Les Complices ★★☆☆

Max (François Damiens) est un tueur à gages sans scrupules. Mais depuis que sa femme (Vanessa Paradis) l’a quitté, il souffre d’un mal rédhibitoire dans son emploi : la moindre goutte de sang suffit à le faire tourner de l’oeil. Ce syndrome l’oblige à se ranger des voitures. Ses voisins, Karim (William Lebghil) et Stéphanie (Laura Flepin) l’aident à trouver un emploi dans la société de crédit à la consommation où ils travaillent. Mais, menacé de mort, Max doit partir en cavale et entraîne avec lui ses voisins.

Le scénario des Complices est particulièrement improbable. Mais il ne faut pas s’y arrêter. L’essentiel est ailleurs, dans l’humour noir et potache de ses personnages, François Damiens en tête qui n’a jamais été si convaincant que dans le personnage taiseux, à la Jean Reno, d’un tueur à gages en mal de reconversion. On se demande comment il réussit à ne pas éclater de rire au milieu de ses scènes et à garder le même mutisme imperturbable.
William Lebghil, à ses côtés, confirme qu’il est décidément « l’éberlué le plus savoureux du cinéma hexagonal » (Télérama). Laura Felpin n’a pas le physique de la bimbo de service ; mais, depuis sa révélation dans la série Le Flambeau, elle s’est taillé une place en tête d’affiche.

Le film n’est pas seulement l’enchaînement de scènes désopilantes. À travers le personnage de Karim, dont la naïveté proverbiale confine à la  stupidité, et celui de Stéphanie qui, elle, a les pieds sur terre et ne s’en laisse pas compter, il évoque un thème original : la gentillesse. Moins novatrice est la façon dont Les Complices décrit une société de prêt à la consommation et l’absence de scrupules de son business model.

Les Complices n’est pas un film inoubliable ; mais, si on a aimé Barbaque ou Bonne Conduite, on passera avec lui un bon moment.

La bande-annonce

Sept hivers à Téhéran ★★☆☆

Reyhaneh Jabbari, âgée de dix-neuf ans, a poignardé en 2007 Mortez Sarbandi qui s’apprêtait à la violer après l’avoir attirée dans un appartement sous le prétexte de lui demander d’en refaire la décoration intérieure. Immédiatement arrêtée par la police, contrainte sous la torture à de fausses confessions, elle est condamnée à mort deux ans plus tard. Elle sera finalement exécutée le 25 octobre 2014.

La documentaliste Steffi Niederzoll a découvert cette tragédie en voyant la video de la mère de Reyhaneh, écrasée d’angoisse, devant la prison où la sentence va être exécutée, au moment précis où on lui apprend la mort de sa fille. Elle a longuement interviewé la mère et les deux sœurs de Reyhaneh, toutes trois réfugiées en Allemagne, ainsi que son père, qui, lui, n’a pas obtenu le droit de quitter l’Iran. Elle a rassemblé les vidéos, les enregistrements téléphoniques, les courriers échangés entre la prisonnière et ses proches pendant les sept longues années de sa captivité, ainsi que les images tournées au Camescope de la joyeuse jeunesse de Reyaneh avant son incarcération.

Le résultat est poignant. On y découvre une jeune femme riante, débordante d’énergie, qui continue envers et contre tout à clamer son innocence et qui, pendant sa captivité, prend sous son aile des prisonnières plus jeunes pour les défendre. On y découvre aussi la mère de Reyhaneh, incarnation moderne de Clytemnestre, prête à tout pour sauver sa fille de la mort qui lui est promise.

On y découvre surtout le fonctionnement scandaleusement vicié de la justice islamique iranienne. Loin d’être considérée comme la victime d’une tentative de viol agissant en légitime défense, Reyhaneh est accusée de « relation illicite hors mariage » et de « meurtre avec préméditation ». La façon dont l’instruction, à charge, est menée, est choquante. La dureté de la sentence l’est tout autant : la mort en vertu de la loi du talion. Mais la façon dont la sentence est appliquée l’est encore plus : la famille de la victime a le droit de pardonner à l’accusée et de lui éviter la mort.
Ainsi s’ouvre pour la famille de Reyhaneh un espoir et se rassemblent toutes les conditions de la plus perverse des tortures : l’espoir d’obtenir la grâce de Reyhaneh et la torture infligée par la famille de Sarbandi qui lui refuse ce pardon tant que l’accusée n’aura pas retiré son accusation de tentative de viol.

