Cent mille dollars au soleil (1964) ★★★☆

Castagliano (Gert Fröbe), le directeur d’une compagnie de transport installée dans le Sud marocain a embauché un nouveau chauffeur pour lui confier la responsabilité d’un poids lourd à la cargaison mystérieuse. Flairant un bon coup, Rocco (Jean-Paul Belmondo), un autre routier, en prend le volant et s’enfuit avec le précieux chargement en compagnie de Pepa (Andréa Parisy), sa maîtresse. Fou de colère, Castagliano missionne Marec (Lino Ventura) pour le rattraper. S’engage une course poursuite dans l’Atlas marocain.

Cent mille dollars au soleil est un film archétypique du cinéma de Henri Verneuil qui lui vaudra d’être voué aux gémonies par les cinéastes de la Nouvelle Vague. Un « cinéma à la papa » qui louche du côté de la série B, dont les lourds relents machistes et racistes scandaliseront les wokistes les plus sourcilleux. Dans le genre, Cent mille dollars au soleil pousse le bouchon vraiment très loin, dont les héros machos considèrent chaque femme et chaque Arabe qu’ils croisent avec un paternalisme d’un autre âge.

Henri Verneuil a su s’entourer des plus grandes stars françaises : Fernandel (La Vache et le Prisonnier, près de neuf millions de spectateurs à sa sortie en 1959 et combien de rediffusions à la télé), Gabin (Le Président, Un singe en hiver), Delon (Mélodie en sous-sol, Le Clan des siciliens), Montand (I… comme Icare), Dewaere (Mille milliards de dollars) mais aussi Belmondo avec lequel il ne tourne pas moins de huit films qui sont – presque – tous des succès, ou Ventura. Aucune femme ou presque dans ce cinéma viriliste où elles sont réduites aux rôles de maman ou de putain.
À la musique Georges Delerue. Aux dialogues Michel Audiard dont certaines répliques sont devenues mythiques : « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent » ou encore «  Dans la vie on partage toujours la merde, jamais le pognon ».

Le scénario du film, ses personnages, ses décors rappellent furieusement Le Salaire de la peur. Sa dernière scène, tournée à Marrakech, est entrée dans la légende. Quand j’avais treize ans, je me souviens être allé dans le cinéma de ma petite ville de province voir Les Morfalous et l’avoir adoré. Je ne connaissais pas encore Cent Mille dollars…. dont Les Morfalous constitue la lointaine et pâle resucée.

La bande-annonce

My Name is Gulpilil ★☆☆☆

David Gulpilil est un acteur australien aborigène né en 1953 dans un territoire quasiment inaccessible sans contact avec le monde moderne. Repéré encore adolescent, il joue à seize ans dans le film La Randonnée et devient immédiatement célèbre. Pendant quarante ans on le retrouve à l’affiche des plus grands films australiens où il tient immanquablement le rôle de l’aborigène de service, fier, nu et authentique : Crocodile Dundee, Le Chemin de la Liberté, Australia, Charlie’s Country….
La documentariste Molly Reynolds l’a retrouvé en 2017 dans le Sud de l’Australie où l’acteur vieillissant se meurt lentement d’un cancer des poumons et jette sur sa vie, à cheval entre deux cultures, un regard lucide.

My Name is Gulpilil a l’avantage de nous faire retrouver cet acteur anonyme que nous avions tous, un jour ou l’autre, aperçu au détour d’un  film australien sans mettre un nom à son visage. Il a aussi l’avantage de mettre le doigt sur le drame intérieur vécu par les Aborigènes, brutalement propulsés dans la modernité et souvent fracassés par le choc des cultures, comme David Gulpilil qui s’est détruit à force d’alcool et de drogue au mirage de sa soudaine célébrité.

