Viêt and Nam ★☆☆☆

Viêt et Nam s’aiment d’un amour pur. Les deux jeunes hommes travaillent dans une mine de charbon. L’un veut retrouver la dépouille de son père, un martyr de la guerre d’indépendance disparu avant sa naissance. L’autre rêve de fuir le Vietnam.

Pour son premier film, Minh Quý Trương nous raconte l’histoire de deux orphelins qui partagent le même manque d’amour et poursuivent la même quête. Le film se déroule au début des années 2000, dans un Vietnam rural qui n’a pas encore pris le virage de la modernité et qui reste hanté par son indépendance tout récemment acquise.

J’aurais dû écouter les avertissements me dissuadant d’aller voir ce film. D’autant que j’avais eu l’an passé une expérience malheureuse avec un film vietnamien similaire, L’Arbre aux papillons d’or, une interminable purge de près de trois heures qui m’avait plongé dans un sommeil hypnotique. Viêt and Nam a la même langueur et quasiment la même longueur, qui rappellent celles des films d’Apichatpong Weerasethakul, le cinéaste thaïlandais auréolé d’une Palme d’or. J’y ai peut-être moins dormi ; mais je m’y suis tout autant barbichonné.

La bande-annonce

Drone ★★☆☆

Provinciale montée à Paris pour y finir ses études, Emilie (Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra de Paris avant d’être révélée par Klapisch dans En corps) a rejoint le séminaire d’un architecte renommé (Cédric Kahn). Elle travaille sous sa direction à la réhabilitation d’une usine désaffectée en banlieue parisienne. Elle finance ses études avec quelques séances tarifées de webcam.
Un beau jour, ou peut-être une nuit (!), Emilie se découvre observée par un drone silencieux. Qui se cache derrière cette machine, qui l’accompagne et la protège ? ses intentions sont-elles positives ou maléfiques ?

Drone est le premier film de Simon Bouisson, venu en débattre avec les spectateurs de la séance anglophone à laquelle j’ai assisté au Luminor, un cinéma du Marais menacé de fermeture. Il en a raconté la genèse et le déroulement du tournage.

Drone fait la part belle aux images aériennes, vertigineuses, souvent nocturnes. Ces images nous emportent, délestant le film de toute gravité, abolissant les dimensions. Pourtant, le film est grave qui raconte, en sous-texte, l’entrée dans l’âge adulte d’une jeune femme, ses premiers pas dans le monde du travail auprès d’un architecte vampirique, sa découverte tâtonnante de la sexualité avec la belle Mina… Cette dimension-là du film n’est pas sans charme même si elle a le défaut d’avoir été mille et une fois défrichée.

Le plus intéressant, revenons-y, est le drone, dont on peut se demander s’il est ou pas le personnage principal du film, comme son titre semble l’affirmer. La technologie est récente ; elle fait florès. Elle est surtout le symbole d’une société où l’image est devenue omniprésente, où la transparence est devenue la loi, où l’intimité est de plus en plus difficile à défendre. Emilie entretient une relation compliquée à l’image. Elle est camgirl. Elle accepte de montrer son corps à des inconnus sur Internet. Le fait-elle par exhibitionnisme ou par nécessité ? Le drone qui l’observe, c’est le male gaze qui pèse sur toutes les femmes dans l’espace public et dont elles aimeraient légitimement s’affranchir.

Le cinéma est un média scopique, une expression prétentieuse pour caractériser un fait simple : le cinéma sollicite notre regard. Plusieurs chefs d’oeuvre interrogeaient cette dimension-là : Fenêtre sur cour, Blow Up, Peeping Tom…. Drone ne boxe pas dans cette catégorie-là et n’a pas cette prétention. Son scénario évite la facilité paresseuse de laisser sans solution l’énigme autour de laquelle le film est construit. Pour autant, le dénouement surprenant sinon grandiloquent de Drone est maladroit.

La bande-annonce

Toucher terre ★☆☆☆

La terre est un matériau de construction millénaire. Elle était déjà utilisée dans la vallée de la Mésopotamie onze mille ans avant Jésus-Christ. Aujourd’hui, si le béton domine, on redécouvre ses vertus.

