Les Filles désir ★★☆☆

Marseille l’été. Omar et ses potes ont grandi dans le même quartier. Gamins, ils ont fréquenté le centre aéré qu’ils gèrent aujourd’hui eux-mêmes en essayant de ne pas mouiller dans les trafics louches qui enrichissent les petits caïds. Omar est en couple avec Yasmine. Mais le retour de Carmen, une amie d’enfance, tombée dans la prostitution après la mort de son père, sème la zizanie.

Prïncia Cair anime une troupe de théâtre amateur à Marseille depuis huit ans. Avec sa co-scénariste Léna Mardi et sa productrice Johanna Nahon, elle a choisi de tourner un long métrage en laissant la part belle à sa troupe d’acteurs, étroitement associés à l’écriture.

Le résultat s’en ressent. Pour le meilleur et pour le pire. On sent dans cette troupe circuler une énergie aussi radieuse que le soleil qui brûle Marseille et la Méditerranée. Les Filles désir filme un collectif d’où émergent des individualités talentueuses : Omar s’est attribué le rôle du chef de bande, tour à tour protecteur et autoritaire, Yasmine, tout en silences, peine à trouver sa place sous la coupe d’Omar et dans ce groupe exclusivement féminin, Carmen, belle comme la tentation, est l’élément corrupteur et révélateur du groupe, comme l’était le personnage anonyme interprété par Terence Stamp dans Théorème. Les Filles désir propose une réflexion stimulante sur le statut de la femme dans ces bandes hypervirilistes de cacous marseillais, qui essaie d’échapper à l’assignation binaire maman ou putain.

Les Filles désir rappelle Shéhérazade. Il partage avec le succès surprise de 2018 (trois Césars : celui du meilleur premier film et des meilleures révélations masculine et féminine) une même lumière, une même sonorité – qui aurait  nécessité l’insert de sous-titres tant l’argot marseillais est parfois difficile à comprendre – et une même vitalité. Aura-t-il le même succès ? Hélas, il est à craindre que non. Car le film, mal distribué, risque de passer inaperçu et de disparaître vite.

Il souffre aussi d’un handicap : la fin de son scénario et son dernier quart d’heure qui, quittant la bande de copains, se focalise sur Yasmine et Carmen, dans un duo qui rappelle à la fois celui de Divines et de Thelma et Louise.

La bande-annonce

La Trilogie d’Oslo ★★☆☆

Une adolescente couche sur le papier l’amour qu’elle éprouve pour sa professeure de français. Une oncologue et l’infirmier qui travaille avec elle se font des confessions sexuelles dans le ferry qui traverse le fjord d’Oslo. Un ramoneur raconte à son patron et à sa femme l’aventure éphémère qu’il vient d’avoir avec l’un de ses clients.

Chaque mercredi depuis le premier de juillet est sorti l’un des trois volets de la Trilogie d’Oslo de Dag Johan Haugerud : Rêves d’abord, Amour ensuite, Désir enfin (dont le titre norvégien, Sex, semble plus direct). Ces trois films ont été présentés dans un ordre différent en 2024 Désir au festival de Berlin, en 2025 Amour au festival de Venise et en 2025 Rêves au festival de Berlin où il a décroché l’Ours d’or. On pourrait longuement épiloguer sur leur séquence et discuter le choix des distributeurs : les rêves suscitent-ils le désir et conduisent-ils à l’amour ? Toujours est-il que ces trois films sont indépendants les uns des autres et peuvent se voir ensemble ou séparément, en tout ou en partie, dans n’importe quel ordre.

Ces trois films nous viennent de Scandinavie, une région du monde décidément à l’honneur ces temps-ci entre la sortie de Loveable à la mi-juin et celle fin juillet du dernier film de Joachim Trier, Valeur sentimentale, annoncé comme le coup de cœur de l’été. Ils partagent une manière très française d’intellectualiser l’amour. Si l’expression n’était pas si galvaudée, on dirait que la Trilogie d’Oslo redessine une carte du Tendre queer et post-moderne, frappée au sceau de l’empathie.

Comme Rohmer qui aimait tant filmer Paris, Dag Johan Haugerud qui mène de concert depuis soixante ans une carrière de cinéaste, de dramaturge et d’écrivain, aime filmer Oslo. Ses trois films en montrent la figure tutélaire des tours de son hôtel de ville – où le prix Nobel de la Paix est remis chaque année – son fjord profond traversée par les bateaux, ses avenues boisées. Tout y est beau, opulent et un peu triste aussi.

