’un prêtre donnant l’absolution, ces tableaux de famille censés incarner la félicité domestique où immanquablement on voit les enfants gambader dans les prés et les parents rouler dans les foins comme s’ils avaient seize ans. Et, last but not least, ce mélange babélien de dialogues anglais et allemands (pourquoi diable faire parler anglais des personnages autrichiens), les seconds n’étant pas traduits, soit que le budget ait manqué pour le faire, soit que le réalisateur ait voulu ainsi souligner l’incommunicabilité de cette langue.

On l’aura compris au déséquilibre entre les deux points de vue qui précèdent : je suis sorti passablement excédé de la salle avec l’impression d’y avoir perdu mon temps et de m’être laissé enfumer par un escroc. Mais, les critiques dithyrambiques que je lis, la vénération admirative dans laquelle on tient Terrence Malick m’empêchent de défendre mon opinion sans l’accompagner d’un instant de doute. Que vous ayez déjà vu d’autres films de Terrence Malick ou pas, faites vous votre opinion. Allez voir Une vie cachée : vous adorerez… ou pas.

La bande-annonce

The Irishman ★☆☆☆

Frank Sheeran (1920-2003) a raconté sa vie dans un livre intitulé « J’ai tué Jimmy Hoffa » dans lequel il revendique l’assassinat en 1975 du chef des Teamsters américains. Le titre original de ces mémoires est moins tonitruant : « I Heard You Paint Houses ». Tels auraient été les premiers mots adressés par Hoffa à Sheeran. Il s’agissait moins de saluer ses talents de peintre en bâtiment que d’évoquer à demi mots sa profession de tueur à gages, l’expression renvoyant au sang de ses victimes giclant sur les murs des maisons où elles étaient exécutées.

Un Irlandais devenu italien. Le sujet est posé. Il est de ceux que Scorsese affectionne, qui constitua déjà la toile de fond de quelques uns de ses plus grands films : Les Affranchis, Casino, Les Infiltrés. Il opte pour un titre différent de celui, trop elliptique, du livre qu’il adapte : ce sera The Irishman, qui donne la vedette à Robert De Niro, son acteur fétiche, même s’il partage l’affiche  avec deux autres acteurs d’anthologie, Al Pacino (qui n’avait jamais tourné avec Scorsese) et Joe Pesci (un fidèle de la première heure), sans oublier Harvey Keitel qui tenait un rôle dans le tout premier film de Scorsese tourné en….1967.

Petits meurtres entre amis. Autant dire qu’on est entre vieilles connaissances septuagénaires. Autant dire que The Irishman a des airs intemporels de testament. Martin Scorsese aurait pu signer le même film, avec les mêmes personnages, le même scénario, il y a vingt ou trente ans, à l’époque glorieuse des Affranchis ou de Casino – qui, lui, comptait une figure féminine (ah ! Sharon Stone !) dont hélas The Irishman est dépourvu.

Le maestro prend son temps. The Irishman dure plus de trois heures et avance à un rythme de corbillard. Scorsese veut bien qu’on l’enterre ; mais la cérémonie se fera au tempo qu’il aura décidé ; et le tempo n’est pas prestissimo. Du coup, on s’ennuie un peu. La première heure est languissante, qui met en place un procédé qui mélange trois temporalités (les confessions de Sheeran racontées en flashback depuis une maison de retraite, une virée automobile en 1975 des couples Sheeran et Buffalino, la vie proprement dite de Sheeran depuis la fin de la Seconde guerre mondiale), dont on peine à comprendre l’architecture. Tout s’accélère avec l’entrée en scène de Jimmy Hoffa, campé par un Al Pacino toujours aussi ébouriffant, quels que soient les toupets qui le coiffent.

