Irrécupérables ☆☆☆☆

Lin et Gloria s’évadent de prison. Elles trouvent refuge dans un manoir qui s’avère être la clinique d’une sexothérapeute dont elles vont prendre la place pour accueillir quatre patients sous le coup d’une injonction de soins : un producteur de cinéma, une star du football, un gynécologue collectionneur et un pervers SM.

Irrécupérables est une mini-série diffusée sur Arte en cinq épisodes d’un quart d’heure chacun. Elle nous vient d’Allemagne. Son titre original, #Heuldoch, a été bizarrement traduit. Qui ici est « irrécupérable » ? Ces deux prisonnières en cavale ou ces quatre hommes encroûtés dans leurs préjugés sexistes ?

Irrécupérables se présente comme une série post-Me Too qui tournerait en ridicule les comportements machistes. C’est lui faire trop d’honneur que de lui prêter un sous-texte politique qu’on a bien du mal à y discerner.

Irrécupérables n’est tout au plus qu’une farce, une bouffonnerie, une production à petit budget avec six acteurs filmés sur un lieu unique. Les deux héroïnes, aussi crédibles en psychothérapeutes que je le serais en danseur de flamenco, grimacent et gesticulent sans nous arracher un sourire. Quant aux quatre personnages masculins, ils caricaturent, sans qu’on sache s’il faut en rire ou en pleurer, les différentes nuances de l’indécrottable veulerie masculine.

À fuir.

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À ma place ★★☆☆

Savannah a vingt-cinq ans. En avril 2016, la documentariste Jeanne Dressen la découvre sur la place de la République, micro au poing, haranguant les foules, et s’attache à ses pas. La jeune femme est étudiante en sociologie à Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle espère intégrer l’ENS Ulm. Mais l’énergie qu’elle déploie chaque nuit, place de la République, l’empêche de se concentrer sur ses études.

Quel joli titre ! À ma place peut s’entendre de plusieurs façons – comme le titre du célèbre livre d’Annie Ernaux, La Place, avant lui. Il peut désigner la « place » assignée à Savannah par une société qui lui refuse de sortir du rang ; il peut faire référence à l’espace public qu’elle s’approprie pour y faire entendre sa colère et y faire germer l’espoir d’un monde plus doux ; mais il peut aussi questionner le spectateur : que feriez-vous « à la place » de Savannah ?

Ce titre là annonce un film bourdieusien – un auteur que Savannah vénère et dont elle espère intégrer l’école dont il fut l’élève. On escompte qu’il interroge le choix que Savannah doit faire : le militantisme ou les études ? Et on imagine qu’il se terminera sur les résultats du concours.

Mais le documentaire, très bref (une heure et quatre minutes seulement), trop peut-être, prend une autre direction. Il commence par filmer « Nuit debout » – comme L’Assemblée, le documentaire de Mariana Otero sorti à l’automne 2017, l’avait fait avant lui. Et il donne de cet immense happening populaire l’image d’une foule attentive et disciplinée, désireuse de débattre et de réfléchir ensemble, mais peinant à s’organiser : s’il est beaucoup question des procédures, à aucun moment on n’entend ni ne comprend l’objet concret de ces discours ou de ces votes.
Il suit Savannah dans les assemblées mais aussi dans les manifestations où les violences policières dont elle est victime – elle reçoit un tir de flashball dans la fesse – la traumatisent.

Puis, on apprend que Savannah a été acceptée à Normale Sup’. On partage sa joie communicative – même si on pointe un paradoxe chez cette rebelle née à vouloir de toute force intégrer une institution qui symbolise jusqu’à la caricature l’establishment honni. On est ému lorsqu’elle l’annonce avec fierté à son père, chômeur et alcoolique, et à sa mère.

Le documentaire aurait pu s’arrêter là. Mais il compte un épilogue. On retrouve Savannah en 2017, un an après son intégration. Elle est enceinte de cinq mois d’une petite fille. Et elle confesse, face caméra, sa déception pour une école où elle n’a pas trouvé sa place, qui ne lui offre aucune perspective sinon une thèse en sociologie du genre ou du militantisme qu’elle ne réussira pas à financer. La mort dans l’âme, elle a décidé de quitter Normale Sup et de devenir professeure des écoles.
On ne peut qu’être mortifié par une telle conclusion et regretter qu’une jeune femme si pleine de vie, animée d’une si juste colère, n’ait pas trouvé sa « place ».

