L’Île ★★☆☆

Damien Manivel (Le Parc, Les Enfants d’Isadora, Magdala) avait le projet de réunir une bande d’adolescents pour filmer en un seul plan séquence leur dernière nuit ensemble, sur une plage bretonne, à la veille du départ de l’une d’entre eux au Canada. Faute de financement, ce film n’a pas été tourné. Mais des rushes ont été gardés des deux semaines que la petite troupe avait passées, au début de l’été, pour apprendre à se connaître et répéter ensemble. Ce sont ces rushes que le producteur du film a convaincu le réalisateur de monter et d’en faire un film.

L’Île n’est pas le making of d’un film qui ne s’est pas fait. Il en est le brouillon.

Le résultat est étonnant. On a l’habitude de voir des films, des produits achevés, parfaits, ou du moins qui aspirent à la perfection. Ici, au contraire, on voit les coutures. On voit ce qui a précédé immédiatement le film. Son scénario et ses dialogues sont déjà écrits ; mais reste aux acteurs à se les approprier.

L’Île nous montre ce que nous ne voyons d’habitude pas. Et cette révélation donne au film, au produit fini, une épaisseur étonnante. Un geste d’un acteur qui a l’air si naturel devient le résultat d’une longue préparation, de multiples tâtonnements. On découvre ici à la fois la difficulté de jouer, l’art de la mise en scène et le talent de certains acteurs, plus doués que d’autres.

Le paradoxe de L’Île est que tout laisse augurer que le film, s’il avait été tourné, aurait été passablement raté. Il visite un thème déjà mille fois défriché, celui de la fin de l’adolescence, de l’entrée dans l’âge adulte, de l’excitation des envols et de la tristesse des séparations. Ses situations, ses dialogues semblent d’une grande platitude.
Mais si le produit fini, qu’on ne verra jamais, semble assez quelconque, son brouillon n’en est pas moins très instructif. Et, une fois qu’on est arrivé à cette conclusion s’ouvre devant nous un abîme : parmi tous les films très ennuyeux qu’on a vus ces derniers mois, combien auraient été plus intéressants si on n’en avait vu que les répétitions ?

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Le monde est à eux ★☆☆☆

Jérémie Fontanieu, professeur d’économie en terminale au lycée Delacroix de Drancy, acoquiné avec son collègue en mathématiques, se targue d’avoir inventé une méthode garantissant 100 % de réussite au baccalauréat. Il la met en oeuvre avec succès depuis 2015. Il a décidé de filmer avec leur accord les élèves de la promotion 2019-2020 – sans bizarrement que soit jamais évoqué le Covid et ses conséquences sur la scolarité.

On aurait pu craindre que son documentaire, qui a mis près de quatre ans à sortir sur les écrans, ressemble à un long clip publicitaire. Ce n’est pas le cas. Plus classiquement, comme on l’a vu si souvent, dans des fictions ou des documentaires (Entre les murs, Allons enfants, Chante ton bac d’abord…), Le monde est à eux suit chronologiquement une classe pendant toute une année. On voit Yness,  Fatih, Bilel, Dalil, Killan, Helvin ; mais ils sont trop nombreux et passent trop vite devant la caméra pour qu’on s’attache réellement à aucun d’entre eux.

En quoi consiste la méthode « Réconciliations » qui permet ainsi de tirer jusqu’au bac des lycéens décrocheurs ? Elle n’a rien de bien révolutionnaire. C’est un mélange de fermeté et de bienveillance. C’est une démarche qui associe étroitement les parents que les deux professeurs rencontrent dès la rentrée et qu’ils tiennent régulièrement informés par SMS des progrès de leurs enfants. C’est surtout un investissement exceptionnel des professeurs – ou tout au moins des deux qu’on voit, les autres étant bizarrement passés sous silence au point qu’on se demande si leur absence ne cache pas de sourdes dissensions au sein de l’équipe professorale par rapport à ce duo-là trop engagé.

Je ne suis pas assez versé en sciences de l’éducation pour porter un regard critique sur cette méthode et son efficacité. Mais, je connais un peu le cinéma et n’en ai pas vu beaucoup dans ce documentaire.

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Rue des Cascades (Un gosse de la butte) (1963) ★★★☆

Alain est un gamin haut comme trois pommes qui aime faire des pitreries avec ses camarades. Sa mère, une veuve quadragénaire, tient un café-épicerie dans une petite rue de Ménilmontant. Elle est tombée amoureuse de Vincent, un Antillais, plus jeune qu’elle. Vincent inspire à Alain une franche hostilité teintée de racisme. Mais bien vite la gentillesse de Vincent viendra à bout des préjugés du petit garçon.

