Laëtitia ★★★☆

Toute sa vie durant, la jeune Laëtitia Perrais a été victime de la violence des hommes. Son père formait avec sa mère une famille dysfonctionnelle. Condamné à cinq ans de prison pour viol aggravé sur sa compagne, il ne sut jamais prendre soin de Laëtitia et de sa sœur Jessica. Les deux jumelles, confiées à l’Aide sociale à l’enfance, furent prises en charge par une famille d’adoption. Gilles Patron, leur tuteur, fut reconnu coupable d’agressions sexuelles sur Jessica. Mais avant sa condamnation en 2014, Laëtitia fut victime d’un meurtre horrible qui scandalisa la France. Le 18 janvier 2011, âgée de dix-huit ans seulement, alors que la vie semblait enfin lui sourire, elle avait croisé un monstre : Tony Meilhon.

Laëtitia est l’adaptation en six épisodes de quarante-cinq minutes chacun du « roman vrai » écrit en 2016 par Ivan Jablonka. Couronné par le Prix Médicis, il avait rencontré un vif succès. je me souviens encore de l’émotion qui m’avait saisi à sa lecture. Le visionnage de la série, diffusé en septembre sur France 2, accessible à tous en replay sur France.tv, en a ravivé le souvenir douloureux.

Laëtitia raconte un fait divers sordide, un homicide comme il s’en produit hélas tant. Laëtitia n’est pas un polar ; l’identité du meurtrier, arrêté deux jours après la disparition de la jeune fille, ne fait rapidement guère de doute, même s’il balade les gendarmes en évoquant la présence fantasmée d’un complice. Même la recherche du corps – qu’on retrouvera démembré en deux parties dans deux étangs distants de plus de cinquante kilomètres l’un de l’autre – ne suffit pas à elle seule à entretenir le suspense.

L’intérêt de Laëtitia est ailleurs.
Ivan Jablonka n’est pas un romancier. Il est historien. Il avait consacré son doctorat aux enfants de l’Assistance publique sous la Troisième République et c’est par ce prisme là qu’il est arrivé à l’affaire Laëtitia.
Pour lui et pour nous, le destin de Laëtitia est celui, sordide et funeste, d’une enfant abandonnée.

Les avanies qu’elle traverse aux côtés de sa sœur sont déchirantes. Mais ni Ivan Jablonka dans son livre, ni Jean-Xavier de Lestrade (qui vient du documentaire et avait déjà signé pour Arte 3 x Manon, une mini-série sur une adolescente en rupture de ban) dans sa réalisation ne verse dans le misérabilisme. Tout y est d’une pudeur, d’une retenue, d’une délicatesse d’autant plus bouleversantes que les faits racontés sont désespérants.

Les acteurs sont tous parfaits, à commencer par les hommes qui n’ont pourtant pas le bon rôle. On reconnaît Kevin Azais dans celui du père biologique des jumelles, incapable de contrôler la violence qui l’habite et qui pollue l’amour qu’il porte à ses enfants. Sam Karmann joue le rôle de Gilles Patron qui se scandalisa haut et fort contre la soi-disant impunité des délinquants sexuels avant de se révéler lui-même en être un. Noam Morgenzstern est le plus impressionnant dans le rôle monstrueux d’un psychopathe aux cheveux gras et au rire diabolique.

Le personnage qui m’a le plus touché est secondaire. Il s’agit de Béatrice Prieur, l’assistante sociale impeccablement interprétée par Alix Poisson, une actrice dans la quarantaine aux faux airs de Chantal Lauby. Elle a rencontré les jumelles quand elles avaient huit ans et les a suivies d’abord en foyer, puis dans leur famille d’accueil chez Gilles et Michelle Patron. Elle a essayé de créer avec elles un lien, de percer leurs silences sans toujours y parvenir. Elle n’a pas réussi à sauver la vie de Laëtitia, assassinée, ni celle de Jessica, agressée, et s’en estime responsable. Elle m’a rappelé les personnages de Pupille, ce film, lui aussi si touchant, aux frontières de la fiction et du documentaire.