La Trilogie d’Oslo parle d’amour et de sexe, parfois en termes très crus. Il interroge l’impact des sites de rencontre sur nos amours, en mettant par exemple en scène un personnage gay qui rencontre ses partenaires grâce à Grindr sur le ferry qui relie Oslo à Nesodden. Il évoque sans tabou l’homosexualité, la bisexualité, la pansexualité – comme le faisait, dans le registre qui était le sien Le Rendez-vous de l’été que j’avais tellement aimé. Pour autant, cette apparente liberté rencontre quelques cordes de rappel :  l’adolescente amoureuse de Rêves fait la douloureuse expérience d’un amour non partagé, l’oncologue de Amour découvre au lendemain d’une folle nuit d’amour que son amant est marié, l’épouse du ramoneur de Désir lui fait payer le prix de sa franchise.

Réflexion désenchantée d’un quinquagénaire racorni : je pensais que discuter à l’infini de l’amour était une maladie adolescente à laquelle l’âge et l’expérience remédiaient. Je découvre, sinon dans ma vie qui n’a pas tant de profondeur, du moins au cinéma qui m’ouvre à mille autres vies, qu’il n’y a pas d’âge pour se questionner.

La bande-annonce

In the Summers ★★★☆

Vicente a deux filles. Leur mère a obtenu leur garde et les élève en Californie. Mais chaque été, Violeta et Eva prennent l’avion pour le Nouveau-Mexique et viennent passer quelques semaines de vacances chez leur père.

In the Summers est le premier film, tourné sans stars, d’une réalisatrice américano-colombienne qui a puisé dans ses souvenirs d’enfance. Sa bande-annonce m’avait laissé craindre le pire : l’incontournable rédemption d’un père qui réussira à combattre les démons qui le rongent pour retrouver l’amour de ses filles qu’il aime si fort.

Mais, primé à Deauville et à Sundance, In the Summers est autrement plus subtil que le pathos gluant que je m’étais inventé.

Sur la forme : avec quasiment aucune indication de lieu (même si on parvient à comprendre que l’action se déroule dans une petite ville perdue du Nouveau-Mexique proche de la frontière) ni de temps, In the Summers laisse lentement se deviner son sujet : raconter une relation père-filles à travers quatre étés passés ensemble, sans rien dire des (longues) périodes qui les séparent. Lors du tout premier, Eva et Violeta sont encore des fillettes d’une dizaine d’années à peine. Lors du quatrième, elles sont devenues adultes.

Sur le fond : In the Summers est beaucoup plus ambigu qu’une happy end story. Il doit sa justesse à son personnage principal interprété par René Pérez Joglar alias Residente, rappeur portoricain connu sur la scène musicale, qui se révèle un acteur étonnant. Dès la première scène, au soin maniaque qu’il prend à rapetasser sa maison pour y recevoir ses filles, on perçoit son anxiété, son souci de bien faire, sa peur que ses addictions à l’alcool et à la drogue ne reprennent le dessus. On ne dira rien de plus sur la façon dont sa relation avec ses filles évolue d’un été à l’autre, sachant qu’on en a déjà peut-être trop dit en évoquant l’absence de happy end. Disons simplement que le film réussit à nous surprendre en évitant les rebondissements les plus convenus.

Dépourvu de tout pathos et de toute complaisance, In the summers surprend par l’originalité de sa construction et par la justesse de son ton.

La bande-annonce

Jardin d’été (1994) ★★☆☆

Trois garçonnets se lient d’amitié avec un vieux monsieur solitaire.

Shinji Somai est un réalisateur japonais décédé en 2001 à cinquante-trois ans à peine. Un seul de ses films est sorti en France de son vivant, Typhoon Club. Le distributeur Survivance a décidé d’en sortir d’autres : Déménagement fin 2023 et ce Jardin d’été dont la sortie coïncide avec une rétrospective organisée à la Maison de la culture du Japon à Paris consacrée à l’oeuvre de Shinji Somai.

Son cinéma n’a pas pris une ride, même si le grain du 16mm lui donne une patine dont nous avons perdu l’habitude. En particulier le cadrage de Jardin d’été, vieux de plus de trente ans, est d’une étonnante modernité.

