100 000 000 000 000 – cent mille milliards ☆☆☆☆

Afine est escort à Monaco. Il partage une villa sur les hauts de Nice avec trois amies, escorts comme lui, qui partent à Dubaï passer les fêtes de Noël. Resté seul, Afine traîne son ennui dans les rues silencieuses de la principauté, éclairées par les illuminations de Noël. Une de ses clientes, une plantureuse sexagénaire, l’emmène faire des courses, manger une glace, se baigner dans sa piscine. Afine croise une amie serbe qui s’est vu confier par des parents milliardaires la garde de Julia, une enfant de douze ans à peine.

Virgil Vernier (Les Mercuriales, Sophia Antipolis) est un réalisateur français proche de Bertrand Mandico ou de Yann Gonzalez qui entend réinsuffler un peu de magie dans notre quotidien désenchanté. Il revendique une esthétique kitsch et queer.

Son troisième film – dont rien ne vient expliquer le titre – est un croisement improbable entre le documentaire et le conte. Documentaire : il se déroule dans la principauté monégasque dont le luxe ostentatoire et triste déborde dans les ruelles pendant les fêtes de fin d’année. Conte : les parents de Julia se font construire une île pour s’y réfugier après une catastrophe écologique mondiale imminente.

Au risque de me montrer bien dur, je ne trouve rien à sauver dans ce cinéma-là. Ni la pauvreté du jeu des acteurs, ni l’indigence du scénario, ni la laideur des images mal éclairées.

La bande-annonce

Finalement ☆☆☆☆

Un auto-stoppeur (Kad Merad), la casquette vissée sur la tête, un vieux sac en cuir jeté sur l’épaule, sillonne la France. Il assiste aux commémorations du Débarquement sur le pont de Bénouville, passe devant le Mont-Saint-Michel, achète une trompette à Béziers, prend un bain de foule aux 24 Heures du Mans et danse sous le pont d’Avignon. Pour chacun des conducteurs qui le prend en stop, il s’invente une nouvelle identité, prêtre défroqué, réalisateur de films X, amant meurtrier, et raconte les crimes qu’il aurait commis et qui expliquent sa cavale. Il s’agit en fait d’un grand avocat parisien, Lino Massaro, atteint d’une maladie dégénérative. Lino finit par croiser dans une ferme bourguignonne une accorte paysanne (Françoise Gillard). Sa femme (Elsa Zylbertstein) et son meilleur ami (Michel Boujenah) essaient en vain de le retrouver.

À quatre-vingt-sept ans passés, Claude Lelouch sort son cinquante-et-unième long métrage. Incroyable carrière d’un immense réalisateur qui a accumulé les plus grands succès (Un homme et une femme, Itinéraires d’un enfant gâté, Les Uns et les Autres…) et tourné avec le Gotha du cinéma français (Trintignant, Piccoli, Ventura, Belmondo…). Son style inimitable se reconnaît au premier plan : de longs dialogues filmés en plans-séquences laissant une large place à l’improvisation, une caméra virevoltante qui tournoie autour des acteurs, une musique omniprésente avec quelques « tubes » qui restent longtemps dans l’oreille…

Je lui voue une fidélité sans réserve et suis allé voir tous ses films depuis que j’ai l’âge d’aller au cinéma. Il faut dire que, dans les années 80, leur sortie était un sacré événement. Je me souviens encore du choc causé par Les Uns et les Autres, de la mystérieuse bande-annonce de Viva la vie et de l’immense succès d’Itinéraires d’un enfant gâté.

Mais la vérité oblige à dire que Lelouch a vieilli et qu’il a mal vieilli. Son cinéma se répète. Son cinéma bégaie. Kad Merad est le copier-coller du Belmondo d’Itinéraires. Même personnage, même dégaine, même fuite hors du monde… Sauf que la production est moins richement dotée et qu’au lieu des chutes Victoria, on filme le Mont Saint-Michel…. Francis Lai est mort ; Ibrahim Maalouf signe la musique ; Didier Barbelivien écrit encore tant bien que mal les chansons. Ses textes sont d’une indigence rare : « Maintenant, le temps efface / Nos regards devant la glace / Maintenant, le cœur se lasse / La vie passe, nous enlace / Nous embrasse et nous remplace ». Quant aux dialogues, ils nous servent sentencieusement quelques aphorismes tout droit sortis d’un manuel de feng shui : « tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien ! », le « livre de la vie (…) ne se lit pas deux fois »etc.