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La Jeune Fille à l’écho (1964) ★☆☆☆

C’est le dernier jour des vacances pour Vika. la fillette a passé tout l’été au bord de la mer avec son grand-père, un modeste pêcheur. Son père vient la chercher ce soir pour la ramener à la ville. La fillette profite de ses derniers moments de liberté pour marcher sur la grève et pour se baigner. Elle croise Romas, un garçonnet de son âge, et l’entraîne au pied du Doigt du diable, une falaise basaltique qui renvoie un angoissant écho.

Arunas Žebriūnas est un réalisateur lituanien longtemps inconnu en France. La Belle, tourné en 1969, n’est sorti en France qu’en 2018. Filmé cinq ans plus tôt, La Jeune fille à l’écho sort à présent sur nos écrans sans qu’on comprenne très bien ni la séquence de ces deux distributions, ni au fond leur raison d’être.

Car ces deux films au charme suranné ne me semblent guère susceptibles d’éveiller aujourd’hui le moindre écho. Ils se ressemblent : ils suivent tous les deux pas à pas une fillette (sans doute l’actrice de La Jeune fille… était-elle trop âgée pour jouer cinq ans plus tard dans La Belle). Ils la suivent l’espace d’une courte journée dans ses déambulations hasardeuses et ses découvertes poétiques. La Belle se passait à la ville – et donnait l’occasion de voir des plans de la Vilnius des années soixante ; La Jeune Fille à l’écho se déroule au bord de la mer – et a été tourné en Crimée loin des rives de la Baltique.

La Jeune fille à l’écho avait été tourné en russe. Il a été post-synchronisé en lituanien. C’est l’occasion d’entendre cette langue rare, même si la prise de son en studio crée un effet de distance.

La Jeune fille à l’écho dure une heure seulement. Dans cette durée, il a à peine le temps de nouer une vague intrigue. Il le fait avec une innocence désarmante, exhumant les sentiments les plus enfouis de l’enfance : la fraîcheur d’un bain de mer, la  cruauté des jeux enfantins, le prix de l’amitié…

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Le Jeu de la dame ★★☆☆

À la mort de sa mère, la jeune Beth, neuf ans à peine, est placée dans un orphelinat. C’est là qu’elle apprendra à jouer aux échecs avec un vieux concierge taiseux. C’est là aussi qu’elle développera une accoutumance aux médicaments dont elle ne se sevrera jamais.
À quinze ans, Beth est adoptée. Elle peut désormais participer à des tournois d’échecs qu’elle remporte avec une insolente facilité. Elle a tôt fait de surpasser les meilleurs joueurs américains avant de se lancer à l’assaut des champions incontestés du jeu : les grands maîtres soviétiques. Rien ne semble l’arrêter sinon peut-être ses démons intérieurs.

Le Jeu de la dame (bien boiteuse traduction de The Queen’s Gambit) est diffusé depuis le 23 octobre sur Netflix. Sa sortie a coïncidé avec le second confinement en France et a bien vite suscité l’unanimité à l’instar de Unorthodox au début du premier. Même si j’en ai binge-watché les sept épisodes d’une petite heure chacun pendant un long dimanche pluvieux, j’avoue ne pas y avoir pris le plaisir que j’y attendais.

Le Jeu de la dame est l’adaptation du roman éponyme écrit en 1983 par un auteur américain – et traduit en France en 1990. Que cette série ait mis près de quarante ans à se faire devrait nous mettre la puce à l’oreille : si le roman – que je n’ai pas lu –  avait été un chef d’œuvre, on n’aurait certainement pas attendu si longtemps son adaptation.

Le Jeu de la dame suit un schéma très classique. Trop peut-être. Premièrement, l’ascension d’un génie en herbe avec la révélation presque providentielle de ses talents innés et l’accumulation inattendue et enivrante des premières victoires. Deuxièmement, la chute inévitable pour pimenter une action qui aurait été, sans elle, trop linéaire. Troisièmement, la rédemption dans un épilogue certes euphorisant mais ô combien prévisible.