Ce film est l’adaptation d’un roman de 1953 de Robert Sabatier. Son titre, Alain et le Nègre, qui subirait aujourd’hui immanquablement les foudres de la censure, est sans ambiguïté. Il oppose, pièce à pièce, les deux héros : Alain, désigné par son prénom, et Vincent renvoyé à l’anonymat de la couleur de sa peau. Ce titre, si brutal, annonce un lent apprivoisement : comment le « nègre » va conquérir l’amitié l’enfant qui l’avait accueilli avec tant de réticence.

Maurice Delbez, un réalisateur oublié, a choisi de ne pas reprendre ce titre. Quand son film sort fin 1964, il s’intitule « Un gosse de la butte ». Il sera rebaptisé plus tard du nom d’une rue en coude du vingtième arrondissement où l’action se déroule.

Le film fait un bide à sa sortie. Son réalisateur, en faillite personnelle, abandonnera le cinéma et ne tournera plus que pour la télévision. Rue des Cascades est ressorti en 2017 sous son nouveau titre dans une version restaurée et a connu un succès d’estime. Son propos est avant-gardiste. C’est un film tendrement anti-raciste, qui met en scène le racisme le plus crasse, par exemple celui de M. Bosquet (René Lefèvre) le soûlographe qui fréquente le troquet de Hélène et y débite ses lieux communs, pour en démonter la bêtise. C’est aussi un film féministe avant l’heure, avec les deux personnages de Hélène, si noblement interprété par la grande Madeleine Robinson, qui pressent qu’une liaison avec un homme plus jeune qu’elle est vouée à l’échec, et de Lucienne, sa voisine, qui défie la bien-pensance en prenant un amant.

Ce film en noir et blanc, aux faux airs des Quatre Cents Coups, d’un grand classicisme, tourné au milieu des années soixante, mais qu’on pourrait croire de dix ans plus ancien, sans stars, au motif simple sinon simpliste, m’a profondément touché.

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Caligula (1979) ★☆☆☆

Caligula (Malcom Mac Dowell) a régné entre 37 et 41 ap. J-C. Son surnom lui venait des « petites bottes » qu’il portait enfant, auprès de son père Germanicus. Apparenté par son père à Marc Antoine, par sa mère à Auguste, il a succédé à Tibère (Peter O’Toole) dont il était le petit-neveu et le fils adoptif, mais qui lui préférait Gémellus, que Caligula fera assassiner. Le règne de Caligula a vite basculé dans le despotisme et la démesure. Il entretenait une relation incestueuse avec sa sœur Drusilla (le rôle refusé par Maria Schneider qui le jugeait trop dénudé fut interprété par Teresa Ann Savoy) qu’il fit diviniser après sa mort en 38. En butte à l’hostilité des sénateurs, qu’il avait humiliés, il fut assassiné par sa garde prétorienne.

Caligula est l’un des empereurs romains dont le règne est le plus mal documenté de la dynastie julio-claudienne. Suétone lui était hostile et décrivait un monarque mégalomane et cruel. C’est l’image qui en est restée et que reprend fidèlement à son compte cette superproduction américano-italienne

Caligula est un film maudit. Le producteur américain Bob Guccione, fondateur du magazine Penthouse, en est à l’origine et y investit sa fortune. Il recruta Gore Vidal pour en écrire le scénario mais récusa cette première version, qui soulignait l’homosexualité de l’empereur. Il en confia la direction au réalisateur Tinto Brass qui reprit de fond en comble le scénario de Vidal. Lors de la postproduction Tinto Brass et Bob Guccione s’affrontèrent ce qui conduisit le premier à se retirer. Son nom n’apparaît plus au générique que comme chef opérateur. Tourné en 1976, il ne sortit en salles que trois ans plus tard précédé par une réputation sulfureuse (le critique de cinéma américain Roger Ebert le qualifie de « bouse écœurante, totalement inutile, honteuse »). Il fut interdit dans plusieurs pays et remporta, là où sa sortie fut autorisée, un succès de scandale.
Il ressort aujourd’hui dans une version plus fidèle au montage original de Tinto Brass, délestée des scènes pornographiques filmées par  Bob Guccione et Giancarlo Lui.