Pire : Lelouch entonne le refrain rance du « c’était-mieux-avant ». À l’en croire, dans la France post #MeToo, on n’aurait plus le droit de ne rien dire sous peine d’être immédiatement dénoncé à la police comme sous l’Occupation : ne plus dire son amour des femmes, sans être accusé d’être un violeur. D’où l’héroïsation d’un personnage qui s’autorise, lui, à tout dire. Finalement se voudrait iconoclaste, libéré du politiquement correct qui corsète notre époque ; c’est au mieux malaisant, au pire ridicule.

La bande-annonce

Sarah Bernhardt, La Divine ★☆☆☆

Sarah Bernhardt (1844-1923) est considérée comme l’une des plus grandes tragédiennes de son temps. Elle fut, avant l’invention du cinéma, la première star mondiale.

À l’heure où le moindre artiste un tant soit peu célèbre, écrivain, peintre (Manet), chanteur de variété (Aznavour, Gainsbourg, Piaf), star de rock, couturière (Coco Chanel) se voit consacrer son biopic, il était inévitable que le cinéma français s’empare de la figure haute en couleur de Sarah Bernhardt. Femme libre, immense actrice de théâtre, elle incarne à elle seule une période, celle de la Belle Epoque, tellement cinégénique.

Guillaume Nicloux, plus à l’aise dans le polar poisseux que dans le film d’époque, s’acquitte dignement de la tâche. Les décors et les costumes sont resplendissants ; le casting rassemble tout ce que la Comédie-Française a de meilleur : Laurent Lafitte, Laurent Stocker, Sébastien Pouderoux. Et Sandrine Kiberlain, plus exubérante que jamais, lâche les chevaux en tête d’affiche.

Le problème de ce film est son point de vue. Sarah Bernhardt nous est certes présentée comme une femme libérée, une féministe avant l’heure, bisexuelle et ne se cachant pas de l’être, dreyfusarde quand l’antisémitisme suintait par tous les pores de la IIIème République. Mais elle est somme toute ramenée à un schème très sexiste : une femme qui n’a aimé qu’un seul homme, Lucien Guitry (Laurent Lafitte), et s’est consumée d’amour pour lui.

Plus grave encore : on nous vend le biopic d’une actrice qu’on ne voit jamais jouer. Pas une scène où on la voie sur scène ! C’est un comble ! Et surtout pas une scène où on l’entende parler de son art, sinon quelques allusives allusions à Lorenzaccio, à Cyrano – qu’elle reproche à Rostand d’avoir écrit pour Coquelin – ou à Shakespeare.

La bande-annonce

Saint-Ex ☆☆☆☆

Contrairement à ce que son titre annonce, Saint-Ex n’est pas un biopic. S’il évoque, brièvement, son enfance dans le château familial, la mort de son frère cadet, François, puis sa disparition en mer en juillet 1944, Saint-Ex se focalise sur un épisode de la vie du célèbre écrivain : en 1929, avec Henri Guillaumet, employé de la Compagnie générale aéropostale, il traverse la cordillère des Andes et ouvre la route aérienne de l’Argentine au Chili.

Il suffit de jeter un oeil à la bande-annonce pour savoir de quoi sera fait ce film. Tout y sonne faux, depuis l’affiche – dont le sommet montagneux encapuchonné de neige ressemble plus au Kilimanjaro qu’à l’Aconcagua – jusqu’au jeu des acteurs et aux décors de carton pâte. Pas un cheveu du beau Louis Garrel ne bouge quand il vole, la tête nue, dans son Potez 25 à quatre mille mètres d’altitude. Quand  son avion s’écrase dans l’océan, il flotte gentiment, le temps de lui laisser le temps de s’en extraire. Quand son moteur s’arrête, faute d’oxygène à trop haute altitude, Saint-Ex rampe sur la carlingue et redémarre à la main l’hélice immobile.

