Les Herbes sèches ☆☆☆☆

Professeur d’arts plastiques dans un collège perdu de l’est de l’Anatolie où il ronge son frein depuis quatre ans déjà, Samet n’a qu’une idée en tête : obtenir au plus vite sa mutation. Il partage l’appartement et la frustration d’un collègue, Kenan, qui, à la différence de Samet, est originaire de la région, mais rêve comme lui d’en partir. Les deux hommes font la connaissance de Nuray, une professeure d’anglais dans un lycée de la ville voisine, qui a perdu une jambe dans une manifestation anti-gouvernementale. Les deux hommes font l’objet d’une enquête administrative du rectorat suite à la plainte déposée par plusieurs élèves qui leur reprochent leur comportement inapproprié.

Le réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan fait l’objet d’une admiration universelle et révérencieuse qui n’a guère d’équivalent au monde dans le cinéma contemporain sinon peut-être celle qu’inspirent Terrence Malick, Apichatpong Weerasethakul ou Béla Tarr. Il la doit aux nombreuses récompenses glanées dans les plus célèbres festivals (tous ses films depuis Uzak en 2002 ont été sélectionnés en compétition officielle à Cannes, Winter Sleeps y remportant la Palme d’or en 2014 et Merve Dizdar le prix d’interprétation féminine en mai dernier pour ces Herbes sèches).

Il est donc difficile, sauf à vouloir passer pour un esprit rebelle et anticonformiste – ce qui n’est guère mon style – d’en dire du mal.
Or force m’est d’avouer que je ne prends aucun plaisir à ses films obèses (Les Herbes sèches dure plus de trois heures). Pire : je vois dans les louanges qu’on lui adresse une cuistrerie suspecte. J’avais eu la dent très dure pour son film précédent, Le Poirier sauvage, au sujet duquel j’ai écrit une critique au vitriol conclue par un zéro pointé. Je n’aurai la main guère moins lourde pour celui-ci.

J’ai dû m’y prendre à deux reprises pour en venir à bout. La première fois, le soir de la sortie, j’ai plongé dans un profond sommeil, au bout de quinze minutes à peine, dont je suis ressorti beaucoup trop tard pour m’autoriser à en écrire la critique sans le revoir une seconde fois. C’est chose faite depuis hier, non sans avoir au préalable pris trois cafés pour m’autoriser à dire du mal d’un film dont je n’aurai manqué aucun plan.

Mon masochisme – ou mon honnêteté intellectuelle, c’est selon – fut bien mal payé de retour. Car, j’ai trouvé le temps bien long. C’est, je l’ai dit, une des caractéristiques de l’oeuvre de Nuri Bilge Ceylan qui, après des premiers films d’une durée orthodoxe, tangente dangereusement les trois heures dans ses quatre derniers films sans que rien ne justifie un tel format.
Pourquoi faire durer un film au-delà des limites normales que l’attention – et la vessie – humaine autorise ? Certains motifs sont recevables : raconter une riche histoire aux multiples et incompressibles rebondissements (Christopher Nolan, Damien Chazelle), plonger le spectateur dans un état catatonique (Lav Diaz, Bela Tarr), en donner aux fans pour leur argent (la franchise Marvel et sa ribambelle de super-héros). Je n’en trouve aucun pour justifier la durée de ces Herbes sèches.

De quoi y est-il question ? De la vie ennuyeuse d’un enseignant veule relégué dans une province reculée. La durée du film nous fait-elle plus péniblement ressentir l’inconfort de sa situation ? Pas sûr. Et s’il ne se passe rien, ou du moins pas grand-chose, c’est sans doute moins pour accréditer l’idée, au demeurant tout à fait pertinente, que la vie de Samet est oiseuse (Buzzati, Gracq ou Beckett ont bien écrit trois chefs d’oeuvre qui racontent l’attente et constituent autant de métaphores saisissantes de la condition humaine), que parce que le scénario hésite entre deux sujets.

Le premier, qui occupe la première partie du film, tourne autour des accusations portées contre Samet et Kenan. Elles laissent augurer sinon un suspense haletant (les deux hommes seront-ils ou non blanchis ?), à tout le moins un questionnement très contemporain sur les relations profs-élèves à l’ère #MeToo, la part ambiguë des sentiments qui s’y glissent et la foi donnée dans la parole des victimes.