Jardin d’été évoque un sujet grave à hauteur d’enfant : la mort. La grand-mère de l’un des trois héros vient de mourir. L’événement les sidère et les fascine. Sa mort les conduit à se rapprocher d’un vieillard excentrique qui, à leur contact, retrouve goût à la vie et leur raconte sa vie et le lourd secret qui l’étouffe

Jardin d’été est un film estival, comme l’était (!) à sa façon L’Eté de Kikujiro qui lança, sur un contre-sens, la carrière de Kitashi Kitano en France à la fin des années 90, laissant penser que cet acteur-réalisateur de petits films noirs et violents était un poète élégiaque. Jardin d’été baigne dans une atmosphère ensoleillée et joyeuse. Tout y est léger, même la mort qui finit toujours, comme on le sait hélas, par nous rattraper.

La bande-annonce

Reflet dans un diamant noir ★☆☆☆

Un agent secret à la retraite (Fabio Testi) finit ses jours dans un palace italien au bord de la mer. La disparition de sa voisine de chambre fait resurgir ses vieux démons. Il se remémore ses missions passées et son combat avec la mystérieuse Serpentik.

Hélène Cattet et Bruno Farzani forment un duo à part dans le cinéma français. Français ou peut-être belge car c’est en Belgique que les deux étudiants en école de cinéma se sont rencontrés au début des années 2000, vivent et travaillent aujourd’hui. Leurs films – Reflet… est leur quatrième long – sont des prouesses visuelles à l’esthétique immédiatement reconnaissable. En témoignent les affiches rétro des trois précédents.

Voilà la critique que je faisais de leur film précédent, sorti en 2017, adapté d’un polar de Jean-Patrick Manchette : « Laissez bronzer les cadavres est une accumulation hyper stylisée de plans saisissants de beauté. Pris isolément, chacun est une merveille. Mais montés ensemble, ils ne font guère sens. Si bien qu’après une demi-heure où l’on s’extasie devant tant d’originalité formelle, on s’ennuie ferme et on perd tout intérêt à ce jeu de massacre où s’empilent métronomiquement les cadavres. »

Je pourrais la réécrire à l’identique. Cattet & Farzani font avec les films de James Bond ce qu’ils avaient fait précédemment dans Laissez tomber les cadavres avec les romans noirs : utiliser un genre essoré, le tordre, le briser et le réinventer à leur façon. L’entreprise n’est pas inintéressante. On imagine les débats qu’elle susciterait parmi les étudiants d’une promotion de la Fémis. Mais le résultat pourtant diablement imaginatif laisse sur le bord du chemin le spectateur qui, bien penaud, comme celui de Laissez tomber les cadavres, se sent un peu oublié.

La bande-annonce

Le Rire et le Couteau ★★★☆

Sergio est un ingénieur embauché par une ONG pour réaliser en Guinée Bissau l’audit environnemental d’un projet de route censée désenclaver l’arrière-pays mais traversant une mangrove fragile. Ce jeune trentenaire taiseux rejoint son affectation en voiture, à travers le Sahara. Il découvre progressivement son travail et son environnement.

Le Rire et le Couteau a été projeté à Cannes dans la section Un certain regard. Sa durée est hors normes : trois heures trente. Je me plains trop souvent de l’obésité de certains films pour ne pas souligner que cette durée est, ici, parfaitement appropriée. Car elle nous laisse le temps de pénétrer un univers et de nous débarrasser de nos préjugés.

Le parcours de son réalisateur, Pedro Pinho, engagé dans la militance altermondialiste, et les interviews qu’il a données autour du film pouvaient laisser craindre une charge en règle contre le post-colonialisme et ses avatars capitalistes. Mais heureusement, son film évite le piège du manichéisme.

Loin d’opposer pied à pied les Noirs et les Blancs, les gentils et les méchants, Le Rire et le Couteau prend le temps d’analyser les relations qui se nouent autour de Marcello dans toute leur complexité. Il jette un regard d’une rare intelligence sur la « situation postcoloniale », pour reprendre le titre du livre séminal de Marie-Claude Smouts qui m’a nourri dans l’écriture de « La France en Afrique » (c’était le moment #Autopromotion !)

Le Rire et le Couteau interroge le sens de l’action humanitaire en Afrique. Est-elle utile ? ou donne-t-elle au Blanc bonne conscience ? les deux répond le film qui a l’intelligence d’examiner la question sous plusieurs aspects, en filmant par exemple la tournée en brousse d’une bande d’humanitaires blondinets interrogeant les habitants sur l’usage qu’ils font des latrines impeccables qui leur ont été livrées.

