Un beau soleil intérieur ☆☆☆☆

Isabelle (Juliette Binoche), la cinquantaine, peint et se cherche. Elle a un amant régulier (Xavier Beauvois) qui ne la satisfait pas, des vues sur un bel acteur de théâtre (Nicolas Duvauchelle) qui tarde à se déclarer, un ex-mari (Laurent Grévill) qui revient de temps en temps dans son lit et dont elle suspecte qu’il ait eu une liaison avec la galeriste qui l’expose (Josiane Balasko), une liaison avec un bel inconnu rencontré sur une piste de danse (Paul Blain). Comme le lui dira un radiesthésiste (Gérard Depardieu), fin psychologue, mais médiocre médium, Isabelle cache « un beau soleil intérieur ».

Les cinquantenaires ont la côte. Le cinéma français aime décrire leurs tourments. Après Isabelle Huppert (L’Avenir), Agnès Jaoui (Aurore), Ariane Ascaride (Le Fil d’Ariane) et Valérie Lemercier (Marie-Francine), c’est au tour de Juliette Binoche, née en 1964, d’endosser le perfecto et de chausser les cuissardes de la célibattante trop jeune pour baisser le pavillon, mais trop vieille pour virevolter d’un amant à l’autre.

Cinéaste chevronnée, la réalisatrice de Beau travail, Vendredi Soir et White Material rate son passage à la comédie.

La faute à un scénario sans queue ni tête, vaguement inspiré des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Juliette Binoche passe, à son corps/cœur défendant, d’un amant à l’autre sans solution de continuité. Le film est une succession de rencontres. Il aurait pu y en avoir trois de plus. Ou deux de moins. Très vite l’ennui s’installe.

La faute à un chef opérateur qui alterne, avec une rare maladresse les plans américains et les (très) gros plans lorsque la réalisatrice veut souligner l’intimité des âmes, au risque de zoomer sur les comédons des acteurs.

La faute enfin et surtout à des personnages inconsistants, indécis et veules. On me dira qu’ainsi est la vie. Je répondrai que le cinéma pourrait nourrir de plus hautes ambitions que de filmer platement la vie. On retrouve la marque de Christine Angot – qui a co-écrit le scénario avec Claire Denis – dont je n’ai jamais aimé les romans violents et égocentriques à l’exception notable du tout dernier. Les contradictions de Juliette, loin de la rendre touchante, sont vite horripilantes. Un exemple : à l’occasion d’un festival artistique dans le Limousin, elle se révolte soudainement contre les lieux communs que ses amis artistes échangent, finit la nuit avec un local rencontré en boîte… mais rompt avec lui après que l’un de ses amis lui reproche de ne pas être du même milieu qu’elle.

La bande-annonce

Blade Runner 2049 ★☆☆☆

Comme Deckhart (Harrisson Ford) trente ans plus tôt, K (Ryan Gosling) est un « blade runner ». Sa tâche : retrouver les « replicants », des robots humanoïdes , et éliminer ceux qui sont entrés en rébellion contre les humains. À l’occasion d’une de ses missions, K fait une découverte bouleversante qui remet en cause la ligne de démarcation entre l’humain et la machine.

Depuis que la rumeur avait grossi qu’une suite à Blade Runner était en préparation, j’attendais avec impatience cette échéance. Je me suis rué dans les salles le jour même de sa sortie – en compagnie de quelques milliers d’aficionados aussi masculins, solitaires et quadragénaires que moi, me réjouissant par avance de ce que j’escomptais être le second meilleur film de l’année 2017 après La La Land bien entendu.

Je suis tombé de haut. De l’armoire. Que dis-je ? du gratte-ciel !

Certes, il y avait de quoi être intimidé par l’un des plus films les plus iconique de l’histoire du cinéma. Au point de se demander quel sens il y avait à lui donner une suite. Je ne sache pas qu’on ait jamais tourné 2002 Odyssée de l’espace ou Rencontres du quatrième type. Alors à quoi bon réaliser Blade Runner 2 – sinon pour décevoir les irréductibles fans de mon espèce ? Car de deux choses l’une : soit la suite est infidèle à l’original et nous crierons à la trahison, soit elle la recopie et on l’accusera de bégayer.

C’est dans ce second travers que tombe Blade Runner 2049. À force de se frotter à son modèle indépassable, Blade Runner 2049 s’écroule sur lui-même. Comme un trou noir qui implose.
Prenons par exemple les décors. On se souvient tous de la Los Angeles polluée, pluvieuse, polyglotte qui servait de cadre au film de 1982. Denis Villeneuve le recopie à l’identique. Pire : il l’enlaidit – là où on aurait pu escompter que les progrès des techniques en trente ans auraient permis  des effets autrement saisissants.