La mécanique est dramatique, qu’on en connaisse par avance l’issue ou qu’on en ignore tout et qu’on espère jusqu’à la fin que Reyhaneh sera libérée. On sort de la salle tétanisé et en colère. Seule note d’espoir : le portrait admirable de cette mère et de ces deux sœurs, exilées loin de leur pays, mais bien déterminées à tout faire pour que d’autres Reyhaneh n’y soient pas à nouveau victimes de la violence des hommes.

La bande-annonce

Dancing Pina ★★☆☆

Pina Bausch est morte en 2009. Mais ses mânes continuent à hanter la danse contemporaine. Les danseurs de sa compagnie (Dominique Mercy, Malou Airaudo, Clémentine Deluy, Josephine Ann Endicott…) se chargent de transmettre son l’héritage.
Le documentariste allemand Florian Heinzen-Ziob a filmé la reprise de deux oeuvres, parmi les plus anciennes, de la chorégraphe : Iphigénie en Tauride, créée en 1974, et Le Sacre du printemps en 1975. La première est reprise à l’Opéra de Dresde et offre le rôle titre à une immense danseuse sud-coréenne, Sangeun Lee ; la seconde à l’Ecole des sables de Germaine Acogny, à Toubab Dialaw, au sud de Dakar par une troupe de danseurs venus d’une douzaine de pays africains.

Ce documentaire a l’indéniable qualité de nous replonger pendant près de deux heures dans l’univers à nul autre pareil de Pina Bausch. Il nous rappelle son apport immense à la danse contemporaine. À rebours des diktats de la danse classique, Pina Bausch recherchait moins la perfection du danseur que son authenticité. Ce parti pris iconoclaste l’autorisait à recruter des danseurs disparates, de tout âge, de toute origine, de toute complexion, sans être obsédée par la recherche de l’homogénéité qui prévaut traditionnellement dans les corps de ballet.

Mais Dancing Pina a le défaut de s’abîmer dans l’hagiographie. Déjà Wim Wenders, dans le documentaire Pina tourné en 3D qu’il lui avait consacré dès 2011 avait échoué sur cet écueil. Mais le défaut est amplifié par une mise en scène très plate qui, paresseusement, entrelace deux récits (et pourquoi pas un seul ? ou trois ? ou quatre ?) sans que le lien entre les répétitions à Dresde et à Toubab Dialaw fasse sens.

Pour autant, Dancing Pina est sauvé de la banalité par deux scènes : la représentation finale que la troupe de l’Ecole des Sables donne au crépuscule sur la plage, empêchée par le Covid de se produire à Dakar et en Europe. Et la sublime Sangeun Lee qui déploie dans la scène d’ouverture d’Iphigénie la maigreur de son immense 1m82 avec une grâce surnaturelle.

La bande-annonce

Toute la beauté et le sang versé ★★☆☆

Laure Poitras, documentariste engagée, qui décrivit les conditions de vie en Irak sous occupation américaine (My Country, my country), enquêta à Guantanamo (The Oath) et défendit Snowden (Citizenfour) consacre son dernier documentaire à la grande photographe Nan Goldin.

Toute la beauté et le sang versé a un titre poétique en diable (j’ai cherché sans succès son origine chez les grands poètes du XIXème siècle). Il emprunte à une ligne du journal de Barbara, la sœur lesbienne de Nan, dont le suicide à dix-huit ans a durablement traumatisé sa cadette.

Ce documentaire tisse deux histoires. La première est celle de la vie et de l’oeuvre de l’artiste, née dans une famille dysfonctionnelle du Massachusetts dont elle réussit à s’enfuir à quatorze ans à peine pour plonger dans l’Underground new-yorkais. Les photos violentes et crues qu’elle y prend la rendent vite célèbre au point d’être exposée aujourd’hui dans les musées et les galeries les plus prestigieuses au monde.

La seconde est la croisade dont Nan Goldin a pris la tête contre la famille Sackler et la compagnie pharmaceutique Purdue qui a fabriqué et commercialisé dans les 90ies l’OxyContin, un opioïde qui, sous couvert de soigner la douleur, a provoqué chez ses consommateurs des addictions parfois létales. En particulier, Nan Goldin et l’association PAIN (Prescription Addiction Intervention Now) qu’elle a fondée ont milité pour que les grands musées tels que le Guggenheim, le Met, la National Gallery de Londres ou le Louvre, refusent les dons de la famille Sackler et débaptisent les salles auxquelles ils avaient donné son nom.

