La Sagesse de la pieuvre ☆☆☆☆

Craig Foster est un biologiste marin sud-africain, un apnéiste et un réalisateur qui a filmé ses plongées sous-marines au large du Cap. Il y a observé pendant toute une année une pieuvre d’une exceptionnelle intelligence. Le documentaire qu’il en a tiré, diffusé sur Netflix depuis septembre, a été couvert de prix et vient de remporter l’Oscar 2020 du meilleur documentaire.

J’avais repéré depuis quelques mois sur le catalogue Netflix ce documentaire. Mais le sujet ne m’intéressant pas, je n’avais pas choisi de le regarder. L’Oscar qu’il a reçu m’a fait changer d’avis. Mal m’en a pris !

La Sagesse de la pieuvre (laborieuse traduction de My Octopuss Teacher) nous montre des images sous-marines que commente en voix off le plongeur. Il raconte sa relation avec une pieuvre dont il découvre admirativement les stratégies d’adaptation. Il la montre chasser sa nourriture, résister aux attaques des requins-pyjamas – qui réussiront néanmoins à lui arracher une tentacule (pardon du spoiler) – se reproduire puis se laisser mourir à la fin de sa courte vie. L’inconvénient du procédé est que, comme souvent dans les documentaires animaliers, on projette sur les animaux des sentiments humains : la peur, la confiance et même la joie.

J’attendais du meilleur documentaire de l’année qu’il sorte du lot. La Sagesse de la pieuvre n’en sort pas. Pire : il nous met la tête dessous (gloussements).

Peut-être séduira-t-il les passionnés de plongée sous-marine, les amis de la faune subaquatique, les propriétaires d’aquarium. Quant aux autres….

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L’Autre Moitié du soleil (2013) ★☆☆☆

Dans le Nigéria de l’indépendance, deux sœurs jumelles, élevées en Angleterre, issues de la haute bourgeoisie  yoruba, connaissent des destins dramatiques. Onana (Thandie Newton) décide, contre l’avis de ses parents, de partager la vie d’Odenigbo (Chiwetel Ejiofor), un intellectuel marxisant tandis que Kainene (Anika Noni Rose), plus matérialiste, s’unit à Richard (Joseph Mawle), un écrivain britannique. La guerre du Biafra fera éclater leurs vies.

L’Autre Moitié du soleil est d’abord un immense roman de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. Son livre suivant, Americanah, qui décrit un sujet très contemporain – les mille et unes façons d’être Noir aux Etats-Unis – est devenu un best-seller outre-Atlantique et dans le monde entier. Pourtant, je continue à lui préférer ce roman-ci, d’un grand classicisme qui raconte l’histoire du Nigéria à travers celle de deux couples brinquebalés par les chaos de l’Histoire comme l’étaient les protagonistes inoubliables de Autant en emporte le vent ou Docteur Jivago.

L’Autre Moitié du soleil est un film à grand budget qui, bizarrement, n’est jamais sorti en salles en France, alors qu’il a été distribué partout dans le monde. J’avais tellement aimé le roman que je cherchais à voir par tous les moyens ce film depuis plusieurs années. Mon entêtement a porté ses fruits. J’ai enfin réussi à le dénicher (ce n’était en fait pas vraiment compliqué).

Dès les premières images, j’ai cru retrouver, en entendant les informations de l’époque et en étant plongé dans la liesse des fêtes de l’indépendance, le souffle qui m’avait tant plu dans le roman. Mais j’ai vite déchanté. Même si les toilettes sont élégantes (ah ! Thandie Newton…. soupirs énamourés….), les décors sonnent faux.

Et c’est tout le film qui sonne faux avec eux.
On ne saurait instruire contre lui un procès en infidélité. Il réussit en cent-onze minutes à résumer un roman de près de cinq cent pages.
Mais cette fidélité scrupuleuse est paradoxalement sa principale limite. Le film enchaîne les scènes qui transposent les passages les plus importants du roman – en laissant de côté toutes les intrigues et les personnages secondaires. On a l’impression d’un cahier des charges méticuleusement respecté. Hélas, cette juxtaposition, aussi fidèle soit-elle, empêche à l’émotion de sourdre, à l’empathie avec les personnages de se créer.