Il interroge aussi le sens du progrès. La route que Sergio construira bouleversera l’écosystème des paysans ; elle encouragera aussi l’exode rural ; mais elle facilitera l’accès aux villes, la commercialisation des productions, l’évacuation sanitaire des malades…

Sergio se rend sur un chantier situé en plein désert. De vieux Portugais y sont employés comme contremaitres. Ils vivent loin de leur famille, avec pour seule motivation l’appat du gain. Leur dur labeur est interrompu par quelques beuveries et par des sorties au night-club du village du coin tenu, mondialisation oblige, par une maquerelle chinoise.

Le Rire et le Couteau explore aussi le domaine de l’intime et ici encore propose de dépasser les frontières. Bisexuel, Sergio va faire deux rencontres. Gui, un travesti brésilien, moustachu et poilu, venu en Guinée Bissau à la recherche de ses racines africaines. Et Diara, une auto-entrepreneuse débrouillarde, reine de la nuit, perruquée, maquillée et piercée.

Après trois heures trente, Le Rire et le Couteau se termine en épingle à cheveux, sans répondre aux questions en suspens. On trouvera à bon droit cette issue frustrante habitué qu’on est à l’usage qui veut qu’un film se close sur lui-même. Mais celui-ci ressemble à la vraie vie qui, pour le meilleur et pour le pire, ne donne pas toujours les réponses aux questions qu’elle lance.

La bande-annonce

I Love Peru ★★☆☆

I Love Peru est un « mockumentaire », un documentaire parodique tourné par Raphaël Quenard et son pote Hugo David. Inconnu il y a quelques années à peine, Quenard est omniprésent depuis cinq ans sur les écrans et a tourné dans une trentaine de films. Avec son phrasé si particulier, sa gouaille et son sens de la répartie, il est devenu rapidement célèbre grâce au César de la meilleure révélation masculine qui lui a été décerné début 2024 pour Chien de la Casse puis ses rôles dans Yannick, Le Deuxième Acte (un de mes coups de cœur de 2024) ou L’Amour ouf (idem). Il endossera bientôt le rôle de Johnny dans le biopic que lui consacrera Cédric Jimenez.

Projeté à Cannes, sorti sur les écrans cette semaine, I Love Peru a été accueilli par une critique quasi-unanime : Raphaël Quenard a du talent, il sait être drôle, son humour auto-dépréciatif fait souvent mouche…. mais son documentaire tourne vite en rond et verse trop souvent dans une vulgarité malaisante.

Je n’aurai pas la dent si dure. Quenard m’est spontanément sympathique. Loin de m’horripiler, il m’amuse. J’ai franchement ri à ses outrances quand bien même elles tangentent dangereusement, voire transgressent sans vergogne, le politiquement correct. Son « documenteur » aurait-il été plus long, je l’aurais peut-être trouvé trop bavard et trop égocentrique. Mais il a la politesse de ne durer qu’une heure neuf à peine.

La bande-annonce

Other ★☆☆☆

Le brutal décès de sa mère oblige Alice (Olga Kurylenko) à revenir dans sa maison d’enfance, perdue au cœur de la forêt du Minnesota, pour y régler les formalités administratives. Elle replonge dans les souvenirs de son enfance traumatisante. Elle se retrouve prise au piège de cette maison qui semble hantée par une mystérieuse créature.

Sortent sur les écrans à flux régulier des films d’épouvante ou d’horreur destinés à un public d’adolescents et de jeunes adultes : The Ugly Stepsister, Sinners, Destination Finale Bloodlines, Companion, Speak No Evil, pour ne citer que les plus récents… Ils font de bons résultats au box office, ce qui explique la prospérité du genre. Mais ils ne révolutionnent que rarement le cinéma, sauf cas exceptionnels (The Substance, Nope, MaXXXine…).

Pourquoi diable me suis-je laissé piéger à aller voir Other ? La faute sans doute à une programmation faiblarde en ce début d’été. La faute aussi à Olga Kurylenko dont je suis tombé sous le charme depuis Quantum of Solace.

Toujours est-il que j’ai perdu mon temps au milieu d’une foule de spectateurs beaucoup plus jeunes et indisciplinés que ceux, CSP ++, amateurs de films en N&B moldo-slovaques, avec lesquels j’ai l’habitude de frayer.

Passée la première demi-heure et le suspense qu’elle installe, le reste du film, tourné dans la banlieue de Bruxelles mais qui pose au thriller made in USA, est une enfilade de jump scares déplaisants. Son affiche et son titre rappellent ceux de Split et laissent augurer une héroïne schizophrène. J’avais parié qu’on découvrirait que les cauchemars qu’elle vit étaient le produit de son cerveau malade. Pour m’avoir fait perdre ce pari, je donne à Other une étoile qu’il ne mérite pas et lui évite le « coup de gueule » qu’il aurait mérité de la part du vieux critique démodé que je suis.