Nan Goldin avoue ressentir de la « haine » pour la famille Sackler. Un tel sentiment a-t-il sa place dans l’action politique ? N’est-il pas de nature à altérer l’objectivité qu’elle devrait toujours conserver ? Pour autant, la saine colère qui l’anime et qui l’animait déjà dans les 80ies lors de son engagement auprès de ActUp dont PAIN reproduit les modalités d’action non violentes – notamment les die-ins – force l’admiration.
Une réserve toutefois : pourquoi se focaliser sur les musées qui avaient accepté les dons de la famille Sackler ? Une fois que ces dons auront été refusés, qu’adviendra-t-il de l’argent des Sackler ? Ou, pour le dire autrement, pourquoi ne pas se focaliser sur le déréférencement de l’OxyContin, l’indemnisation des usagers de cette molécule, les poursuites pénales diligentées contre la famille Sackler plutôt que sur l’usage philanthropique qu’elle a fait des bénéfices tirés de la commercialisation de cet opioïde ?

La bande-annonce

Voyages en Italie ★☆☆☆

Jean-Philippe (Philippe Katerine) et Sophie (Sophie Letourneur), la quarantaine, sont englués à Paris dans un train-train qu’ils décident de rompre en partant en vacances. Pour « rendre l’ordinaire extraordinaire », ils optent non sans hésitation pour l’Italie où Jean-Philippe s’est pourtant souvent rendu.

Sophie Letourneur s’est imposée dans le jeune cinéma français avec des films à la bonne franquette, naturalistes et autofictionnels : La Vie au ranch (2009), Le Marin masqué (2011), Les Coquillettes (2012). Après une tentative, plutôt réussie, de comédie grand public, Enorme (2019) avec Marina Foïs et Jonathan Cohen, elle revient à sa veine originale en se mettant elle-même en scène dans la reconstitution plus ou moins fidèle des vacances qu’elle a passées avec son compagnon Jean-Christophe Hym, en Sicile en 2016.

Le sujet se prêtait à deux types de traitements radicaux. La version comique et franchouillarde façon Camping ou Les Premières Vacances. La version sérieuse et rossellinienne à laquelle Sophie Letourneur fait de l’oeil : Voyages en Italie est le premier volet d’une trilogie dont les prochains volets s’intituleront Vacances romaines et Divorce à l’italienne.

La bande-annonce m’avait mis l’eau à la bouche. Quelques saynètes laissaient escompter un film désopilant. Las ! La sauce ne prend pas.

On sent bien le sous-texte du film : une réflexion sur le sens du couple et le désir qui s’étiole. Mais la façon de le traiter reste si prosaïque et si monotone que l’ennui s’installe vite. Quelques scènes font sourire – la plupart figuraient déjà dans la bande-annonce – aucune ne fait vraiment rire. Tel n’est d’ailleurs pas le but avoué du film.

Certes, Voyages en Italie nous rappellera à tous inévitablement des scènes vécues, plus ou moins dérisoires : des nuits hachées dans des chambres bruyantes, des bagages perdus, des retards imprévus, des visites décevantes par la faute de la masse de touristes ou d’une météo défaillante…
Mais, Dieu merci, nos vacances, si elles connaissent ces épisodes-là, en connaissent aussi quasiment toujours d’autres miraculeux : un coucher de soleil à couper le souffle, une petite église pleine de charme et déserte au bord du chemin, une discussion inopinée autour d’une table d’hôtes…

Tout se passe dans Voyages en Italie comme si des vacances étaient uniquement constituées de désagréments irritants. Il n’y a aucun rayon de soleil, aucune bonne surprise dans ce voyage-là. On en finirait presque, avec les deux vacanciers, si l’extraordinaire est décidément si ordinaire, par anticiper son retour à Paris.

