Gloria ! ★★☆☆

L’Institut Sant’Ignazio accueille près de Venise, dans les années 1800, des jeunes filles sans famille et leur donne une éducation musicale dans l’espoir de leur offrir un bon mariage. Il s’y prépare un événement exceptionnel : la venue du pape Pie VII. Hélas, le chef de chœur, un vieux prêtre à court d’inspiration, peine à écrire la partition que lui a commandée le riche protecteur de l’institut. Quatre pensionnaires, aidées d’une servante mutique, vont lui apporter une aide inespérée.

Je ne sais trop que penser de ce film. J’en ai lu des critiques assassines. La raison en est sa schizophrénie. C’est en apparence un film classique, en costumes, au féminisme inoffensif, au dénouement prévisible. Mais Gloria !, qui met en scène un groupe de jeunes mélomanes qui découvrent un piano forte dans les caves de leur pensionnat et l’utilisent pour écrire leur propre musique, prend un parti déroutant : celui de les laisser improviser une musique moderne, totalement anachronique, dont l’harmonie, le rythme et l’orchestration n’ont rien de commun avec la musique de l’époque.

Avec son héroïne, Gloria ! pose ou manque de poser une question passionnante : quelle musique une personne, par exemple une sourde-muette, vierge de toute influence musicale, pourrait-elle écrire ? Pour le dire autrement : aurait-on pu écrire une partition de jazz au XVIIIème siècle ? de reggae au XIXème siècle ? quelles sont les contraintes socio-politiques et les limites à la création musicale ?

Hélas (ou tant mieux), Gloria ! ne creuse pas cette question vertigineuse. Il se cantonne à un scénario sans surprise qui voit, comme on l’escomptait, le maître de chœur s’enliser face à une page blanche et ses pensionnaires, plus douées que lui pour la musique et plus inventives, lui proposer une planche de salut. Gloria ! se termine par un happy end aussi enthousiasmant qu’improbable. « Pop et Libérateur ! » nous promet l’affiche, une promesse aussi incongrue que tenue.

La bande-annonce

Maria ★★☆☆

La jeune Maria Schneider a dix-neuf ans à peine quand elle est choisie par Bernardo Bertolucci pour tourner avec la star Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris. Le film remporte un succès de scandale grâce notamment à une scène de sodomie simulée tournée sans le consentement de l’actrice. Maria, à laquelle on ne propose que des rôles dénudés, sombre dans l’addiction.

La journaliste Vanessa Schneider – qui pour l’anecdote m’a interviewé en 1994 alors qu’elle n’était encore que jeune pigiste chez Libération et que j’entamais ma scolarité à l’ENA qui venait d’être délocalisée à Strasbourg – a consacré en 2018 un livre autobiographique à sa cousine Maria. La petite Vanessa se souvient des frasques de sa cousine dans les années 70 qui trouvait parfois refuge chez son oncle, quand elle s’était disputée avec sa mère.
La jeune actrice ne s’est pas remise du succès sulfureux que lui valut Le Dernier Tango. Elle a refusé les rôles trop simplistes qui lui étaient proposés, s’excluant d’elle-même des castings. Elle s’est lentement abîmée dans l’alcool et dans la drogue. Elle a eu certes d’autres rôles, avec Antonioni et Rivette. Mais ses addictions étaient trop sévères pour lui permettre de tenir son planning, de mémoriser ses textes et de mener sa carrière. Elle s’est fait renvoyer du tournage de Cet obscur objet du désir par Bunuel qui ne la trouvait pas convaincante, et de celui de Caligula car elle refusait d’y jouer nue.