Les personnages ? Ryan Gosling fait du Harrison Ford Canada Dry. Je ne dirai jamais de mal du héros de La La Land. Mais s’il continue à afficher un masque mutique totalement dénué d’expression (parce qu’il joue le rôle d’un robot ?), je risque de réviser mon jugement. Et ce n’est pas l’apparition du grand Harrison – qui, dans un Marcel informe affiche désormais un bidon de septuagénaire – qui donnera à Blade Runner 2049 un peu de piment. Heureusement qu’il y a les femmes : Robin Wright (qui ressemble énormément à Claire Underwood), Ana de Armas, belle comme un cœur, et Sylvia Hoeks qui suscitera les mêmes fantasmes fétichistes que ceux qu’avaient déjà provoqués les héroïnes androïdes et latexées de Terminator 3 ou Catwoman.

Quant à l’intrigue, qu’en dire sinon qu’elle se traîne interminablement durant près de trois heures (oui TROIS heures !!!!!). Heureusement, le générique dure dix bonnes minutes, réduisant d’autant cet exténuant pensum. L’absence de rythme est effarante, à une époque où la production cinématographique et télévisuelle a atteint une telle sophistication, une telle énergie. Comme si Denis Villeneuve s’était fait un devoir de ralentir le tempo pour plonger les spectateurs dans une apathie maussade dont ils sont périodiquement réveillés par une musique aussi assourdissante qu’irritante. Et la philosophie qui l’inspire – « les robots, eux aussi, ont un cœur » – nous surprend autant qu’une laitue défraichie en solde chez Carrefour Market.

La bande-annonce

Mother! ★☆☆☆

Jennifer Lawrence habite une belle maison à la campagne qu’elle a amoureusement rénovée. Son compagnon, interprété par Javier Bardem, est un écrivain célèbre en panne d’inspiration.

Mother! commence par deux images dont on comprendra à la fin du film qu’elles en sont la clé d’explication. Mais Mother! n’est pas – hélas – construit autour d’un suspense qui se dénouerait par un twist final.

Plus classiquement, Mother! est l’histoire d’une femme qui sombre dans la folie. Encore y a-t-il un doute sur cette présentation. Car, comme souvent dans les films qui ont le désordre mental comme thème, on se demande un instant si c’est Jennifer Lawrence qui devient folle ou si c’est son univers qui s’écroule.

Pendant la première moitié du film, l’ambiguïté demeure. C’est l’occasion pour les vétérans Ed Harris et Michelle Pfeiffer de deux apparitions impérissables. Mais la seconde moitié se perd dans une accumulation d’effets de plus en plus risibles. Jusqu’à un dénouement grand guignolesque qui plonge l’auditoire dans un silence gêné, hésitant entre le spasme d’horreur et l’éclat de rire.

C’est un gâchis terrible. Car le film du génial Darren Aronofsky (l’auteur de Pi et de Requiem for a Dream) présentait deux atouts de poids. Jennifer Lawrence, qui reste parfaite de bout en bout, d’une remarquable dignité dans le naufrage du film. Et une caméra et un son (il faut absolument voir Mother! en Dolby stereo) virtuoses qui la suivent dans chaque pièce de cette maison labyrinthique qui se transforme au gré de ses humeurs.

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Voyage of Time ☆☆☆☆

« Le passé, le présent, le futur ». Rien de moins…

Terrence Malick voit grand. Trop peut-être. Voyage of Time que les producteurs français ont sous-titré, pour des motifs qui m’échappent, Au fil de la vie a l’ambition insensée de raconter l’histoire du monde depuis sa création. Docu écolo pour Disney Channel ? Pas vraiment. Terrence Malick ne s’abaisse pas à faire œuvre de pédagogue. On n’apprendra rien avec Voyage of Time : rien sur l’histoire de la Terre, son passé, son présent et encore moins son futur.

Car, hélas, Terrence Malick vise plus haut. Il veut réaliser un hymne beethovénien à la vie, une œuvre à la saisissante beauté et au puissant message panthéiste. Des images à la beauté confondante, une musique symphonique envahissante, la voix éthérée de Cate Blanchett (ou celle de Brad Pitt dans la version IMAX) qui ânonne des commentaires aussi creux que vains (« After all those years, what does that mean to be us? »).

Comme une mouche devant une lampe à lave, on peut lentement se laisser hypnotiser. On peut aussi s’endormir. Alternativement, on peut se foutre en rogne. Ou encore aller voir un autre film.