L’épreuve est éprouvante, qui dure près de trois heures. Croisement improbable de Ben Hur et de Salò ou les 120 Journées de Sodome – qui avait été tourné deux ans plus tôt – Caligula est une succession quasi ininterrompue de scènes d’orgies filmées dans des décors impressionnants. Malcom MacDowell cabotine à souhait ; Peter O’Toole, qui n’avait pas cinquante ans à l’époque, y interprète le vieux Tibère au crépuscule de sa vie, sombrant dans la folie ; Helen Mirren, dans le rôle de l’épouse de Caligula, nous démontre qu’elle fut jeune un jour, ce que l’on peinait à croire à force de la voir interpréter depuis des décennies des rôles de septuagénaires.

L’effet de répétition devient vite lassant. Les scènes s’enchaînent les unes aux autres, reproduisant chaque fois la même structure : en arrière-plan, des corps dénudés s’entrelacent dans de fougueuses embrassades (pour rester poli), tandis qu’à l’avant-plan, un Caligula rebondissant invente une nouvelle lubie, exécute un opposant, humilie un sénateur, nomme consul…. son cheval ! Si Caligula dans sa nouvelle version reste interdit légitimement aux moins de seize ans, le parfum de scandale dans lequel baignait le film à la fin des années 70 s’est depuis longtemps dissipé. Il en faut beaucoup pour choquer le bourgeois de 2024.

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Girls Will Be Girls ★★☆☆

Mira a seize ans. Elle est l’élève modèle d’un pensionnat situé dans l’Uttarakhand, sur les contreforts himalayens. Elle vient même d’en être élue « préfète », une première dans ce lycée mixte. Y règne une discipline de fer qu’elle a désormais la charge de faire respecter en lien avec la proviseure. Toute relation inappropriée entre garçons et filles est prohibée ; mais cela n’empêche pas Mira de flirter avec Srinavas, un séduisant lycéen fraîchement débarqué de Hong Kong. La mère de Mira ne voit pas d’un bon oeil cette relation.

On pouvait craindre que le premier film de la réalisatrice Shuchi Talati manque d’originalité. Son thème est rebattu : le coming-of-age, en bon français la sortie de l’adolescence, les premières amours, l’éveil à la sexualité…
Mais Girls Will Be Girls réussit à faire du neuf avec du vieux.

La raison en est d’abord son cadre : ce pensionnat indien dont on voit plus souvent les cours de récréation et les espaces de circulation que les salles de classe (il n’y a quasiment pas de professeurs dans ce lycée et on n’y voit guère qu’une scène ou deux en classe !).

La raison en est aussi la délicatesse et la bienveillance – deux qualités à la mode – avec lesquelles sont filmés les deux adolescents. Leur innocence, leurs troubles, leurs audaces sont particulièrement touchants.

La raison enfin et surtout en est l’inhabituel trio autour duquel s’organise le film : Mira, son copain Sri et sa mère Anila. Signalons que la bande-annonce – dont je me plains régulièrement qu’elles divulgâchent le miel des films – est ici remarquable d’ambiguïté. En la regardant, on pressent que quelque chose se noue entre la mère, très jeune et peut-être malheureuse dans son couple, et ce séduisant jeune homme, sans en être tout à fait certain : si Anila flirte avec Sri, est-ce pour protéger sa fille en lui montrant que son boyfriend est volage ? ou est-ce pour se prouver qu’elle est encore séduisante ?

L’intrigue aurait pu se limiter à ce trio. Elle ressent le besoin d’ajouter un autre fil narratif en évoquant le sexisme des lycéens. Ce fil renvoie certes à la situation indienne et aux violences sexistes qui y sont fréquentes. Le sujet est grave. Mais il alourdit inutilement l’intrigue qui aurait pu en faire l’économie.

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The Corridors of Power ★★★☆

Si la fin de la Guerre froide avait suscité l’espoir d’un nouvel ordre mondial pacifié, les dernières décennies ont connu encore leur lot de guerres et de massacres que les Etats-Unis, malgré leur hyperpuissance n’ont pas su prévenir. Dror Moreh interroge les principaux acteurs de la politique étrangère américaine des trente dernières années sur cet échec collectif.

The Corridors of Power est un titre bien banal et bien obscur pour un documentaire aussi exceptionnel qui revisite l’histoire des relations internationales de 1989 à nos jours. Réalisé par un documentariste israélien, achevé en 2022, sorti la même année aux Etats-Unis, il a connu en France une diffusion ultra-confidentielle, dans une seule salle parisienne à des horaires improbables. C’est bien dommage.

