Nous sommes en 1972. Le petit Thomas a huit ans. Il est le troisième fils de Robert (Quim Gutierrez) et Colette (Nadia Tereszkiewicz), un couple de Français expatriés à Madagascar où Robert, sous-officier dans l’armée de l’air, a été muté sur la base 181 tandis que Colette, femme au foyer, assure la charge du ménage. Thomas est un enfant timide qui n’aime rien tant que de lire les aventures de Fantomette. Il observe sans toujours les comprendre les adultes qui l’entourent.
Robin Campillo s’est vu décerner la Palme d’Or en 2017 pour 120 bpm. Personne ne se souvient du discours qu’il a prononcé lorsqu’elle lui a été remise. Il a fallu attendre six ans pour que sorte son film suivant, éclipsé par la polémique suscitée par la discours de réception de Justine Triet samedi dernier.
L’Île rouge est un film largement autobiographique. Né en 1962, Robin Campillo a passé son enfance à suivre son père, sous-officier de l’Armée de l’air, dans ses affectations outre-mer au Maroc, en Algérie puis à Madagascar.
Quiconque a eu la chance de vivre dans son enfance une telle expérience en est marqué pour la vie. Ce fut le cas de nos enfants, au gré de nos affectations au Kenya et au Sénégal, même s’ils étaient trop jeunes pour en garder des souvenirs précis. La vie en expatriation dans l’Afrique post-coloniale est une expérience à la fois paradisiaque et déstabilisante pour le Blanc, souvent richement rémunéré, logé dans un luxe qu’il ne connaîtra jamais en métropole, entouré d’une nombreuse domesticité, mais confronté à une réalité culturelle et sociale aux antipodes de son monde.
Ces ambiguïtés-là, rarement filmées au cinéma (on ne peut guère citer que Chocolat de Claire Denis qui vécut enfant au Cameroun avant l’indépendance), sont remarquablement appréhendées par la caméra sensible de Robin Campillo qui restitue, à travers les yeux de Thomas, le parfum et la texture d’une époque dont témoignent sa musique et surtout ses costumes.
Nadia Tereszkiewicz, teinte en noir corbeau, aurait pu sembler bien jeune (elle est née en 1996) pour avoir un fils aîné qui se rase la moustache ; certains esprits bien-pensants auraient pu s’insurger que le rôle ne soit pas confié à une actrice plus âgée ; mais, une fois, encore, comme dans ses précédents films qui ont fait d’elle la révélation de l’année, elle crève l’écran. Mention spéciale à Sophie Guillemin, qu’on avait découverte en lolita dans L’Ennui et qui, vingt-cinq ans plus tard, assume sans complexe ses rondeurs et sa quarantaine bien entamée
L’Île rouge est moins original quand il chronique, à hauteur d’enfants, la vie des adultes et leurs contradictions. Thomas observe des couples qui s’ennuient et qui se distraient dans des soirées joyeusement alcoolisées. Il fait le procès de maris machistes qui étouffent leurs femmes dans un patriarcat que mai-68 ne semble pas avoir remis en cause. Il sent que le mariage de ses parents est en train de battre de l’aîle. La petite Suzanne, sa camarade de jeu, et Thomas forment hélas un duo déjà filmé bien souvent avec autrement plus d’intensité : Jeux Interdits, Cria cuervos, Fanny et Alexandre…
Le principal défaut de L’Île rouge est la place réduite qu’il donne aux Malgaches. Ils sont quasiment invisibles dans les trois premiers quarts du film. Cette invisibilité est un parti pris revendiqué : il s’agit de montrer que les Blancs vivent dans une bulle coupée du monde, sans contact et sans désir d’en avoir avec les Malgaches qui les entourent – et dont ils sont pourtant censés travailler au développement. Pourtant, comme le faisait par exemple Chocolat, il y avait une place à faire aux domestiques de la maison et à la relation structurellement ambiguë que les Blancs et leurs enfants nouent avec eux.
Les Malgaches n’apparaissent que dans le dernier quart du film où on les voit participer aux manifestations qui conduiront à la chute du président Tsiranana et à la dénonciation des accords de coopération avec la France. Mais cette postface au film, qui laisse hors champ les protagonistes dont nous avions partagé la vie depuis près d’une heure et demie, ne présente pas grand intérêt.