Martin Scorsese fait des infidélités aux salles obscures en sortant son film sur Netflix. Le procédé, venant d’un des monstres sacrés du septième art, peut surprendre. Scorsese sur Netflix ? Et puis quoi encore ? Gracq publié en poche ? Chostakovitch en replay sur NRJ ? Soulages exposé aux Quatre Temps ?
Le problème de cette modalité de diffusion est qu’elle m’a privé du recueillement et de la concentration que la salle impose. Devant un (petit) écran d’ordinateur, distrait par toutes les sollicitations de la vie quotidienne, je ne me suis pas plongé dans le film. J’en ai saucissonné le visionnage en trois épisodes. J’ai du coup eu l’impression de regarder une mauvaise mini-série. L’aurais je vu en salle trois heures de rang, je me serais peut-être forgé une toute autre opinion.

La bande-annonce

Le Dindon ☆☆☆☆

Pontagnac (Guillaume Galienne), dragueur invétéré, harcèle Victoire (Alice Pol), une jolie interprète à l’Unesco. Il la poursuit jusqu’à son domicile où il découvre qu’elle est l’épouse de Vatelin (Danny Boom), un vieil ami du Racing. Son embarras grandit encore quand arrive son épouse (Laure Calamy), qui questionne à bon droit la fidélité de son époux.
Victoire a un autre soupirant, Ernest Rédiop (Ahmed Sylla), le fils d’un premier ministre centrafricain (sic). Mais sa vertu est sans tâche. Elle n’acceptera de tromper son mari qu’à condition d’avoir la preuve que celui-ci la trompe. C’est le moment que choisit Suzy Wayne, une Américaine avec qui Vatelin a eu une aventure d’un soir, pour débarquer à Paris accompagnée de son Yankee de mari.

Le Dindon de Georges Feydeau a été représenté pour la première fois le 8 février 1896 au Théâtre du Palais-Royal (merci Wikipedia). C’est une des pièces les plus jouées du répertoire français contemporain. Elle a été adaptée plusieurs fois au cinéma : en 1913, en 1951, en 1986.

Quelle mouche a donc piqué Jalil Lespert de l’adapter aujourd’hui, dans une version qui en respecte, à la virgule près, le texte ? On connaissait le réalisateur, qui avait signé Yves Saint-Laurent en 2016, plus inspiré.
Seule innovation : l’action se déroule dans le Paris du début des 60ies que Pontagnac, aux trousses de Victoire, traverse dans une introduction joyeusement polychrome.

Las ! si cette première scène augure bien de la suite, le reste du film n’est pas à l’avenant. Malgré le soin porté aux décors et aux costumes, malgré la qualité des acteurs, choisis parmi les plus bankables du moment, on a l’impression de se retrouver au Théâtre ce soir – cette retransmission télévisée hebdomadaire qui n’éveillera guère d’écho parmi les moins de cinquante ans (« les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell »).

Tout sent l’antimite dans ce vaudeville recuit, aux quiproquos pas drôles, au sexisme d’un autre âge. Les hommes sont des lâches et des queutards incapables de fidélité, les femmes des gourdes superficielles qui ne mettent jamais en œuvre leurs menaces de vengeance. Quelques réparties font mouche (« les maris des femmes qui nous plaisent sont toujours des imbéciles ») ; mais inutile d’aller voir cette purge : elles sont dans la bande-annonce.

La bande-annonce

Jeanne ☆☆☆☆

Il y a deux façons de recevoir le dernier film de Bruno Dumont. La première est de crier au génie. La seconde à l’imposture.

J’ai vu le film il y a trois jours et, dérogeant aux règles que je m’impose, ne suis pas arrivé à en faire la critique immédiatement. J’hésitais, j’oscillais, j’atermoyais… Je lui a mis successivement quatre étoiles (je criais au génie). Puis zéro (je criais à l’imposture). J’ai même failli renoncer à en parler – ce qui en aurait fait un cas unique depuis le 6 janvier 2016, ayant systématiquement depuis cette date historique chroniqué tous les films, hollywoodiens ou moldo-slovaques que je vois.