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La Maquisarde ★☆☆☆

En 1956, en Kabylie, Neïla, une jeune paysanne rejoint, après le sac de son village, le maquis où combattent son frère et son fiancé. Elle est bientôt arrêtée par l’armée française et incarcérée dans un camp. Elle partage sa cellule avec Suzanne, une infirmière française. Les deux femmes torturées se livrent l’une à l’autre tandis que plane le spectre des exécutions sommaires.

On ne pouvait accueillir qu’avec intérêt l’annonce de l’adaptation à l’écran du livre de Nora Hamdi qui a le mérite de braquer les projecteurs sur des acteurs méconnus de la guerre d’Algérie : ces femmes, algériennes ou françaises qui ont combattu pour l’indépendance. La réalisatrice leur avait consacré un livre, publié en 2014 chez Grasset. Après avoir déjà réalisé en 2008 un long métrage, avec Leïla Bekhti et Léa Seydoux, elle a décidé d’en assurer elle-même l’adaptation. Mais le budget a fait défaut et les têtes d’affiche annoncées (Leïla Bekhti dans le rôle de Neïla, Emmanuelle Béart dans celui de Suzanne) ont dû céder la place à des inconnues.

La qualité du film se ressent de ce manque de moyens. Ses décors se réduisent à presque rien : un sous-bois du sud de la France (le film n’a pas pu être tourné en Algérie), des locaux désaffectés… La Maquisarde, qui peine à atteindre l’heure et demie syndicale, se réduit vite à un huis clos sans surprise et sans émotion entre ses deux héroïnes. Se glisse entre les deux femmes un appelé français que les méthodes barbares de ses supérieurs indignent et dont on devine par avance le rôle qu’il jouera dans le dénouement prévisible de l’intrigue.

C’est malheureusement trop peu pour donner corps à ce sujet pourtant brûlant.

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Rétrospective Mikio Naruse ★★★☆

Mikio Naruse (1905-1969) est un des plus grands réalisateurs japonais. Mais sa renommée a été éclipsée par celle de ses illustres contemporains : Ozu, Mizoguchi et Kurosawa. Ses films sont longtemps restés inédits en France. Son film le plus connu, Nuages flottants, n’y est sorti qu’en 1984.
Aussi faut-il saluer l’heureuse initiative du Champo d’avoir diffusé l’été dernier cinq des films du maître. J’avais déjà vu Quand une femme monte l’escalier ; je ne connaissais pas les quatre autres.

Il est intéressant de rapprocher Une femme dans la tourmente (1964) et Nuages épars (1967) même si le premier a été tourné en noir et blanc alors que le second, l’ultime film de Naruse, est en couleurs.

Même si leurs titres en français ne le laissent pas deviner, les deux films portent en japonais presque les mêmes titres : Midareru et Midaregumo, dont les deux premiers kanji désignent le tourment, le trouble.
Dans les deux films – et sur les deux affiches – on reconnaît le même acteur masculin : Yuzo Kayama. L’actrice féminine change : Hideko Takamine, l’actrice fétiche de Naruse, à l’affiche du premier, cède le rôle principal à Yoko Tsukasa dans le second – qui jouait un petit rôle dans Une femme dans la tourmente.
Mais c’est surtout le thème qui est le même : celui d’un veuvage douloureux et de l’impossibilité d’un nouvel amour. L’héroïne de Une femme dans la tourmente est veuve de guerre. Elle a consacré sa vie à faire prospérer le petit commerce de son époux, aujourd’hui menacé par la grande distribution, et à entretenir sa belle-famille. Son beau-frère, qui mène une vie dissolue, est secrètement amoureux d’elle.
Dans Nuages épars, le veuvage de l’héroïne est plus récent et plus tragique. Yumiko est enceinte et sur le point d’accompagner son mari, fonctionnaire du MITI, à Washington lorsqu’il décède dans un accident de voiture. Le conducteur qui l’a fauché – et qu’un procès exonère de toute responsabilité – est rongé par une culpabilité qui se transforme au fil du temps en muette passion.