On se croirait dans une bande dessinée des années cinquante, à la ligne claire, aux héros purs et parfaits, pas dans un film. Quelques références, allusives et pataudes, sont faites à l’oeuvre littéraire de Saint-Exupéry (qui évoque son séjour en Amérique du sud et son amitié avec Guillaumet dans Vol de nuit et Terre des hommes) : lors d’une improbable escale dans une hacienda paradisiaque, il croise un jeune garçon aux cheveux bouclés roux qui pourrait bien lui inspirer le petit Prince s’il lui demandait de lui dessiner un mouton.

Rien ne marche dans ce film : ni les paysages à couper le souffle filmés dans la Cordillère des Andes et en Patagonie, ni les acteurs coincés dans la caricature de leurs personnages (Vincent Cassel incarne l’héroïsme, Louis Garrel la loyauté, Diane Kruger la dévotion matrimoniale), ni un scénario dont on connaît à l’avance le dénouement si on a, comme ce fut mon cas, été biberonné aux histoires épiques des grands explorateurs et si, à côté d’un poème de Rudyard Kipling, on avait dans sa chambre un poster de Guillaumet marchant seul dans la neige orné des mots célèbres :  « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait »

PS : Aurez-vous reconnu la voix du directeur de l’Aéropostale à la radio ? Je n’y serai pas arrivé sans aller lire le générique. Il s’agissait de….

La bande-annonce

Les Reines du drame ☆☆☆☆

En 2055, Steevyshady (Bilal Hassani, le représentant drag de la France au concours Eurovision 2019) raconte la longue et toxique histoire d’amour qui, pendant un demi-siècle a réuni, Mimi Madamour (Luiza Aura), une jeune starlette révélée par un concours de chant télévisé, et Billie Kohler (Gia Ventura) une icône punk.

Les Reines du drame – un clin d’œil à l’expression Drama Queen – est un film qui sort de l’ordinaire. Il explore une veine queer et kitsch qui résonne avec notre époque gender fluid. Comédie musicale remplie de tubes disco sucrés comme des bonbons ou de singles punk acides, Les Reines du drame convoque Mylène Farmer, Britney Spears, Mariah Carey et Buffy contre les vampires. J’étais de loin le plus vieux spectateur dans la salle du Marais qui le projetait hier – et sans doute le plus hétérosexuel.

Les Reines du drame est à la fois un éloge de la liberté sexuelle et du droit d’assumer sa différence, et une critique ironique du star system et de ses dérives.

Ce cinéma-là, dont on ne sait s’il faut le prendre au premier ou au énième degré, est sans doute rafraichissant. Le problème est qu’il est très mauvais. Car il échoue à raconter une histoire, se contentant de nous présenter deux héroïnes et une relation amoureuse dont les tenants et les aboutissants nous sont par avance connus. Car il échoue à mettre en scène un récit, filmant chaque scène comme la précédente, sans temps mort ni changement de rythme, donnant très vite à cette accumulation de chansons (la palme allant à « Je t’ai fistée jusqu’au cœur », répété ad nauseam), de costumes kitsch une tournure répétitive et ennuyeuse alors qu’on en attendait tout le contraire.

La bande-annonce

After ☆☆☆☆

Une soirée techno à Paris. Les corps lâchent prise et se frôlent au son pulsatif de la musique électronique. Des substances s’échangent ; des rails de coke, coupés au pass Navigo, se sniffent. Félicie (Louise Chevillotte), en pleine rupture amoureuse, fait la rencontre de Saïd (Majd Mastouria), un chauffeur VTC, et lui propose de finir la soirée chez elle.

Comment filmer la danse ? comment filmer la transe ? Anthony Lapia tenait un beau sujet. Gaspar Noé l’avait approché dans Climax. Mais hélas il le gâche. Par manque de moyens : la dizaine de figurants recrutés pour le film peinent à donner l’illusion d’une rave party. Par manque d’ambitions : le scénario abandonne bien vite le dance floor pour se replier dans le studio de Félicie et y filmer un banal face-à-face.

Leurs dialogues sont caricaturaux et risibles. Le patronyme et la profession de Félicie – elle vient de passer le barreau – sont censés la caractériser : c’est une fille de la bourgeoisie qui a appris à s’accomoder cyniquement du « système » même si elle en récuse les règles in petto. Saïd est aussi grossièrement caricaturé : maghrébin, conducteur de VTC, révolté, il est prêt à tout casser pour laisser exploser sa colère.