La société Jupiter Films affiche un slogan audacieux : « Santé, Spiritualité, Connaissance ». Son catalogue contient des documentaires sur le bouddhisme zen, la permaculture ou l’intelligence des arbres. L’idée de ce documentaire a germé au sein de l’association Amàco, un centre d’expérimentation, de recherche, de formation et d’expertise spécialiste de la terre crue dans la construction et l’architecture, installé près de Bourgoin-Jallieu dans l’Isère.

D’une durée d’une heure et huit minutes à peine, qui ne le prédisposait guère à une sortie en salles, Toucher terre raconte l’histoire de l’utilisation de la terre crue dans la construction de la plus haute Antiquité à l’époque moderne. C’est une ressource abondante, aisément accessible, qui s’intègre bien dans son environnement, isolante et insonorisante, biodégradable. Son utilisation ne nécessite quasiment aucun outil et requiert une formation très simple. Le documentaire filme un chantier participatif où, sans aucun bruit de machine, un groupe d’hommes et de femmes construit lentement un mur en pisé.

Ce documentaire politiquement très correct n’intéressera guère que les passionnés d’architecture en terre crue. Les autres ne verront guère la nécessité d’aller le voir en salles, sinon, pour ceux d’entre eux à l’esprit le plus mal tourné, pour railler les bobos qui aiment fouler la boue à pied nus et jeter des mottes de terre sur un mur en érection (!).

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Les Barbares ★★☆☆

Paimpont, une bourgade paisible d’Ille-et-Vilaine, à l’orée de la forêt de Brocéliande et à un jet de pierre du camp de Coëtquidan, est en plein émoi. Son conseil municipal a décidé d’accueillir une famille de réfugiés ukrainiens. Mais ce sont finalement six Syriens qui descendent du bus affrété par l’ONG chargée de leur accueil. Leur arrivée dans ce petit village sans histoire provoque des réactions très tranchées.

Julie Delpy est sans doute l’une des personnalités les plus attachantes du cinéma français. Enfant star, très vite poussée sous les feux de la rampe (elle tenait en 1986 le rôle titre de La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier), elle s’est expatriée aux États-Unis et mène de front une carrière d’actrice et de réalisatrice. Ses films sont très disparates. La Comtesse ressuscitait la figure mythologique d’une comtesse hongroise du XVIIème siècle accusée de sacrifier des jeunes vierges pour conserver son éternelle jeunesse. Les Barbares s’inscrit dans une veine bien différente, similaire à celle du Skylab où Julie Delpy revisitait le vert paradis de son enfance.

Julie Delpy nous y livre, sous le mode badin de la comédie, une histologie de la société française raciste et anti-raciste. À une extrémité du spectre, elle se donne le (pas si ?) bon rôle de la prof gauchiste. À l’autre, Laurent Lafitte interprète avec un plaisir communicatif le rôle d’un plombier facho, défenseur de l’identité bretonne – quoique d’origine d’alsacienne. Au milieu, Jean-Charles Clichet, l’écharpe tricolore en bandoulière, incarne un intenable en-même-temps macroniste, perclus de contradictions. À leurs côtés, dans des seconds rôles aux petits oignons, Sandrine Kiberlain et India Hair sont épatantes.

Les Barbares a le défaut de tenir tout entier dans sa bande annonce qui, comme il est d’usage, concentre les meilleures répliques. Il faut avoir un peu d’intérêt pour le sujet, d’indulgence pour son traitement et de temps libre dans une programmation très riche ces temps-ci pour donner sa chance à ce film oubliable. Pour autant, il serait bien ingrat de le regarder de haut. Car Les Barbares est une comédie intelligente et plaisante.

La bande-annonce

La Chanson de Jérôme ☆☆☆☆

Né en 1980, Jérôme Laronze était agriculteur en Saône-et-Loire dans la région de Cluny. À la tête d’une exploitation de 130ha, léguée par ses parents, il élevait des bovins. Il a été tué en mai 2017 de trois balles tirées par un gendarme. Il était en fuite depuis neuf jours après avoir échappé à un contrôle administratif. Membre de la Confédération paysanne, Jérôme Laronze était un agriculteur engagé en faveur de l’agriculture biologique, hostile aux normes de traçabilité auxquelles il reprochait de faire le jeu de l’agro-industrie.