Ces deux films, d’une facture très classique, racontent l’un comme l’autre des histoires poignantes et intemporelles. Ils sont pourtant ancrés dans un Japon en pleine mutation, qui referme lentement les cicatrices de la Guerre pour se lancer à corps perdu dans la modernité.

C’est aussi le cas de Au gré du courant sorti en 1956 qui chronique la vie d’une maison de geishas dont la fille unique (interprétée par Hideo Takamine) de la tenancière a décidé contre l’avis de sa mère de ne pas en assurer la succession. Dans ce film un chouïa trop long, on assiste, à travers les yeux d’une vieille servante qui vient d’y être embauchée, à l’inéluctable déclin de cet établissement, couvert de dettes, peinant à recruter des jeunes filles – car le métier a perdu son aura – et à attirer le chaland. Un microcosme qu’on retrouvera dans Quand une femme monte l’escalier (1960) et sur lequel Naruse jette une regard tendre et nostalgique.

Le Grondement de la montagne (1954) est l’adaptation d’une nouvelle de Kawabata. Elle doit son titre au bruit cauchemardesque que le héros du livre entend durant son sommeil, annonciateur de sa mort prochaine. Mais cet épisode n’est pas repris dans le film dont le titre, du coup, devient incompréhensible. Son sujet n’est pas tout à fait le même que celui des films précédents puisqu’il se déroule au sein d’une famille aisée, qui habite dans la banlieue montagnarde de Tokyo. Le chef de famille est à la tête d’une entreprise prospère dont il espère que son fils reprendra les rênes. mais celui ci mène une vie dissolue et, au grand dam de son père qui lui voue une tendresse toute paternelle, délaisse son épouse.
Dans le rôle de la bru on retrouve la lumineuse Setsuko Hara qui tourna avec Mizoguchi, en devint la maîtresse, puis, à sa mort, la gardienne de son souvenir.

Je ne mettrai pas pour autant Naruse sur le même plan que Ozu, que je vénère. Les quatre films que je viens de voir n’ont pas la simplicité, le dépouillement, la rigueur, en un mot la perfection de Printemps tardif ou Fin d’automne.

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No Way ★☆☆☆

La quarantaine bien entamée, Stijn élève des moutons. Il peut compter sur le soutien de ses parents dont il a repris une partie des terres, de sa femme qui, diplômée d’une école d’agriculture, tient la comptabilité et de ses deux enfants. Mais cela ne suffit pas à faire face aux difficultés qui s’accumulent : les subventions se tarissent, les voisins qui lui refusent le droit de passage à ses bêtes, la concurrence d’exploitations plus grandes et plus mécanisées qui n’hésitent pas à aller chercher des bergers en Europe de l’est…

L’an dernier, Au nom de la terre, avec Guillaume Canet, racontait avec force le combat d’un agriculteur de Mayenne criblé de dettes. Il y a neuf mois, Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes documentait la même histoire cette fois-ci en Auvergne. No way nous fait franchir les frontières sur les traces d’un cowboy anachronique dont on pressent dès le début du documentaire que son destin sera le même que celui de ses deux cousins français.

Le réalisateur Ton Van Zantvoort a voulu poétiser le métier de berger en filmant le Brabant sous la brume. Ces plans, retravaillés à la palette graphique, sont sans doute très beaux ; mais il n’est pas sûr qu’ils apportent grand-chose au propos. On aurait aimé en revanche qu’on nous explique avec plus de pédagogie les difficultés dans lesquelles Stijn et son exploitation se débattent. On comprend qu’elles proviennent notamment de la brutale perte d’une subvention publique (versée pour l’entretien des terres ?), soulevant la question de la viabilité d’une activité incapable d’équilibrer ses recettes et ses charges.