À la différence des séries traditionnelles dont le mode d’emploi est le tissage de plusieurs histoires entre elles, Le Jeu de la dame est construit selon un principe plus simple. Tout s’organise autour de son héroïne, interprétée par la jeune Anya Taylor-Joy, une quasi-inconnue désormais promise à un brillant avenir. Les personnages qui l’entourent – sa meilleure amie au pensionnat, sa mère adoptive, son premier rival aux échecs, le grand maître soviétique dont elle convoite la place – ne sont que des faire-valoir destinés à la mettre en valeur. On notera d’ailleurs l’absence d’un vrai « méchant », les hommes se montrant tous unanimement, dans ce récit féministe, d’une douce et surprenante délicatesse.

Le Jeu de la dame lit-on partout a une vertu : il peut être aussi bien vu par les passionnés d’échecs que par ceux qui n’en connaissent pas les règles. Là encore, je ne partagerais pas cet avis. Les parties – ou du moins ce que j’en ai saisi tant les plans sont trop rapides pour en apprécier chaque coup – m’ont semblé bien tarabiscotées. Un peu comme si on avait réduit un match de football à une série de coups francs dans la lucarne ou de retournés acrobatiques. La réalité en est autrement moins spectaculaire.

Le Jeu de la dame a certes une qualité à laquelle je suis tout particulièrement sensible : nous ramener façon Mad Men dans ces années soixante si photogéniques, si élégantes. La gracieuse Anya Taylor-Joy, qui a débuté à dix-sept ans dans le mannequinat, est habillée, maquillée, coiffée, comme un top modèle. Chacune de ses toilettes, à partir du troisième épisode, est un enchantement pour l’œil. Qui aurait l’ingratitude de relever qu’elle est censée jouer une péquenaude du Kentucky ?

J’ai certes la dent dure. Le Jeu de la dame est un excellent moment de télévision. Mais ce n’est pas le chef d’œuvre dont on rebat nos oreilles confinées.

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The Man in the High Castle ★★★★

1962. Grâce à la maîtrise de l’atome, le Troisième Reich a rayé de la carte Washington Dc et gagné la Seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis, dûment aryanisés, sont désormais divisés en trois territoires. L’Allemagne occupe l’Est ; le Japon dirige l’Ouest ; une zone tampon sépare les deux protectorats. Tandis qu’Adolf Hitler se meurt, laissant augurer une succession délicate, les relations entre le Reich et l’Empire nippon se tendent au point de faire redouter un troisième conflit mondial.
À San Francisco, Juliana Crain (Alexa Davalos) rejoint la Résistance et réussit à infiltrer les cercles de pouvoir japonais. À New York, Joe Smith (Rufus Sewell), un ancien officier américain, gravit un à un les échelons de la SS, quitte à mettre en péril sa famille. Le destin de ces personnages va se croiser autour de mystérieux films qui circulent sous le manteau et qui révèlent l’impensable : l’Allemagne n’aurait pas gagné la guerre.

Le Maître du haut château est une série à grands moyens, produite par Ridley Scott, dont Amazon a abondamment fait la publicité pour renforcer l’attractivité de sa plateforme Prime Video. Elle a été diffusée en quatre saisons de dix épisodes chacune en 2015, 2016, 2018 et 2019.

La série est basée sur le livre de Philip K. Dick. Elle part du même point de départ : que se serait-il passé si Hitler avait gagné la guerre ? L’uchronie est folle. Elle est géniale. D’autres que Dick s’en sont saisis après lui : Robert Harris et son polar Fatherland par exemple.

Quand un livre est porté à l’écran , on le considère très souvent meilleur que son adaptation. Parce que ses lecteurs s’en étaient fait une image différente que celle que leur offre a posteriori son passage à l’écran. Parce que le livre contient des détails que le film, plus bref, ne restitue pas dans toute leur complexité.
Tel n’est pas le cas selon moi du Maître du haut château. J’ai conscience en l’affirmant d’émettre une opinion qui ne sera pas partagée par tous. Car Philip K. Dick est unanimement tenu comme l’un des plus grands auteurs de SF et que son livre est culte. Pourtant je dois avouer avoir préféré de beaucoup la série au livre.