Mais Les Herbes sèches oublie ce sujet là en cours de chemin pour s’intéresser à un autre : la relation à trois – le trouble trouple si j’ose dire – qui se construit entre Nuray, Samet et Kenan, les deux hommes, on l’aura compris, tombant chacun à sa façon amoureux de la même femme. Là encore, le suspense monte… pour se terminer en queue de poisson, dans un épilogue printanier qui, après deux heures trente hiémales pendant lesquelles la neige est tombée à gros flocons, laisse enfin percer le soleil et nous assène en voix off quelques apophtegmes sentencieux (on aura compris à cette dernière phrase amphigourique lestée d’un vocabulaire pompeux que je me suis lentement mais sûrement laissé contaminer).

La bande-annonce

Un hiver en été ☆☆☆☆

Aux quatre coins de l’hexagone, des personnages tentent tant bien que mal de faire face au froid sibérien qui s’est abattu sur la France en ce mois de juin : un vigile (Nicolas Duvauchelle) surprend une SDF (Clémence Poesy) en train de marauder dans un supermarché ; un officier de l’armée de terre à la veille d’une mission suicide (Laurent Stocker) recueille un jeune drogué en rupture de ban (Pablo Pauly) ; une star de la chanson (Elodie Bouchez) de retour à Paris est victime d’un malaise et retrouve dans l’ambulance du Samu qui la secourt son premier amour (Cedric Kahn), marié depuis vingt ans à une femme qu’il n’aime pas (Hélène Fillières) ; un riche entrepreneur (Benjamin Biolay) passe la nuit avec une éboueuse (Nora Hamzawi) ; une policière confite en religion (Judith Chemla) recueille un immigré iranien (Rafi Pitts).

Laetitia Masson fut un temps une jeune et prometteuse réalisatrice française : En avoir (ou pas), À vendre, Love me révélaient Sandrine Kiberlain au tournant du siècle et laissaient une marque. Et puis Laetitia Masson s’est perdue. La Repentie (2002), avec Isabelle Adjani et Samy Naceri, est peut-être l’un des plus mauvais films jamais réalisés. Depuis Laetitia Masson n’a plus tourné grand-chose sinon quelques téléfilms.

Un hiver en été aurait pu marquer son retour grâce à son étonnante brochette de stars qui lui donne des airs de Wes Anderson française. Mais c’est un pétard mouillé, dont la sortie, prévue en mars, a été repoussée à une date qui le condamne, entre la sortie de Barbieheimer et les départs en vacances, à l’invisibilité.

Un hiver en été est un film à sketches dont les cinq histoires, qui n’entretiennent quasiment aucun lien entre elles sinon la troublante attirance que ses personnages éprouvent pour les Nymphéas de Monet, sont entremêlées au montage.

Je n’aime pas les films à sketches. Je trouve chacun des volets qui les composent trop courts pour s’y immerger vraiment. Je leur reproche leur qualité inégale : on s’attache toujours plus à une histoire qu’à une autre. C’est un défaut dont Un hiver en été est exempt. Aucune de ses histoires n’est intéressante. Toutes mettent en scène des personnages unanimement antipathiques, le comble étant atteint dans l’auto-caricature par Benjamin Biolay, et sans intérêt. On ne croit pas une seule seconde, devant des personnages têtes nues et sans gants, au froid polaire qu’ils sont censés combattre. Les seuls à tirer leur épingle du jeu, s’il fallait sauver quelque chose de ce naufrage, seraient Nicolas Duvauchelle et Judith Chemla pour leurs outrances.

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Lucie perd son cheval ☆☆☆☆

Lucie passe des vacances ensoleillées chez sa grand-mère avec sa fille. Elle est actrice et prépare son prochain rôle.
Elle se réveille dans les Cévennes, sur son cheval, dans l’armure qu’elle est censée porter. Son errance la met au contact de deux autres actrices, harnachées comme elle et aussi perdues qu’elle.
Troisième temps : on est dans une salle de théâtre fermée avec un régisseur et son stagiaire qui veille sur le sommeil des trois belles endormies dont on comprend qu’elles ont été recrutées pour une représentation du Roi Lear.

Claude Schmitz est un réalisateur étonnant. Braquer Poitiers lui avait valu en 2019 le prix Jean Vigo et, de ma part, à l’époque, une critique bluffée : « C’aurait pu être du grand n’importe quoi. C’est étonnamment réussi » en disais-je. De Lucie perd son cheval, je dirai : « Ce grand n’importe quoi aurait pu être réussi ; mais il ne l’est pas ».