After aurait pu se borner à filmer les corps. Sa durée réduite l’y aurait autorisé. Il y aurait eu beaucoup à en dire, beaucoup à en montrer. Mais comme son titre l’annonçait, After s’intéresse à ce qui vient après qui est hélas puissamment dépourvu d’intérêt.

La bande-annonce

Libres ☆☆☆☆

Libres est un reportage mené dans douze monastères espagnols auprès de leurs locataires, des moines ou des moniales qui ont choisi de se couper du monde pour se rapprocher de Dieu.

La réclusion monacale est un sujet qui me fascine. J’ai gardé un souvenir envoûtant du Grand silence de Philip Gröning, un documentaire de 2h42 sur les moines de la Grande Chartreuse, sorti en 2005. Je n’avais pas raté  en 2017 Silentium, sur les sœurs bénédictines de Habstahl dans le Jura souabe.

J’aurais pourtant dû me méfier de Libres. Son affiche, qui louche vers les publicités pour parfum masculin de luxe, aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Ses producteurs, la très conservatrice société Saje et une fondation finançant les communautés monastiques, aussi.

Libres est peut-être l’un des plus mauvais documentaires que j’aie jamais vus. J’ai bien failli quitter la salle avant la fin de la séance. Et, si j’y suis resté, c’est pour pouvoir fielleusement accumuler les multiples éléments à charge que je m’apprête à lister dans cette rageuse critique.

Le premier tient à la forme. Libres ressemble à son affiche. Il filme les couvents dans leur écrin naturel, verte campagne, sauvage littoral, sublime coucher de soleil, avec d’interminables panoramiques aériens. Libres est lesté d’une insupportable musique façon Vangelis dans 1492, alors qu’il aurait pu être accompagné de tant de joyaux de la musique sacrée. Il a l’esthétique d’une longue publicité. Publicité qui, par sa forme ressemble à celle, sur papier glacé, pour un produit de luxe. Publicité qu’on croirait commandée par l’Office de tourisme de la Castille ou des Asturies pour vanter la beauté des paysages de ces régions.

Libres filme douze monastères catholiques. Il n’est pas venu à l’idée du réalisateur d’élargir son spectre à d’autres religions. Libres filme douze monastères du nord-ouest de l’Espagne. Pas plus ne lui est-il venu à l’esprit de quitter le périmètre géographique confiné où il s’est cantonné pour sortir de son pays ou même de sa région.

Le carton qui ouvre ce documentaire nous promet de nous faire pénétrer dans des lieux où aucune caméra n’était jamais allée. Mensonges ! Avec une rare banalité, Libres ne franchit pas les limites du parloir et enchaîne les interviews face caméra posant à une douzaine de moines ou de moniales les mêmes questions convenues. On n’apprendra rien des monastères où Libres a été tourné, de leur construction, de leur histoire, des règles qui les régissent (il faut être attentif pour deviner que certains sont bénédictins, d’autres franciscains).

Libres est divisé en trois chapitres, dont les titres sont inspirés d’un verset de l’Evangile selon Saint-Jean : le Chemin, la Vérité, la Vie. Les témoignages recueillis sont interchangeables et répétitifs : la réclusion monacale serait le meilleur moyen d’accéder à Dieu et d’entrer au Paradis. Rien n’est dit des obstacles sur ce chemin, de l’acédie, des relations aigres avec ses compagnons de prière, de la solitude… Ces hommes et ces femmes, dont on ne saurait mettre en doute la sincérité de la foi, semblent étonnamment autocentrés, donnant de l’Evangile et du message qu’il porte, une image bien peu altruiste.

La bande-annonce

Lee Miller ★☆☆☆

Née aux Etats-Uni en 1907, Lee Miller émigre très jeune à Paris où elle fait la une de Vogue, devient la muse de Man Ray et sa maîtresse, participe au mouvement surréaliste. La Seconde Guerre mondiale la trouve à Londres où elle est devenue reporter pour Vogue. À la Libération elle est missionnée sur le continent. Elle accompagnera l’avancée des armées américaines en compagnie de David Sherman, photographe pour Life. Elle y prendra des clichés passés à la postérité.