La bande-annonce

Islands ★★★☆

Tom (Sam Riley) est prof de tennis dans un club de vacances aux Canaries. Il tape la balle avec quelques touristes, s’alcoolise en douce, fréquente la boîte de nuit locale et fait parfois des heures sup dans le lit d’une de ses élèves. Cette routine délétère est brisée par l’arrivée d’un jeune couple de riches Anglais au bord de la rupture. Séduit par Anne (Stacey Martin), Tom leur sert de guide sur l’île jusqu’au soir où Dave (Jack Farthing), son époux, disparaît mystérieusement. La police mène l’enquête et suspecte Anne.

Islands est un film d’un réalisateur allemand tourné en Espagne avec des acteurs anglais. Parce que son héros est un joueur de tennis (et que Sam Riley, massif et élancé, en a  parfaitement la silhouette), parce qu’il se déroule sous un soleil insolent, parce qu’il baigne dans une sensualité lourde, il m’a fait penser au récent Challengers avec ses trois acteurs jeunes, sportifs et triolistes. Mais Islands regarde ailleurs, du côté des polars élégants de Patricia Highsmith et de leur adaptation par René Clément (Plein Soleil) ou Anthony Manghella (Le Talentueux Mr Ripley) voire des films de Hitchcock et de ses mystérieuses héroïnes blond platine que rappelle Stacey Martin.

La bande-annonce de Islands, qui dévoile une grande partie de son histoire, comme mon résumé s’est autorisé à le faire, laisse à penser qu’il s’agit d’un vulgaire thriller balnéaire. Mais Islands est plus dense que cela. La disparition de Dave et l’enquête menée par la police n’en constituent pas le cœur. Le sujet est ailleurs, ce qui explique la fin à tiroirs de ce film qui dépasse les deux heures : c’est Tom qui en est le seul héros et la vie qu’il mène, semblable à celle du crooner de Rimini de Ulrich Seidl ou de l’hôtesse de l’air interprétée par Adèle Exarchopoulos dans Rien à foutre. Dans un lieu paradisiaque, éphémèrement traversé par des touristes de passage, c’est une coquille vide qui s’est absentée du monde pour fuir on ne sait quoi et qui se laisse lentement mourir.

La bande-annonce

Des feux dans la plaine ★☆☆☆

Dans une ville anomique du nord-est de la Chine, frappée par la crise industrielle, les chauffeurs de taxi sont en 1997 la cible d’un mystérieux tueur en série. Un policier, Jiang, espère piéger le meurtrier en se faisant passer pour un chauffeur de taxi. Une jeune fille, Li Fei, passionnée de dessin, rêve de quitter cette région déprimée pour le sud de la Chine. Son amoureux, Zhuang Shu, est en conflit avec son père qui s’enrichit sur le dos des ouvriers licenciés. Huit ans passent et le meurtrier court toujours.

Chef opérateur sur les films de Diao Yinan (Black Coal, Ours d’or à Berlin en 2014, Le Lac aux oies sauvages), Zhang Ji a adapté un roman de Shuang Xuetao, traduit en anglais mais inédit en France. Il fait partie d’un mouvement artistique, la « renaissance Dongbei » qui, dans la littérature, la musique et le cinéma, évoque le déclin industriel de la Mandchourie et le mal-être de ses habitants.

Des feux dans la plaine ressemble à ces petits polars poisseux qui nous venaient de Chine dans la seconde moitié des années 2010 : Un été à ChangshaLes ÉternelsUne pluie sans fin… Il n’a plus le parfum de nouveauté dont ces films étaient entourés. Son scénario est particulièrement difficile à suivre. Cette opacité interroge le spectateur occidental qui se demande si elle est la conséquence d’une volonté revendiquée du réalisateur ou si c’est la façon « normale » de raconter une histoire dans le cinéma chinois.

Cette opacité donne peut-être du sel à ce polar. Mais elle en constitue aussi la principale limite. Elle exige du spectateur une attention bien mal récompensée. On sort de la salle perplexe, triste de n’avoir pas tout compris, anxieux de reconstituer tous les éléments d’un puzzle dont on a peut-être saisi l’image d’ensemble mais dont on peine à distinguer les détails. Si on était consciencieux, on irait voir une seconde fois Des feux dans la plaine ; mais on se dit que le film ne le mérite pas et on reste bien seul avec ses questions irrésolues.

La bande-annonce