Car cet enchâssement de plusieurs rêves éveillés ne suffit pas à créer un souffle poétique. Au contraire, il ressemble plutôt à une paresse de scénariste qui ne sait pas comment se débrouiller de morceaux d’histoires sans rime ni raison. On peut, si on est très indulgent, y voir une belle réflexion sur le métier d’acteur et ses apories. On peut aussi, si on a comme moi la dent dure, s’y ennuyer ferme et crier au foutage de gueule.

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Neptune Frost ☆☆☆☆

Sur les hauts plateaux du Burundi, dans un futur proche, Matalusa, un ancien forçat échappé de la mine où il était réduit en esclavage, et Neptune une hackeuse transgenre, rejoignent une communauté cyberpunk qui est entrée en résistance contre un pouvoir techno-autoritaire.

Neptune Frost est un OVNI cinématographique comme on en a rarement vu, au croisement de plusieurs genres : la science-fiction, la comédie musicale, le manifeste politique cyberqueer anticolonialiste et anticapitaliste…

Sur le papier, un tel programme est séduisant, qui fait penser aux romans d’anticipation d’Alain Damasio – dont on attend toujours avec impatience qu’un Terry Gillian ou un Gaspard Noé décide de les adapter. Mais il y fallait des moyens et un souffle que Neptune Frost hélas n’a pas. Faute de budget, la production a dû recourir à des bricolages qui, aussi ingénieux et réussis soient-ils, se voient un peu trop.
Quant au scénario, il essaie sans succès de cacher son inconsistance derrière des fulgurances qui se voudraient poétiques.

Un ratage complet….

La bande-annonce

L’Automne à Pyongyang, un portrait de Claude Lanzmann ☆☆☆☆

En 2015, Claude Lanzmann se rendait en Corée du nord avec son producteur François Margolin, sous le prétexte d’y tourner un documentaire sur le taekwondo mais en fait pour y retrouver la trace d’une infirmière qu’il y avait croisée en 1958 et dont il était tombé éperdument amoureux durant une brève séance de canotage sur le fleuve Taedong. Ce voyage surréaliste a inspiré un documentaire, Napalm, dont j’ai fait une longue critique à sa sortie en 2017.

Cinq ans après la mort de Claude Lanzmann, en juillet 2018, à quatre-vingt-douze ans, François Margolin revient sur cet ultime voyage. On comprend mal l’utilité de ce post-scriptum, qui utilise les rushes que Napalm n’avait pas jugé bon de retenir. On y retrouve le vieil intellectuel qui disserte sur quelques épisodes marquants de sa vie : son compagnonnage avec le Parti communiste, sa liaison avec Simone de Beauvoir, le suicide de sa soeur, le tournage de Shoah

En 2017, ma critique mi-figue mi-raisin lui trouvait quelques circonstances atténuantes. Mon admiration pour le grand intellectuel m’empêchait de tirer à boulets rouges sur le vieillard sénile et libidineux. Mais en 2023, face à cet Automne à Pyongyang redondant, je n’aurai plus la même indulgence. Si la vieillesse est un naufrage, Claude Lanzmann en fournit hélas une vivante, quoique moribonde, illustration. L’homme, sourd comme un pot, quasiment grabataire, est à bout de force et à bout de souffle. En soi, cela n’est en rien blâmable. Mais il affiche cette impatience, cette morgue, qui caractérisent souvent les vieillards égocentriques. Il ne cesse de rembarrer son producteur qui l’interroge en le renvoyant à ses livres et en l’accusant de ne pas les avoir lus. C’est à se demander quel masochisme anime François Margolin pour avoir montré ces scènes où il se laisse humilier.

Outre l’hubris de son personnage, deux choses m’ont particulièrement dérangé dans ce dernier voyage et dans ce qu’il nous montre de Lanzmann. La première est son manque de recul vis-à-vis du régime communiste nord-coréen. Sans doute se moque-t-il de la laisse courte que ses cornacs nord-coréens lui imposent et qu’il essaie par tous les moyens de desserrer. Mais il n’exprime aucune critique sur la chape de plomb qui s’est abattue depuis plus de soixante ans sur ce pays.
La seconde est l’expression de moins en moins décomplexée de sa libido. Le documentaire n’en dit mot ; mais Claude Lanzmann dans les dix dernières années de sa vie a été plusieurs fois accusé d’agressions sexuelles. Sans doute faut-il être indulgent avec nos aînés et prendre en compte l’affaiblissement de leurs forces ; mais la sénilité n’excuse pas tout.