D’ailleurs les distributeurs ont opté sur une stratégie de diffusion insolite. Le film a été diffusé en « séance unique » le jeudi 4 mai à 20 heures. Il ne faut jamais dire jamais : la séance soi-disant unique a été dupliquée le jeudi 29 juin (voir l’affiche ci-contre). Pourquoi un tel choix ? Mystère…

La bande-annonce

Mad Max: Fury Road ★☆☆☆

Après Mad Max (1979), Mad Max II – le défi (1981) et Mad Max – Au delà du dôme du tonnerre (1985), il a fallu attendre trente ans la sortie de Mad Max: Fury Road.
Dit autrement : les trois quarts de l’audience juvénile de la salle où j’étais allé le voir en 2015 n’étaient pas nés à la sortie des premiers épisodes !
Si les vrombissements post-apocalyptiques des bolides customisés et le perfecto de Mel Gibson ont bercé mon enfance, sur quel ressort cet opus tardif joue-t-il chez un public nourri entretemps de mille autres références ?

Deux longues heures ne m’auront pas donné la réponse à cette question.
George Miller nous livre un spectacle visuel gratuit.
Gratuit ? pas tant que ça. Le moindre plan est si sophistiqué qu’il a probablement coûté à lui seul le PIB du Swaziland.

La bande-annonce

Les Fantômes d’Ismaël ★☆☆☆

Ismaël Vuillard (Mathieu Amalric) est un réalisateur installé. Il écrit un film dont le rôle principal, celui d’un jeune diplomate, se nomme Ivan Dédalus (Louis Garrel). Il fut marié à Carlotta Bloom (Marion Cotillard) qui disparut de sa vie. Il parvient difficilement à l’oublier en nouant une liaison avec Sylvia (Charlotte Birkin). Jusqu’au jour où Carlotta réapparaît…

Arnaud Despelchin est de retour. Avec Mathieu Amalric, son acteur fétiche (ils ont tourné huit films ensemble), son double de cinéma (Ismaël est un réalisateur égocentrique dévoré par le doute). Son film a fait l’ouverture du festival de Cannes. C’est dire l’importance de Desplechin dans le cinéma français contemporain.

Pourtant je n’aime pas son cinéma. J’ai vu tous ses films, attiré par la richesse de ses thèmes et une critique élogieuse. Depuis La Vie des morts en 1991 – dont le scénario sera repris à l’identique dix-sept ans plus tard dans Un conte de Noël – et La Sentinelle – qui racontait déjà les premiers plats d’un diplomate. J’en admire la cohérence. Mais j’en déplore le narcissisme.

Car de film en film, Desplechin ressasse les mêmes obsessions : l’enfance roubaisienne, la femme, mise sur un piédestal et méprisée pour son inconstance dans le même mouvement, la famille qui protège et qui étouffe, une lecture paranoïaque du métier de diplomate, les allusions à une obsédante judéité, les références révérencieuses à Joyce … Chacun de ses thèmes a tour à tour été développé dans chacun de ses films. Les Fantômes d’Ismaël est un film somme qui les convoque tous. En fait un film gloubiboulga qui les mélange tous au point d’y perdre le spectateur.

Le cinéma n’est pas une opération cathartique qui permet à un réalisateur de faire l’économie d’une cure psychanalytique.

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Free Fire ☆☆☆☆

Boston 1978. Dans une usine désaffectée, des trafiquants d’armes ont rendez-vous avec des combattants de l’IRA. Mais rien ne se passe comme prévu. Et le rendez-vous tourne vite au jeu de massacre.

Unité de temps, de lieu et d’action. Sur le papier, le scénario de Ben Wheatley a tout pour mettre l’eau à la bouche. Une fusillade en règle dans un lieu clos entre un nombre limité de protagonistes. On pense évidemment à Reservoir Dogs qui révéla le jeune Quentin Tarantino.

Sauf que ce bien-nommé Free Fire (« Feu à volonté » n’aurait pas été une mauvaise traduction) est un naufrage absolu.
Le premier tiers du film est attachant pendant lequel se mettent en place les personnages. On voit entrer en scène l’un après l’autre chacun de ces pieds nickelés : truands patibulaires, hommes de main décérébrés, combattants irlandais ténébreux, dandy à la fine gâchette, sans oublier la seule femme (Brie Larson) qui leste l’assemblée d’une impalpable tension érotique.

Mais dès que les premiers coups de pistolet éclatent, tout se délite. Pendant plus d’une heure, douze zozos se tirent dessus. Le problème est que ces tirs sont illisibles. On a oublié qui est avec qui, on ne comprend pas qui tire sur qui, on ne note pas qui est blessé, qui est indemne. Filmer une fusillade est un vrai défi de mise en scène. Ben Wheatley ne l’a pas compris qui ne fait aucun effort pour rendre compréhensibles des échanges de coups de feu dont le spectateur au bout de quelques minutes finit par se lasser. Même un des protagonistes en fait le comique aveu : « J’ai oublié de quel côté je suis ! »

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Churchill ☆☆☆☆

À la veille de déclencher l’opération Overlord en Normandie, Churchill hésite. Responsable en 1915 du désastre de Gallipoli en Turquie, il ne veut pas une seconde fois être responsable d’une boucherie.