L’affaire Jérôme Laronze avait défrayé la chronique en 2017. Cet agriculteur insoumis avait omis de déclarer la naissance de ses bêtes dans les délais impartis et refusait de suivre les procédures imposées par les services de l’Etat. Un contrôle sur place de la DDPP (Direction départementale de la protection des personnes) – qui s’est substituée en 2010 aux anciennes directions départementales des services vétérinaires – organisé sur haute surveillance policière a dégénéré, provoquant sa fuite. Sa traque s’est terminée par sa mort, dans des circonstances qui n’ont toujours pas, plus de sept ans après les faits, donné lieu à un procès.

L’affaire Jérôme Laronze a reçu un énorme écho qui témoigne de l’émotion suscitée par sa mort tragique et de l’exemplarité de sa situation, emblématique d’une paysannerie poussée à bout par des contrôles administratifs tatillons et des conditions de vie de plus en plus difficiles. La journaliste Florence Aubenas lui a consacré une série d’articles dans Le Monde. L’affaire a inspiré plusieurs livres, plusieurs pièces de théâtre et un documentaire sur Arte diffusé en 2022. Le film d’Olivier Bosson, tourné en 2021 et 2022, s’inscrit dans cette riche postérité.

Cette affaire emblématique aurait mérité mieux que ce film maladroit, tourné avec des acteurs amateurs. On est gêné pour eux de les voir aussi mal jouer et s’enferrer dans des rôles manichéens. Devant  la caméra d’Olivier Bosson, l’histoire de Jérôme Laronze se réduit à un combat de David contre Goliath, du Bien contre le Mal, d’un agriculteur dur à la tâche, tellement attachant, si proche de sa nièce et de ses bêtes, face à une administration claquemurée derrière le respect de procédures inutilement tatillonnes.

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Hiding Saddam Hussein ★★☆☆

En décembre 2003, Saddam Hussein, traqué par les 150.000 soldats américains de l’armée d’occupation, est débusqué dans un petit village de la vallée du Tigre. Les images de son arrestation font le tour du monde et suscitent un iconique « Ladies and Gentlemen, We Got Him! » de l’administrateur civil américain en Irak, Paul Bremer. Saddam Hussein sera jugé, condamné à mort et pendu en décembre 2006.
Pendant 235 jours, un modeste fermier l’avait caché. Il témoigne.

Le pitch de ce documentaire est bigrement alléchant. Comment diable Saddam Hussein s’est-il caché de la première armée du monde pendant près de huit mois ? Où s’est-il terré ? Sur quelle complicité comptait-il pour échapper à ses poursuivants ? La réponse est simple : il s’est fait passer pour un vieux paysan dans une ferme tranquille des bords du Tigre.

L’histoire est racontée fort simplement. Alaa Namiq est filmé face caméra. En habit traditionnel, dishdasha et kaffiyeh, assis à même le sol, il s’exprime d’une voix claire et nous tient en haleine pendant une heure et demie en racontant chacun des épisodes de cette histoire incroyable : l’arrivée du raïs, entouré de ses gardes du corps, la crainte révérencieuse qu’il inspire, son installation à la ferme, les visites épisodiques que lui rendent ses fils et son secrétaire particulier, la brutale descente des soldats américains qui, dûment renseignés, débusquent vite le fugitif. Pour donner plus de vie à ce récit, les scènes qu’il raconte sont rejouées par des acteurs.

Hiding Saddam Hussein insiste sur les liens pleins d’humanité qui se sont noués entre ce fermier et son invité pas comme les autres. Son affiche en témoigne qui le montre aidant Saddam à traverser à gué une rivière. Dans une autre scène du film, Alla Namiq raconte avoir donné son bain au raïs et se l’être fait donner par celui-ci en retour. Cette petite musique-là est touchante. Mais, à trop s’y laisser bercer, on risque d’oublier le dictateur sanguinaire qui n’hésita pas à exterminer sa propre population et qui l’entraîna dans deux conflits suicidaires.

La bande-annonce

Blitz ★☆☆☆

Londres en 1941 est victime des bombardements aériens de l’aviation allemande. Sa population se terre dans les abris sous-terrains. Ses enfants sont envoyés loin de la capitale. Mais le petit George, neuf ans, refuse d’être séparé de sa mère, Rita (Saoirse Ronan), qui l’élève seule. Il saute du train qui le conduit à la campagne et revient, à ses risques et périls, à Londres. Apprenant sa disparition, sa mère, folle d’inquiétude, part à sa recherche.