La bande-annonce

Ailleurs si j’y suis ★★☆☆

Mathieu (Jérémie Rénier) n’en peut plus. Il ne supporte plus son boulot ni son patron (Jean-Luc Bideau) qui exige de lui l’impossible. Il ne supporte plus sa femme (Suzanne Clément), qui le lui rend bien et le menace de divorcer. Il ne supporte plus son père (Jackie Berroyer) dépressif qui, depuis la mort de sa femme, s’est persuadé d’être victime d’une récidive de cancer pour se donner une raison de se faire plaindre. Même le voisin de Mathieu, Stéphane (Samir Guesmi), qui est pourtant la gentillesse faite homme, finit par lui taper sur le système.
Aussi, un beau dimanche, Mathieu décide-t-il sans l’avoir vraiment décidé de tout plaquer. Il suit un cerf dans la forêt, campe au bord d’un lac, débranche son téléphone et refuse d’en bouger. Ses proches, abasourdis par sa décision, réagissent tous à leur façon.

Ailleurs si j’y suis est une comédie belge du burn-out. Le mot est à la mode. Il est devenu furieusement tendance d’avoir fait, de faire ou d’être sur le point de faire un burn-out. Les causes en sont variées. Un travail harassant, dont on interroge l’utilité sociale, inutilement stressant, exercé sous l’autorité d’une hiérarchie déshumanisée, en est bien sûr la raison première. Mais le dégoût de la routine, l’envie d’un Ailleurs fantasmé et la midlife crisis y jouent aussi leur part.
On rêve tous de tout plaquer et de devenir moniteur de surf aux Îles Tonga. Même le très austère Alain Juppé avait, dans un livre autobiographique, confessé être parfois victime de la « tentation de Venise », l’envie de tout abandonner pour trouver refuge dans la Cité des Doges.

Ailleurs si j’y suis a une façon très drôle et très juste d’aborder le sujet. Le scénario, passé le premier tiers du film, abandonne Mathieu dans son jardin d’Eden à ses fantasmes sylvestres. Le film examine les répercussions en domino de la décision de Mathieu dans la vie de ses proches : sa femme, fermement décidée à accompagner son professeur de tai-chi au cœur de l’Amazonie, son père, qui broie des idées noires en dépit de ses bulletins de santé au beau fixe, son patron, qui venait de décider de passer la main à Mathieu et se retrouve brutalement désavoué, son pote Stéphane qui réalise brutalement que son je-m’en-foutisme n’était que le paravent de sa lâcheté et de son refus d’assumer la paternité

Ailleurs si j’y suis devient, contre toute attente, un film choral, servi par l’interprétation aux petits oignons de chacun des acteurs secondaires, avec une mention spéciale au lunaire Samir Guesmi.

Ailleurs si j’y suis fait toutefois l’impasse sur une question essentielle : le jour d’après. Que se passe-t-il après le burn-out, après qu’on a pris la décision de tout plaquer et après même qu’on l’a mise en oeuvre ? Combien de temps peut-on décider de mettre sa vie entre parenthèses ? Et qu’y a-t-il après la parenthèse : une autre vie qui commence, guéri, sur des bases renouvelées ? ou la vie d’avant qui revient inéluctablement avec ses règles imprescriptibles sans que rien au fond n’y soit changé ?

La bande-annonce

About Kim Sohee ★☆☆☆

En 2016, en Corée, une jeune étudiante effectue un stage dans un call-center et y découvre des conditions de travail déshumanisantes.

Il y a deux façons d’aller voir About Kim Sohee.
La première, analytique,, est de ne rien connaître de l’histoire que raconte le film et d’y découvrir progressivement le chemin de croix parcourue par cette jeune étudiante.
La seconde, synthétique, est de savoir que sa mésaventure a fait sensation en Corée du Sud et y a provoqué un changement de législation. Avec cette information en tête, le destin de Kim Sohee devient emblématique de celui des stagiaires sud-coréens, exploités par des entreprises sans foi ni loi pour des salaires de misère.

Dans un cas comme dans l’autre, on est pris au piège d’un procédé scénaristique qui nous enferme et nous étouffe. On voit la radieuse Kim Sohee se faner lentement dans un milieu professionnel toxique, sans trouver chez sa famille ou chez ses amis de planche de salut. On voit son travail lentement la broyer en se demandant où cette descente aux enfers la conduira et nous conduira avec elle.

About Kim Sohee est bizarrement construit en deux parties distinctes. Dans la seconde, Donna Bae campe une enquêtrice aussi mutique (on ignorera jusqu’au bout le traumatisme qu’elle vient de traverser) qu’obstinée. Remarquée dans Les Bonnes Etoiles, elle vole la vedette – et la tête d’affiche – à la jeune Kim si-eun qui interprète Sohee. Cette seconde partie leste le film, qui dure au total 2h17, de quarante-cinq minutes supplémentaires dont on peut se demander si elles étaient utiles.