Mais les défauts du film l’emportent sur ses qualités. La personnalité de David Gulpilil devrait compter au rang des secondes ; mais hélas, tel n’est pas le cas. Bien sûr, il n’est guère bienveillant de tirer sur l’ambulance et de ne pas se laisser attendrir par ce vieillard au bout du rouleau qui peine à aller chaque jour au bout de son allée y relever sa boîte aux lettres. Mais force est d’avouer que suivre un vieillard qui va chaque matin, le pas lourd, chercher son courrier, n’a rien de follement excitant et que la vanité qu’il révèle dans la narration de ses souvenirs devient vite exaspérante. Sauf à considérer, si on est très très bienveillant, que cette vanité est la défense qu’il s’est construite pour se protéger d’un monde qui ne l’a jamais intégré…

La bande-annonce

La Page blanche ★★☆☆

Une jeune femme (Sara Giraudeau) est assise sur un banc à Montmartre. Elle a perdu la mémoire et son téléphone portable. Pour l’aider à les retrouver, elle pourra compter sur Sonia (Sarah Succo), une collègue de travail, et Moby Dick, un Géo Trouvetou de l’informatique (Pierre Deladonchamps)

Murielle Magellan adapte la BD de Pénélope Bagieu et Boulet. Elle en conserve la poésie et la drôlerie. Elle a l’idée de génie d’en confier le rôle principal à Sara Giraudeau dont les mimiques de clown triste et la silhouette lunaire collent parfaitement au personnage.

L’idée de départ est riche en potentiel comique. C’est la partie la plus drôle du film. Comment l’héroïne va-t-elle retrouver son nom ? son adresse ? le digicode de son entrée ? le mot de passe de son ordinateur ? Où ira-t-elle travailler le lendemain et que dira-t-elle à ses collègues ? Comment se comportera-t-elle face à son amant (Grégoire Ludig) dont elle a tout oublié et face auquel elle ne sait plus sur quel pied danser ?

La Page blanche est moins réussi quand il verse dans un discours moralisateur : « on devrait tous perdre la mémoire au moins une fois dans sa vie » histoire de reconsidérer les – fausses – valeurs sur lesquelles on avait jusqu’alors construit sa vie. Car la nouvelle Héloïse – pardon Elodie – découvre l’horrible fille qu’elle était jusqu’alors : superficielle, snob, volage…. et va essayer de refonder sa vie sur d’autres bases plus saines. Cette quête passera par une virée en province sur la trace de ses parents, dont le film aurait pu sans dommage faire l’économie.

La Page blanche n’en reste pas moins un très agréable moment, plein de tendresse et de poésie, un feel good movie qui évite les pièges de la mièvrerie.

La bande-annonce

Affreux, sales et méchants (1976) ★★★☆

Une vingtaine de gueux s’entassent dans un minuscule taudis d’un bidonville à Rome. Giacinto (Nino Manfredi) y règne en despote, assis sur le magot qui lui a été versé par son employeur après la perte de son oeil gauche. Sa femme, sa mère impotente, ses enfants et ses beaux-enfants vivent ou survivent dans un bruit insupportable et une crasse répugnante  : les garçons volent, les filles se prostituent tandis que les plus jeunes sont parqués dans un enclos pour éviter de se dissiper.

Une rétrospective au Champo donne l’occasion de voir ou de revoir les principaux films de Ettore Scola. Son étoile a toujours souffert de la concurrence de ses aînés : Rossellini, De Sica, Fellini, Pasolini, Visconti… Son succès coïncide avec le début du déclin du cinéma italien. Affreux, sales et méchants marque son apothéose : Nous nous sommes tant aimés, sorti deux ans plus tôt, l’aura fait connaître dans le monde entier, Une journée particulière, sorti un an plus tard, confirmera sa renommée.

Réalisateur si élégant, si nostalgique, Scola réalise avec Affreux, sales et méchants, une satire grinçante qui louche du côté de Dino Risi et des outrances de la comédie italienne. Rien n’est trop gros, trop gras, trop grotesque, trop grinçant chez les gueux de Scola qui se disputent, se frappent, se saoulent, se prennent avec une bestialité répugnante. Nino Manfredi s’en donne à cœur joie dans le rôle du patriarche tyrannique et veule, au risque de verser dans la caricature.