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Pinocchio ★★☆☆

Geppetto (Roberto Benigni) est un pauvre menuisier solitaire, sans femme ni enfant. Un beau jour, dans un morceau de bois aux propriétés extraordinaires, il sculpte un pantin qui prend vie. Il le coiffe d’un chapeau pointu, le vêt d’un costume rouge. La jeune marionnette, que Geppetto chérit d’un amour paternel, se révèle vite un bambin espiègle. Il quitte Geppetto pour suivre Mangefeu, le marionnettiste. Il croise le Chat et le Renard qui abusent de sa crédibilité, le détroussent et manquent de le pendre. Il est sauvé par la Fée bleue (Marina Vacth). Avec un autre orphelin, Lucignolo, il gagne le pays des jouets mais y est transformé en âne. Jeté à la mer, il est avalé par une baleine et retrouve Geppetto. Finalement, suivant les conseils de la fée bleue, il se met à étudier sérieusement et devient un beau jour un vrai petit garçon.

Après avoir fait exploser le box-office en Italie – et avant d’y récolter une brassée de Davids, l’équivalent de nos Césars – le Pinocchio de Matteo Garrone devait sortir en France le mercredi 18 mars 2020. Las ! La veille, le premier confinement débutait et repoussait sine die sa sortie. Pendant des semaines, des autobus quasiment vides passaient sous mes fenêtres avec sur leurs flancs les affiches désormais inutiles annonçant sa sortie. Finalement, Pinocchio ne devait jamais trouver le chemin des salles en France et serait diffusé sur Amazon prime dès le mois de mai 2020.

Il m’a fallu pourtant près d’un an pour le voir. Il faut dire que le sujet ne m’intéressait guère. Pour moi, Pinocchio était irrémédiablement un personnage de dessin animé réservé aux enfants. Je me trompais en partie. Sans qu’il soit besoin de convoquer Bruno Bettelheim, la marionnette inventée à la fin du dix-neuvième siècle par Carlo Collodi ne se réduit pas à un jouet pour gamins. Le filmer avec le nez qui s’allonge face à la ravissante fée bleue n’est pas aussi innocent que cela en a l’air et rappellera à tout spectateur normalement constitué quelques épisodes embarrassants de sa pré-adolescence.

Les aventures de Pinocchio sont terrifiantes. Je ne me souviens plus de celles qu’il traversait dans le dessin animé de Walt Disney, si ce n’est sa transformation, passablement traumatisante, en âne et son séjour, avec Geppetto, dans le ventre de la baleine (dont il s’échappait je crois en allumant un feu). Dans celles de Garrone, elles le sont assurément, l’angoisse étant accrue par des lumières ténébreuses et inquiétantes. Jiminy Cricket qui, chez Walt Disney, incarnait la bonne conscience pleine d’humour et de sagesse du petit garçon, est ici un ignoble gnome. Même la fée bleue ou le gentil escargot sont des personnages lugubres et inquiétants. On reconnaît la patte de Matteo Garrone dont les décors et les costumes rappellent ceux de Tale of Tales.

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À nos amours (1983) ★☆☆☆

Suzanne (Sandrine Bonnaire) a seize ans et étouffe dans une famille toxique. En vacances dans le Var, elle repousse Luc, le garçon qui l’aime, pour se donner à un Américain de passage qui l’ignorera dès le lendemain. De retour à Paris, elle multiplie les flirts au grand dam de ses parents qui se déchirent à son sujet. Son père (Maurice Pialat himself) quitte bientôt le domicile conjugal, laissant la jeune Suzanne entre sa mère (Suzanne Ker), qui sombre lentement dans la folie, et son frère (Dominique Besnehard) qui entend la régenter. Suzanne finira par épouser Jean-Pierre (Cyril Collard) qu’elle n’aime pas avant de partir aux États-Unis avec Michel.

À nos amours passe souvent pour un chef d’œuvre. Il reçut en 1984 le César du meilleur film. L’interprétation de Sandrine Bonnaire, dont c’est quasiment le premier rôle et qui allait révéler toute l’étendue de son talent deux ans plus tard avec Sans toi ni loi, lui valut le César du meilleur espoir féminin. Les critiques saluent l’authenticité du cinéma de Pialat, son audace à filmer la réalité sans artifice, dans toute sa crudité.

Je reproche trop souvent aux films des 70ies et des 80ies d’avoir mal vieilli. Tel n’est pas le cas de ce film-là qui, s’il ne suit pas les codes des films contemporains, n’a pour autant autant rien perdu de sa force et de son intérêt.

