Leur Algérie ★★☆☆

Lina Soualem est la fille du comédien Zinedine Soualem. Elle filme ses grands-parents, Aïcha et Mabrouk, des immigrés algériens installés à Thiers en Auvergne depuis les années cinquante, qui, après plus de soixante années de vie commune, décident de se séparer.

Le très justement titré Leur Algérie peut se lire à trois niveaux.

C’est d’abord, comme son titre l’annonce, le témoignage de deux immigrés, au crépuscule de leur vie, sur leur exil en France, la décision jamais totalement assumée de s’y installer définitivement et la façon d’y avoir amené avec eux « leur » Algérie. À ce titre est particulièrement intéressante la justification qu’ils donnent à leurs retours de plus en plus épisodiques au bled et à leur peu de soin à transmettre à leurs enfants la langue et la culture algériennes : « Quand on nait Algérien, on est Algérien, pas besoin d’y aller pour ça [ou d’en parler la langue] ». Leur Algérie trouve ainsi légitimement sa place dans une histoire de l’immigration algérienne encore en cours de réalisation, où les documentaires filmés seront aussi utiles que les thèses écrites.

Plus anecdotiquement, Leur Algérie s’inscrit dans un espace bien particulier. Il se déroule à Thiers, une petite ville industrielle jadis capitale de la coutellerie qui, comme tous les centres industriels en manque de bras, fit appel dans l’après-guerre, aux travailleurs maghrébins. L’industrie est aujourd’hui en déclin sinon en faillite et la coutellerie n’est plus qu’une attraction pour touristes.

Enfin et surtout, Leur Algérie est le portrait de deux êtres, Aïcha et Mabrouk, unis l’un à l’autre par un mariage arrangé et qui ont partagé une vie sans amour. Le constat est cruel et la caméra de Lina Saoulem souvent impudique qui pousse ses deux grands-parents dans ses retranchements. La vieille femme lui oppose un fou rire nerveux et cache son visage dans ses mains. La stratégie de fuite de son grand-père est toute différente : il se mure dans son silence. Un silence qu’il a semble-t-il affecté toute sa vie, une vie de dur labeur, une vie pleine de rancœur, une vie que l’arrivée de ses enfants ne semble même pas avoir égayée. Une vie sans bonheur.

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Eiffel ★☆☆☆

1886. Gustave Eiffel (Romain Duris) rentre de New York, où il a construit la structure métallique de la Statue de la liberté, auréolé de gloire. L’Exposition universelle de 1889 se prépare ; mais Eiffel ne voit pas l’intérêt de construire un projet éphémère et préfère s’intéresser au futur métro. Il changera d’avis après avoir retrouvé Adrienne (Emma Mackey), un amour de jeunesse, et se lancera dans le défi inouï de construire une tour métallique de trois cents mètres de haut.

Voilà plus de vingt ans que le scénario de Caroline Bongrand circulait des deux côtés de l’Atlantique, entre Paris et Hollywood. Luc Besson envisagea de le réaliser, avec Gérard Depardieu dans le rôle d’Eiffel et Isabelle Adjani dans celui d’Adrienne : peut-être Rodin et Camille Claudel y auraient-ils eu des seconds rôles. Christophe Baratier (Les Choristes) et Olivier Dahan (La Môme) ont été approchés : ils auraient, qui sait, fait chanter les ouvriers depuis leurs échafaudages. Et même Ridley Scott – qui aurait, sait-on jamais, organisé un combat de gladiateurs ou une course poursuites d’androïdes au pied de la Tour.

Le projet est finalement échu à Martin Bourboulon, un réalisateur venu de la publicité qui ne peut guère afficher à sa filmographie que les oubliables Papa ou Maman 1 et 2 (j’en dis du mal sans les avoir vus). C’est peu dire que le résultat en est navrant.