Maria Schneider est depuis #MeToo devenue une figure symbolique des violences sexistes dans le monde du cinéma. Elle est le témoin d’une époque qu’on espère révolue : celle où une jeune femme pouvait, sans son consentement, être agressée sous l’oeil voyeur de la caméra sans que l’équipe de tournage ne lui manifeste la moindre empathie, et être enfermée, pour le restant de sa vie, dans un rôle qu’elle n’avait pas choisi. Une séquence du documentaire de Delphine Seyrig Sois belle et tais-toi ! la montre fulminant contre le machisme du cinéma : « On ne me propose que des rôles de schizophrène, folle, meurtrière, lesbienne, que des choses comme ça, que je n’ai pas envie de faire »

Le film de Jessica Palud – qui fut stagiaire sur le tournage des Innocents de Bertolucci au début des années 2000 – rend justice à la figure de Maria Schneider. Il bénéficie de l’interprétation époustouflante de Anamaria Vartomolei. La jeune actrice, César du meilleur espoir féminin en 2022 pour L’Evénement, est décidément l’une des actrices les plus prometteuses de sa génération. On vient de la voir dans Le Comte de Monte-Cristo. Méconnaissable dans Maria sous la mèche brune qui lui cache les yeux, elle joue une adolescente en quête de père (Maria Schneider était la fille adultérine de Daniel Gélin qui ne l’avait pas reconnue), une jeune actrice qui se brûle les ailes à la flamme de la célébrité, une femme bafouée et perdue qui ne parvient plus à se reconstruire en dépit de l’amour que lui porte la jeune Noor (Céleste Brunnquell).

Maria est un film très appliqué, dans son scénario platement chronologique, dans sa mise en scène, dans sa reconstitution soignée des années 70. Sa défense de Maria Schneider, érigée en martyre d’un cinéma patriarcal, est irréprochable. Mais il a l’effet paradoxal d’enfermer son héroïne dans le rôle de victime dont Maria Schneider a pourtant essayé, sa vie durant, de s’arracher.

La bande-annonce

Napoléon (1927) ★★★☆

Sorti en 1927, Napoléon est considéré comme l’un des chefs d’œuvre du cinéma mondial. C’est aussi un film maudit qui connut une histoire épique. Abel Gance en nourrit l’idée en découvrant la fresque de D.W. Griffith Naissance d’une nation. Son projet initial était de consacrer à la vie de l’Empereur huit épisodes, de sa jeunesse à  sa mort à Saint-Hélène. Mais le coût de l’entreprise le contraignit à n’en tourner que les deux premiers. Son Napoléon s’achève donc au début des campagnes d’Italie en 1796.

Napoléon connut plusieurs versions à tel point qu’il est devenu difficile avec le temps d’en identifier l’originale. C’est qu’Abel Gance y retravailla durant toute sa vie, ne perdant jamais l’espoir de mener son projet à terme. Il tourna même en 1960 en Yougoslavie un Austerlitz.
Sa toute première mouture, diffusée à l’Opéra-Garnier en avril 1927, accompagnée d’une musique de Honegger, durait 3h47. Une autre version diffusée en salles quelques mois plus tard en deux volets dure elle 9h27. En 1934-1935, Gance décide de sonoriser son film. Il tourne de nouvelles scènes, modifie le montage. Le résultat est condensé en 2h20. À cela s’ajoutent les nombreuses restaurations qui ont été entreprises, notamment par Kevin Brownlow dans les années 80 pour un métrage de 5h environ.
En 2008, la Cinémathèque française a chargé le chercheur Georges Mourier d’entreprendre une vaste expertise du fonds Napoléon et de restaurer le film dans sa version « originale ». L’entreprise s’est avérée bien plus longue et bien plus coûteuse que prévu. Elle a duré seize ans et aura coûté 4,5 millions d’euros. Georges Mourier en présentait hier le résultat à la Cinémathèque où son film Napoléon vu par Abel Gance était projeté de 15h à 23h avec une entr’acte d’une heure.

Le résultat est monumental. Certes, comme tous les films muets, Napoleon a vieilli. Le jeu des acteurs en particulier est furieusement démodé. Sa durée obèse est un autre obstacle à son accessibilité : ses deux parties durent respectivement 3h40 et 3h25. Mais si l’on a la vessie suffisamment élastique, le jeu en vaut la chandelle. Napoléon n’est jamais ennuyeux, sauf peut-être durant l’interminable siège de Toulon qui s’étire pendant quarante minutes sous une pluie diluvienne à la fin du premier volet.