Blitz sera diffusé sur Apple TV à partir du 22 novembre. Mais, par dérogation à la chronologie des médias (qui interdit avant un certain délai, la diffusion par d’autres médias, des films sortis en salles) il a bénéficié en France d’un visa cinématographique temporaire de deux jours sur un nombre limité d’écran (2° de l’art. R. 211-45 du code du cinéma et de l’image animée). C’est ainsi que j’ai eu la chance de le voir dans une petite salle du Quartier latin dimanche dernier.

Je m’y suis précipité à cause de la renommée de son réalisateur qui a signé notamment Hunger, Shame ou Twelve Years a Slave, Oscar 2014 du meilleur film. J’y suis allé aussi à cause de Saoirse Ronan, dont je m’enorguillis de savoir prononcer le prénom [Ser-sha] et, plus sérieusement, dont j’aime tous les films. J’y suis allé enfin à cause du sujet du film, diablement cinématographique (Les Heures sombres, Hope and Glory…).

J’ai hélas été très déçu. Certes, on en prend plein les yeux – et on est bien content de pouvoir en profiter devant un grand écran plutôt que sur celui, étriqué, de son ordinateur. Mais ces quelques scènes grandioses, comme la première, d’un incendie dantesque, qui ouvre le film, sont la seule qualité d’une oeuvre très planplan au scénario cousu de fil blanc (1. George se perd 2. George retrouve son chemin) et à la morale convenue (le racisme, c’est mal et les marionettes sont en fait actionnées par des humains)

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Gladiator II ★★☆☆

Dix-huit ans ont passé depuis la mort du gladiateur Maximus Decimus (Russell Crowe, en froid avec la production, dont on n’aura même pas droit à un cameo). Son fils Lucius (Paul Mescal) a fui en Numidie. Mais, défait par l’armée du général Acacius (Pedro Pascal), il est réduit en esclavage et ramené à Rome. Macrinus (Denzel Washington), qui complote contre l’empereur Caracalla, le repère et en fait son plus vaillant gladiateur.

Près d’un quart de siècle après avoir signé ce film d’anthologie, qui avait réhabilité un genre passé de mode, le péplum, et avait transformé Russell Crowe en star mondiale, Ridley Scott, 86 ans, remet le couvert. Quelques vétérans l’accompagnent : le même chef décorateur, la même costumière, le même directeur de la photographie… et Connie Nielsen dont la classe intemporelle et la parfaite francophonie ont illuminé l’avant-première VIP organisée dimanche soir au Pathé Palace boulevard des Capucines.

Le complexe de sept salles vient de rouvrir après sept ans de travaux. C’est le siège social et le cinéma de référence du groupe dirigé par Jérôme Seydoux. Les places y sont vendues 25 euros. Ce surcoût se justifie par un service de luxe : écran géant, son cristallin, sièges inclinables (et chauffants !) capitonnés en cuir, doubles accoudoirs, confiseries servies à la place dans un palace réaménagé par Renzo Piano dans un style Art déco. Le public sera-t-il au rendez-vous ? Acceptera-t-il de payer ce prix pour voir un film qu’il pourrait voir pour bien moins cher dans une salle de cinéma ordinaire – ou quelques mois plus tard sur une plateforme ? Considèrera-t-il que ce loisir là est bon marché si on compare son prix à celui d’une place au théâtre, au concert ou à l’opéra ?

Mais je m’égare. L’objet de cette critique est Gladiator II (en chiffres romains s’il vous plaît).

Autant le dire tout à trac : le spectateur en a pour son argent – surtout lorsqu’il n’a pas payé sa place, comme ce fut le cas pour mon fils et moi ! Gladiator II a coûté 250 millions de dollars. C’est l’un des films les plus chers de l’histoire du cinéma. Et cet argent se voit, dans les batailles épiques, dans les reconstitutions de Rome, dans les combats organisés au Colisée. Certains diront même qu’il se voit un peu trop. Bon public, incapable de retenir un Waouh! d’admiration devant, par exemple, le rhinocéros caparaçonné que Lucius doit combattre dans l’arène, je ne mégoterai pas.