Pour autant, je ne l’ai pas aimé. Pour deux raisons.

La première est sa construction. Le film, refusant entre ses scènes toute transition, multiplie les ellipses temporelles. Pialat filme de longues séquences – ainsi du long dîner familial qui marque le point d’orgue du film – qu’il juxtapose à la va-comme-je-te-pousse. On s’y perd souvent, même s’il suit sagement le fil chronologique, ne sachant plus ni où ni quand on se situe. Son premier quart se déroule sous le soleil insolent de la Côte d’Azur sans qu’on comprenne ce qu’y fait Suzanne avant que brutalement ne s’y substitue le ciel bas et lourd de la capitale où elle revient chez ses parents.

La seconde est la violence des relations humaines. Une violence qui traverse toute l’œuvre de Pialat et qui la caractérise. Dans la famille de Suzanne, on crie, on s’insulte, on se frappe. J’ai eu la chance de ne jamais connaître une telle violence. Je ne la comprends pas. Je n’arrive même pas à l’imaginer. La montrer est peut-être un geste cinématographique courageux et authentique. Elle ne m’en met pas moins profondément mal à l’aise pour autant.

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Cycle cinéma letton ★★☆☆

En 2008, en amont des commémorations devant entourer le centenaire de son indépendance, la Lettonie s’est lancée dans un exercice stimulant : dresser la liste des quatre-vingt-dix-neuf « trésors nationaux » qui, de la littérature à l’architecture, en passant par la gastronomie et le design, dessineraient les contours de son identité nationale. On imagine sans peine les passes d’armes homériques que l’exercice similaire en France aurait provoquées.

Parmi ces quatre-vingt-dix-neuf trésors qui forment le Canon culturel letton figurent douze films quasiment inconnus en France. J’ai profité de mon récent séjour à Riga pour en voir trois.

Edgars et Kristine est sorti en 1966. Le dégel khrouchtchévien avait autorisé son tournage en letton. C’est l’adaptation d’un roman de Rūdolfs Blaumanis, un écrivain de la fin du dix neuvième siècle, qui raconte les amours impossibles d’un palefrenier et d’une blanchisseuse. Le film connut un immense succès à l’époque dans toute l’URSS. Il le dut notamment au charme de son acteur principal, Uldis Pūcītis, qui représentait l’idéal masculin à l’ère soviétique.

On retrouve Uldis Pūcītis en 1967 en tête d’affiche de Quatre chemises blanches. Le ton en est radicalement différent. Le film s’inspire de la Nouvelle Vague française. Son sujet est explosif : il raconte les démêlés d’un groupe de rock avec la censure. Il ne trouva d’ailleurs le chemin des salles qu’avec la Perestroïka en 1986 – avant d’être projeté au festival de Cannes en 2018. Sa musique est signée par Imants Kalniņš, un des plus grands compositeurs lettons, dont la Quatrième Symphonie figure d’ailleurs au nombre des trésors nationaux du Canon letton.

Sorti en 1981, Limousine dans les couleurs de la nuit de la Saint-Jean est peut-être le film le plus populaire de Lettonie, l’équivalent dans l’imaginaire national de notre Grande Vadrouille. Autour de l’héritage d’une octogénaire que se disputent ses descendants, Limousine… est une satire bon enfant de la vie à la campagne et de la cupidité humaine.

Ces films, vieux d’un demi siècle, ont plus ou moins bien résisté à l’épreuve du temps. Il est hasardeux de les recommander à qui recherche un suspense haletant ou un humour délirant pour combattre l’ennui des dernières soirées confinées. Mais le cinéphile curieux de l’histoire de l’URSS et de ses satellites y trouvera beaucoup d’intérêt.

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Babysitting (2014) ★★☆☆

Franck (Philippe Lacheau) végète dans un emploi subalterne aux éditions Schaudel où il rêve de publier sa première BD. Son patron (Gérard Jugnot) le recrute pour veiller sur son fils Rémy le temps d’une soirée qu’il doit passer hors de Paris avec son épouse (Clotilde Coureau).
Franck n’a d’autre solution que d’accepter alors qu’il devait fêter le soir même son trentième anniversaire. Mais c’était sans compter sur la fidélité et la folie de ses amis qui décident de lui faire une surprise.