Le propos du film a depuis sa création suscité la controverse. Si Abel Gance se targue d’avoir scrupuleusement respecté les faits, on lui reproche les libertés qu’il aurait prises avec l’histoire (c’est le même procès qui a été fait récemment à Ridley Scott). Pour lui, Napoléon est l’homme d’ordre qui met fin aux excès de la Révolution française avant d’en exporter les idéaux en Europe. On lui reproche surtout le culte excessif qu’il voue au futur empereur présenté comme un homme providentiel, doté de pouvoirs quasi-surhumains. Cette lecture « fascistoïde » tombe bien mal dans le contexte politique actuel !

Ce biais difficilement contestable risque de nuire au plaisir que les spectateurs les moins cocardiers seraient susceptibles de prendre. Mais on aurait tort de trop s’y arrêter. « La lecture politique ne doit-elle pas, pour une fois, s’effacer devant l’immensité créatrice de l’œuvre ? » s’interrogeait René Fauvel.

« Il n’y a pas dans le film un seul passage sans originalité technique » écrivait Léon Moussiniac. Pour le spectateur blasé de 2024, ces innovations n’en sont plus. Mais il faut concevoir ce qu’elles représentaient en 1927, alors que le cinématographe était encore un art balbutiant. Caméra subjective, plans-séquences, split screen… Abel Gance a imaginé une nouvelle grammaire du cinéma.
Certains effets ont bien vieilli. Ainsi de la caméra pendule qu’il avait suspendue au-dessus de la Convention pour en filmer les houleux débats, montant en parallèle le fragile esquif dans lequel Napoléon manque de se noyer en fuyant la Corse de Paoli en 1793. Ainsi aussi des surimpressions dont Gance use et abuse (jusqu’à seize dans le même plan).

Incroyablement novateur par ses techniques, Napoléon reste admirable par la richesse de son scénario qui mêle plusieurs genres. Au premier chef, bien sûr, Napoléon est un biopic, un drame épique. Mais il ne reste pas prisonnier de ce seul genre – ce qui aurait été d’un ennui étouffant pendant sept heures. Napoléon fait des détours par le mélodrame, notamment avec le personnage de Violine, interprété par la future star Annabella, amoureuse en secret de Napoléon (on pense au personnage d’Eponine dans Les Misérables et à la passion secrète qu’elle nourrit pour Marius). Et, avec beaucoup de modernité, il fait un détour par la comédie, avec l’épisode des dévoreurs de dossiers (deux greffiers du Comité de salut public qui faisaient disparaître les dossiers de certains accusés en les avalant) et plus encore avec le personnage récurrent de Tristan Fleuri, interprété par le grand acteur russe Nicolas Koline.

Il faut dire un mot de la musique de Simon Cloquet-Laffolye, une partition de plus de sept heures, interprétée par les orchestres et le chœur de Radio-France, qui emprunte à tous les styles musicaux de Haydn à Penderecki. Elle est éblouissante. Un bémol (!) peut-être : son omniprésence. Le silence parfois aurait eu du bon.

La bande-annonce

Sans un bruit : jour 1 ★☆☆☆

Samira (Lupita Nyong’o) se meurt lentement d’un cancer incurable. Avec d’autres patients de son centre médical, elle est dans le centre de New York dans un théâtre de marionnettes quand des créatures extra-terrestres envahissent notre planète. Ultra-véloces, carnivores, elles se révèlent avoir un handicap : elles sont aveugles et se guident seulement à l’ouïe. Une seule solution pour éviter d’être leur victime : être le plus silencieux possible.

Sans un bruit racontait la survie d’une famille nucléaire, condamnée au silence dans une Amérique ravagée par une invasion de monstres extra-terrestres dotés d’une ouïe surdéveloppée. La mère de famille, interprétée par Emily Blunt était enceinte et s’apprêtait à accoucher d’un enfant dont on se demandait bien comment les cris ne risqueraient pas de mettre toute la famille en danger. Le film remportait un immense succès public et critique. C’était même mon film préféré de l’année 2018. Immanquablement hélas, un tel succès allait inciter ses producteurs à en faire une franchise. En 2021 sortait une suite, peu convaincante, Sans un bruit 2. Est prévue pour l’an prochain une suite de la suite, Sans un bruit 3.