Pourquoi ?
Parce que le livre, beaucoup trop court, se contente de lancer une idée, certes géniale (ce fameux « et si…. ? ») sans en tirer toutes les conséquences. D’ailleurs Philip K. Dick n’a pas réussi à y mettre un point final, s’essayant à plusieurs reprises sans jamais y parvenir à en écrire la suite. Son action se déroule presqu’exclusivement à San Francisco. L’admiration que voue Dick aux philosophies orientales y transpire : il y est question, dans de longs passages ésotériques peut-être écrits sous influence, du Yi King.

La série reprend ces éléments et les enrichit. On retrouve certes, comme dans le livre, les personnages de Juliana Crain, de Robert Childan, cet esthète qui tient une boutique d’antiquités américaines et qui rêverait d’être intégré à la haute société japonaise qu’il révère, de Frank Frink, un manœuvre qui s’associera à Childan pour fabriquer des faux bijoux….
Mais la série crée de toutes pièces les personnages de John Smith, de sa femme et de ses enfants et de l’inspecteur Kido, le chef de la Kempetaï japonaise dans les États du Pacifique. Il invente une Résistance qui n’existait pas dans le livre. Et – idée de génie – il remplace le livre du maître du haut château par une série de films que cet ancien projectionniste rassemble patiemment et diffuse clandestinement pour instiller l’esprit de révolte.

L’uchronie autour de laquelle la série comme le film sont construits est en elle-même très riche. On y voit une Californie sous occupation japonaise, un New York où la SS occupe un immense building sur l’East River et où les autorités du Reich vont dynamiter la Statue de la Liberté. On y voit aussi Berlin devenue la capitale du monde, métamorphosée par les travaux grandioses de Speer.

À cette uchronie, déjà très excitante, s’ajoute un second thème, typiquement dickien : l’existence d’univers parallèles. Les films que diffuse la Résistance en sont un indice : à côté de ce monde, qui a vu la victoire de l’Axe, existent d’autres mondes où l’Axe a été vaincu. Certains personnages ont la capacité de voyager d’un monde à l’autre. C’est le cas de Tagomi, un haut responsable japonais.
Cette voie est à peine esquissée dans le livre. La série, au contraire, en fait progressivement son sujet principal. La narration en est enrichie, qui multiplie les allers-retours entre les deux univers. Mais les personnages le sont tout autant, qui sont confrontés à des questions métaphysiques : sont-ils le résultat de leurs choix ? ou celui de leur destin ? À cette aune, le personnage le plus intéressant de la série est l’Obergruppenführer Smith, impeccablement interprété par Rufus Sewell qui donne à ce rôle de méchant qui aurait pu aisément verser dans la caricature une épaisseur troublante. Beaucoup moins ambigüe s’avère en revanche l’héroïne Juliana Crain dont la seule qualité semble être de survivre miraculeusement à toutes les péripéties dans lesquelles elle est impliquée.

La série a une dernière qualité. Elle se termine – même si son quarantième épisode n’est pas le meilleur. On a tellement vu de séries dont l’épilogue nous frustre d’un dénouement, pour laisser ouverte la possibilité d’une saison supplémentaire, qu’on apprécie pour une fois qu’une histoire ait un point final.

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Chambre 2806 ★★★☆

Samedi 14 mai 2011. New York. Hôtel Sofitel. Nafissatou Diallo, une femme de ménage d’origine guinéenne, pousse la porte de la suite présidentielle 2806. Elle en ressort neuf minutes plus tard et accusera son occupant, Dominique Strauss-Kahn, de l’y avoir violée. Le patron du FMI que les sondages en France désignent déjà comme le favori des prochaines élections présidentielles, est arrêté le soir même à JFK alors qu’il s’apprête à décoller vers la France.