Bruno Dumont est un réalisateur intrigant. Je l’ai découvert avec La Vie de Jésus et L’Humanité, ses premiers films, à la fin des années quatre-vingt-dix, tournés dans ce Nord dont il est originaire, filmant une réalité sociale au scalpel. Puis lentement, Dumont m’a perdu. Son cinéma a pris avec Hors Satan et Camille Claudel 1915 un tour de plus en plus élégiaque. Le mysticisme dans lequel baignaient ses œuvres m’impressionnait autant qu’il me rebutait. « Pas mon kiff » comme le disent les jeunes d’aujourd’hui. Le divorce était consommé avec Ma Loute dont les bouffonneries outrées ont achevé de m’en détourner.

Vaguement masochiste, je suis allé voir Jeanne. J’étais curieux de découvrir ce que Dumont ferait de cette figure iconique qui a tant inspiré le cinéma de Georges Méliès à Luc Besson, tour à tour vierge sacrificielle, résistante nationale ou ado punk. J’avais raté Jeannette, sorti deux ans plus tôt, mal distribué et quasi invisible.

Dès les premières minutes, le décor est planté.
C’est bien simple : il n’y en a pas ! Le siège de Paris est filmé… sur une dune du nord de la France. C’est dans le même décor, dans un bunker allemand (sic), qu’on retrouvera deux heures plus tard la Pucelle emprisonnée avant son exécution. Entre les deux, son procès sera filmé, à rebours de toute crédibilité historique, dans la majestueuse cathédrale d’Amiens.

S’agit-il, comme on l’a déjà vu avec Roméo et Juliette ou Richard III d’une transposition à l’époque moderne d’un sujet dont on souligne de la sorte l’actualité ? Pas du tout. Dumont ne se revendique d’aucune modernité. Au contraire. On a l’impression que le décor a été choisi faute de mieux, parce que la production n’avait pas les moyens de reconstituer la place du marché de Rouen.

Dans ce décor incongru, les acteurs jouent. Mais s’agit-il vraiment d’acteurs ? Jouent-ils ? Bruno Dumont utilise des amateurs – et on se demande bien ce que Fabrice Lucchini (né en 1951) vient faire dans le rôle du roi de France Charles VII censé avoir vingt-six ans lors de sa dernière rencontre avec Jeanne d’Arc après son sacre à Reims.
Dans le rôle de la Pucelle, Bruno Dumont a choisi une gamine de dix ans. La jeune Lise Leplat Prudhomme est filmée en longs plans fixes, souvent en contre-plongée – pour la rapetisser ou pour suggérer qu’elle dialogue avec les cieux ? Elle n’affiche qu’une seule expression : le refus irréductible de plier devant ses interrogateurs. À force de répéter « cela ne vous regarde pas », elle nous fait passer l’envie de la regarder.
L’acteur qui interprète Gilles de Rais – entré dans la légende pour les crimes raffinés dont il s’est rendu coupable – n’est guère plus âgé.

La direction d’acteurs laisse perplexe. Elle vise en général à améliorer le jeu des comédiens, à le rendre plus naturel. Celle de Bruno Dumont semble-t-il vise le contraire : les rendre le plus ampoulé, le plus artificiel possible. Dans quel but ?

Et il y a Christophe. Oui. Christophe. Le chanteur septuagénaire dont le dernier tube remonte à 1967. Il interprète le rôle d’un moine encapuchonné dont les chansons illustrent pachydermiquement l’action qui se déroule. Mon amie Caroline Vié dans 20 minutes évoque un « soupir de surprise charmée » au moment de son apparition. Moins bienveillant qu’elle, j’ai surtout entendu dans la salle des ricanements sardoniques.

Je lis dans les Cahiers du cinéma que Bruno Dumont manie une « langue étrangère inouïe à l’intérieur du cinéma français ». Inouïe ou inaudible ?