Sans un bruit : jour 1 est un prequel. Comme son titre l’indique il raconte le premier jour de l’invasion des fameuses créatures hyperacousiques. Sur le principe, l’idée était séduisante. Le film de 2019 laissait en effet en suspens des questions sans réponse : d’où venaient ces créatures ? quel était leur but ? comment étaient-elles arrivées sur Terre ? comment les humains avaient-ils tenté de résister à cette invasion ?

Sans un bruit : jour 1 ne répond hélas qu’en partie à ces questions. Notamment on ne saura rien de l’origine des créatures ni de leurs buts de guerre. Qu’apprend-on de leur rencontre avec les humains ? Qu’elle fut – mais on s’en serait douté – brutale et sanglante.
Sans un bruit : jour 1 nous laissait espérer également la réponse à une question passionnante : comment les humains avaient-ils découvert que les monstres étaient aveugles et hyperacousiques et que, par conséquent, la meilleure parade était moins l’invisibilité (se cacher) que le silence (se taire) ?

Aussi ce film se réduit-il à pas grand-chose : l’errance de Samira dans un New York en ruines, bizarrement déserté de quasiment tout humain, sa rencontre avec Eric, un étudiant britannique encravaté au moins aussi paumé qu’elle. Je n’ose pas raconter le but de leur quête pour ne pas accabler encore plus un film qui ne le mérite pas…

La bande-annonce

Le Doulos (1962) ★★☆☆

Maurice (Serge Reggiani) sort de prison et entend venger le meurtre de sa femme. Il a pour ami Silien (Jean-Paul Belmondo) qu’entoure la sombre réputation d’être un « doulos », une balance. Est-ce lui qui a indiqué à l’inspecteur Salignari l’adresse à Neuilly où Maurice et un complice effectuent un dernier casse ? Toujours est-il que Maurice, après avoir pris une balle dans l’épaule est arrêté par la police. Emprisonné, il se jure d’avoir la peau de l’indic qui l’a trahi.

En 1962, Jean-Pierre Melville n’est pas encore au sommet de sa gloire. Il n’a pas encore tourné Le Samouraï (1967) ni L’Armée des ombres (1969) qui feront de lui un des plus grands réalisateurs de l’époque. Mais à quarante ans passés, ce n’est plus un néophyte. Il a déjà dirigé Belmondo dans Léon Morin, prêtre (1961) et s’est frotté au polar avec Bob le flambeur (1955).

Le Doulos est l’adaptation très fidèle d’un roman de Pierre Lesou publié dans la collection Série noire quelques années plus tôt. Son intrigue est passablement compliquée qui a besoin, pour qu’on la comprenne, des explications de Silien et d’un flashback. J’avoue m’y être un peu perdu ; mais à en lire les critiques qui en ont été écrites depuis plus de soixante ans, je ne suis pas le premier.

C’est un film noir dans la tradition des polars réalistes français des années 50 et de leur code d’honneur : Du rififi chez les hommes, Touchez pas au grisbi…. Jean-Pierre Melville y fait preuve d’une impressionnante maîtrise. Il réussit à camper des personnages bien tranchés, presqu’archétypaux, une démarche qui culminera bien sûr dans le héros mutique du Samouraï, interprété par Alain Delon, son trenchcoat, son chapeau. Les décors sont nocturnes et quand le jour se lève, comme dans la scène finale, il est obscurci par une pluie incessante. La scène d’ouverture est un modèle du genre qui voit Serge Reggiani remonter lentement une route souterraine. La scène finale est presqu’aussi connue, totalement muette, dont on comprend lentement les ressorts fatals.