Bien sûr, on se prend de sympathie pour Stijn et pour sa petite famille. Mais cette empathie ne suffit pas à pimenter un documentaire sur une situation déjà mieux décrite par ailleurs.

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Bodyguard ★★★☆

L’agent de police David Budd (Richard Madden, Robb Stark dans Game of Thrones) a servi en Afghanistan et en est revenu durablement traumatisé. Après avoir déjoué dans un train un attentat à la bombe perpétré par une djihadiste ceinturée d’explosifs, il se voit confier par sa hiérarchie la protection rapprochée de la ministre de l’intérieur Julia Montague (Keeley Hawes). Cette étoile montante du parti conservateur porte un projet de loi anti-terroriste qui suscite de vives polémiques et divise son propre camp. Elle doit également arbitrer les rivalités inter-services qui opposent la police et son chef, Anne Sampson, avec les services de sécurité.

Diffusé en 2018 sur la BBC où il remporta un beau succès d’audience, distingué aux Golden Globes, Bodyguard franchit la Manche précédé d’une prestigieuse aura. France 2 a choisi de diffuser ses six épisodes trois lundis de suite. 4.2 millions de téléspectateurs étaient devant leur écran le 16 novembre, 3.4 millions une semaine plus tard. J’étais de ceux-là.

Bodyguard a une immense qualité. Il permet enfin d’oublier les rugissements tonitruants de Whitney Houston – un des solos les plus assourdissants de l’histoire de la musique ex aequo avec Il est venu le temps des cathédraaaaaaaaaaaales et Céline Dion dans Titanic – et son improbable idylle avec Kevin Costner.

Mais il en a d’autres. Pendant près de six heures, Bodyguard tient le téléspectateur en haleine et entretient chez lui, qui en a pourtant vu d’autres, une constante paranoïa. Qui est le « méchant » dans cette histoire à tiroirs où tout le monde a quelque chose à cacher ? On est happé dès le premier épisode par une scène de trente minutes, une tentative d’attentat qui nous plonge immédiatement au cœur de l’action. On est scotché par le coup de théâtre du troisième épisode – dont on ne dira rien de plus et dont on a déjà peut-être trop dit – un sacré pied-de-nez à toutes les règles du screenwriting. Et on finit d’être renversé par le dernier épisode, construit autour d’une scène unique sans doute pas très crédible mais terriblement haletante. On regrettera toutefois qu’elle ne clôture pas la saison, les scénaristes n’ayant pu résister au plaisir d’ultimes et inutiles rebondissements.

Bodyguard m’a rappelé l’une des toutes premières séries que j’avais vue au milieu des années 2000, mettant elle aussi en scène une sombre affaire d’État au Royaume-Uni : State of Play (une décevante adaptation cinématographique en sera tiré en 2009 avec Russell Crowe et ben Affleck). J’en avais enquillé les six épisodes sans souffler, apprenant pour l’occasion le sens d’un mot qui allait faire florès : binge-watching.

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Borat Subsequent Moviefilm ★☆☆☆

Borat Margaret (sic) Sagdiyev est libéré du goulag où il a été expédié. Un cadeau lui est confié par le Président du Kazakhstan, qu’il devra remettre au président Donald Trump ou, à défaut, au vice-président Mike Pence. C’est l’occasion pour le journaliste kazakh, perclus de préjugés antisémites et racistes, de revenir aux Etats-Unis, quinze ans après son précédent séjour. Sa fille, Turat, est du voyage.

Borat est de retour.
Comment pouvait-il en être autrement ? Certes le créateur de ce personnage iconoclaste, le Britannique Sacha Baron Cohen, avait juré ses grands dieux que son film n’aurait pas de suite. Mais après avoir engrangé en 2007 plus de deux cent cinquante millions de dollars de recettes (pour un budget de dix-huit millions seulement), comment résister à la perspective de faire coup double ?

Pour ne pas décevoir ses fans, Borat 2 est condamné à ré-utiliser les mêmes recettes que Borat 1. Sur le fond : un soi-disant journaliste kazakh au sabir hilarant tend aux Etats-Unis le miroir déformant de ses pires défauts (antisémitisme, sexisme, complotisme, bigoterie…) auxquels s’ajoute depuis 2020 le refus de certaines franges de la population de se plier aux précautions sanitaires que la pandémie du Covid appelle. Dans la forme : des saynètes sont filmées en caméra cachée où des Américains se font piéger.