La bande-annonce

L’Établi ★★☆☆

Ancien élève de Louis-le-Grand et de l’Ecole normale supérieure, membre de la Gauche prolétarienne qu’il avait rejointe après avoir quitté le PCF auquel il reprochait son révisionnisme, le jeune Robert Linhart décide, en septembre 1968, de se faire embaucher incognito à l’usine Citroën de la porte de Choisy à Paris pour y faire l’expérience de la vie ouvrière et pour y conscientiser ses camarades. Il raconte son expérience dans un livre autobiographique publié en 1978 :  L’Établi, qui fut adapté à La Cartoucherie en 2018 et qui est aujourd’hui porté à l’écran

En entendant le titre de ce film, j’ai cru qu’il désignait une table de travail dans une usine. Je ne sais pas si l’ambiguïté du titre est voulue ; mais le mot, labellisé, désigne en fait les intellectuels maoïstes qui après mai-68 se sont immergés – on dirait aujourd’hui embedded – dans les usines ou sur les docks. La pratique n’était pas nouvelle : Simone Weil l’avait déjà expérimentée en 1934. Elle semble avoir disparu de nos jours – sinon chez un Joseph Ponthus, l’auteur trop tôt disparu de À la ligne, à des fins d’ailleurs moins politiques que littéraires. On n’ouvrira pas ici le débat de savoir si les militants d’extrême-gauche auraient pu utilement, avant de manifester le dimanche à Sainte-Soline, partager la vie et les contraintes d’un agriculteur deux-sévrien.

L’Établi produit un écho bizarre, à la fois très daté et très contemporain. L’engagement politique des maoïstes de la Gauche prolétarienne à la fin des 60ies, il y a plus de cinquante ans, a été disqualifié par l’échec du communisme, en URSS et en Chine, par l’automatisation des usines et la disparition des bastions ouvriers et par l’élévation du niveau de vie qui a fait accéder les classes populaires au confort et au bien-être de la classe moyenne. En revanche, ses mots d’ordre et ses valeurs – la lutte contre le capitalisme prédateur, la défense des plus faibles, notamment des immigrés et des femmes – n’ont rien perdu de leur actualité. Comment ne pas applaudir aux derniers mots du film, qui résonnent aussi dans la bande-annonce : « Je trouve légitime de rêver un monde meilleur. Et peut-être aussi de le faire » ?

L’Établi a le mérite de décrire l’expérience de Robert Linhart avec une belle honnêteté. Il décrit la pénibilité de la vie en usine, le bruit, les cadences infernales, la fatigue et l’abrutissement des travailleurs lessivés physiquement et psychologiquement par leurs tâches. Il décrit également la cupidité des patrons et de leurs contremaîtres, leur brutalité, leur racisme et leur misogynie. Mais il décrit aussi les apories de la lutte sociale, les difficultés à mobiliser une majorité de travailleurs, effrayés à l’idée de perdre leur salaire voire leur emploi, les impasses de la grève.

L’Établi est d’une facture très classique – qui m’a rappelé les couleurs et le tempo de Annie colère. Les personnages secondaires qui entourent Swann Arlaud, lequel interprète Robert Linhart avec une belle austérité, frisent la caricature : le prêtre ouvrier délégué syndical de la CGT (Olivier Gourmet), l’épouse aimante et fidèle compagne de lutte (Mélanie Thierry), le patron roublard (Denis Podalydès), le jeune intello révolté (Lorenzo Lefebvre découvert dans Bang Gang), l’OS berbère analphabète (Malek Lamaraoui), etc. Mais ces caricatures revendiquées font partie de la reconstitution appliquée et réussie d’une époque qui continue à interpeler la nôtre.

La bande-annonce

Bonne Conduite ★★☆☆

Pauline (Laure Calamy) anime avec son amie Soazig dans un centre de prévention routière des stages de récupération de points. Mais, la nuit venue, masquée d’une cagoule, dans son bolide de course, elle traque les chauffards sur les routes du Finistère pour venger son conjoint tué dans un accident de la route. Tout dérape le jour où Jean-Yves Lapick (Tcheky Karyo), le riche armateur qu’elle avait laissé pour mort dans sa grosse cylindrée, ressuscite sans crier gare et que le corps d’un petit voyou est retrouvé carbonisé dans le coffre de sa voiture. Deux policiers pas très malins (David Marsais et Grégoire Ludig) mènent l’enquête.