Très irrévérencieusement, j’oserai reprocher au film sa distribution. Je trouve que Serge Reggiani n’a pas une gueule de truand. Quant à Bébel, avant qu’il devienne dix ans plus tard la caricature de lui-même et la superstar qu’on sait, il a déjà la moue narquoise et la démarche rebondissante et si peu naturelle qui ne le quitteront plus et qui m’insupportent. Inutile de parler des rôles féminins : la misogynie de Pierre Lesou relègue les femmes au rang de potiches.

La bande-annonce

Pendant ce temps sur terre ★☆☆☆

Elsa (Megan Northam) ne se remet pas de la mort de son frère Franck, spationaute porté disparu en mission trois ans plus tôt. Alors que son don pour le dessin la destinait aux Beaux-Arts, elle vivote avec un emploi d’aide médicale dans l’EHPAD que dirige sa mère (Catherine Salée) dans une petite ville du Puy-de-Dôme. Mais un beau jour, elle entend la voix de son frère et de ses ravisseurs, des extra-terrestres qui lui proposent un pacte faustien : en échange de cinq corps humains dans lesquels ils souhaitent se glisser pour venir visiter la Terre, ils promettent à Elsa le retour de son frère sain et sauf.

Jérémy Clapin revient là où on ne l’attendait pas. Son premier long-métrage, J’ai perdu mon corps, sorti en 2019, un film d’animation, avait emporté un immense succès mérité. Il aurait pu rester dans cette veine. Il en choisit une autre, hybride. Hybride par la forme : Pendant ce temps sur terre contient des séquences d’animation futuristes, produits de l’imagination d’Elsa qui louchent du côté de René Lanoux (j’ai pensé à La Planète sauvage) et de l’esthétique des BD des années 70 et possède une bande-son absolument hypnotisante signée Dan Levy . Hybride par le sujet : Pendant ce temps sur terre joue sur les registres de plusieurs genres, la science-fiction façon Interstellar (les voix mystérieuses entendues par Elsa sont-elles bien réelles ou le produit de son imagination délirante ?), l’horreur façon David Lynch (cette graine translucide qu’elle se glisse dans l’oreille pour communiquer et qu’elle ne réussit plus à retirer de son organisme), le drame social (le naufrage d’une famille détruite par la disparition de Franck)….

Cette qualité hélas se retourne. Pendant ce temps sur terre souffre de ce mélange des genres – comme déjà avant lui L’Astronaute ou Proxima, deux films français la tête perchée dans les étoiles. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans ces films là, comme si la conquête spatiale ne supportait pas de rester coincée les deux pieds dans la glaise. Qui dit science-fiction, dit voyage intergalactique, navette spatiale, combinaison spatiale, apesanteur, voire petits bonshommes verts, et pas campagne auvergnate, rond-point ou EHPAD.

La bande-annonce

Les Fantômes ★☆☆☆

Hamid (Adam Besa, révélé dans Les Bienheureux et Harka) est un rescapé des prisons syriennes. Exilé à Strasbourg, il traque, pour le compte d’une mystérieuse organisation secrète, son ancien bourreau (Tawfeek Barhom, jeune étudiant en plein conflit de loyauté dans La Conspiration du Caire).

Les Fantômes est un thriller. Il est construit autour de deux séries d’interrogations. La première est en partie éventée par le résumé que je viens d’en faire : qui est Hamid, pour quelle organisation travaille-t-il, qui cherche-t-il ? La seconde restera entière jusqu’à la fin du film : Harfaz est-il bien le criminel que Hamid recherche ?

Les Fantômes respecte tous les codes du film d’espionnage : un héros mystérieux lesté d’un lourd passé et entouré de quelques faire-valoir féminins, une mission périlleuse… Sa musique est particulièrement envoûtante. Mais Les Fantômes souffre d’un budget trop réduit et surtout d’un scénario trop pauvre. Il ne ménage pas son lot de rebondissements qu’on est en droit d’attendre de ce genre de films. Si bien qu’après un début très réussi, qui campe les personnages et la situation, on en vient vite à s’ennuyer.