Le fond fait toujours autant rire. Borat 2 contient des scènes inégales plus ou moins drôles. Certaines sont franchement hilarantes et risquent, comme celles du premier opus, de devenir cultes. L’une en particulier a déjà défrayé la chronique où l’on voit Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York, l’un des plus fidèles supporters de Donald Trump, céder au charme d’une journaliste et l’accompagner dans une chambre d’hôtel.

Mais le rire que Borat suscite est un rire bien particulier. Il est basé sur la gêne, sur l’outrance. C’est un rire qui suscite un malaise. On se souvient, dans le premier film, de cette scène où Borat, feignant d’ignorer le fonctionnement des toilettes américaines, en était sorti avec un sac plastique rempli de ses excréments. On peut la trouver hilarante ; on peut aussi la trouver très embarrassante. C’est le même embarras que j’ai ressenti durant le bal des débutantes où la fille de Borat (interprétée par l’épatante Maria Bakalova) exhibe son sexe rougi par ses règles.

Dans la forme, Borat 2 atteint vite ses limites. Le visage de Sacha Baron Cohen est en effet devenu trop célèbre pour permettre à l’acteur de filmer dans l’anonymat ses rencontres. Il est condamné à se grimer ou à se dédoubler à travers sa fille. Certaines scènes ont été réellement tournées en caméra cachée; mais il semblerait qu’elles ne l’aient pas toutes été, rompant le pacte tacite qui liait le réalisateur à ses spectateurs.

Qui aura aimé Borat 1 risque d’être déçu de cette resucée sans surprise. Qui ne l’aura pas aimé ne pourra qu’être déçu.

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No Man’s Land ★★★☆

2014. Antoine Habert (Félix Moati) n’a jamais réussi à faire le deuil de sa sœur Anna (Mélanie Thierry), morte au Caire deux ans plus tôt dans un attentat à la bombe. Il croit la reconnaître à la télévision dans les rangs des YPG, ces brigades kurdes qui combattent en Syrie contre Daesh. Pour en avoir le cœur net, il décide de se rendre à la frontière turque où il manque d’être kidnappé par Daesh et doit la vie aux YPG.
Pendant ce temps, trois jeunes Britanniques, Nasser, Paul et Iyad, qui ont grandi ensemble dans les quartiers déshérités de Londres, rejoignent l’État islamique.

No Man’s Land est la nouvelle série d’Arte qui en a diffusé les trois premiers épisodes jeudi dernier mais dont la totalité des huit est dores et déjà accessible sur son site Internet Arte.tv. L’accueil public et critique en est excellent.

No Man’s Land partait pourtant avec un lourd handicap. Il passe après Le Bureau des Légendes dont il reprend tout un volet : les intrigues moyen-orientales de Malotru (prisonnier de Daesh), de Phénomène (infiltrée en Iran), de Raymond Sisteron (qui y perdra un pied) et de Marie-Jeanne (vraie-fausse directrice d’hôtel au Caire dans la dernière saison). Il passe aussi après une mini-série suédoise moins fameuse et pourtant excellente diffusée en début d’année sur Netflix : Kalifat. Il passe enfin après pas moins de quatre films sortis en salles depuis 2016 qui évoquent le courage des combattantes kurdes enrôlées sous la bannière des YPG : Peshmerga de Bernard-Henry Lévy, Filles du feu de Stéphane Breton, Filles du soleil d’Eva Husson et Sœurs d’armes de Caroline Fourest.

On pourrait donc légitimement se lasser de ce ressassement d’intrigues similaires tournées dans les mêmes décors – marocains. C’est d’ailleurs un peu le sentiment qui monte durant les premiers épisodes qui peinent à démarrer. Félix Moati a beau faire la couverture de Télérama, je l’ai trouvé un peu mou dans le rôle de ce frère dévoré par la culpabilité de la disparition de sa sœur, cherchant contre toute raison à en retrouver le fantôme au milieu des peshmergas kurdes et de leurs jolis foulards.