La principale erreur – est-elle d’ailleurs la faute du malheureux réalisateur ou des nombreux co-scénaristes qui ont, sur le métier, cent fois remis leur ouvrage ? – est de vouloir raconter la construction de la tour à travers une romance sirupeuse. La romance réunit, on l’a dit, Gustave Eiffel et Adrienne qu’il avait rencontrée trente ans plus tôt à Bordeaux où il construisait un pont métallique avant-gardiste. Il serait injuste de jeter la pierre aux deux têtes d’affiche : Romain Duris a beau approcher la cinquantaine, il n’en demeure pas moins toujours aussi juvénile et séduisant. Quant à l’actrice franco-britannique Emma Mackey, la révélation de la série Netflix Sex Education, elle est voluptueuse à souhait.
Une sournoise polémique a surgi autour de leur écart d’âge : censés incarner deux personnages du même âge, Romain Duris a en fait vingt ans de plus que sa jeune partenaire, reproduisant, selon certains, les stéréotypes phallocratiques les plus dégradants. Le problème me semble moins être celui de cet écart d’âge que celui des flashbacks dont le film est lardé où le réalisateur a laissé interpréter par les mêmes acteurs, lourdement grimés, leurs rôles en 1860 et en 1889.

Eiffel nous promettait de nous raconter la construction de la Tour. Or on n’en voit pas grand chose, sinon quelques arrières-plans certes majestueux, mais qui sentent les effets spéciaux à plein nez. Bien sûr, la promotion du film a beau jeu d’invoquer Titanic où le naufrage du luxueux transatlantique était raconté à travers la folle histoire d’amour de deux de ses passagers. Mais n’est pas James Cameron – ou Leonardo di Caprio ou Kate Winslet – qui veut ! Certes, l’histoire de l’amour impossible de Gustave et Adrienne est touchante ; mais elle nous distrait de l’essentiel : cette Tour monstrueuse et pourtant si élégante dont l’érection (je n’ai pas pu résister !) ne donne lieu qu’à deux scènes isolées, dans ses fondations où l’eau menace de monter et à son premier étage dont il faut, au millimètre près, agencer les piliers.

Ces deux séquences orphelines laissent augurer ce qu’aurait pu être un film réussi sur la construction de la Tour : une histoire qui au lieu de nous cantonner dans la chambre à coucher de Gustave et Adrienne nous aurait donné le vertige d’une construction babélienne.

La bande-annonce

Christo : Marcher sur l’eau ★★☆☆

En 2016, Christo a mené à bien sur le lac d’Iseo en Italie un projet qu’il avait conçu de longue date avec son épouse Jeanne-Claude et qu’il avait d’abord pensé réaliser sur le Rio de la Plata puis dans la baie de Tokyo : construire des passerelles flottantes qui donneraient aux visiteurs qui les emprunteraient l’impression de marcher sur l’eau. L’oeuvre d’art éphémère est constituée de 220 000 blocs de polyéthylène vissés entre eux et amarrés au fond du lac par 190 ancres, recouverts de 100 000 m² de tissu safran. Elle fut déployée pendant près de deux mois et attira une foule considérable de visiteurs.

L’emballage de l’Arc de Triomphe, l’engouement et les polémiques étonnantes qu’il a suscitées ne sont pas étrangers à la sortie en salles de ce documentaire inédit qui revient sur l’avant-dernier projet de Christo, décédé entretemps en mai 2020.
Il est l’occasion de découvrir ce vieux monsieur débonnaire, débordant d’énergie et de créativité dans son atelier. L’autre héros du film est Vladimir, son neveu, qui lui sert tout à la fois d’assistant, de garde du corps et de souffre-douleur.

On suit ce duo attachant tout au long de la conception et de l’installation du projet Floating Piers. Comme chacune des oeuvres de Christo, c’est une installation monumentale, aussi inutile que majestueuse. Les prises de vue de ces immenses lignes brisées posées sur l’eau suffiraient à elles seules à justifier l’intérêt de ce documentaire.

Mais Christo : Marcher sur l’eau nous raconte en bonus une histoire : celle de l’installation de ces pontons. Et le documentaire réussit à y instiller un suspens (même si on en connaît par avance l’issue) : l’oeuvre sera-t-elle installée à temps ? Christo et Vladimir obtiendront-ils toutes les autorisations administratives ? déjoueront-ils les pièges de la météo ? réussiront-ils à faire face à l’afflux de visiteurs qui met la sécurité du site en péril ?