Que s’est-il réellement passé dans la chambre 2806 ? La justice américaine a renoncé à le découvrir. La parole de la victime, Nafissatou Diallo, a été fragilisée par la révélation des mensonges dont elle s’était rendue coupable pour obtenir l’asile aux Etats-Unis quelques années plus tôt. Le procureur a préféré ne pas poursuivre et un juge a ordonné en août 2011 la libération de DSK qui avait été placé jusqu’alors en résidence surveillée à Manhattan.

Mais entretemps la justice populaire avait fait son œuvre. Le passé de DSK était dévoilé ainsi que son goût effréné pour le libertinage. En 2008 déjà, à son arrivée au FMI, une liaison avec l’une de ses subordonnées avait défrayé la chronique. Le comité d’éthique du FMI avait préféré fermer les yeux : « Après tout, il est Français »….
Une jeune journaliste, Tristane Banon, avait accusé DSK de l’avoir agressée sexuellement en 2002. Mais la plainte qu’elle déposera neuf ans plus tard sera classée sans suite.
Une autre affaire judiciaire a jeté une lumière crue sur les turpitudes de DSK sans pour autant conduire à sa condamnation : celle du Carlton de Lille dont il ressort qu’il a eu régulièrement recours à des prostituées qui lui étaient fournies par des amis espérant entrer dans les grâces du futur président de la République.

Le documentaire de Netflix, découpé en quatre épisodes de quarante-cinq minutes chacun, ne contient aucune révélation inédite. Mais avec la même efficacité que le récent Gregory, il revient sur une affaire qui avait défrayé la chronique et sur une personnalité qui aura marqué son époque.

Dominique Strauss-Kahn n’en sort pas grandi. C’est le moins qu’on puisse dire. On y découvre un homme supérieurement intelligent, piégé par ses instincts et enivré par un sentiment d’invulnérabilité. C’est la journaliste Raphaëlle Bacqué, qui lui avait consacré un livre en 2012, qui en parle le mieux, dessinant en regard un portrait plein de noblesse d’Anne Sinclair qui n’a mégoté ni son amour ni son argent pour le soutenir.

Même si la justice ne l’a jamais condamné, même si des ombres de doute persistent encore autour des faits commis le 14 mai 2011 dans la suite 2806, Dominique Strauss-Kahn ne sera jamais Président de la République.

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La Fille de Monaco (2008) ★★★☆

Bertrand Beauvois (Fabrice Luchini) est un ténor du barreau parisien appelé à Monaco pour y défendre Edith Lassalle (Stéphane Audran) accusée aux assises de l’assassinat de son jeune amant russe. Menacé par la mafia, Me Beauvois est escorté d’un garde du corps, Christophe Abadi (Roschdy Zem), qui ne le quitte pas d’une semelle. Durant son séjour sur le Rocher, l’avocat parisien croise Audrey Varella (Louise Bourgoin), une jeune Monégasque qui présente la météo sur la chaîne locale. La jeune femme, incroyablement sensuelle, réveille la libido assoupie du vieil avocat.

Anne Fontaine est une des réalisatrices les plus intéressantes du cinéma français. Tous ses films traitent un thème similaire : le dérèglement brutal d’existences ordinaires. Dans Nettoyage à sec, les propriétaires d’un pressing à Belfort (Miou-Miou et Charles Berling) voient débouler dans leur vie paisible un Adonis qui bouleverse leur train-train. Dans Entre ses mains, une célibataire endurcie (Isabelle Carré) tombe amoureuse d’un homme (Benoît Poelvoorde) qu’elle suspecte d’être un assassin en série. Dans Perfect Mothers, adapté d’une nouvelle de Doris Lessing, deux mères de famille (Naomi Watts et Robin Wright), la quarantaine, éprouvent une attirance trouble pour le fils de l’autre.

Dans La Fille de Monaco, c’est au tour de Fabrice Luchini, pour une fois remarquable de retenue, d’être entraîné dans une histoire qui le dépasse. Cet homme riche, distingué, intelligent, que l’âge et l’expérience ont cuirassé contre les émotions fortes, va vaciller. Il y a de quoi : Louise Bourgoin, dont c’était en 2008 la première apparition au cinéma, est proprement renversante dans le rôle d’une cagole sans scrupule. Sa prestation lui vaudra une nomination au César du meilleur espoir féminin et lui ouvrira la carrière que l’on sait.