Bien entendu, cette surenchère cache un message humaniste (même si Ettore Scola, à la différence de la plupart de ses collègues, n’a jamais flirté avec le parti communiste) : le quart-monde qu’il dépeint , comme chez Rossellini (Rome ville ouverte), Fellini (Les Nuits de Cabiria) ou Pasolini (Accatone), suscite la pitié plus que le dégoût. Et cette gamine – dont je n’arrive pas à retrouver le prénom – qu’on voit au début du film, à l’aube blanchissante, chausser ses bottes jaunes pour aller puiser l’eau et qu’on revoit au dernier plan du film à la même heure dans la même activité, cette fois-ci le ventre gonflé par une grossesse sans doute non désirée, nous arracherait presque des larmes….

La bande-annonce

Rodéo ★☆☆☆

Julia (Julie Ledru) est une jeune femme sans toit ni loi, qui ne vit dans la banlieue bordelaise que pour sa seule passion : le cross-bitume. Sur une « ligne », après un accident dramatique qui emportera l’un de ses membres, elle réussit à s’incruster dans une bande de motards dirigée d’une main de fer depuis sa cellule de prison par Domino. Tandis que Julia se rapproche d’Ophélie, la compagne de Domino, elle tente non sans mal de se faire une place dans la bande, exclusivement masculine.

Rodéo arrive sur les écrans cette semaine, précédé de la réputation flatteuse qu’il a acquise lors de sa projection à Cannes – dans la section Un certain regard où il a été élu Coup de cœur du jury – et du parfum de scandale qu’a suscité une interview de sa réalisatrice. Après avoir affirmé que « Les accidents sont souvent causés par les flics qui prennent en chasse et qui poussent les riders vers la mort », Lola Quivoron a répliqué que ses propos avaient été sortis de leur contexte, que les bavures policières n’étaient pas le sujet de son film et que le cross-bitume qu’elle y montre ne saurait être assimilé aux rodéos urbains.

Loin de cette polémique, on peut critiquer Rodéo pour ce qu’il est. Force est de reconnaître la belle énergie qui le traverse et le talent brut de son héroïne dont c’est le premier rôle. Les critiques rapprochent Rodéo de Titane car les deux films évoquent une fusion du corps et qu’ils sont l’oeuvre de deux jeunes réalisatrices. Je ne suis pas sûr que la comparaison soit pertinente. Rodéo n’a pas les fulgurances science-fictionnelles de Titane – qui ont tant clivé ses spectateurs.

Il me semble plus opérant de rapprocher Rodéo d’autres films – d’ailleurs eux aussi tournés par des femmes – qui ont pour thème la douloureuse sortie de l’adolescence : Sans toit ni loi d’Agnès Varda (qui révéla Sandrine Bonnaire), Belle Epine de Rebecca Zlotowsky (qui révéla Léa Seydoux), Suzanne de Katell Quilleveré (où explose le talent de Sara Forestier)…

Rodéo prend pour toile de fond le cross-bitume. Mais le cross-bitume n’est pas le sujet de son film – pas plus que les courses de voitures ne sont celui de La Fureur de vivre. Il donne pourtant lieu à quelques scènes documentaires où on sent que la réalisatrice s’est laissée fasciner par les images spectaculaires qu’elle était en train de tourner au risque d’oublier en chemin le sujet de son film.

Le défaut de Rodéo est que, tout bien considéré, il se réduit à pas grand-chose. Rodéo est un film faussement punk qui nous raconte sagement une histoire banale : le coming-of-age d’une adolescente rebelle.