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Carmen ☆☆☆☆

Carmen (Melissa Barrera) est une jeune Mexicaine qui décide, à la mort de sa mère, de gagner les Etats-Unis. Elle franchit illégalement la frontière et doit la vie sauve à Aidan (Paul Mescal), un Marine américain traumatisé par son expérience en Afghanistan, qui tue pour la défendre un garde-frontière américain.
Carmen et Aidan, poursuivis par la police, gagnent ensemble Los Angeles où ils sont accueillis par Masilda (Rossy de Palma) dans son cabaret.

Benjamin Millepied, danseur étoile du New York City Ballet, directeur de la danse de l’Opéra de Paris – et époux de Natalie Portman à la ville – à la réalisation, Nicholas Britell (Moonlight) à la musique, Jörg Widmer (Une vie cachée) à la photo, Alexander Dinelaris Jr. (Birdman) au scénario, la révélation Paul Mescal (Aftersun) en tête d’affiche dans un film produit par Dimitri Rassam (Les Trois Mousquetaires) et tourné dans l’outback australien.

On attendait énormément du premier film du chorégraphe français dont le moins qu’on puisse dire est qu’il sait s’entourer.
La déception est à la hauteur de cette attente peut-être excessive.
Très vite Carmen – dont le lien avec le prestigieux opéra de Bizet se révèle des plus ténus – dévoile son projet : non pas une brûlante histoire d’amour et de sang, mais un interminable clip publicitaire. Millepied est peut-être un grand danseur mais c’est un bien piètre réalisateur qui imagine qu’il suffit de tournoyer autour des artistes pour filmer la danse et en faire ressentir la majesté.

Très vite on se désintéresse de tout : du scénario, sans surprise, de la musique dont aucune page ne rivalise avec celle qu’elle est censée immortaliser, de la chorégraphie qui s’insère artificiellement au récit. Seule l’apparition de l’étonnante Rossy de Palma – qui approche pourtant les soixante ans – vient nous réveiller de la torpeur dans laquelle ce gloubi-boulga sans corps ni âme nous a plongé.

La bande-annonce

Faces cachées ☆☆☆☆

Rose (Ann Skelly, des faux airs de Julia Roberts jeune) est étudiante en école vétérinaire. Enfant adoptée, obsédée par la quête de ses origines, elle réussit à retrouver la trace de sa mère biologique, Ellen (Orla Brady), devenue actrice à succès, qui lui fait la plus traumatisante des confessions : Rose, prénommée Julie à sa naissance, est le fruit d’un viol perpétré par Peter Doyle (Aidan Gillen, iconique Littlefinger dans Game of Thrones), un célèbre archéologue.

Faces cachées (improbable traduction de Rose Plays Julie qui a autrement plus de sens) est un film irlandais sorti en Angleterre fin 2019 qui a mis plus de trois ans à traverser la Manche. Sorti le 24 mai, il avait disparu des écrans dès la semaine suivante. Tout cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille sur sa qualité. Pour autant, j’ai réussi à dénicher une séance improbable et à le voir dans une salle quasi-vide, mais délicieusement climatisée en ces temps de canicule.

Faces cachées se distingue du tout-venant télévisuel par sa forme très travaillée. La musique, le son parent le film d’un halo de mystère. Tout est clinique et froid dans cette Irlande lugubre, qui m’a rappelé la Norvège de Thelma, le film déroutant de Joachim Trier qui mettait lui aussi en scène une jeune étudiante désemparée. Mais cette forme sophistiquée (Marie Sauvion évoque à raison des « afféteries » dans sa critique de Télérama) est mise au service d’un scénario qui se veut haletant mais qui se révèle hélas très pauvre. Il se vautre lamentablement dans un épilogue aussi peu crédible qu’outrancier.

La bande-annonce

Ramona fait son cinéma ★☆☆☆

Tout commence mal entre Ramona et Bruno… ou tout commence trop bien entre ces deux trentenaires madrilènes qui se rencontrent par hasard et tombent amoureux l’un de l’autre sans savoir que le lendemain Ramona participera au casting du film que Bruno est sur le point de réaliser. La jeune femme, en couple avec Nico, se cabre : elle ne veut pas être engagée sur de mauvaises bases et surtout a peur de tromper son copain. Bruno au contraire s’enflamme.

