Babylon raconte Hollywood à la fin des années 1920, au moment de basculer du cinéma muet au cinéma parlant, à travers l’histoire de quelques unes de ses figures, célèbres ou anonymes : la star Jack Conrad (Brad Pitt), la jeune danseuse Nelly LaRoy (Margot Robbie), Manuel, un Mexicain, homme à tout faire (la révélation Diego Calva), le trompettiste noir Sidney Palmer (Jovan Adepo), la critique de cinéma Elinor Saint-John (Jean Smart), la sulfureuse chanteuse de cabaret Lady Fay Zhu (Li Jun Li), etc.
Vous avez certainement rencontré dans un dîner en ville un convive bruyant qui monopolise la parole et l’attention. Bardé de diplômes, il occupe un poste prestigieux dans une boîte du CAC 40 ou à la Direction générale du Trésor ; il connaît les gens qui comptent et regorge à leur sujet d’anecdotes croustillantes ; champion de tennis de table, il randonne à ses heures perdues dans l’Himalaya quand il ne part pas gravir le Kilimanjaro ; il a lu les derniers romans à la mode et vu en avant-première les films qui feront l’actualité du mois prochain.
Vous détestez ce m’as-tu-vu bruyant ? Ou au contraire, vous reconnaissez qu’il n’usurpe aucun de ses titres et que c’est un convive sacrément divertissant ? Selon votre réponse, vous adorerez ou pas Damien Chazelle et son cinéma orgiaque bigger-than-life qui vous en mettra plein les mirettes tout en vous avertissant prétentieusement qu’il va y parvenir.
Avant de dire tout le bien que j’ai pensé de Babylon, un caveat : Babylon ne se hisse pas aux sommets inaccessibles atteints par La La Land dont aucun lecteur de ce blog n’ignore que je l’ai placé irréfragablement sur la première marche de mon panthéon. Pourtant, il en a le parfum sinon la texture. Certaines lignes mélodiques de sa musique, signée du même Justin Hurwitz, qui fut le coturne de Chazelle à Harvard, rappellent les harmonies de Another Day of Sun ou City of Stars. Il joue sur la même corde, qui me touche profondément, celle de la nostalgie : la nostalgie d’un amour perdu dans La La Land, celle d’un monde en train de disparaître dans Babylon. Mais si La La Land est tout entier construit autour d’une histoire d’amour qui se dénoue d’une façon profondément originale et immensément émouvante, la romance entre Nelly et Manny n’est qu’un élément parmi d’autres de Babylon. Et surtout, elle n’a pas la même puissance émotionnelle.
Babylon n’en reste pas moins un film exceptionnel qui, même si nous sommes le 18 janvier à peine, a déjà gagné, santo subito, son statut de meilleur film de l’année 2023. Il le doit à plusieurs facteurs.
Le premier est, on l’a dit, son appétit orgiaque et communicatif. C’est d’ailleurs le principal défaut à sa cuirasse, l’aspect qui risque de rebuter certains spectateurs qui, dès la première scène, pachydermique, étonnamment scatologique, trouveront que Chazelle en fait trop. Et ils n’ont pas encore vu la deuxième, la plus étourdissante du film sans doute, un étonnant plan séquence qui virevolte à l’intérieur d’une improbable demeure hollywoodienne, juchée sur une montagne déserte, où un nabab organise une folle soirée avec des convives cocaïnés jusqu’à l’os.
Babylon dure 3h09. Une durée hors normes exténuante qui autorise tous les excès, comme cette scène interminable, mais qui n’aurait pas le même effet si elle n’était pas aussi longue où la malheureuse Nelly doit inlassablement rejouer devant la caméra la même scène pour satisfaire aux impératifs techniques d’un ingénieur du son impérieux.
Chazelle sait tourner un plan. Il sait aussi choisir ses acteurs et les diriger. Brad Pitt et Margot Robbie sont l’un et l’autre époustouflants. On voit mal comment les Oscars du meilleur acteur et de la meilleure actrice leur échapperaient. Ils sont l’un et l’autre au sommet de leur art, n’ont jamais été aussi beaux, aussi sexys. Et précisément parce qu’ils sont au sommet de leur carrière, Damien Chazelle leur fait lucidement et cruellement regarder devant eux vers l’inévitable déclin qui les menace, qui les attend.
Enfin, et c’est la troisième qualité du film, Babylon est de part en part pénétré par la passion du cinéma. C’est une ode au septième art, cet art soi-disant « mineur » mais qui, évidemment, quand on sort lessivés de la séance, ne peut plus être qualifié de tel. L’ode culmine dans les dernières images hyper-référencées du film. Chazelle en fait-il trop ? Peut-être. Mais il est tellement brillant, le plaisir qu’il prend à filmer est tellement communicatif, qu’on lui pardonne tout