L’habileté du scénario est de tisser ensemble deux histoires. D’un côté, l’histoire principale : le nœud de séduction dans lequel le personnage interprété par Fabrice Luchini manque de s’étouffer. De l’autre, l’histoire mineure : celle de cette femme mûre, interprétée par Stéphane Audran dans l’un de ses tout derniers rôles, qui, contre toute raison, perd la tête pour un jeune arnaqueur russe. Ces deux histoires résonnent entre elles : le grand avocat et la vieille douairière perdent la tête et mettent en péril une vie bien rangée pour une personne de trente (ou quarante ?) ans leur cadette.

À ces deux histoires s’en ajoute une troisième avec le personnage de Roschdy Zem, gorille impeccable, maniaque du règlement, viscéralement attaché à son patron. On comprend qu’il a eu une liaison avec Miss Météo. Nourri de son expérience, il met Me Beauvois en garde contre elle. Jusqu’où poussera-t-il le dévouement ?

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Cyril contre Goliath ★★☆☆

Pierre Cardin a décidé de privatiser le petit village de Lacoste dans le Lubéron. Il a commencé à financer gracieusement la restauration de son vieux château. Jusque là, rien à dire. Mais il a ensuite racheté une à une les maisons du bourg, le vidant lentement de ses habitants et de ses rares commerces.
Face à ce Goliath sans morale se dresse Cyril Montana. Parisien, la cinquantaine, il a passé toute son enfance à Lacoste qui, dans les années 70-80, était peuplé par une communauté cosmopolite de hippies libertaires. Il refuse le sort de son village et, après avoir réfléchi à la meilleure façon d’agir, décide de mobiliser l’opinion publique. La réalisation d’un documentaire racontant sa lutte fait partie de son plan d’action. Après avoir accumulé les refus, il rassemble le financement de son documentaire sur une plate-forme de crowdfunding.

Cyril contre Goliath tenait un sujet en or, manichéen à souhait, qui met face à face, comme dans les premiers documentaires de Michael Moore ou dans Merci patron ! qui lança la carrière politique de François Ruffin, un ignoble capitaliste, suintant le mépris de classe, avec un valeureux prolétaire, armé de sa seule énergie et de son humour.

Il suscite une réflexion très stimulante sur la mobilisation collective, un sujet à la mode aux temps de Occupy Wall Street, de Nuit debout et des Gilets jaunes : comment mobiliser le corps social ? comment attaquer un ordre qu’on juge illégitime ? comment faire changer les choses ? en restant dans les limites de la légalité ? en violant la Loi ?

Ce qui est le plus attachant est la modestie et l’auto-dérision dont Cyril Montana sait faire preuve. À la différence d’un Ruffin que la modestie n’étouffait pas, Montana se moque de tout et avant tout de lui-même. Organise-t-il une marche collective, façon Gandhi, de Paris à Lacoste, la caméra de Thomas Bornot le suit, solitaire, le sac à l’épaule, rincé comme un chien errant, sur les routes de France, accompagné seulement par son fils… qui l’abandonne en gare de Fontainebleau. Invite-t-il tous les habitants de Lacoste à une assemblée générale ? la caméra filme encore une assemblée vide, réduite à quatre participants.

Cyril contre Goliath est un documentaire attachant qui, à partir d’un cas d’école ubuesque – la privatisation d’un petit village provençal – nous fait réfléchir avec un Don Quichotte plein d’énergie à la mobilisation collective et à ses limites.

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La femme qui s’est enfuie ★☆☆☆

Gam-Hee (Kim Minhee, l’actrice fétiche et la compagne à la ville de Hong Sangsoo), que son mari vient de quitter le temps d’un voyage d’affaires, rencontre trois amies. La première, proche de la retraite, s’est retirée du monde. La seconde, au mitan de sa vie, multiplie les passades. La troisième travaille dans un centre culturel qui programme une rétrospective des œuvres du réalisateur dont l’héroïne fut, quelques années plus tôt, la maîtresse.