Ce documentaire n’a aucune qualité cinématographique et n’avait pas la prétention d’en avoir. Sa sortie en salles le 15 septembre – dans un circuit très restreint d’ailleurs – n’avait guère de raison d’être sinon, on l’a dit, la concomitance avec l’emballage de l’Arc de triomphe. Mais si d’aventure vous avez l’occasion de le regarder, ne le ratez pas !

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Guermantes ★★★☆

La troupe de la Comédie-Française apprend que Guermantes, qu’elle est en train de répéter sous la direction de Christophe Honoré, ne sera pas représentée à cause de la pandémie de Covid. Elle décide néanmoins, après quelques tergiversations, de poursuivre les répétitions pour le plaisir de rester ensemble.

Je ne me suis pas précipité dans les salles pour voir Guermantes sorti depuis le 29 septembre. Car son sujet et sa bande-annonce m’inspiraient quelques réticences. J’appréhendais un film-concept, en roue libre, sans scénario, figé dans la contemplation narcissique d’une troupe d’acteurs sans boussoles. Au surplus, j’ai une relation compliquée avec le cinéma de Christophe Honoré dont le parisianisme revendiqué et l’entre-soi LGBT me tapent un peu sur le système.

Mes préjugés étaient confortés par les premières scènes du film qui démarre après que la troupe a décidé de suspendre les représentations. Je trouvais qu’on ratait un épisode qui aurait pu être passionnant et qui résonnait diablement avec les temps troublés que nous traversons : les débats au sein d’une collectivité sur la meilleure façon de répondre à l’épidémie. Faut-il suspendre les représentations au nom du principe de prudence, pour éviter qu’elles provoquent des contaminations parmi les acteurs ou parmi les spectateurs ? Ou faut-il les maintenir, avec les précautions idoines, pour que la culture continue à vivre et que le lien social ne disparaisse pas ?

Sevré des réponses à ces questions là, j’ai donc pris l’intrigue en route, dans une direction qui ne m’intéressait pas vraiment, celle-là même qui constitue le sujet du film : la vie d’une troupe placée dans la situation un peu surréaliste de répéter une pièce qu’elle ne jouerait pas.

J’aurais pu ne pas accrocher et faire miennes les critiques, certaines assassines, qui descendent Guermantes en règle : un film long (2h20) brouillon, narcissique, qui s’épuise dans une succession de scènes anecdotiques… Miraculeusement il n’en fut rien. Le visionnage de Guermantes fait partie de ces expériences étonnantes qui me font tant aimer le cinéma : j’y ai pris un plaisir que je n’escomptais pas (la réciproque hélas est vrai et je suis tout aussi souvent déçu par un film qui aurait dû m’enthousiasmer).

Je me suis laissé emporter par la fougue, par l’énergie de cette brochette d’acteurs exceptionnels que, faute de fréquenter assidûment le Français, je n’identifiais pas, à quelques célèbres exceptions près (Laurent Lafitte, Dominique Blanc…). Comme Proust se plaisait dans La Recherche – et tout particulièrement dans son troisième tome – à décrire avec une lucide ironie les mœurs de la haute bourgeoisie qu’il fréquentait, Honoré se fait l’entomologiste de cette haute société qu’il connaît bien : les gens de théâtre. Certes, les histoires que Guermantes raconte sont minuscules : untel a peur de vieillir, un autre de ne plus séduire, une autre encore hésite à quitter la troupe… mais elles s’entrelacent avec une telle fluidité, elles sont présentées avec une telle intelligence qu’il n’est pas excessif de parler au sujet de Guermantes, même si les mots semblent galvaudés et exagérés, de grâce voire de génie.

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Mourir peut attendre ☆☆☆☆

Depuis l’arrestation de Spectre (Christoph Waltz), James Bond (Daniel Craig) et Madeleine Swann (Léa Seydoux) croient pouvoir couler des jours heureux en Italie avant que leur passé ne les rattrape. Retiré en Jamaïque, l’ancien OO7 est sollicité à la fois par la CIA et par le MI6 pour remettre la main sur un biologiste russe kidnappé par une mystérieuse organisation.