Je me demande si Gladiator II est fidèle à l’histoire romaine. De ce que j’ai pu lire de la vie de Caracalla et de son successeur Macrin (interprété par Denzel Washington, cabotin à souhait), je comprends que le scénario s’est autorisé quelques libertés. Je serais curieux de savoir si les monuments, tels qu’on les voit dans quelques plans aériens bluffants, sont bien ceux qui existaient à l’époque.

Mais je m’égare encore une fois.
Mon problème est que je n’ai, tout bien réfléchi, pas grand’chose à dire de ce film. Tout le ramène à son écrasant prédécesseur. Et tout, dans la comparaison, tourne à son désavantage. La musique par exemple n’est jamais aussi majestueuse que quand elle reprend celle de Hans Zimmer. Le scénario semble n’avoir pas d’autre fonction que de fournir de molles transitions entre deux combats de gladiateurs. Ceux-ci sont condamnés à la surenchère : après une troupe de babouins enragés – pas très réussis -, le rhinocéros susmentionné, une bataille nautique avec des requins anachroniques, qu’inventer d’autre ?
Mais c’est avec le héros que le bât blesse le plus. Gladiator, c’était Russell Crowe, sa masculinité hypertestostéronée, sa carrure impressionnante. Paul Mescal ne lui arrive pas à la cheville. Au propre comme au figuré. Il a beau avoir fait des heures de salle, il n’a pas la carrure. Et pas le charisme non plus.

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The Substance ★★★☆

Actrice jadis oscarisée, star sur le déclin, Elizabeth Sparkle (Demi Moore) anime une émission quotidienne d’aérobic sur une chaîne télévisée. Menacée de licenciement par son patron (Denis Quaid) le jour de son cinquantième anniversaire, Elizabeth reçoit une publicité pour une mystérieuse substance. Son injection lui redonnerait une nouvelle jeunesse. Mais une condition doit être respectée : tous les sept jours, l’ancienne et la nouvelle version de soi doivent permuter.

Faust, La Peau de chagrin, Dorian Gray… quels sacrifices sommes-nous prêts à consentir pour obtenir ce que nous désirons par-dessus tout ? Aujourd’hui, il s’agirait de l’éternelle jeunesse, d’une vision « plus jeune, plus belle, plus parfaite » de soi-même comme le promet la publicité de cette mystérieuse substance dont on ne saura pas d’où elle vient, combien elle coûte, qui la propose à Elizabeth ni dans quel but…. au point qu’on se demanderait presque si tout le film n’est pas qu’un cauchemar éveillé.

Coralie Fargeat n’avait tourné qu’un seul long, Revenge, un revenge porn movie sacrément efficace. Après ce premier film qui empruntait aux codes du film d’horreur, on aurait pu croire qu’elle serait revenue au cinéma mainstream avec ce film de studio, ses stars, sa sélection à Cannes. Mais, comme sa cadette en cinéma Julia Decourneau (Grave, Titane), Coralie Fargeot décide de creuser le sillon du body horror. Pour qui ne connaîtrait pas l’expression, une explication wikipédiesque est nécessaire : le body horror est un sous-genre du film d’horreur mettant en scène des mutations perturbantes du corps humain. David Cronenberg (Shivers, La Mouche…) est considéré comme le principal initiateur du genre ; mais on en trouve de nombreux exemples dans les anime japonais (Akira, Tetsuo…).

Des mutations perturbantes du corps humain, The Substance nous en réserve son lot. La première n’est pas la plus désagréable où l’on voit Demi Moore (née en 1962), qui ose le full frontal picture – elle avait déjà défrayé la chronique en couverture de Vanity Fair en 1991 – se muer en Margaret Quiley (née en 1994), peau de pêche, seins en pomme, fesses galbées…. Le cochon qui sommeille en chacun d’entre nous en prend plein les yeux avant de comprendre que le male gaze est le principal accusé de ce body horror féministe à la morale passablement rebattue : le culte narcissique de la beauté, le jeunisme, la lutte contre le vieillissement sont des impasses.