Certes, c’est une œuvre exigeante sur les dilemmes de la politique étrangère, qui n’intéressera peut-être que quelques rares spécialistes des relations internationales. C’est aussi un spectacle éprouvant : par sa durée (plus de deux heures) et surtout par les images qu’il montre,de massacres et de charniers. Mais les questions qu’il pose et les réponses qu’il y donne sont d’une rare intelligence.

Dans les premières minutes de ce documentaire, on craint un procès à charge, inspiré par une thèse simpliste et bien-pensante : les États-Unis, malgré leur puissance, ont été incapables de prévenir et d’arrêter les crimes de guerre qui se sont paradoxalement multipliés depuis la fin de la guerre froide dans l’ex-Yougoslavie, au Rwanda, en Syrie…

En se donnant le temps d’examiner cette thèse, The Corridors of Power accepte la complexité. Il aurait été tellement simple de mettre les errements de la diplomatie américaine sur le dos des intérêts financiers ou des petits calculs politiciens. Mais en décortiquant chaque événement, en prenant le temps d’expliquer les positions de chacune des parties prenantes à la prise de décision, le documentaire permet de mieux comprendre et surtout de recontextualiser les positions arrêtées. Il montre par exemple dans quelle mesure l’indécision américaine en ex-Yougoslavie en 1993-1994 s’explique par le manque d’expérience du jeune président Clinton récemment élu, alors que cinq ans plus tard, fort de l’expérience acquise et de sa notoriété grandissante, il prend au Kosovo une position beaucoup plus hardie.
The Corridors of Power montre surtout que, contrairement à l’image qu’on s’en fait ou que l’Histoire reconstruit a posteriori il n’y a pas une « bonne » et une « mauvaise » décision mais que la salle de crise réunit autour du président « des gens imparfaits disposant d’informations imparfaites devant prendre des décisions imparfaites ».

Si ce documentaire avait un seul mérite, outre celui de déchiffrer la complexité du processus de décision, c’est celui de refuser l’opposition manichéenne entre la « mauvaise » abstention et la « bonne » intervention. Car rester inactif face à un génocide qui se commet, ne signifie pas ipso facto que l’intervention militaire pour y mettre un terme soit la bonne solution.
Quelques exemples suffisent à le montrer. Celui de la Libye est particulièrement révélateur. Au nom de la « responsabilité de protéger » que le président Obama venait de théoriser, les Etats-Unis, avec l’aide du Royaume-Uni et de la France, sont intervenus en Libye et ont débarrassé ce pays d’un sanglant dictateur. Mais ils l’ont fait sans l’aval du Conseil de sécurité et ont abandonné le pays à la guerre civile.
Ce précédent éclaire l’inaction occidentale en Syrie, ensanglantée elle aussi par les exactions d’un autre dictateur. En violation de la promesse qu’il avait faite d’intervenir si Bachar utiliserait l’arme chimique, Obama est resté l’arme au pied après les massacres de la Ghouta au gaz sarin en août 2013. The Corridors of Power consacre à cet épisode de longs et éclairants développements.

The Corridors of Power interroge le gratin de la diplomatie américaine de ces quarante dernières années. Son personnage récurrent est Samantha Power. Journaliste, formée à Yale et à Harvard, elle décroche le prix Pulitzer en 2002 pour son volumineux essai A Problem from Hell sur la réponse américaine aux génocides. Proche du parti démocrate, elle a accompagné Obama dans sa conquête du pouvoir, a servi auprès de lui au Conseil de sécurité nationale avant de devenir son ambassadrice à l’Onu. Cette « femme puissante » fut la conscience droitsdelhommiste du président démocrate et dut assumer des décisions qui mettaient à mal ses valeurs.

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La Prisonnière de Bordeaux ☆☆☆☆

Les chemins d’Alma (Isabelle Huppert), une grande bourgeoise bordelaise, et de Mina (Hafsia Herzi), une modeste employée d’un pressing dans l’Aude, n’auraient jamais dû se croiser. Elles se rencontrent pourtant au parloir de la prison où leurs maris sont emprisonnés : celui d’Alma, un neurochirurgien, a fauché en état d’ivresse deux piétonnes, celui de Mina a braqué une bijouterie. Alma, qui s’ennuie dans sa maison trop grande, propose à Mina d’y emménager avec ses enfants.

Quelques semaines à peine  après Les Gens d’à côté, Isabelle Huppert et Hafsia Herzi se retrouvent. Leur binôme inspire décidément le cinéma français. Il incarne à merveille deux générations d’actrices (Isabelle Huppert a 71 ans, Hafsia Herzi 37) si différentes. L’une a grandi dans les beaux quartiers parisiens ; l’autre est née à Manosque d’un père tunisien et d’une mère algérienne.