Les deux phrases qui précèdent n’ont aucun lien entre elles et donnent l’impression d’avoir été écrites par un scénariste qui ne s’est pas relu ? En effet ! Ainsi commence pourtant le vingt-cinquième épisode – ou vingt-sixième si on inclut Jamais plus jamais tourné sous une licence parallèle – de la saga James Bond, dont la sortie a été maintes fois repoussée à cause du Covid.
Inutile d’ajouter qu’il s’agit du dernier épisode avec Daniel Craig : il faudrait vivre au Pôle Nord pour ne pas l’avoir entendu.

Les James Bond ont inventé les pré-génériques, ces mini-histoires qui précèdent le générique (sacramentellement filmé avec des images psychédéliques de naïades en ombres chinoises tandis que la starlette du moment, ici Billie Eilish, interprète un tube tonitruant). Mourir peut attendre nous en offre deux, interminables, sans lien apparent. Le premier se déroule dans une cabane perdue dans la toundra norvégienne ; le second dans un village perché d’Italie selon une chorégraphie qu’on a déjà vue cent fois (auto-moto-plongeon dans le vide et inversement). Après le générique proprement dit – une bonne vingtaine de minutes se sont déjà écoulées d’un film fleuve qui frôle les trois heures – changement de décor : nous voici – je l’ai déjà dit – en Jamaïque – où on le sait est né l’agent OO7 sous la plume de Ian Fleming en pleine Guerre froide.

Selon un schéma éprouvé, James Bond va ensuite faire le tour du monde. Cuba où il croise l’agent Paloma (Ana de Armas, la seule actrice à tirer son épingle du jeu et dont le décolleté est déjà iconique). Puis Londres, au QG du MI6 où Bond retrouve M (Ralph Fiennes) et Q (Ben Whishaw) sans oublier Miss Moneypenny (Naomie Harris) et la nouvelle OO7 (car le politiquement correct a transformé OO7 en agent femme … et noire – et lesbienne peut-être aussi pour faire carton plein ?). La Norvège. Et, pour finir, une île des Kouriles – il y aurait une étude philosophico-géographique sur la place de l’île dans la saga des James Bond.

D’un lieu à l’autre se déroulent les mêmes scènes attendues, alternance de courses-poursuites censées nous couper le souffle et de face-à-face entre notre vieillissant héros, le regard toujours bleu roquefort et la mâchoire crispée, et des méchants qui ne font plus vraiment peur (on a déjà dit tellement de mal de Rami Malek, dans le rôle de Lyutsifer (sic) Safin, que j’aurai la décence de ne pas tirer sur l’ambulance). La fin surprend. Non, je me trompe. Elle ne surprend pas. Mais elle détonne par rapport à celles de tous les James Bond. Et qu’elle ne surprenne pas l’en prive de tout son sel. Elle n’a qu’une seule qualité : mettre enfin un terme après 2h43 (en fait plutôt 2h30 car le générique de fin doit bien durer une quinzaine de minutes) à ce long calvaire dont je suis ressorti les paupières lourdes, les oreilles endolories, le cerveau débranché.

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I am Greta ★☆☆☆

Greta Thunberg est devenue une icone. Sa photo a fait le tour du monde. Son combat contre le réchauffement climatique est connu de tous. Elle suscite des réactions radicales : certains la considèrent comme un modèle, d’autres au contraire comme une enfant manipulée qu’il faudrait renvoyer à ses études.

Nathan Grossman, un documentariste, la suit depuis que Greta a décidé en août 2018, à quinze ans à peine, de faire grève tous les vendredis en posant son cartable devant le parlement suédois pour dénoncer l’inaction de la classe politique. Il aurait été intéressant d’analyser comment cette action individuelle a pu faire tâche d’huile et comment la timide collégienne est devenue une star mondiale en l’espace de quelques mois.