La bande-annonce

Tout le monde aime Jeanne ★★★☆

Jeanne Mayer (Blanche Gardin) est une jeune start-upeuse propulsée sur le devant de la scène médiatique pour une invention de génie – un filtre biodégradable capable de nettoyer les océans de leur plastique – et rapidement déchue de sa gloire éphémère après le naufrage de son projet. Sa situation financière ayant du plomb dans l’aile, elle n’a d’autre solution que d’aller vendre l’appartement que sa mère (Marthe Keller), suicidée l’an dernier, a légué à Lisbonne, à elle et à son frère (Maxence Tual).
Dans l’avion qui l’y amène, Jeanne retrouve Jean (Laurent Lafitte), un ancien camarade de lycée.

J’ai vu ad nauseam, pendant les semaines qui ont précédé sa sortie, la bande-annonce de Tout le monde aime Jeanne qui m’avait rebuté. J’imaginais à tort une banale comédie romantique française construite autour de Blanche Gardin et tout entière calibrée pour capitaliser sur son potentiel comique.
Je ne me trompais pas tout à fait : Tout le monde… est bien une comédie romantique dont l’issue ne surprendra guère ou, pire, nous confirmera dans nos préjugés. C’est aussi un film tout entier construit autour de Blanche Gardin, Laurent Lafitte, malgré sa popularité et son immense talent, en étant réduit au second rôle.

Mais Tout le monde…. ne s’y réduit pas. Le premier film de Céline Devaux, qui vient de l’animation, est une sacrée réussite qui dépasse de plusieurs têtes le tout-venant télévisuel auquel la comédie française nous avait habitué. Et ce pour trois raisons.

La première, c’est bien sûr Blanche Gardin, dont les one-woman shows me font hurler de rire tout en me mettant terriblement mal à l’aise tant son humour est souvent border line. Elle est ici de tous les plans, le film étant construit autour de la dépression qu’elle traverse. Une dépression causée à la fois par son échec professionnel et par le deuil qu’elle doit faire d’une mère avec laquelle elle entretenait des relations compliquées. Une telle exposition était la porte ouverte à toutes les surenchères. Blanche Gardin et sa réalisatrice ont eu au contraire l’intelligence de se brider. Blanche Gardin n’en rajoute pas. Mieux : elle sous-joue. Le comique nait moins d’elle que de son double imaginaire, un fantôme de papier qui apparaît sous le crayon de Céline Devaux et qui dit tout haut ce que Jeanne pense tout bas.

La deuxième, c’est Laurent Lafitte. Cet acteur est un génie. Il sait tout faire. Quand donc obtiendra-t-il le César du meilleur acteur qu’il mérite tant ? La bande-annonce laissait escompter un beauf envahissant qui finirait par séduire Jeanne en la sortant de sa dépression. Le personnage de Jean est plus complexe : il est moins beauf que gentiment toc-toc, moins irritant que désopilant. Ses répliques décalées sinon malaisantes (« Je suis content que tu sois encore en vie »…) font mouche sans faire exprès, l’air de rien et instille une poésie et une loufoquerie inattendues.

La troisième, c’est Lisbonne où se déroule le film. Il aurait pu tout aussi bien se passer à Paris comme tant de comédies françaises. Mais il n’aurait pas eu le même charme. Céline Devaux ne cède pas à la tentation d’en faire un décor de carte postale. On n’en verra même pas la Tour de Belem ou le Monastère des Hiéronymites. Mais on en humera le parfum sucré des pasteis, on sentira sur sa peau le soleil rasant de l’Atlantique, on en entendra la musique chuintante de la langue….

Comédie de la dépression et du deuil, Tout le monde aime Jeanne réussit à nous faire rire sur un sujet grave.