C’est avec beaucoup de prudence que j’ai écrit le résumé qui précède tant je ne suis pas totalement certain d’avoir compris l’histoire ou les histoires que raconte La femme qui s’est enfuie – pas plus d’ailleurs que je n’ai réussi à comprendre son titre. Il a fallu d’ailleurs une longue discussion avec une amie plus cinéphile que moi – et qui pourtant, de son propre aveu, n’avait rien compris au film – pour réaliser que le personnage qu’on voit dans la première scène partir à un entretien d’embauche au lendemain d’une soirée trop arrosée est le même que celui que capte plus tard la vidéo de surveillance en train de fumer tristement devant chez elle.

Deux mois à peine après Hotel by the river, Hong Sangsoo revenait sur les écrans fin septembre. La proximité des dates de sortie de ces deux films s’explique sans doute par la fermeture des salles (Hotel by the river aurait dû sortir au printemps). Mais le réalisateur sud-coréen n’en demeure pas moins d’une affolante prolixité, au point de donner le tournis à ses plus fervents afficionados.

Tous ses films se ressemblent qui filment en long plans-séquence – parfois interrompus par de brusques zooms avant – des discussions interminables. Mais tous ses films diffèrent imperceptiblement les uns des autres : Hotel by the river, tourné en plein hiver, dans un splendide noir et blanc était une réflexion sur la mort tandis que La femme qui s’est enfuie, plus lumineux, interroge la possibilité d’un monde sans hommes.

Chacune des trois rencontres que fait Gam-Hee est structurée de la même façon. Le face-à-face des deux femmes est interrompu par un homme maladroit et grotesque : un voisin qui se plaint des chats errants, un jeune poète énamouré, le réalisateur célèbre duquel Gam-Hee s’est jadis éprise…

Les critiques crient au génie devant les films de Hong Sangsoo. J’avoue, le rouge au front, ne pas partager leur enthousiasme. Certes, je n’ai pas revécu la colère qui m’a prise devant Hotel by the river l’été dernier, que j’ose accuser de fumisterie ; mais pour autant les soporifiques dialogues de La femme… me semblent fâcheusement dépourvus d’intérêt.

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Mank ★★☆☆

1940. Immobilisé par une jambe dans le plâtre, le scénariste Herman J. Mankiewicz est confié aux bons soins d’une secrétaire et d’une infirmière dans un ranch au milieu du désert californien. RKO lui donne carte blanche pour écrire le scénario que tournera un jeune réalisateur venu du théâtre et du cinéma, précédé d’une réputation de génie, Orson Welles. Ce sera Citizen Kane.

L’histoire a oublié Herman Mankiewicz. Le souvenir de son cadet, Joseph, le réalisateur de Eve et de Cléopâtre, a effacé sa mémoire. Pourtant il fut, dans les années trente, l’un des scénaristes les plus réputés d’Hollywood, signant pour la MGM les scénarios du Magicien d’Oz et de quelques uns des films des Marx Brothers. Mais son fichu caractère, son alcoolisme chronique devaient l’éloigner du studio et de son tyrannique patron, Louis B. Mayer. En écrivant le scénario de American – ultérieurement rebaptisé Citizen Kane – il veut régler des comptes avec le magnat William Randolph Hearst, soutien de toujours de Mayer.

Sur la base d’un vieux scénario écrit par son propre père, David Fincher se livre à un exercice virtuose. On n’en escomptait pas moins du réalisateur de Seven, de Fight Club ou de The Social Network, absent des écrans depuis six ans, dont le retour était impatiemment attendu. Il réalise un pastiche somptueux des films de l’époque dont il a repris le noir et blanc satiné et la construction en flashbacks – qui constitua une des innovations de Citizen Kane.