La bande à Fifi a longtemps fait les beaux jours de Canal + et de W9 avant de passer au grand écran. Cette troupe de comédiens inséparables fait souffler un vent nouveau dans la comédie française. Chacune de ses réalisations attire des millions de spectateurs. Babysitting était leur premier film, sorti en 2014. Suivirent Babysitting 2, Alibi.com, Nicky Larson et le Parfum de Cupidon…. en attendant Super-héros malgré lui attendu en octobre 2021.

Bien sûr, Babysitting ne joue pas dans la même catégorie que Kubrick ou La La Land. Il sollicite moins nos neurones que nos zygomatiques. Son scénario est un prétexte à une accumulation de gags et de répliques. Mais ses gags et ses punchlines font souvent mouche – à condition de rire à ce genre de répliques ci : « – On a fouillé la maison. Aucune trace de l’enfant/ – Avez-vous regardé dans le congélateur ? ». Sans doute le film connaît-il un petit coup de mou à son mitan, quand il va s’égarer à la Fête des loges ; mais, le temps d’aller se boire une bière (beauf, je suis, beauf, je reste), on regarde sa seconde moitié avec autant de plaisir que sa première.

« Il faut être cul-serré pour ne pas en rire mais bien indulgent pour y trouver de l’intérêt. » écrivais-je au sujet de Nicky Larson… Sans doute, les années passant, suis-je de moins en moins cul-serré et de plus en plus indulgent. Est-ce un progrès ou le début d’une lente déchéance qui me conduira, d’ici quelque temps, à encenser Les Bronzés 3 ou Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ??

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The Wrestler (2008) ★★★☆

Randy The Ram (le bélier) Robinson (Mickey Rourke) n’est plus que l’ombre de lui-même. Vingt ans plus tôt, c’était une star du ring. Aujourd’hui, c’est un homme usé. Chaque week-end, il donne des combats dans des salles de plus en plus minables et signe des autographes pour des fans toujours plus âgés et moins nombreux. Sans le sou, il vivote dans une caravane dont il paie le loyer en se faisant exploiter dans un supermarché par un contremaître sadique. Sa seule famille est Stéphanie, sa fille, aujourd’hui adulte, qui lui fait payer le manque d’attention qu’il lui a apporté quand elle était enfant. Sa seule amie est Cassidy (Marisa Tomei), une stripteaseuse à la vie presqu’aussi cabossée que la sienne.
Le corps de Randy, essoré par la consommation abusive de stéroïdes, ne le soutient plus. Son cœur menace de le lâcher.

Garçon ou fille, on ne peut pas avoir traversé l’adolescence dans les années quatre-vingt sans s’enflammer pour Mickey Rourke, sa clope au bec, son sourire canaille, dans Rusty James, L’Année du dragon, Barfly, Angel Heart ou Neuf Semaines et demie, le soft porn le plus célèbre du monde jusqu’à Cinquante Nuances de gris. Aussi beau que James Dean, aussi incandescent que Marlon Brando (et vice versa) l’acteur s’est brûlé les ailes à sa soudaine célébrité. Refusant les codes de Hollywood, qu’il a abondamment conchié dans les médias, il s’est imaginé une autre carrière, loin des plateaux de cinéma, sur les rings de boxe, et une autre vie dans l’alcool et la drogue. Plusieurs opérations esthétiques et plusieurs cures de désintoxication plus tard, l’acteur, désormais cinquantenaire en est ressorti défiguré.

C’est cette image de lui, presque monstrueuse que Darren Aronofsky, le réalisateur génial de Pi et de Requiem for a Dream) a voulu montrer. Le résultat est saisissant. Il l’est à cause précisément de ce jeu de miroirs entre l’acteur Mickey Rourke et son personnage, véritable double autobiographique.

Sans doute The Wrestler ne réserve-t-il aucune surprise : c’est l’histoire, écrite d’avance, de l’impossible rédemption d’un homme déchu qui, avant de quitter une vie d’abus, essaie de se réconcilier avec les autres et avec lui-même. On craint le pire quand Marisa Tomei évoque la Passion du Christ (le film de Mel Gibson était sorti quatre ans plus tôt) ; mais le reste du film, par sa douceur et son empathie, évite la métaphore christique trop appuyée.

C’est bien là le seul défaut qu’on puisse reprocher à ce film poignant dont la dernière image et les options qu’elle ouvre nous accompagneront longtemps.