La bande-annonce

Plan 75 ★★☆☆

Pour lutter contre le vieillissement de sa population qui obère ses finances publiques, le Japon a mis en place un plan d’accompagnement à l’euthanasie dénommé Plan 75 destiné – comme son nom l’indique – aux plus de soixante-quinze ans. Michi, une octogénaire, qui vient de perdre son emploi de femme de ménage dans un grand hôtel et dont le logement va être détruit sans espoir d’en retrouver un rapidement, se résout à y souscrire. Hiromi, un jeune cadre, a été embauché par l’organisation en charge du Plan 75 et a la responsabilité de convaincre des retraités de signer ces contrats. Maria enfin est une Philippine, émigrée au Japon et travaillant au chevet des personnes âgées pour y économiser la somme nécessaire à l’opération de sa petite fille de cinq ans, atteinte d’une grave malformation cardiaque.

Plan 75 est un film glaçant et dérangeant qui évoque immanquablement Soleil vert, le film d’anticipation américain avec Charlton Heston et Edward G. Robinson qui a marqué tant de spectateurs. Soleil vert était un film de science-fiction censé se dérouler à New York en 2022 (sic) dans une mégalopole écrasée par la chaleur, manquant d’eau et de nourriture.
Plan 75 est moins apocalyptique. Le Japon qui y est filmé ressemble à s’y méprendre au Japon d’aujourd’hui. Son eugénisme n’en est que d’autant plus crédible et d’autant plus effrayant.

Plan 75 est un film minimaliste, sans effets spéciaux tape-à-l’oeil, sans rebondissements renversants. Il se contente de raconter l’histoire de trois ou quatre personnages (aux trois évoqués dans mon résumé, il faut peut-être rajouter Yoko, une autre employée de l’organisation, chargée de l’accueil téléphonique, qui noue avec Michi une relation filiale) dont on anticipe qu’ils finiront par se rencontrer. Une de ses plus grandes qualités est de dévoiler très progressivement les grandes lignes de ce programme eugéniste sans verser pour autant dans l’horreur anthropophage de Soleil vert – où Charlton Heston finit par découvrir que les corps reconditionnés des morts servent à nourrir les vivants.

Loin de tout artifice science-fictionnel, Plan 75 pose frontalement la question de la place des personnes âgées – et des plus faibles – dans nos sociétés contemporaines. Il interroge notre capacité et notre disponibilité à leur faire une place. Elle représente une charge financièrement et surtout émotionnellement très lourde que la tentation est grande de déléguer à des institutions spécialisées et ségrégées et d’y employer des personnels immigrés (des Philippins au Japon).

Si les sujets du vieillissement, de l’euthanasie et de l’eugénisme sont universels, ils ont au Japon un écho particulier. En raison d’abord du vieillissement de la population du pays, parmi les plus âgées au monde du fait d’une espérance de vie très élevée, d’une natalité faiblissante et d’une immigration cadenassée. En raison aussi d’un trait particulier de la psychologie japonaise où l’idée de peser sur les autres, d’être à leur charge est intolérable. Si bien qu’il est fréquent d’y voir des personnes âgées voire très âgées toujours en activité, employées à des tâches pourtant très usantes.

Amateurs de feel-good movie, sexagénaires que la perspective de la retraite effraie, lecteurs de Cioran obsédés par la mort ou le suicide, passez votre chemin ! Ce film n’est pas pour vous !

La bande-annonce

Walden ★☆☆☆

Jana (Fabienne Babe) revient en Lituanie après plusieurs années d’exil. Elle se souvient de son adolescence avant la chute du Mur, de sa rencontre avec Paulius, un jeune rebelle, qui espérait s’enrichir dans le trafic de devises, avec lequel elle avait fugué au bord d’un lac qu’ils avaient baptisé « Walden ».

Walden aurait pu explorer un sujet intéressant : la nostalgie. Sur le papier, il nous promettait un voyage dans l’espace (entre la France et l’ex-URSS) et dans le temps qui aurait pu être l’occasion d’un regard rétrospectif sur une période nimbée de la passion des premières amours adolescentes malgré la dureté des temps communistes.