La bande-annonce

Cinquante nuances plus claires ☆☆☆☆

Après bien des aventures, revoici Anastasia et Christian Grey pour le troisième tome de leurs aventures. Pour qui l’ignorerait, ils se sont mariés à la fin du deuxième et nagent désormais en pleine félicité.
Double gageure pour E.L. James, l’auteure des romans dont la saga est inspirée : quels jeux érotiques inventer pour de jeunes mariés ? quels rebondissements dans la vie sans histoire d’un couple heureux ?

La réponse est simple : aucun. Ce qui frappe le plus dans ce film est sa paresse. Le troisième volet se contente de reproduire, en plus fade, les recettes des deux premiers : trois ou quatre scènes de BDSM suffisamment pimentées pour faire rougir quelques  adolescentes et leurs boyfriends un soir de Saint-Valentin mais suffisamment chastes pour ne pas encourir une classification NC-17 aux États-Unis (on voit les seins d’Anastasia et les pectoraux de Christian mais leurs zones génitales sont pudiquement couvertes), un scénario qui ne démarre jamais tout à fait et qui, faute d’avoir une seule idée originale, reconvoque Jack Hyde, l’ancien patron d’Anastasia.

« C’est Cendrillon qui chouine dans sa guêpière » (copyright Mélanie Benoist). Du coup, Cinquante nuances plus claires se réduit à un long vidéo clip : des images léchées (si on ose dire) sur une musique à la mode. On y voit longuement le voyage de noces du couple glamour et milliardaire en France (so romantic !), leur retour à Seattle où ils ont des occupations de milliardaire : rouler dans des bolides, acheter des demeures fastueuses. Et puis … c’est tout.

On ne sait ce qu’il faut le plus regretter : que ce mom porn (film porno pour mères de famille) ait tant de succès, qu’il donne à penser aux plus jeunes que le BDSM est le mode normal d’une relation amoureuse (oui ! je sais ! je suis un vieux ringard rétrograde) … ou qu’un quatrième volet soit en cours de réalisation.

La bande-annonce

Jessica Forever ☆☆☆☆

Jessica (Aomi Muyock révélée par Love de Gaspar Noé) est une grande prêtresse, une chevalière des temps modernes, une grande sœur et une maman asexuée pour une bande d’une dizaine d’orphelins, des jeunes gens sans feu ni lieu, coupables d’avoir commis des crimes qui leur valent d’être poursuivis par de mystérieuses « forces spéciales ».

Les jeunes réalisateurs Caroline Poggi et Jonathan Vinel creusent un sillon bien à eux : celui d’un cinéma ultra-formaliste, stylisé, qui louche du côté du jeu vidéo, de l’heroic fantasy et de la science-fiction au risque de tourner de l’œil. Ils avaient déjà réalisé l’un des trois courts-métrages d’Ultra Rêve, véritable manifeste anti-naturaliste du jeune cinéma français.

Il y a deux façons d’accueillir Jessica Forever.
La première est de se laisser gagner par son romantisme intégral, sa poésie, sa beauté formelle, son refus des concessions.
La seconde est, une fois assouvie la curiosité que sa bande-annonce avait suscitée, de s’ennuyer ferme devant autant d’artificialité, de naïf lyrisme et de pompeuse solennité… et de quitter la salle comme l’a fait l’unique autre spectateur présent avec moi.

La bande-annonce

Greta ☆☆☆☆

Frances McCullen (Chloé Grace Moretz) se remet douloureusement de la mort de sa mère. Elle partage un loft luxueux à Tribeca avec une amie (Maika Monroe). Dans le métro, elle trouve un sac à main. Bonne fille, elle se rend au domicile de son propriétaire, Greta Hideg (Isabelle Huppert), une veuve esseulée et affable. Les deux femmes se lient bientôt d’amitié. Mais l’attitude de Greta devient vite inquiétante.

Neil Jordan fait partie de ces réalisateurs qui ont construit leur carrière à cheval sur les deux rives de l’Atlantique à l’instar de Stephen Frears, Paul Greengrass ou Danny Boyle. Ses meilleurs films remontent aux années quatre-vingt-dix : Entretien avec un vampire, The Crying Game, Michael Collins… On se demande bien pourquoi Metropolitan est allé le chercher pour diriger ce film, sinon que ses ingrédients recyclent un cinéma qu’on pensait définitivement démodé.

