La nuit de la Saint-Sylvestre 1999, alors que plane le spectre du bug de l’an 2000, des clients fortunés se pressent dans un palace des Alpes suisses : un milliardaire nonagénaire (John Cleese) fraîchement marié à une gironde donzelle, une ancienne star du porno (Luca Barbareschi), une marquise française encombrée d’un chihuahua diarrhéique (Fanny Ardant, dans le rôle de la marquise), un businessman américain (Mickey Rourke) tentant de corrompre son honnête comptable pour échapper au fisc, un chirurgien esthétique qui a tellement défiguré ses patientes qu’il peine à les reconnaître (Joaquim de Almeida), un trio d’oligarques russes que l’annonce de la démission de Boris Eltsine et de son remplacement par un bureaucrate inconnu inquiète vaguement, etc.
La sortie du dernier film de Roman Polanski a fait polémique. Projeté à la Mostra de Venise l’an dernier, il n’avait pas trouvé de distributeur en France. La faute à ses défauts intrinsèques ? ou au statut de pestiféré de Polanski désormais blacklisté par #metoo ? Sans doute un peu les deux.
Finalement, le film a trouvé un distributeur, Sébastien Tiveyrat, directeur de la société Swashbuckler Films, spécialisée dans le cinéma de répertoire. Son geste est militant. C’est au nom de la liberté d’expression qu’il a distribué The Palace. La première semaine, il était projeté dans 82 salles en France, mais dans une seule à Paris qui l’a déprogrammé dès le premier soir en raison de l’émotion suscitée. L’exploitant du Studio Galande, dans le cinquième arrondissement, a prétendu tout ignorer de la polémique #MeToo et s’être fait piéger par le distributeur.
Preuve qu’il ne s’était pas tant fait piéger que cela : il a décidé de reprogrammer ce film que je suis donc allé voir le week-end dernier avec une vingtaine d’autres spectateurs, la cinquantaine bien entamée.
Je considère en effet, pour le dire simplement, qu’il faut dissocier l’oeuvre de l’artiste. Je pense qu’on peut être un salaud ou pire un criminel et qu’on peut « en même temps » être un grand artiste. Je considère surtout – et c’est peut-être le juriste en moi qui parle – que, quels que soient les crimes qu’on a commis, qu’on ait d’ailleurs été inculpé ou pas, condamné ou pas, la commission de tels crimes n’entraîne pas l’interdiction de créer. Pour le dire simplement, selon moi, Céline a le droit d’être lu, Picasso, Hitchcock ou Polanski le droit d’être vus, Cantat le droit d’être entendu. Certains les exècrent au point de désapprouver leurs oeuvres, de refuser d’acheter leurs livres, de regarder leurs peintures ou leurs films, d’aller à leurs concerts. C’est leur droit le plus strict. Mais ils n’ont pas le droit d’appeler à leur censure et de blâmer ceux qui s’y intéressent.
Cette première étape franchie, non sans mal, passons au fond – un juriste dirait que la recevabilité de la requête étant admise, examinons le bien-fondé des moyens. Que vaut The Palace ? Là encore, disons-le sans détour : pas grand-chose.
The Palace est une pochade, une satire (écrite par un satyre ? …. pardon… le jeu de mot était trop tentant). Ce genre peut produire des bijoux : qu’on pense aux Monthy Python. D’ailleurs la présence de John Cleese au générique montre que Polanski se revendique de cette veine-là.
Mais hélas, The Palace est une pochade de la pire espèce : une pochade pas drôle. Ses situations, ses personnages, ses gags ne font pas souvent mouche. Pour autant, The Palace n’est pas aussi calamiteux que ce que j’en avais lu. Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde et j’ai souvent souri, à défaut de rire à gorge déployée – ce qui m’arrive seulement les années bissextiles (un relecteur vigilant vient de me signaler en mp que 2024 est bissextile !).
The Palace n’a pas de scénario. Il se borne à peindre une galerie de personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres. Ruben Östlund avait fait la même chose en 2022 avec Sans filtre qui lui avait valu une Palme d’or, à mon sens surcotée. Roman Polanski a lui aussi décroché une Palme d’or en 2002 pour Le Pianiste. Espérons simplement que The Palace ne soit pas le dernier film de cet immense réalisateur.
La bande-annonce