Ramona fait son cinéma a tout pour séduire. À commencer par sa bande-annonce qui m’avait fait de l’oeil. Un pressentiment accentué par la critique de Berthe Edelstein (uniquement accessible hélas sur Facebook, mais à mon grand dam largement meilleure aux miennes) qui en disait le plus grand bien.
On me promettait « un croisement ibérique entre Woody Allen, Hong Sang Soo et la Nouvelle Vague française ». J’ai beaucoup pensé au Frances Ha de Noah Baumbach : dans le même noir et blanc trendy, une héroïne trentenaire (ici, la sylphide Greta Gerwig, là la brune Lourdes Hernandez) se cherche. On pourrait aussi citer – car Ramona lui ressemble – l’héroïne de Eva en août, un film que je n’avais pas aimé mais que tous mes amis encensent.

N’en rajoutons pas de peur de faire crouler ce petit film sous trop de références écrasantes. Car hélas, Ramona croule vite. Si sa première scène est délicieuse, celle de la rencontre, dans un café où les deux héros marivaudent, puis dans ses alentours, les autres, organisées dans une succession de saynètes séparées par des intertitres, sont plus laborieuses. Le scénario devient inutilement bavard provoquant vite un ennui croissant. D’autant que l’enjeu est faible – Ramona quittera-t-elle Nico pour Bruno ? – et le suspense ténu.

Loin de la légèreté attendue et malgré sa louable concision (1h20 au compteur et au comptoir) et le charme indéniable de sa ravissante héroïne, Ramona fait son cinéma m’a donné l’impression d’un produit stéréotypé, voué à une péremption fatale (dans dix ans, je fais le pari que ce film sera effroyablement daté et démodé) sans profondeur et sans intérêt.

La bande-annonce

Fairytale ☆☆☆☆

Staline, Hitler, Mussolini, Churchill sont morts. Ils errent dans les limbes et monologuent, chacun dans leur langue, croisent Napoléon et Jésus, en attendant que les portes du Paradis s’ouvrent… ou pas…

Élève de Tarkovski, Sokourov a toujours interrogé le pouvoir. Il a consacré une trilogie aux grandes figures du XXième siècle : Hitler (Moloch), Lénine (Taurus) et Hiro-Hito (Le Soleil). Il en convoque quelques-unes dans une oeuvre qui pourrait être qualifiée de testamentaire, du fait d’une part de l’âge du réalisateur septuagénaire, d’autre part de sa tonalité crépusculaire.

C’est en effet dans l’outre-tombe que sont réunis quatre des hommes qui ont le plus funestement marqué le siècle dernier. L’hypothèse résonne comme le début d’une blague puérile, mais n’a rien de comique.
Le réalisateur, aidé de quelques geeks, a plongé dans les images d’archives et les a retravaillées numériquement. Le résultat est étonnant. Les quatre protagonistes sont immédiatement reconnaissables mais étrangement déformés, comme s’ils flottaient dans un au-delà fantomatique. Précisément, c’est dans les limbes que ces quatre figures sont censées errer, mâchant – ou remâchant – leurs souvenirs (comme les images en donnent l’impression, bien en peine de coordonner les mouvements de leurs lèvres à leurs propos).

Ces figures curieusement réincarnées évoluent dans de curieux décors. Sokourov dit s’être inspiré de Piranèse, un graveur italien du XVIIIème siècle dont Yourcenar disait : c’est un « monde factice, et pourtant sinistrement réel, claustrophobique, et pourtant mégalomane (qui) n’est pas sans nous rappeler celui où l’humanité moderne s’enferme chaque jour davantage… »

Ce dispositif expérimental est stimulant. Pendant un quart d’heure on y plonge avec autant de curiosité que de fascination. Le problème est que Sokourov s’en contente. Son récit sans queue ni tête ne raconte rien. Hitler, Staline, Churchill (que vient-il faire, le pauvre, dans cette bande de criminels ?) et Mussolini errent sans but, soliloquent en marmonnant. On n’apprend rien. On ne ressent rien sinon l’ennui qui gagne. L’expérience lysergique devient vite lassante sinon exténuante. Seule qualité : elle dure soixante-dix-huit minutes à peine.