La caméra de Nathan, Grossman a le défaut de ne prendre aucun recul par rapport à son sujet et de se borner à l’accompagner dans ses déplacements. On suit donc Greta à Katowice, à la COP24, à Paris, où elle rencontre Emmanuel Macron (qui ne semble pas vraiment savoir sur quel pied danser face à cette gamine si sérieuse), à Bruxelles où elle inspire d’autres jeunes en colère et intervient devant le Parlement européen et à New York à l’Assemblée générale des Nations-Unies qu’elle ralliera en bateau, au terme d’une traversée éprouvante, par refus d’emprunter l’avion trop polluant. Autour d’elle, rien ni personne, sinon son père qui l’accompagne et l’entoure de son attention bienveillante : aucun assistant, aucune équipe de recherche, aucun service de communication

À toutes ces tribunes, Greta – car comme toutes les icônes (Marilyn, Elvis, Johnny…), son prénom suffit à la désigner – assène le même discours plein de rage. Le documentaire de Nathan Grossman a beau durer plus d’une heure trente, on n’en apprendra pas grand chose sinon quelques formules plus ou moins répétitives. Pour Greta, la lutte contre le réchauffement climatique est une urgence qu’aucune excuse ne saurait esquiver. Elle incombe à nos dirigeants que, dans un même mouvement paradoxal, elle stigmatise (son désormais fameux « How dare you ? ») et elle exhorte.

Le documentaire de Nathan Grossman ne prétend pas à l’objectivité. Il assume d’être du côté de Greta, sinon de verser carrément dans l’hagiographie. Si les critiques, parfois cinglantes, adressées à la jeune fille, sont évoquées, c’est moins pour les réfuter que pour montrer le calme avec lequel elles sont accueillies (son père prend des cours de premier secours pour pouvoir aider sa fille si elle était blessée). Si le starsystem dans lequel Greta est aspirée est montré, c’est pour souligner la lucidité avec laquelle cette soudaine célébrité est vécue par la jeune fille et par son père qui n’aspirent qu’à l’anonymat disent-ils.

On ressort de ce documentaire avec la satisfaction d’avoir levé un voile sur l’intimité de cette jeune fille iconique, mais avec le soupçon qu’on ne nous en ait montré que ce qu’une communication bien huilée pouvait accepter de révéler.

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L’Etat du Texas contre Melissa ★★☆☆

En février 2007, Mariah Lucio, une gamine de deux ans à peine, meurt soudainement, le corps recouvert d’ecchymoses. Sa mère, Melissa, une toxicomane au chômage, est immédiatement suspectée de maltraitance et d’infanticide. Après une nuit d’interrogatoire, elle avoue son crime. Un procès expéditif la condamne à mort. La documentariste franco-américaine Sabrina Van Tassel la rencontre dans le couloir de la mort et décide de rouvrir l’enquête.

Les faits qu’elle rassemble jette un doute sur la culpabilité de l’accusée. Rien dans le passé de cette femme aimante, mère de quatorze enfants, ne laisse augurer le passage à l’acte. Aucun de ses enfants, aucun de ses proches n’ont jamais été témoin du moindre acte de maltraitance. Un médecin légiste invalide les conclusions hâtives de son prédécesseur qui avait conclu au meurtre et considère que les hématomes dont le corps de Mariah était recouvert auraient pu avoir été provoqués par une chute dans l’escalier de la maison évoquée par plusieurs enfants dont le témoignage n’avait pas été produit. La manière dont l’avocat, commis d’office, avait défendu Melissa lors de son premier procès est d’ailleurs particulièrement pointée du doigt : par paresse ou par corruption (il allait obtenir quelques mois plus tard un poste auprès du procureur général), il a dissimulé les pièces qui auraient évité à Melissa une condamnation aussi sévère.

Au-delà du seul cas de Melissa, ce documentaire révèle les biais de la justice américaine. Sa réalisatrice, qui la connaît bien, affirme sans détour qu’elle est injuste : les riches, aussi coupables soient-ils, éviteront la prison, les pauvres au contraire, quand bien même ils seront innocents, seront condamnés. « Il n’y a pas de millionaires dans le couloir de la mort » affirme-t-elle dans une formule péremptoire mais avérée.

L’Etat du Texas contre Melissa était diffusé gratuitement hier soir à L’Escurial dans le cadre du quarantième anniversaire de l’abolition de la peine de mort en présence de sa réalisatrice et des militants de l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM), et notamment de Sandrine Ageorges-Skinner, l’épouse d’un prisonnier qui attend depuis vingt sept ans d’être exécuté pour un crime qu’il clame n’avoir pas commis. Bien sûr l’abolition est une juste cause qui ne pouvait que rallier un auditoire unanime. Bien sûr, l’innonce ou, à tout le moins, le doute raisonnable qui entoure la culpabilité de Melissa Lucio ne rendent que plus choquante la sévérité de la condamnation dont elle a fait l’objet.
Pour autant, je me demande si ce documentaire-là était approprié à ce sujet-là. La peine de mort est-elle plus haïssable si elle frappe un condamné innocent ou coupable ? Le meilleur réquisitoire ne prendrait-il pas pour héros un condamné dont la culpabilité ne fait aucun doute ?