Mais le film ne fonctionne pas ; car ses deux parties ne sont pas raccord. La faute en incombe à Fabienne Babe, beaucoup trop française pour être crédible dans le rôle d’une Lituanienne quinquagénaire de retour au pays natal. Les séquences où on la voit errer dans les bois en compagnie d’un architecte polonais à la recherche de ce fameux lac noyé dans les brumes de son souvenir s’étirent interminablement et n’ont guère d’intérêt.

En revanche sont beaucoup plus réussies les séquences censées se dérouler en janvier 1989, dans une Lituanie grise et sombre, encore étouffée sous la chappe de plomb soviétique. Elles auraient suffi à elles seules à nourrir tout le film. On y voit la jeune Jana, première de la classe, fondre sous le charme du fantasque Paulius, qui l’associe à ses combines et à ses rêves d’évasion. La réussite de ces scènes doit beaucoup à la jeune actrice Ina Marija Bartaité, la fille du grand réalisateur lituanien Šarūnas Bartas, qui est tragiquement décédée début 2021 à vingt-quatre ans à peine, fauchée par un chauffard dans les rues de Vilnius.

La bande-annonce

Revoir Paris ★★★☆

Mia (Virginie Efira) et Vincent (Grégoire Colin) menaient une vie de couple sans histoire, elle interprète de russe, lui chef de service à l’hôpital, jusqu’à ce qu’un soir de pluie, après un dîner en amoureux, Mia se retrouve prise au piège dans une brasserie visée par un attentat terroriste.
Trois mois plus tard, en plein choc post-traumatique, Mia cherche à retrouver les souvenirs que sa mémoire a chassés. Elle retourne sur les lieux du drame, participe aux réunions d’une association de victimes, noue des liens d’amitié avec quelques survivants, parmi lesquels Thomas (Benoît Magimel) sévèrement blessé à la jambe. Sa quête devient vite obsessionnelle.

Revoir Paris courait le risque de s’échouer sur deux écueils.

Le premier était son héroïne, incarnée par Virginie Efira, dont le visage mange la moitié de l’affiche. Elle est aujourd’hui quasiment l’actrice la plus bankable du cinéma français, omniprésente pour tous les rôles de 30-40 ans de femme sensuelle, libre et aimante : Police, Adieu les cons, Benedeta, Madeleine Collins, Lui, En attendant Bojangles, Don Juan… pour ne citer que les films d’elle sortis ces deux dernières années ! Une telle omniprésence provoque un risque d’overdose, à l’instar d’Isabelle Huppert ou Catherine Deneuve chez les comédiennes plus âgées, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos chez les plus jeunes. Chaque spectateur réagira à sa façon – nul besoin ici de rappeler l’exaspération épidermique que provoque chez moi chacune des apparitions de Isabelle Huppert dont j’endure pourtant chacun des films.

En ce qui me concerne, j’adore Virginie Efira. J’adore la douceur de ses traits ; j’adore la volupté de ses courbes – bien qu’elle ait quelques kilos de trop à l’aune du diktat intransigeant qui prévaut de nos jours – j’adore les intonations de sa voix. Et je ne m’en lasse pas….
Je pourrais dire la même chose de Benoît Magimel qui, depuis quelques mois, connaît un retour en force. Il vient d’obtenir le César du meilleur acteur pour le rôle déchirant de cancéreux en fin de vie qu’il incarne dans De son vivant. Désormais spécialisé dans les rôles de grand corps malade, il est sur son lit d’hôpital follement sexy dans Revoir Paris avec, lui aussi, une voix reconnaissable entre mille et un sourire gouailleur irrésistible.

Le second écueil sur lequel Revoir Paris aurait pu s’échouer est son thème. Les attentats terroristes sont en passe de devenir un marronnier du cinéma et de la littérature française. Ce sujet-là a suscité deux des livres les plus réussis de ces derniers mois : La Mythomane du Bataclan d’Alexandre Kaufmann et V13 d’Emmanuel Carrère. Alors que vient de s’achever le procès du V13, on attend le 5 octobre la sortie de Novembre, le thriller de Cédric Jimenez, avec Jean Dujardin, projeté à Cannes, sur la traque des membres du commando terroriste et celle de Vous n’aurez pas ma haine le 2 novembre, adapté de la lettre ouverte déchirante d’humanité d’Antoine Leiris.