La bande-annonce

Le Monde d’après 1 et 2 ☆☆☆☆

Le Monde d’après et sa suite, Le Monde d’après 2, sont deux films à sketches tournés sans un cent de subvention publique et distribués en catimini sans aucune publicité ni couverture de presse. Le premier, qui compte neuf saynètes et dure une heure à peine est sorti le 26 octobre. Le second en compte quinze et atteint la durée canonique de 1h30. Il est sorti le 15 mars dernier dans une seule salle parisienne et n’y est diffusé que trois fois par semaine à des séances qui, paradoxalement, affichent quasiment complet.

Dans un immeuble haussmannien, de nos jours, après l’épidémie de Covid et le confinement, plusieurs histoires se nouent. Un couple, obsédé par les risques d’infection, en convie un autre à dîner. Une féministe retorse fait chanter son plombier. Deux amis transgenres discutent maternité et filiation en fumant un joint. Une célibataire patriote reçoit un policier qu’elle vient de rencontrer sur Meetic. Trois enseignantes discutent des protocoles sanitaires mis en place par leur établissement et de la meilleure façon de les faire respecter par leurs élèves. Deux militantes LGBT vegan et écolo recrutent une étonnante colocatrice. Un mari annonce à sa femme éberluée sa conversion à l’Islam. Deux comédiens sans cachet acceptent de jouer le rôle de deux malades du Covid en fin de vie dans un clip faisant l’éloge de la vaccination. Une propriétaire sur le point de vendre son appartement reconnaît l’infirmière qui lui a interdit pendant le Covid de venir au chevet de sa mère mourante. Deux militantes écolo préparent une manifestation non violente. Un hétérosexuel souhaite participer à une manifestation LGBT et se demande dans quelle section du cortège il pourra se glisser. Une femme transgenre donne une leçon de yoga. Une rencontre amoureuse est brutalement interrompue lorsque l’un des deux partenaires apprend qu’il est cas contact. Par solidarité avec sa femme enceinte, son conjoint essaie de reproduire toutes les contraintes qu’elle doit subir pendant sa maternité. Un fils présente à ses parents sa nouvelle fiancée, voilée et intégriste, qu’il a rencontrée en fac de socio où elle écrit une thèse sur les Juifs et le réchauffement climatique..

Ces deux films provoquent le malaise. Sous couvert de susciter le rire – et reconnaissons leur qu’ils y arrivent souvent, tant les situations qu’ils brossent sont outrancières – ils révèlent vite leur projet : faire le procès des dérives de notre époque. Chaque sketch tourne en dérision l’un de ses travers réels ou fantasmés : l’obession hygiéniste et vaccinaliste créée par le Covid, le transgenrisme, le radicalisme féministe, l’islamophilie….

Bien sûr, l’art peut se moquer de tout. On n’est pas descendu dans la rue en défendant Charlie Hebdo, le droit au blasphème et à la dérision pour venir s’insurger de films qui utiliseraient les mêmes armes au service d’autres causes. Le paysage cinématographique penche à gauche, sinon à l’extrême gauche. Pour prendre par exemple le sujet de l’immigration, on ne compte plus les films, d’ailleurs généreusement subventionnés par le CNC, qui battent en brèche la politique gouvernementale, lui reprochant sa frilosité, sinon son racisme : Welcome, Le Silence de Lorna, Le Havre, Les Engagés, Ils sont vivants… Au contraire, on ne voit pas un seul film qui soutienne le point de vue radicalement inverse et qui reprocherait au Gouvernement d’être trop laxiste ou d’échouer à renvoyer les étrangers en situation irrégulière.

Pour autant, sans appeler à la censure, on a le droit de ne pas rire à des films qui, si on prend la peine de gratter, si on va lire les interviews données par son réalisateur ou la critique évidemment élogieuse, forcément élogieuse, qu’en fait Causeur (« Le cinéma français, « soutenu » par un CNC complaisant et politique, est globalement nullissime. Raison de plus pour aller voir un film qui n’a reçu ni subventions ni critiques élogieuses de la presse progressiste et qui se moque avec intelligence et drôlerie, en une heure chrono, de notre époque hygiéniste, néo-féministe, transgenriste et wokiste ») donnent froid dans le dos.

La bande-annonce du Monde d’après
La bande-annonce du Monde d’après 2