Que Mank ne soit pas sorti en salles, où il avait évidemment sa place, relance un vieux débat depuis Roma ou The Irishman. Après Alfonso Cuarón, après Martin Scorsese, David Fincher a à son tour vendu son âme au diable Netflix. On l’excusera en avançant que, Covid oblige, Mank n’aurait pas pu sortir en salles – même si le lancement de sa production par Netflix est antérieure à la pandémie. On invoquera un argument autrement convaincant : les majors ont refusé de prendre le risque de produire ce scénario, seul Netflix acceptant d’en prendre le risque.

Il y a fort à parier que dans une année bien pauvre en chefs d’œuvre, Mank se retrouve dans tous les palmarès. On voit mal comment l’Oscar du meilleur acteur pourrait échapper à Gary Oldman. Son rôle d’ivrogne philosophe n’est pas sans rappeler l’interprétation d’Albert Finney dans Au-dessous du volcan. Idem pour l’Oscar des décors et des costumes tant l’âge d’or d’Hollywood est filmé avec une élégante magnificence.

Pourtant, malgré toutes les raisons objectives d’encenser Mank, j’avoue une certaine déception.
Je ne suis pas rentré dans le film, comme déjà par le passé je n’étais pas rentré dans The Social Network. La faute à des dialogues à la mitraillette dont je n’ai pas eu le temps, l’âge venant, d’en lire les sous-titres ? La faute à des références pas toujours compréhensibles à une période de l’histoire du cinéma dont les détails ne m’étaient pas familiers ?

La faute aussi à une attente déçue. Mank nous est vendu – et c’est ainsi d’ailleurs que je l’ai présenté – comme l’histoire de la confection de Citizen Kane. On y apprend in extremis le vol de paternité dont s’est rendu coupable Welles en s’attribuant un scénario écrit par le seul Mankiewicz et en partageant avec lui un Oscar qu’il n’aurait pas dû recevoir. Mais on ne voit rien de Citizen Kane ou de son tournage. On n’y évoque même pas ce qui en fit un événement dans l’histoire du cinéma et dont le mérite revenait bien à Orson Welles et à personne d’autre : le recours aux flashbacks, l’utilisation innovante de la caméra (profondeur de champ, contreplongées). Rien de tout cela n’est évoqué dans Mank qui s’arrête avant le premier tour de manivelle de Citizen Kane.

Finalement, après deux heures (dont il serait malhonnête de dire qu’elles sont trop longues), si on le débarrasse de tout ce qui l’encombre, Mank se révèle pour ce qu’il est : le portrait d’un homme piégé par le pacte faustien qu’il a passé avec Hollywood. C’est déjà beaucoup mais c’est trop peu par rapport aux attentes que ce film avait fait naître.

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The Crossing ★☆☆☆

Peipei est une jeune adolescente chinoise comme tant d’autres. Ses parents sont séparés. Elle vit avec sa mère à Shenzhen et prend chaque jour le train pour aller étudier à Hong Kong. Sa meilleure amie, Jo, sort avec Hao, un garçon plus âgé. Hao et ses amis trafiquent à la frontière, important illégalement en Chine continentale les téléphones portables dernier cri commercialisés pour l’instant à Hong Kong seulement. Pour récolter l’argent qui lui permettra de réaliser son rêve (partir avec Jo au Japon y voir tomber la neige), mais aussi par attirance pour Hao, Peipei accepte de participer à ces trafics.

Il n’est pas de semaine, hors confinement, sans que sorte un nouveau film chinois. Le temps n’est plus où ce cinéma exotique arrivait à compte-gouttes sur nos écrans. Cette quantité accrue n’implique pas automatiquement une baisse de qualité ; mais elle entraîne immanquablement une érosion de la curiosité que ce cinéma suscite.

L’histoire de The Crossing aurait été charmante si elle n’avait déjà été cent fois racontée. On a trop vu de jeunes filles qui sortent de l’adolescence en transgressant des interdits par amour d’un garçon pour s’en émouvoir encore. Il faudrait pour qu’un tel scénario éveille notre intérêt une mise en scène particulière. Hélas, la réalisation de la cinéaste Bai Xue – qui a vécu l’expérience transfrontalière de son héroïne – est trop conventionnelle pour y parvenir.

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