Car Greta n’innove pas. Comme l’annonce son affiche, son histoire oppose deux figures de femmes : d’un côté la jeune et fraîche Chloé Grace Moretz (la plus petite bouche du cinéma américain), de l’autre la froide et vénéneuse Isabelle Huppert – qu’il aurait été discourtois de qualifier de vieille et défraîchie.

La formule est bien rodée. Elle s’articule en trois temps. 1. La proie repère sa victime, endort sa vigilance et gagne sa sympathie. 2. Quand la victime réalise les intentions de la proie, il est trop tard. Elle se retrouve prise au piège 3. La victime, moins innocente et moins fragile qu’on ne l’aurait augurer, réussit à victorieusement échapper à sa proie en retournant la violence qu’elle a subie et en châtiant son tortionnaire.
Des films construits sur ce modèle, on en a vu treize à la douzaine, des excellents et des plus médiocres : Eve, La Valse des pantins, Liaison fatale, Misery, JF partagerait appartement, Persécution

Le problème de Greta est son défaut de construction. La première partie est trop vite expédiée. Elle n’est pas la plus spectaculaire ; mais elle aurait pu être la plus angoissante. Un hasard de circonstances – que révèle allègrement la bande-annonce – fait basculer Greta dans sa deuxième partie autrement plus convenue : c’est l’histoire, plus irritante qu’excitante, d’un harcèlement de plus en plus violent qui se conclut par la victoire – temporaire – de l’harceleuse sur l’harcelée. Car hélas vient la troisième partie. Comme si Hollywood n’avait pas le courage de refuser les happy end. Ce paradigme étant posé, la certitude que l’innocente héroïne s’en sortira, qu’on ait lu ou pas les lignes qui précèdent, on reste insensible à la tension du film et à ses rebondissements cousus de fil blanc.

Reste la prestation particulièrement embarrassante d’Isabelle Huppert dont on se demande ce qu’elle est allée faire dans cette galère.

La bande-annonce

Permanent Green Light ☆☆☆☆

Roman (Benjamin Sulpice) est hanté par une obsession : se faire exploser. Son geste n’a aucune dimension politique. Il n’entend pas commettre un attentat ni mettre la vie de quiconque en danger. Il veut simplement s’effacer. Il met plusieurs de ses amis dans la confidence.

Permanent Green Light est un film à quatre mains cosigné par le plasticien français Zac Farley et le romancier américain Dennis Cooper. Né en 1953, Cooper est l’auteur d’une œuvre romanesque, dramaturgique et poétique au parfum de scandale. Son blog et son compte GMail avaient été suspendus en 2016 par Google en raison de son contenu avant d’être rétablis deux mois plus tard suite à la campagne de presse qu’avait provoquée cette décision.

Permanent Green Light porte un discours très ambigu sur le suicide. Sans doute n’encourt-il pas les foudres de l’article 223-13 du code pénal qui criminalise l’incitation au suicide. Mais il s’en approche dangereusement. Il donne à voir successivement trois suicides : par pendaison, par défenestration, par explosion. Il ne met en scène aucun adulte – sinon deux parents éplorés par la mort de leur enfant – susceptible d’offrir une référence à ces adolescents déboussolés. Il n’offre aucun contrepoint aux pulsions mortifères de Roman.

Permanent Green Light est un film perturbant. Présenté l’an passé sous la forme d’un moyen métrage de cinquante-huit minutes, il sort cette année en salles lesté de trente minutes supplémentaires qui ne lui apportent rien. C’est un pensum interminable qui met en scène des adolescents catatoniques et passifs. La direction d’acteurs est calamiteuse. Le scénario souffre d’un vice insurmontable : au lieu de se concentrer sur le seul Roman, il suit la route de ses camarades au point qu’on ne comprend bientôt plus qui est qui.

La bande-annonce