La Prisonnière de Bordeaux, un titre au singulier pour un film pourtant dual, imagine leur rencontre. Elle est pour le moins improbable. Et c’est là la première incongruité d’un film qui en compte beaucoup. Certes, le parloir est un lieu d’attente, essentiellement féminin, où des personnes se croisent que rien n’aurait dû rapprocher. L’idée avait inspiré Rachida Brakni qui en avait fait un film en 2017, De sas en sas. On pourrait peut-être imaginer qu’Alma, attendrie par Mina, propose de la raccompagner jusqu’à la gare. Mais de là à lui proposer de l’héberger ! [On me rétorquera que j’ai le cœur bien sec et que je n’ai jamais hébergé un inconnu rencontré dans la rue. Ce qui est vrai. Mais l’avez-vous déjà fait vous-même ?].

La suite du film est mollement construite sur ce postulat improbable. Le sommet du ridicule est atteint dans une soirée donnée par Alma avec quelques amis proches. L’associé de son mari joue quelques notes de saxo [vos amis jouent spontanément du saxo dans vos soirées ? les miens pas !] Mina déboule, que l’avocat d’Alma prend pour la nouvelle femme de ménage. façon lourdingue de souligner la différence de classe sociale entre les deux femmes.
Dans une autre scène, on voit Mina jeter son téléphone par la fenêtre de sa voiture [Ça vous arrive souvent ? Moi pas !].

Ceux d’entre vous qui me connaissent un peu savent mon allergie pour Isabelle Huppert. Ceux qui me connaissent très bien savent que j’en pense autant de Hafsia Herzi. Autant dire que j’ai été servi avec ces deux actrices ! L’honnêteté m’oblige à reconnaître qu’Isabelle Huppert joue très bien, même si décidément ses efforts pour lutter contre l’âge se voient trop et que son hystérie sautillante m’exaspère. Mais c’est à Hafsia Herzi que je veux réserver mon fiel. Depuis la folle énergie dont elle faisait preuve dans La Graine et le Mulet, je ne l’ai jamais trouvée convaincante. Je trouve son jeu monocorde et monotone. Dans Borgo, dans Les Gens d’à côté ou ici, elle est la même : même expression, même diction, même présence anesthésiée…

L’antipathie que m’inspirent ces deux actrices aurait pu être compensée par un scénario intelligent. Mais hélas, trois scénaristes ont beau s’être attelés à la tâche, le résultat, lui non plus, ne m’a pas convaincu et m’a semblé bien pauvre : une sororité – le mot est tellement à la mode qu’il en devient suspect – de deux femmes que tout oppose et qui vont trouver grâce à l’autre la voie de leur libération.

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Here ★☆☆☆

C’est l’été à Bruxelles. Les constructions s’arrêtent. Les travailleurs du bâtiment rentrent chez eux pour les vacances. Stefan doit attendre que sa voiture soit réparée pour prendre la route vers la Roumanie. Ces quelques jours lui laissent le temps de vider le frigo des légumes qui y étaient restés, d’en faire une soupe et d’aller la distribuer à quelques amis autour de lui. Se réfugiant le temps d’une averse dans un restaurant chinois, il y fait la rencontre de Shuxiu. La belle trentenaire est bryologue. Elle étudie les mousses à l’université et parcourt les bois environnant la capitale belge pour en prélever des échantillons. C’est là qu’elle rencontre une seconde fois Stefan sur le chemin du garage où sa voiture doit être réparée.

Here est un film minimaliste composé de petits riens. Son scénario est étique – même si le résumé que j’en ai fait est bien long. Here est l’histoire d’une rencontre et esquisse les débuts d’un amour en train d’éclore.

Here fonctionne sur des oppositions et des jeux de miroirs. D’un côté la ville, ses bâtiments qui s’y construisent, son artificialité ; de l’autre la nature, la verdeur des bois, l’humidité des sous-bois. D’un côté Stefan, l’ouvrier du bâtiment, de l’autre Shuxiu et ses mousses. Mais les deux milieux ne sont pas inconciliables. Il y a une symbiose entre les deux éléments, une relation d’interdépendance. Interdépendance des écosystèmes : les villes sont couvertes d’arbres et les campagnes traversées par des lignes de chemins de fer. Et deux êtres se croisent que tout devrait opposer, leurs origines, leurs langues, leurs professions, mais qui finissent par se rencontrer et qui peut-être finiront par s’aimer.