L’immense qualité du film d’Alice Winocour – dont on avait aimé Augustine, Maryland et Proxima – est sa pudeur. La réalisatrice la doit peut-être à sa propre histoire : son frère faisait partie des otages du Bataclan, miraculeusement épargné. Avec beaucoup de sensibilité, elle montre comment cet attentat a rapproché les victimes, nouant entre elles un lien indéfectible ; elle montre aussi comment elle les a douloureusement éloignées de leurs familles, de leurs amis, qui n’ont pas partagé cette expérience unique.
Elle montre aussi l’ampleur du traumatisme subi, la difficulté à le surmonter et les voies, chaque fois différentes, qu’emprunte chacun pour y parvenir. Pour Mia, avec son blouson en cuir et son jean, sur sa Triumph rugissante, cela passera par « revoir Paris » qu’elle sillonne de part en part pour ravauder l’écheveau de sa mémoire parcheminée.

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Rebel ★☆☆☆

Kemal est un fils de Molenbeek, cette banlieue de Bruxelles devenue tristement célèbre comme creuset du terrorisme islamiste. Au grand dam de sa mère (Lubna Azabal), il aime les motos, le rap et l’argent facile. Son jeune frère, Nassim, l’idolâtre. Pour échapper à la police belge qui le recherche pour ses petits trafics, Kemal décide en 2012 de partir en Syrie. Il y découvre à son corps défendant la logique meurtrière que Daech déchaîne contre tous ses ennemis.
Tandis qu’il essaie de s’échapper de Racca et que son frère se fait embrigader, sa mère va tout faire pour les sauver l’un et l’autre.

La radicalisation, comment des jeunes Occidentaux, de confession musulmane ou fraîchement convertis, s’y laissent attraper au risque de s’y perdre : le thème est d’une brûlante actualité. Le cinéma s’en est saisi au point qu’on frise l’overdose devant les films sur ce thème depuis quelques années : La DésintégrationMade in FranceLes CowboysLe ciel attendraMon cher enfantExfiltrésLe Jeune AhmedL’Adieu à la nuit… sans oublier la remarquable mini-série Kalifat diffusée sur Netflix pendant le Covid.

Rebel a l’inconvénient de venir après cette longue série. Il ne raconte rien qu’on n’ait déjà vu : le malaise identitaire d’une jeunesse déboussolée qui croit trouver dans l’islam un refuge, le départ en Syrie et la brutale découverte d’un ordre violent et implacable, les tentatives anxiogènes de s’en évader, le coup de chapeau à la résistance kurde et à ses courageuses guerrières, etc….

Mais Rebel ajoute à ce défaut là deux autres, bien plus gênants. Le premier est d’esthétiser la violence qu’on prétend dénoncer, au risque de la complaisance.
Le second est la caricature dans laquelle Rebel verse souvent. Ses personnages sont tout d’une pièce, réduits au trait de caractère qu’ils sont censés incarner. Le héros, jeune, séduisant et sympathique et positif – quelles que soient les fautes qu’ils aient commises. L’humanité dont il fait preuve avec la femme, Noor, qu’il se voit attribuer au marché des esclaves, atteste de son bon fond. Nassim, le petit frère – bien jeune pour le rôle d’un candidat au Djihad – incarne l’enfance bafouée et instrumentalisée. Leur mère est tout à la fois Mater Dolorosa et Mère courage, prête à tout pour sauver ses deux enfants – au point qu’on se demande comment tant de qualités ont pu conduire à l’échec de leur éducation.

Rebel achève de se décrédibiliser avec les trois clips videos qui s’intercalent dans le récit, comme si le viol d’un personnage ou la mort d’un autre se racontait mieux en chantant. Ô secours Michel Sardou !

La bande-annonce