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After Love ★☆☆☆

Mary (Joanna Scanlan) est anglaise. Elle est tombée très jeune, dans les années 70, amoureuse de Ahmed, un immigré pakistanais. Elle s’est convertie à l’Islam pour l’épouser et aura vécu quarante ans avec lui, formant un couple uni et heureux. Ahmed, capitaine de ferry, fait l’aller-retour chaque jour entre Douvres et Calais. Un soir, il décède brutalement à son domicile.
En rangeant ses papiers, Mary découvre qu’Ahmed avait une maîtresse à Calais, une Française prénommée Geneviève (Nathalie Richard). Elle décide de franchir la Manche pour la rencontrer. Mais leur rencontre, construite autour d’un malentendu, prendra un tour inattendu.

After Love raconte une histoire originale. Son sujet pourrait prêter au vaudeville : une femme trompée découvre la double vie de son mari. Mais tel n’est pas le registre d’After Love, un film dont je n’ai pas compris le titre : je n’ai pas compris que Mary – ou Geneviève – avait cessé d’aimer Ahmed. After Life m’aurait semblé, en toute rigueur, plus approprié. Quelque chose a dû m’échapper.

After Love voudrait embrasser plusieurs sujets : le fossé interculturel entre Musulmans et non-Musulmans, entre Anglais et Français, la blessure intime d’une femme qui découvre la duplicité de son mari, l’amour d’une mère pour son fils, celui d’un fils pour son père…. Un seul de ces sujets, diablement ambitieux, aurait suffi à nourrir tout un film. Du coup After Love s’éparpille et cède au défaut du survol trop hâtif.

C’est d’autant plus dommage que le personnage de Mary, caché derrière son tchador, remarquablement interprété par Joanna Scanlan, est spontanément sympathique. On partage immédiatement son chagrin au décès de son époux (ses funérailles sont l’occasion du plus beau plan du film où l’on voit Mary, silencieuse, pétrifiée par le chagrin, dans un tchador blanc, entourée des proches du défunt), sa surprise et sa colère à la découverte de la double vie d’Ahmed et sa curiosité embarrassée quand elle décide de se rendre à Calais. Mais la seconde partie du film, une fois son dispositif mis en place et ses ressorts dévoilés, est trop besogneuse pour nous convaincre et nous toucher.

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La Traversée ★★☆☆

Kyona et Adriel sont à peine sortis de l’enfance et doivent prendre le chemin de l’exil après que leur village a été la cible de persécutions. Brutalement séparés de leurs parents, pris dans une rafle, ils échouent dans une grande ville où ils trouvent refuge au milieu d’autres enfants perdus. Leur long exode vers un pays plus clément sera ponctué d’épisodes heureux ou malheureux : une traversée périlleuse, un cirque accueillant, la prison….

La réalisatrice Florence Miailhe a plongé dans son histoire personnelle pour raconter celle de Kyona et Adriel : sa propre mère avait dû traverser la France en juin 40 avec son frère et ses arrières-grands-parents avaient fui avec leurs neuf enfants les pogroms juifs d’Odessa au tournant du vingtième siècle. Elle fait le pari réussi de l’intemporalité et de l’universalité en refusant d’ancrer son histoire dans un lieu ou dans un temps spécifiques. On pourrait être dans l’Europe de la Seconde guerre mondiale ou dans le Moyen-Orient contemporain : les épreuves que les migrants doivent endurer sont hélas toujours aussi atroces.

Cette description, aussi poignante soit-elle, n’est pas très originale. L’exode et ses avanies ont déjà fait l’objet d’un si grand nombre de livres ou de films que La Traversée ne peut guère nous surprendre. Pire : elle enfonce un peu trop les portes de la bien-pensance au risque de nous dissuader d’aller la voir.