Notre déception est d’autant plus grande qu’on escomptait beaucoup de ce film tendu inspiré d’une actualité géopolitique si prégnante. Sur la Syrie et ses fantômes, on préfèrera largement Les Âmes perdues.

La bande-annonce

Juliette au printemps ★★★☆

Trentenaire, dépressive, Juliette (Izïa Higelin), illustratrice de livres pour enfants, retourne se resourcer en famille dans l’Ain. Elle y retrouve ses parents séparés, son père un peu lunaire (Jean-Pierre Darroussin), sa mère fantasque qui se pique de peindre et passe d’amant en amant (Noémie Lvovsky), sa sœur hyperactive (Sophie Guillemin) qui étouffe auprès d’un mari trop planplan (Eric Caravaca), sa grand-mère qui vient d’être placée en EHPAD et dont Juliette se charge de vider la maison (Liliane Rovère).

La réalisatrice Blandine Lenoir avait déjà signé deux films remarquables : Aurore sur la crise existentielle d’une Agnès Jaoui en pleine ménopause, Annie colère sur le combat pour la décriminalisation de l’avortement au début des années 70. Son troisième est au moins aussi réussi. Pourtant son pitch tellement banal n’augure rien de bon. Il nous promet, tout au mieux, l’histoire convenue d’un retour au pays natal, d’une escapade en province d’une Parisienne dépressive, dont on sait par avance qu’elle sortira régénérée de ces quelques jours auprès des siens.

Avec un motif insignifiant, Juliette au printemps réussit pourtant le miracle de nous intéresser et de nous émouvoir. Il le doit d’abord à une panoplie d’acteurs qui comptent parmi les tout meilleurs du moment. Chacun dans son registre, Jean-Pierre Darroussin et Noémie Lvovsky font ce qu’ils savent si bien faire : lui incarne le lait de la tendresse humaine, elle la folie douce. Leur interprétation en deviendrait presque lassante si elle n’était pas à chaque fois si précisément juste. Celle qui crève l’écran, c’est Sophie Guillemin. La jeune révélation de L’Ennui de Cédric Kahn à la fin des années 90 a pris de longs chemins de traverse. Elle s’est convertie à l’Islam, a porté le voile, avant de revenir, Dieu merci, au cinéma. Depuis quelques années, la quarantaine épanouie, on la revoit enfin. Ici, elle tient un rôle étonnant de mère au foyer control freak et d’amante dionysiaque (on n’oubliera pas de sitôt ses galipettes dénudées avec son fantomatique amant). La seule qui détonne dans ce casting plaqué or, c’est Izïa Higelin, peut-être trop radieuse, trop souriante, trop solaire, pour interpréter une héroïne frappée par la neurasthénie (Nina Meurisse ou Suzanne Jouannet auraient été des choix plus judicieux).

Sa réussite, Juliette au printemps la doit aussi à un scénario qui nous ménage dans sa seconde partie une révélation déchirante. L’évoquer est déjà trop en dire. Chaque famille cache des secrets. Celui-ci n’en est pas tout à fait un. Il n’en est que d’autant plus émouvant. Il arracherait des larmes à une pierre.

La bande-annonce

In Water ★★☆☆/☆☆☆☆

Un jeune réalisateur et deux acteurs sont partis tourner un court métrage au bord de la mer. Leur budget est serré. Le réalisateur, à court d’idées, n’a aucun plan de tournage. Mais l’inspiration lui vient soudainement et le tournage peut commencer…

À soixante ans passés, Hong Sangsoo n’a jamais été aussi prolifique. Ce n’est pas deux mais presque trois films par an qu’il parvient à tourner et à sortir : Walk Up  en février 2024, ce In Water en juin et A Traveler’s Needs, présenté au dernier festival de Berlin, programmé pour l’automne prochain.

Une telle productivité est-elle obtenue au détriment de la qualité ? Hong Sangsoo bâcle-t-il ses films ? Je l’ai souvent pensé et parfois écrit dans des critiques « coups de gueule » (Hotel by the River, Yourself and Yours…). Et puis est venu un moment où, mithridatisé, j’ai fini par m’habituer à ce cinéma et ai accepté d’en reconnaître les qualités.