Tout s’accélère à partir de l’épisode six, de loin le plus réussi, qui voit se resserrer les différents fils de la narration. Le rythme ne ralentit pas jusqu’au dernier épisode qui clôt la saison en ouvrant la possibilité de développements ultérieurs. Espérons que le succès de cette première saison permette le tournage d’une suivante.

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Fin de siècle ★☆☆☆

Ocho est argentin et vit à New York. Javi est espagnol et vit à Berlin. Les deux hommes se rencontrent à Barcelone, se draguent, se plaisent et couchent ensemble. Coup d’un soir ? ou début d’une grande histoire d’amour ?

Fin de siècle – dont la signification du titre me sera restée mystérieuse – débute, comme je viens de le présenter, suivant une trame assez banale. On escompte une histoire d’amour gay intercontinentale avec son lot d’obstacles à surmonter, de retrouvailles heureuses, de séparations forcées.

Mais le film prend une autre direction. Les deux acteurs font un bond en arrière de vingt années, à une époque qui correspond peut-être à cette « fin de siècle » qui a été choisie pour titre. Sans que leur physique ait changé pour autant, Ocho et Javi se rencontrent pour la première fois à Barcelone dans une situation bien différente que celle qu’ils viennent de vivre : Ocho est accueillie chez une amie Sonia, dont Javi est le compagnon.

Souvenir ? Rêve ? L’ambiguïté n’est jamais levée. Une troisième temporalité parallèle sera dessinée un peu plus tard achevant de semer le trouble chez le spectateur.

On dirait un « Tenet sans pétarade » ou un « Hong Sangsoo gay » (ces analogismes très bien trouvés ne sont hélas pas de moi mais, pour le premier du Monde et pour le second de Télérama). Fin de siècle nous balade dans la torpeur catalane d’une fin d’été, comme l’avait fait récemment Eva en août dans la capitale espagnole. Le film est sensuel, séduisant, aussi agréable à regarder que le sont ses deux acteurs principaux, sexy à souhait. Il livre en passant, l’air de rien, quelques réflexions touchantes sur le couple, la séparation, la fidélité, l’homoparentalité. Mais son procédé sophistiqué sinon gratuit ne fonctionne pas.

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En attendant le carnaval ★★☆☆

Le petit village de Toritama au nord-est du Brésil est la « capitale du jean ». Chaque année, près de vingt millions de paires en sont produites par une immense main d’œuvre industrieuse dont le seul loisir, le seul moment de détente dans l’année est le carnaval qu’elle va passer au bord de l’océan tout proche.

En allant voir ce documentaire brésilien, on escompte volontiers un énième témoignage sur les conditions de travail quasi-esclavagistes d’un lumpenprolétariat asservi à des cadences infernales, leurré par la perspective lointaine d’un loisir frelaté. Panem et circenses. La réalité est plus complexe.

L’industrie du jean à Toritama est organisée autour de mini-structures unipersonnelles. Chaque travailleur est son propre patron. Mais cette autonomie est vaine. Obnubilés par l’appât du gain, les travailleurs n’en profitent pas et se soumettent d’eux-mêmes aux pires conditions de travail.

Du coup, l’impression qu’on retire de ce documentaire est très ambigüe. On peut bien sûr s’insurger de cet énième ruse de l’hypercapitalisme qui, sous couvert de redonner leur autonomie aux travailleurs, n’en a pas pour autant allégé leur servitude. On peut aussi se lamenter de l’état d’esprit de ces hommes et ces femmes, de leur obsession pour l’argent, de leur incapacité à rompre les chaînes qui les entravent.

Et puis, on peut voir dans la préparation du carnaval, dans les comportements irrationnels de ces travailleurs qui vendent leurs biens de première nécessité, qui sacrifient l’épargne patiemment accumulée pour se payer ces trop rares vacances, un pied de nez à la loi d’airain du capitalisme, un sursaut de vie, toujours plus fort que la logique de l’argent.

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