1886. Gustave Eiffel (Romain Duris) rentre de New York, où il a construit la structure métallique de la Statue de la liberté, auréolé de gloire. L’Exposition universelle de 1889 se prépare ; mais Eiffel ne voit pas l’intérêt de construire un projet éphémère et préfère s’intéresser au futur métro. Il changera d’avis après avoir retrouvé Adrienne (Emma Mackey), un amour de jeunesse, et se lancera dans le défi inouï de construire une tour métallique de trois cents mètres de haut.
Voilà plus de vingt ans que le scénario de Caroline Bongrand circulait des deux côtés de l’Atlantique, entre Paris et Hollywood. Luc Besson envisagea de le réaliser, avec Gérard Depardieu dans le rôle d’Eiffel et Isabelle Adjani dans celui d’Adrienne : peut-être Rodin et Camille Claudel y auraient-ils eu des seconds rôles. Christophe Baratier (Les Choristes) et Olivier Dahan (La Môme) ont été approchés : ils auraient, qui sait, fait chanter les ouvriers depuis leurs échafaudages. Et même Ridley Scott – qui aurait, sait-on jamais, organisé un combat de gladiateurs ou une course poursuites d’androïdes au pied de la Tour.
Le projet est finalement échu à Martin Bourboulon, un réalisateur venu de la publicité qui ne peut guère afficher à sa filmographie que les oubliables Papa ou Maman 1 et 2 (j’en dis du mal sans les avoir vus). C’est peu dire que le résultat en est navrant.
La principale erreur – est-elle d’ailleurs la faute du malheureux réalisateur ou des nombreux co-scénaristes qui ont, sur le métier, cent fois remis leur ouvrage ? – est de vouloir raconter la construction de la tour à travers une romance sirupeuse. La romance réunit, on l’a dit, Gustave Eiffel et Adrienne qu’il avait rencontrée trente ans plus tôt à Bordeaux où il construisait un pont métallique avant-gardiste. Il serait injuste de jeter la pierre aux deux têtes d’affiche : Romain Duris a beau approcher la cinquantaine, il n’en demeure pas moins toujours aussi juvénile et séduisant. Quant à l’actrice franco-britannique Emma Mackey, la révélation de la série Netflix Sex Education, elle est voluptueuse à souhait.
Une sournoise polémique a surgi autour de leur écart d’âge : censés incarner deux personnages du même âge, Romain Duris a en fait vingt ans de plus que sa jeune partenaire, reproduisant, selon certains, les stéréotypes phallocratiques les plus dégradants. Le problème me semble moins être celui de cet écart d’âge que celui des flashbacks dont le film est lardé où le réalisateur a laissé interpréter par les mêmes acteurs, lourdement grimés, leurs rôles en 1860 et en 1889.
Eiffel nous promettait de nous raconter la construction de la Tour. Or on n’en voit pas grand chose, sinon quelques arrières-plans certes majestueux, mais qui sentent les effets spéciaux à plein nez. Bien sûr, la promotion du film a beau jeu d’invoquer Titanic où le naufrage du luxueux transatlantique était raconté à travers la folle histoire d’amour de deux de ses passagers. Mais n’est pas James Cameron – ou Leonardo di Caprio ou Kate Winslet – qui veut ! Certes, l’histoire de l’amour impossible de Gustave et Adrienne est touchante ; mais elle nous distrait de l’essentiel : cette Tour monstrueuse et pourtant si élégante dont l’érection (je n’ai pas pu résister !) ne donne lieu qu’à deux scènes isolées, dans ses fondations où l’eau menace de monter et à son premier étage dont il faut, au millimètre près, agencer les piliers.
Ces deux séquences orphelines laissent augurer ce qu’aurait pu être un film réussi sur la construction de la Tour : une histoire qui au lieu de nous cantonner dans la chambre à coucher de Gustave et Adrienne nous aurait donné le vertige d’une construction babélienne.