On aurait aimé que le film s’arrête vingt minutes plus tôt. Mais le scénario, qui a, contre toute raison, obtenu un prix à Cannes, en rajoute jusqu’à l’overdose. [attention spoiler] Alors que l’histoire aurait pu très efficacement s’arrêter avant l’ultime transformation d’Elizabeth/Sue, il nous sert une ultime séquence dont on devine par avance l’atrocité. La série B devient série Z suscitant au choix le dégoût ou l’éclat de rire avec une surenchère monstrueuse et sanguinolente (mon fils aîné, qui travaille dans le métier, me dit que plus une goutte de faux sang n’était disponible sur le marché dans les jours qui ont suivi le tournage).

Quel verdict ? j’ai beaucoup hésité. Je me serais spontanément limité à deux étoiles en raison des excès de ce film trop gore à mon goût. Mais cette note trop médiane n’aurait pas rendu justice à ce film hors normes, dont la photographie, la musique et les personnages perdus dans leurs addictions m’ont rappelé l’iconique Requiem for a Dream.

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Juré n° 2 ★★★☆

Alors que sa femme est sur le point d’accoucher, Justin Kemp (Nicholas Hoult) est convoqué pour participer à un jury d’assises. L’homme qui est jugé a de lourds antécédents. Il est accusé d’avoir assassiné sa compagne un an plus tôt après une violente dispute dans un bar. Le cadavre de la victime a été retrouvé dans un ruisseau, en contrebas d’une route. Or Justin Kemp se souvient être passé ce soir-là dans ce bar, l’avoir quitté sous une pluie diluvienne et avoir heurté en, voiture ce qu’il a cru alors être un cerf sur la route, au-dessus de ce ruisseau. S’il est coupable du crime qui est jugé, peut-il laisser un innocent être condamné ?

À quatre-vingt-quatorze ans, Clint Eastwood signe peut-être son dernier film. On avait dit la même chose du précédent, Cry Macho. Celui-ci, dans lequel il ne joue pas, semble réunir, par un ultime tour de force, toutes les qualités de cet immense réalisateur. Le scénario repose sur un pitch très simple et diablement séduisant. Il n’en réserve pas moins son lot de rebondissements qui maintient l’attention tout du long (les films de Clint Eastwood débordent largement les canoniques quatre-vingt-dix minutes). La narration est simple, claire et ne s’embarrasse pas, comme c’est le cas dans la plupart des films contemporains, de flash backs pour en pimenter la teneur.

Juré n° 2 fait inévitablement penser à Douze hommes en colère, le chef d’oeuvre référentiel de Sidney Lumet : un juré, qui doute de la culpabilité de l’accusé, tente de semer le doute dans l’esprit des onze autres jurés fermement décidés à le condamner sans délai. Le film de Lumet était une oeuvre progressiste, habitée par des convictions humanistes  : le doute raisonnable doit bénéficier à l’accusé, quels que soient les préjugés qu’il suscite. C’était aussi, comme Du silence et des ombres (avec Gregory Peck) ou Mr Smith au Sénat (avec James Stewart), l’héroïsation de l’Américain moyen qui, inspiré par les plus hautes valeurs, animé de son seul courage, peut les faire triompher. C’était enfin avec son happy end un discours foncièrement optimiste d’une part sur l’Homme, dont l’humanisme intrinsèque finit toujours par l’emporter, d’autre part sur les institutions américaines qui, bien utilisées, permettent à ces bons sentiments de s’exprimer et de prévaloir.

Les films de Clint Eastwood sont plus sombres. Ses héros charrient un lourd passé, des tares dont ils ne se sont pas débarrassés. Justin Kemp par exemple se révèle un alcoolique en rémission dont la femme a perdu récemment les jumeaux qu’elle portait. Sans en rien dévoiler, puisqu’elle est au cœur de l’intrigue, la position qu’il adoptera durant le délibéré n’a pas la rigueur morale des héros de Lumet ou de Capra. Avec Eastwood, on est plutôt du côté de Jean Renoir dans La Règle du jeu : « Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons« .

Si l’on décortique Juré n° 2, on peut y découvrir quelques faiblesses : par exemple que la potentielle culpabilité de Justin Kemp n’ait pas été découverte plus tôt, notamment par un autre membre du jury. Mais ces chicaneries a posteriori n’enlèvent rien au plaisir que prendront à ce film d’abord ceux qui aiment les films de procès et plus largement tous les amoureux d’un cinéma classique et de belle facture. Jusqu’à son tout dernier plan ouvert à toutes les conjectures, qui suscitera des discussions enflammées en sortant de la salle.

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