On peut trouver très belle cette réflexion poétique et philosophique sur la ville et ses marges. On peut aussi la trouver bien longuette même si elle dure une heure et vingt-deux minutes à peine.

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Pompo The Cinephile ★★☆☆

Pompo est une productrice qui a hérité de son grand-père la passion du cinéma. Hélas, elle ne produit guère que des séries B sans âme. Elle a toutefois écrit un scénario plus personnel, mettant en scène un vieux chef d’orchestre qui retrouve l’inspiration dans une retraite bucolique au contact d’une jeune paysanne. Pompo décide d’en confier la réalisation à son assistant, le jeune Gene, qui n’a aucune expérience mais a la passion du cinéma chevillée au corps. Pour le rôle principal, elle convainc une vieille star, ami de son grand-père. Et pour la jeune ingénue, elle recrute une inconnue dont Gene tombe instantanément amoureux.

Pompo The Cinephile est un anime, un film d’animation inspiré d’un manga japonais. C’est un genre qui a ses fans et qui est loin de ma zone de confort, qui se situe plutôt du côté des longs plans fixes ouzbeks en noir et blanc et sans dialogue que des pyrotechnies colorées japonaises entrecoupées d’onomatopées roucoulantes. Mais, de sa zone de confort, il faut savoir sortir pour découvrir d’autres genres qui se révèlent stimulants.

Il y a quelques mois, était sorti en France Blue Giant, un anime japonais qui racontait le parcours d’un jeune jazzman plein d’ambition. Cet anime là lui ressemble, par sa forme bien sûr mais par son thème aussi. Il s’agit dans les deux cas de décrire le travail sans concession de deux jeunes artistes prêts à tout pour réaliser leurs rêves.

Car le vrai héros de Pompo n’est pas la productrice, Pompo, mais son assistant, Gene. C’est à lui que le spectateur s’identifie. C’est avec lui qu’il partage l’angoisse et l’excitation de son premier tournage avant de plonger dans les affres du montage et de ses longues nuits sans sommeil d’un travail sans cesse remis sur le métier.

Pompo a une vertu rare : il raconte par le menu l’élaboration d’un film, depuis l’écriture de son scénario, le recrutement de ses acteurs, son tournage proprement dit, jusqu’à son montage enfin, la partie la plus douloureuse durant laquelle il faut sacrifier des heures de rushes pour aller à l’essentiel. Pompo n’est pas exempt d’une certaine naïveté. Mais il n’en reste pas moins un film original sur le cinéma et sa fabrication.

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La Récréation de juillet ★☆☆☆

Jeune professeur de musique dans le collège où il fut plus jeune lui-même élève, Gaspard (Andranic Manet) profite de la vacance des locaux durant les vacances d’été pour y inviter cinq amis d’enfance. Leur réunion a un but caché : commémorer la mémoire de Louise, la sœur jumelle de Gaspard qui vient de mourir en Argentine.

L’affiche et le pitch de La Récréation de juillet laissent augurer une comédie franchouillarde, comme on en a vu treize à la douzaine, enchaînant quelques scènes potaches entre adulescents liés par une indéfectible amitié d’enfance. Le film est moins drôle qu’on ne l’augurait – ou qu’on le redoutait. Il n’en sombre pas moins dans un sentimentalisme un peu niais exaltant l’amitié-pour-toujours et les amis-pour-la-vie (BFF Kiss Lol…. comme auraient dit mes ados).

Le film n’est pas non plus le film chorale qu’on attendait, mettant en scène une bande de copains. Parmi les six élèves, Edouard est au centre. C’est lui qui est à l’origine de leurs retrouvailles. C’est lui qui est le moteur de l’action. Dans le rôle principal, Andranic Manet (Réparer les vivants, Mes provinciales, Le Roman de Jim…) porte le film à bouts de bras. Le reste de la distribution est plus inégal : on reconnaît Arcadi Radeff, la révélation du Tableau volé et Alba Gaïa Bellugi, trop souvent éclipsée par le succès de sa sœur cadette.

La Récréation de juillet est lesté d’une couche plus grave, une réflexion sur la mort et sur le deuil. Cette strate-là aurait pu être intéressante. Mais elle n’est pas exempte de maladresse. Dans le même registre, je me souviens de Nos futurs qui traitait des amitiés d’enfance et du deuil avec autrement plus de sensibilité et d’intelligence dans l’écriture.

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