À considérer In Water, on pourrait facilement crier au foutage de gueule. Il s’agit en effet d’un film d’une heure à peine, qui se définit de justesse comme un long métrage, dont l’intrigue tient sur un timbre poste et dont, comme s’il n’avait pas déjà suffisamment de tares, l’image est floutée, comme si le budget serré du tournage n’avait pas permis d’en fignoler la mise au point.

Deux opinions radicalement différentes peuvent alors s’affronter. La première verra dans ce flou artistique un parti pris audacieux, le questionnement d’un dogme cinématographique jamais remis en cause (pourquoi l’image de tous les films est-elle si parfaitement nette ?), une expérimentation quasi-picturale dans la veine des impressionnistes que Hong Sangsoo vénère, la tentative pour le réalisateur, qui est affecté de troubles de la vision, d’en faire partager l’expérience à ses spectateurs…
L’autre, nettement moins indulgente, verra dans ce flou pas vraiment artistique un foutage de gueule, un manque de respect pour les spectateurs, condamnés à avaler deux aspirines à la sortie de la salle, une tentative absurde de pousser le cinéma dans ses limites (et pourquoi pas demain un film sans images ?), la seule originalité bien artificielle d’un film qui, par ailleurs, se réduit à presque rien.

La bande-annonce

Les Pistolets en plastique ★☆☆☆

Après avoir tué sa femme et ses enfants, Paul Bernardin a disparu. Il s’est réfugié en Argentine et y coule désormais des jours paisibles. Un policier croit l’avoir reconnu à Roissy à l’embarquement d’un vol vers Copenhague. Mais l’individu, dénommé Michel Uzès, arrêté et interrogé par la police danoise, s’avère n’être qu’un paisible danseur de country. Deux femmes, autopromues enquêtrices, consacrent leur temps libre à la traque du fugitif et mettent la main sur Michel Uzès dont elle sont bien décidées à arracher les aveux.

J’ai tellement aimé le dernier spectacle des Chiens de Navarre, La vie est une fête, aux Bouffes du Nord, que je me suis précipité au dernier film de Jean-Christophe Meurisse. J’avais oublié qu’il avait auparavant signé Oranges sanguines, trop acide à mon goût.

Les Chiens de Navarre, ça passe ou ça casse. Ce mélange d’humour noir, politiquement incorrect, flirtant avec les limites de la vulgarité, enthousiasme ou irrite. Ça dépend des pièces – ou des films. Ça dépend aussi peut-être de l’humeur du spectateur.

J’aurais dû a priori être charmé par cette franche déconnade qui prend pour prétexte l’affaire Dupont de Ligonnès et les confuses théories que sa disparition en 2011 a fait naître. On imagine qu’il a refait sa vie au Texas alors que le plus probable – le cousin de mon beau-frère est policier municipal et tient sur cette affaire des informations confidentielles de première main – est qu’il a été enlevé par des extra-terrestres… ou bien qu’il s’est suicidé dans le massif de l’Estérel une fois ses méfaits accomplis.

La sauce d’ailleurs monte dans la première demi-heure qui nous introduit à la galerie de personnages, tous plus déjantés les uns que les autres, une mention spéciale à Gaëtan Pau dans le rôle de Michel Uzès. Le film commence d’ailleurs très fort avec le dialogue de deux médecins légistes (Jonathan Cohen et Fred Tousch) en train de dépecer un cadavre. Mais, si la sauce monte, elle ne prend pas ( je ne suis pas très sûr de ma métaphore culinaire !). Pire, elle retombe (idem). La curiosité amusée que Les Pistolets en plastique a suscité dans sa première moitié se mue en lassitude sinon en irritation. On réalise bien vite que l’affaire XDDL n’est qu’un prétexte à l’accumulation de saynètes plus ou moins réussies, plus ou moins drôles, dénonçant en vrac les théories du complot, l’ultracrépidarianisme des internautes, l’incompétence de la police, etc.

La bande-annonce