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The 13th ★☆☆☆

Le treizième amendement de la Constitution américaine abolit l’esclavage en 1865. Il réserve toutefois une hypothèse : l’emprisonnement des individus condamnés pour crime.
Le documentaire militant d’Ava DuVernay, réalisatrice engagée de Selma (2014), soutient une thèse radicale : la population afro-américaine a troqué les chaînes de l’esclavage pour les barreaux des prisons.

Elle le démontre chiffres à l’appui, qui donnent froid dans le dos : si la population afro-américaine représente à peine 8 % de la population totale américaine, les prisonniers noirs-américains représentent à eux seuls plus de 40 % de la population carcérale. Autre chiffre plus impressionnant encore : si un Blanc sur dix-sept sera un jour emprisonné, un Noir sur trois court statistiquement le risque de l’être une fois dans sa vie.

Cette surreprésentation carcérale a des racines anthropologiques profondes : la peur du Noir, voleur et violeur, que le Blanc animalise dans son subconscient et imagine comme une bête menaçante et violente, incapable de dominer ses passions, criminelles. Ava DuVernay l’illustre par des extraits nombreux de Birth of a Nation, le premier blockbuster de l’histoire du cinéma, qui connut en 1915 un immense succès en développant des thèses profondément racistes.

Elle a aussi des causes plus récentes : la criminalisation de la consommation de drogue qui, à partir des années 80 et de la présidence de Ronald Reagan, multiplie les incarcérations. Un mouvement que les deux présidences démocrates de Bill Clinton, qui redoute d’apparaître « soft on crime », n’interrompra pas. Un quart des détenus sont aujourd’hui consommateurs ou trafiquants de drogues. De 500,000 en 1980, la population carcérale est ainsi passée à plus de 2,000,000 en 2012. Un système capitaliste profitable s’est créé (construction et entretien des prisons, fournitures, exploitation du travail quasi-gratuit des prisonniers…) qui résiste de toutes ses forces à la décrue des effectifs.

L’enquête menée tambours battants par Ava Duvernay est remarquablement documentée. Elle fait parfois penser aux réalisations de Michael Moore. Mais elle en présente comme elles les défauts. J’en relèverai deux.

Un de forme : après avoir annoncé le sujet qu’il traiterait – la surreprésentation des Noirs américains en prison – The 13th s’en éloigne pour en traiter d’autres, connexes mais distincts : l’emprisonnement comme politique sociale de lutte contre la pauvreté des Noirs comme des Blancs, les violences policières dont les Noirs sont victimes, l’essor du mouvement #BlackLivesMatter….

Un de fond : si la surreprésentation des Afro-américains en prison est évidente et scandaleuse, c’est friser avec le complotisme que de soutenir, comme le fait le documentaire, que le « système » américain a sciemment vidé de sa substance le treizième amendement pour maintenir la population noire en servitude.

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Safe (1995) ★★★☆

Carol White (Julianne Moore) mène la vie ennuyeuse d’une riche femme au foyer californienne : elle réaménage son intérieur en houspillant sa bonne mexicaine, elle prend des cours d’aérobic, elle déjeune de temps en temps avec sa meilleure amie en échangeant des ragots…. Sa santé se dégrade imperceptiblement – toux, saignement de nez, commotion… –  sans que la médecine ne parvienne à identifier la cause de son mal. L’origine en est-elle psychosomatique ? ou Carol développe-t-elle une hypersensibilité à l’environnement de plus en plus toxique ?
Pour se protéger, Carol décide, avec l’accord de son mari, de se retirer au Nouveau-Mexique, dans un centre de soins New Age dirigé par un gourou melliflu qui soigne les âmes autant que les corps. Réussira-t-elle à y retrouver l’équilibre qu’elle avait perdu ?

Safe a été réalisé en 1995 mais n’a pas pris une ride en un quart de siècle. Mieux : les questions qu’il soulève semblent plus d’actualité que jamais au temps de la pandémie du Covid.

Safe joue avec beaucoup de succès sur plusieurs registres.
Safe
pose en premier lieu la question de notre relation à notre environnement, de la capacité de notre corps à en supporter la toxicité et les agressions. Il s’agissait à l’époque pour le jeune réalisateur Todd Haynes – qui allait effectuer dans les décennies suivantes la brillante carrière que l’on sait (I’m Not There, Carol, Dark Waters…) – de tisser une métaphore du Sida. Cette métaphore-là a en partie perdu de son actualité. Mais la question de notre relation à l’environnement reste brûlante : électrosensibilité, hypersensibilité chimique multiple, intolérance environnementale idiopathique…

C’est aussi un film sur le vide de nos vies. Julianne Moore – qui n’était pas encore la star qu’elle allait devenir – y joue à la perfection la femme au foyer américaine. La première scène du film où on la voit, en position du missionnaire, attendre avec un mélange d’abnégation, de tendresse et d’ennui, l’orgasme de son laborieux époux, résume son personnage. Sa vie n’est pas si malheureuse ; mais elle ne suffit pas à la combler. Ses pathologies sont peut-être l’expression de ce malaise.