En revanche, c’est la technique utilisée qui m’a laissé sans voix. La Traversée est un film d’animation tourné sur des plaques de verre. Je ne comprends rien à la phrase que je viens d’écrire, que je suis allé piocher dans le dossier de presse. Mais je n’ai pu qu’être fasciné par la maîtrise et la beauté de ce film : c’est une véritable féérie de couleurs qu’on voit se déployer sous nos yeux ébaubis dans un pur spectacle chromatique dont le sujet finit par s’effacer.

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Tout s’est bien passé ★★★☆

Emmanuèle (Sophie Marceau) a toujours entretenu des relations compliquées avec son père André (André Dussollier), un homme égoïste et cruel. Pourtant, c’est elle qui se précipite à son chevet quand il est frappé par un AVC qui le laisse à moitié paralysé. Et c’est vers elle qu’il se tourne pour lui demander de l’aider à mourir. Avec sa sœur Pascale (Géraldine Pailhas), elle va essayer de le faire revenir sur sa décision.

Tout s’est bien passé est l’adaptation du récit autobiographique d’Emmanuèle Bernheim, qui travailla longtemps avec François Ozon (elle signe les scénarios de ses films Sous le sableSwimming Pool et 5×2), avant d’être fauchée par un cancer. Alain cavalier avait formé le projet de l’adapter, laissant à Emmanuèle Bernheim le soin de jouer son propre rôle et interprétant lui-même celui de son père. Mais ce projet avait été interrompu par la maladie de la romancière. Alain Cavalier en avait tiré un documentaire poignant : Etre vivant et le savoir.

Tout s’est bien passé n’est pas bien gai non plus, qui traite d’un sujet décidément à la mode : la fin de vie. Qui a vu récemment The Father, Falling et Supernova pourra légitimement estimer que la coupe est pleine, voire qu’elle déborde, et préférer aller voir le dernier James Bond pour se divertir un peu. Il aurait tort. Car Tout s’est bien passé est bouleversant.

J’entends pourtant volontiers les critiques qui lui sont adressées. Le scénario, la direction d’acteurs ne brillent pas par leur hardiesse. François Ozon s’embourgeoise décidément, qu’on avait connu plus audacieux. Mais la même critique déjà pouvait être adressée à Grâce à Dieu où le réalisateur avait l’élégance de s’effacer derrière son sujet, ô combien poignant.
Autre critique : Tout s’est bien passé est un film à sujet sur l’euthanasie – comme l’était avant lui, avec autant sinon plus de puissance Quelques heures de printemps qui fut peut-être l’un de mes films préférés de la dernière décennie. Je me suis autorisé une critique assez sévère des Intranquilles il y a quelques jours au motif précisément qu’il s’agissait d’un film à sujet sur la bipolarité. Je reconnais volontiers le paradoxe à ne pas faire le même reproche à Tout s’est bien passé.

C’est peut-être que son sujet me touche plus que celui des Intranquilles. Je ne connais pas dans mon proche entourage de bipolaire ; cette maladie ne me fait pas peur. J’ai vécu et je vis, comme toutes les personnes de mon âge, le vieillissement et la disparition de mes parents ; j’appréhende déjà, avec quelques années d’avance, les miens. Je pressens que les questions que le film met en scène – comment accompagner un proche dans la mort souhaitée – se posera un jour ou l’autre à moi.
C’est cette part de subjectivité assumée qui explique en grande partie l’écho de Tout s’est passé chez moi et l’émotion qu’il a fait naître. J’ai été touché par l’amour filial de ses deux filles pour leur père malgré ses défauts – en espérant peut-être que mes deux fils aient la même indulgence avec les miens au crépuscule de ma vie. J’ai d’ailleurs préféré la retenue du jeu de Géraldine Pailhas à celui, trop expressif, de Sophie Marceau qu’on n’attendait pas nécessairement dans ce rôle. J’ai bien sûr été bouleversé par la décision d’André de mettre fin à ses jours, déconcerté par sa détermination, admiratif de la décision de ses filles de l’accompagner malgré tout. Et j’ai souri aux obstacles déconcertants qui se sont mis sur leur chemin donnant paradoxalement à la seconde moitié du film un suspense et une légèreté aussi inattendus que bienvenus.

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