Comme son titre ne l’indique pas, Churchill n’est pas un biopic. Il ne s’agit pas ici d’englober dans toute sa richesse, l’histoire du plus grand homme d’État britannique que le vingtième ait connu mais – comme le faisait avec autrement plus de talent Jackie sur la veuve de John Kennedy – de raconter quarante huit heures de sa vie : les quarante-huit heures qui précédèrent le débarquement en Normandie.

Churchill est lesté de tellement de défauts que les épingler l’un après l’autre confine au jeu de massacre.

Le moindre n’est pas son académisme. Churchill se veut un film en costumes. Hélas, il ne quitte guère les sous-sols du 10, Downing Street sinon pour quelques échappées en bord de mer – bizarrement filmées sur le littoral écossais.
Brian Cox, un des plus grands acteurs shakespeariens vivants, y cabotine à loisir. Comme si son personnage s’y résumait, il ne cesse de tirer sur son cigare – au point qu’on se demande si l’équipe technique a dû filmer avec un masque à gaz pour se protéger de ses volutes.

Mais plus fondamentalement, Churchill repose sur un grave défaut de structure. Toute l’intrigue est construite autour d’un faux suspense. Le débarquement aura-t-il lieu ? On sait que oui. Dès lors, les états d’âme du Premier ministre font long feu. Pire : ils donnent de lui l’image d’un homme qui manque cruellement et de flair et de détermination, alors que sa vie aura donné l’exemple du contraire.

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Wonder Woman ☆☆☆☆

Wonder Woman est un infâme brouet décérébré dont je ne comprends pas le succès chez un public de plus de quatorze ans.

Le film débute par un interminable prologue chez les Amazones, réfugiées sur l’île de Themyscira pour se protéger des foudres d’Arès, le fils belliqueux de Zeus. Diana, la fille de la reine Hippolyta (que les sous-titres français ont malencontreusement traduit par Hippolyte), est initiée à l’art de la guerre par sa tante Antiope (interprétée par Robin Wright qui a sans doute besoin, elle aussi, de payer ses impôts).

La félicité qui prévaut au sein de ce paisible gynécée (on aurait bien aimé passer deux heures vingt à voir des amazones en bikini se rouler dans la boue en de virils combats de catch) est hélas troublée par l’arrivée inopinée (subtile allitération) d’un bel espion américain (Chris Pine dont la seule qualité est d’avoir vingt ans de moins que Brad Pitt… et de ne pas être né en France où son patronyme lui aurait probablement interdit l’accès à la célébrité) poursuivi par l’armée allemande. Car nous sommes en 1918 et que le maréchal Ludendorff (Dany Huston dans le rôle du méchant dont on ne se souvient jamais du nom), dans un effort désespéré pour éviter la défaite, est sur le point de lancer une arme biologique dévastatrice forgée par l’infâme docteur « Poison ».

Si on était pédant, on dirait que Wonder Woman s’inscrit à la croisée de trois genres : les film de superhéros (Wonder Woman est une héroïne DC, petite sœur de Batman et Superman auprès desquels elle avait d’ailleurs fait une apparition dans l’oubliable Batman vs. Superman : L’Aube de la justice), la mythologie grecque (« This is Spartaaaaa » et ses avatars) et le steampunk (Hellboy, Sucker Punch). Sans oublier de nombreux emprunts à la BD et les désormais inévitables combats filmés en bullet time. Mais cette savante exégèse serait faire trop d’honneur à ce qui se réduit à un médiocre divertissement pour adolescents pubères.

J’entends dire que Wonder Woman serait un film féministe. La preuve : son réalisateur est une femme, Patty Jenkins (expulsée sans ménagement de la réalisation de Thor 2) et son actrice principale aussi (faire jouer Wonder Woman par un homme aurait été sacrément transgressif). Pour autant, je ne suis pas certain que les jeunes adolescentes s’identifient à une grande cruche en maillot de bain avec une épée, un bouclier et un lasso. En revanche, je suis certain que Wonder Woman attirera une tripotée de vieux messieurs – dont je dois avouer que je fus – vaguement émoustillés par la plastique affriolante de Gal Gadot (ex Miss Israël, découverte par la franchise Fast and Furious). Et je ne suis pas sûr que ce voyeurisme grandisse la cause des femmes.

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