Il y avait de quoi saliver à l’annonce de ce biopic mettant en scène l’une des plus célèbres photographes de guerre du siècle dernier interprétée par Kate Winslet, l’une des plus fameuses actrices du siècle présent. Sa réplique du tac au tac à la question sexiste que lui a posée Pierre Lescure la semaine dernière pendant la promotion du film lui a procuré une publicité supplémentaire.

La déception hélas est à la hauteur de l’attente suscitée. Malgré la débauche de moyens et d’effets spéciaux, Lee (Lee Miller dans sa version française) ne parvient pas à se hisser au-dessus du lot. La faute à un scénario qui, pour la millionième fois, recourt au flashback, mettant en scène l’héroïne au crépuscule de sa vie répondant aux questions du journaliste (Josh O’Connor) venu l’interviewer. La faute aux approximations d’une superproduction hollywoodienne qui horripile le spectateur français : un stagiaire de troisième n’aurait-il pas pu vérifier sur Google Maps que Mougins n’est pas une commune balnéaire ou qu’il est douteux qu’un panneau de signalisation à la frontière franco-allemande indique la destination de Leipzig ? La faute à une histoire qui coche un peu trop scrupuleusement les étapes de son reportage : la prise de Saint-Malo par la 83ème division aéroportée sous le napalm américain, l’ouverture des camps de la mort et bien sûr cette photo iconique prise dans la baignoire d’Hitler à Munich.

La faute surtout selon moi – mais j’ai conscience de m’aventurer sur un terrain dangereux – à un parti pris féministe qui, avant de considérer Lee Miller comme une photographe la considère comme une femme. Une femme en butte au sexisme ordinaire qui prévalait dans les années quarante et qui prévalait de plus fort dans les rangs de l’armée. Une femme qui sait se jouer de tous les obstacles à force d’intelligence, d’humour, d’aplomb ou d’entêtement. Une femme traumatisée dans sa petite enfance et qui en fait la confession au moment le plus incongru du film, comme si le scénariste avait été contraint de placer ce passage obligé quelque part et n’importe où.

On me dira que Lee Miller est le portrait d’une « femme puissante » – l’expression est à la mode – interprétée par une des actrices les plus représentatives de cet empowerment. Ce n’est pas faux. Mais je regrette que son biopic à l’êre #MeToo se réduise à la liste des obstacles qu’elle a dû franchir pour être reconnue. Comme l’avait montré l’excellent livre de Marc Lambron, L’Œil du silence (Flammarion, 1983), la principale qualité de Lee Miller, la raison pour laquelle elle est entrée dans la légende n’était pas son sexe, mais ses photos. Et on regrettera qu’il faille attendre le générique de fin pour les voir.

La bande-annonce

Megalopolis ★☆☆☆

Dans un futur (ou un passé ?) dystopique, la mégalopole de New Rome est au bord du chaos. Cesar Catilina (Adam Driver), un jeune architecte, nobélisé pour l’invention d’un nouveau matériau révolutionnaire, y est en charge de l’urbanisme. Ses projets disruptifs se heurtent au conservatisme du maire, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito). La fille de celui-ci, Julia Cicero, devient l’attachée de presse de Cesar Catalina et bientôt son amante.

Il l’a fait ! À quatre-vingts ans passés, Francis Ford Coppola a enfin réalisé le projet qu’il portait depuis plusieurs décennies. Pour rassembler la centaine de millions de dollars nécessaires à la production, il a dit-on puisé dans ses réserves personnelles et dans les profits générés par ses vignobles dans la Napa Valley. Le résultat est à l’image du personnage : gargantuesque.

On aurait aimé adorer Megalopolis, y voir le summum de la carrière d’un des plus grands réalisateurs contemporains, une œuvre à la démesure de son œuvre. Mais la vérité oblige à reconnaître, comme les festivaliers à Cannes et la critique quasi-unanime, que le résultat est raté. Megalopolis est un grand n’importe quoi foutraque. Les références à la Rome antique – et notamment à la conjuration de Catilina qui manqua renverser la république romaine, sauvée par Cicéron en 60 av. J.-C. – à Fritz Lang, à Shakespeare, au Dictateur de Chaplin, à Fellini, sont si nombreuses, si envahissantes qu’elles finissent par étouffer le film sous leur poids.