Safe flirte enfin avec le film d’horreur – et est parfois catégorisé comme tel – même s’il ne contient aucune scène d’horreur. Son dernier tiers, qui se déroule à l’institut Wrenwood au Nouveau-Mexique, baigne dans une ambiance angoissante, alors même que les représentants de l’Institut qui accueillent Carol font avec elle assaut de bienveillance. La fin du film est aussi intelligente qu’angoissante. Elle soulève des questions qui continuent à nous poursuivre bien après la dernière image.

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Marshall ★★☆☆

L’avocat Thurgood Marshall (Chadwick Boseman) travaille pour le NAACP qui le missionne partout dans les Etats-Unis pour assurer la défense bénévole d’accusés afro-américains dans des procès souvent teintés de racisme. Une affaire, qui scandalise la Haute société blanche, vient d’éclater dans le Connecticut où un chauffeur de maître est accusé de viol et de tentative de meurtre sur l’épouse de son employeur (Kate Hudson).
L’audience est présidée par un juge de parti-pris (James Cromwell), qui interdit à Marshall de prendre la parole. Aussi doit-il utiliser un jeune avocat inscrit au barreau (Josh Gad) pour assurer la défense de son client.

Thurgood Marshall est une figure américaine d’anthologie, aussi célèbre aux Etats-Unis que méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique. Aussi n’était-il pas surprenant qu’un jour ou l’autre le cinéma se saisisse de sa vie. Hollywood aurait pu en faire un biopic classique en racontant son enfance dans une famille modeste du Maryland, le refus qu’il a essuyé du fait de sa race de rejoindre les bancs de l’Université du Maryland (un refus qu’il réussira une dizaine d’années plus tard à faire annuler dans une de ses premières affaires), sa formation à l’Université Howard auprès du doyen Charles Hamilton Howard, son premier mariage avec Vivian « Buster » Burey qui décède en 1955 d’un cancer du poumon, ses succès dans les prétoires et enfin sa consécration en 1967 avec sa nomination par Lyndon Johnson à la Cour suprême.

Bizarrement, le réalisateur Reginald Hudlin ne retient pas ce parti là. Il choisit de se concentrer sur une affaire plaidée par le jeune Thurgood Marshall en 1940 dans le Connecticut. Une affaire moins célèbre que celles qu’il gagna par la suite pour l’avancement de la cause des Noirs américains, notamment Brown vs. Board of Education qui met un terme à la ségrégation raciale dans les écoles publiques.

Du coup, Marshall devient un film de prétoire assez conventionnel, comme on en a déjà vu des dizaines, avec ses personnages stéréotypés et son lot de rebondissements. Certes, il se déroule dans les années quarante avec ses costumes et ses décors d’une folle élégance. Certes Kate Hudson – qui n’aura pas eu la carrière que son incroyable beauté laissait augurer – y est parfaite dans le rôle de la victime mythomane. Mais cela ne suffit pas à distinguer ce film semblable à tant d’autres. Sa seule originalité consiste dans l’attelage hétéroclite que Thurgood Marshall est obligé de former avec l’avocat Samuel Friedman, par la bouche duquel il est contraint de s’exprimer – même si ce duo formé d’un Noir et d’un Juif, pourtant fidèle aux faits, fleure un peu trop l’intersectionnalité des luttes pour ne pas être suspect.

Sorti aux Etats-Unis fin 2017, Marshall n’a pas réussi à se frayer un chemin en salles en France. Netflix, qui offre une panoplie particulièrement riche de black movies (Le Blues de Ma Rainey, Malcolm et Marie, 40 ans, toujours dans le flow, Juanita, High Flying Bird, Beasts of No Nation, Moonlight, Loving, I Am Not Your Negro, La Couleur des sentiments, Django Unchained, La Ligne verte…) l’a ajouté fin 2019 à son catalogue.

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