Connaissez-vous le Palmashow, le duo d’humoristes préférés de vos enfants qui s’est fait connaître sur le Net avant d’accéder à la célébrité à la télévision et sur grand écran ? C’est le troisième film où Jonathan Barré les dirige après La Folle Histoire de Max et Léon en 2016 et Les Vedettes en 2022. Je n’avais vu aucun des deux tant je pensais être réfractaire à ce genre d’humour potache et bien trop vieux pour le comprendre et l’apprécier. C’est la présence au sommet de l’affiche de Laure Calamy, l’actrice la plus bankable du cinéma français ces temps-ci, ex aequo avec Viriginie Efira, qui m’a incité à aller voir Bonne Conduite. Et je ne l’ai pas regretté.

Il faut accepter de débrancher ses neurones pour apprécier cette parodie d’enquête policière dont on découvre dès les premières scènes le visage et les mobiles de la principale meurtrière. Laure Calamy s’en donne à cœur joie dans ce rôle excessif. Mais elle se fait voler la vedette par le duo du Palmashow : David Marsais et Grégoire Ludig sont irrésistibles en flics patauds qui croient voir avancer leur enquête au fur et à mesure qu’elle recule. Et Tcheky Karyo montre à soixante-neuf ans que l’âge de la retraite n’a pas encore sonné pour lui.

Bonne conduite fait quelques clins d’oeil malicieux aux Oiseaux de Hitchcock et à Usual Suspects de Bryan Singer. Entièrement tourné en Bretagne, il se clôt par une superbe séquence dont je vous laisse deviner le lieu où elle a été tournée.

La bande-annonce

C’est mon homme ★☆☆☆

Julien Delaunay a disparu en 1916 au front laissant sa femme, Julie (Leïla Bekhti) inconsolable. Elle a repris l’atelier de photographie qu’il tenait avant-guerre dans une petite ville de Bourgogne et vit dans l’illusion de son retour, dressant son couvert chaque soir à sa table dans cette attente insensée. Aussi, quand la photo d’un blessé de guerre paraît dans la presse, elle est persuadée de le reconnaître et court le rencontrer. Mais l’homme (Karim Leklou) est amnésique et ne la reconnaît pas. Julie n’en démord pas et obtient du médecin qui a Julien sous sa garde le droit de le ramener chez elle pour une mise à l’épreuve. Lentement Julien s’accommode à sa nouvelle vie, malgré l’hostilité du frère de Julie (Jean-Charles Clichet).
Mais une autre femme, Rose-Marie Brunet (Louise Bourgoin), chanteuse dans un cabaret à Paris, réclame preuves à l’appui le retour de son mari.

La bande-annonce de C’est mon homme est un modèle du genre. Avec un rythme très nerveux, par montage alterné, elle soulève une énigme : ce soldat amnésique est-il Julien, le photographe, le paisible mari de Julie ? ou Victor, le serveur un peu canaille, marié à Rose-Marie ? La question est posée et on augure un film d’époque qui mènera l’enquête sur fond de drame familial.

On est à moitié déçu. Car C’est mon homme ne tient pas ses promesses. L’enquête aura bien lieu ; mais elle ne commencera pas avant la seconde moitié du film. Il faut attendre la quarante-cinquième minute pour voir apparaître Rose-Marie alias Frimousse et pour que les deux femmes s’affrontent dans un duel, hélas, bien terne (Leïla Bekhti et Louise Bourgoin n’ont quasiment qu’une scène ensemble) qui ne connaît pas les rebondissements escomptés.

Dans sa première moitié, C’est mon homme nous raconte une histoire différente de celle esquissée dans la bande-annonce. Il nous parle moins de la quête d’identité d’un homme que du deuil impossible d’une femme, Julie, avec qui le film commence et que la caméra ne lâchera pas d’une semelle jusqu’à l’irruption de Rose-Marie. C’est mon homme est une sorte de Retour de Martin Guerre des Années folles, l’histoire d’une femme qui, inconsolable de la perte de son mari, décide de le ressusciter avec le premier inconnu venu.
Mais ce film-là ne peut pas aller à son terme, prisonnier du second qui ne tient que dans la mesure où l’identité de Julien/Victor restera jusqu’au bout incertaine.

La bande-annonce