Les images sont certes envoûtantes. La bande-annonce nous avait mis l’eau à la bouche en en dévoilant quelques-unes. Mais cette débauche d’effets spéciaux tourne à vide. On décroche rapidement d’un scénario dont on ne comprend pas grand-chose sinon qu’il se résume, tout bien considéré, à opposer les rêves utopiques de César Catilina à la froideur conservatrice de Cicero et de sa clique. Quant aux acteurs, aussi prestigieux et nombreux soient-ils (Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne…), Coppola ne sait pas les diriger, les plus malaisants étant les rôles féminins (Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Talia Shire…) réduits au rang de faire-valoir.

La bande-annonce

Emmanuelle ☆☆☆☆

Après un vol intercontinental en classe affaires, agrémenté d’un passage aux toilettes, l’héroïne anonyme (Noémie Merlant) atterrit à Hong-Kong. Elle y loge dans un palace dont elle doit évaluer la qualité des prestations dans le but bientôt révélé d’en licencier la directrice (Naomi Watts).

Un Emmanuelle 2024 ? Soixante ans après la publication du roman d’Emmanuelle Arsan qui fit scandale et surtout cinquante après l’incroyable succès du film de Justin Jaeckin qui attira près de dix millions de spectateurs en salles et dont la légende affirme qu’il resta treize ans à l’affiche sur les Champs-Elysées ? Voilà un pari bien risqué. Mais un pari alléchant quand on voit le trio féminin et féministe qui l’a relevé. Audrey Diwan à la réalisation, auréolée du succès, ô combien mérité, de son précédent film, L’Evénément, Lion d’or à Venise en 2021, l’adaptation glaçante du roman autobiographique d’Annie Ernaux qui y racontait son avortement clandestin au début des années soixante à Rouen. Rebecca Zlotowski pour l’épauler au scénario, l’intello du cinéma français (Normale Sup, agrégation, Fémis), dont les films (Belle Épine, Une fille facile, Les Enfants des autres) peuvent se lire comme un projet de déconstruction des représentations genrées. Et enfin Noémie Merlant, la star qui, depuis son second rôle dans Portrait de la jeune fille en feu, enflamme tout sur son passage.

Emmanuelle 2024 courait le risque de décevoir tout le monde. Les vieux messieurs libidineux qui, comme moi, seraient allés le voir en espérant à tort y retrouver les émotions érotiques ressenties une cinquantaine d’années plus tôt. Et les jeunes Femen scandalisées par la réhabilitation de cette figure honnie de femme-objet.

Avec 44.000 entrées en première semaine, il a fait un bide retentissant. J’aurais pourtant imaginé qu’il suscite, au moins en première semaine, la curiosité d’un public plus nombreux.
La raison en est tout simplement que c’est un film calamiteux. On dirait une longue pub pour un parfum de luxe, ou pour une compagnie aérienne extrême-orientale. À chaque plan, on se demande si Charlize Theron ne va pas surgir d’une piscine dorée ou si une hôtesse en talons hauts ne va pas nous tendre un oshibori.

Audrey Diwan fait du neuf avec du vieux et voudrait nous faire penser que les choses ont changé. L’Emmanuelle de 1974 était une épouse oisive. Celle de 2024 (mais s’appelle-t-elle seulement Emmanuelle ?) est une cost killeuse célibataire. Sylvia Kristel évoluait à Bangkok, Noémie Merlant à Hong Kong, dans un hôtel dont elle ne franchit quasiment jamais les portes. La première était cornaquée par Alain Cuny ; la seconde court après un métis chinois, d’autant plus désirable qu’il se refuse obstinément à elle. Seul trait commun, tout bien considéré, entre les deux femmes : elles explorent leur sexualité à la recherche d’un impossible orgasme qu’elles finiront par atteindre dans un final explosif (spoiler !)

Je n’ai pas trouvé sensuelle le moins du monde l’esthétique léchée (sic) de ce film. Elle n’a suscité en moi aucun trouble. Aurais-je eu la même réaction si je l’avais vu à vingt ans, les hormones bouillonnantes ? En tout état de cause, hormones bouillonnantes ou pas, je n’y ai pas vu non plus une réflexion très stimulante sur la femme, son empowerment, son agency et la réappropriation de son plaisir.

La bande-annonce