Springsteen: Deliver Me From Nowhere ★☆☆☆

En 1982, après le succès mondial de The River et la tournée qui l’a accompagné, Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) ressent le besoin de se resourcer. Il loue une maison dans le New Jersey près de sa ville natale. Sur un magnétophone à cassettes, muni seulement de sa guitare acoustique et de son harmonica, il enregistre les chansons qu’il a écrites à partir de ses recherches, notamment sur les meurtres en série commis par Charles Starkweather dans les années 1950 au Nebraska. Il enregistre même une première version de Born in the USA qui ne sera finalement pas retenue dans cet album. Son label Columbia est très inquiet de ses choix artistiques ; mais son manager Jon Landau (Jeremy Strong) lui apporte un soutien sans faille.
Pendant la composition de cet album, Springsteen a une liaison avec la sœur d’un ancien camarade d’école ; mais cette bluette ne l’empêche pas de sombrer dans une profonde dépression.

Encore un nouveau biopic musical ? hélas oui. Après Bob Marley, après Elton John, après Elvis Presley, après Bob Dylan, et avant John Lennon, Mick Jagger et David Bowie auxquels finiront bien par être consacrés un biopic, il était inévitable que Bruce Springsteen, le « Boss », ait droit au sien.

Le parti retenu n’est pas de raconter sa vie depuis son enfance – même si des références y seront faites via des flashbacks en noir et blancs lourdingues – mais de se concentrer sur un épisode bien précis de sa vie. C’est le même parti qui avait été retenu dans Un parfait inconnu sur Bob Dylan. Ici, le réalisateur Scott Cooper utilise un livre éponyme de Warren Zanes consacré à la confection d’un album méconnu, coincé entre les deux méga-succès de The River (1980) et Born in the USA (1984).

Le sujet touchera-t-il les fans de Bruce ? Peut-être. Quant aux autres ? pas sûr.
Parce qu’il est de la farine désormais insipide et répétitive dont sont faits tant de biopics vus et revus où l’on voit naître comme par miracle des morceaux d’anthologie – ainsi de l’enregistrement de Born in the USA sous les yeux (et les oreilles) ébahis de tout le studio.

Sans doute Jeremy Allen White, connu des amateurs de séries pour Shameless et pour The Bear, habite-t-il le rôle, interprétant le chanteur, ses jeans serrés, ses cheveux gras, à la perfection. Mais cela ne suffit pas à faire un film. La romance bien terne qu’il noue avec une blonde peroxydée n’apporte rien à l’histoire. Sans surprise, trop classique, Springsteen est un mauvais service rendu au chanteur légendaire qui, à mes yeux, aurait plus mérité le Nobel de littérature que cet ours mal léché de Bob Dylan.

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Les Braises ★★☆☆

Karine et Jimmy forment un couple uni et aimant. Karine (Virgine Efira) travaille dans une pâtisserie industrielle. Jimmy (Arieh Worthalter) dirige une petite entreprise familiale de transport routier. En couple depuis une vingtaine d’années, ils ont eu un garçon et une fille désormais lycéens l’un et l’autre. Quand éclate fin 2018 le mouvement des Gilets jaunes, Karine en devient l’une des militantes les plus enflammées alors que Jimmy n’y croit pas.

Quelques réalisateurs français, rompant avec la vieille habitude très gauloise d’en parler le moins possible, se frottent à la chose publique et à la politique : Pierre Schoeller (L’Exercice de l’Etat, Rembrandt), Stéphane Demoustier (L’Inconnu de la Grande Arche), Sylvain Desclous (La Campagne de France, De grandes espérances), Nicolas Pariser (Alice et le maire, Le Grand Jeu)… Thomas Kruithof est de ceux-là qui, avec Les Promesses, avait consacré son précédent film à une édile locale du 9.3 qui peinait à organiser sa succession.

Il s’attaque à un des mouvements les plus importants et les plus passionnants qu’ait connu la France ces dernières années : les Gilets jaunes. Chacun d’entre nous y a été confronté et s’en est fait son opinion. Pour certains, c’est le cri de colère légitime d’une France périphérique qui étouffe ; pour d’autres, c’est un chaos sans mot d’ordre, une explosion de violence sans raison.

Thomas Kruithof n’écrit pas un essai politique sur les Gilets jaunes qui en éclairerait la généalogie, en proposerait une typologie (mouvement d’extrême droite ? d’extrême gauche ?) et en raconterait l’histoire. C’est un cinéaste. Il choisit de rabattre le mouvement des Gilets jaunes sur un couple. Les braises du titre, ces feux dormants qu’une étincelle peut relancer, sont une métaphore qui peut être interprétée dans deux sens : métaphore politique, celle d’une France qui pourrait s’enflammer et métaphore sentimentale, celle d’un couple vieilli qui brûle encore des feux de l’amour.

J’ai un peu regretté ce parti pris. J’aurais aimé voir un film qui ait le courage de s’attaquer à son vrai sujet : les Gilets jaunes. L’idée de le traiter par le crible du déchirement d’un couple me semblait mièvre et réductrice.

Mais je dois lucidement reconnaître que le résultat est bon. Il l’est d’abord grâce aux deux acteurs. On peut regretter de voir Virginie Efira et Ariel Worthalter partout et tout le temps. mais il faut reconnaître qu’ils sont l’un comme l’autre absolument excellents et qu’on ne saurait leur reprocher la moindre erreur de carre.
Mais il l’est surtout parce qu’à travers ce couple, c’est tous les Gilets jaunes qui sont évoqués, la peur du déclassement (analysée doctement dans les ouvrages d’Eric Maurin et de Louis Chauvel), la France périphérique, le sens de l’engagement, l’invention d’autres formes d’actions citoyennes…

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L’Inconnu de la Grande Arche ★★★☆

En 1983, un concours d’architecture est lancé pour la construction du bâtiment destiné à clore la perspective royale qui part du Louvre vers l’ouest via l’Arc de triomphe. Un architecte inconnu l’emporte. Il est danois, a la cinquantaine bien entamée et n’a quasiment rien construit sinon sa propre maison et quatre églises. Il avance une proposition audacieuse : un cube de cent mètres de côté de verre et de marbre.

Stéphane Demoustier (frère de) se frotte décidément à des sujets intéressants et sait les traiter avec intelligence. Après La Fille au bracelet, sur l’insondable culpabilité d’une jeune femme, après Borgo, sur l’acclimation compliquée dans une prison corse d’une jeune surveillante venue du continent, voilà qu’il se lance dans l’adaptation du récit que Laurence Cossé a consacré en 2016 à des événements vieux de plus de trente ans : la réalisation compliquée de la Grande Arche de la Défense.

Un architecte scandinave un peu lunaire s’est retrouvé aux manettes d’un projet pharaonique par la seule volonté du prince, le président Mitterrand (Michel Fau, sphinxial), qui s’est personnellement impliqué dans sa sélection et l’a constamment soutenu. Le problème est que l’intégrité artistique de Johan Otto von Spreckelsen (Claes Bang) s’est vite heurtée au mur des réalités, à la réglementation tatillonne qui l’empêche d’utiliser telle ou telle colle pour joindre ses vitres, aux restrictions budgétaires qui le privent du marbre de Carrare qu’il souhaite utiliser et qu’il va lui-même acheter en Toscane, aux rivalités politiques qui menacent le projet lorsque la gauche perd les élections législatives de 1986.

Les résistances que rencontre Spreckelsen sont incarnées par deux personnages que le film a l’intelligence de ne pas caricaturer. D’une part Subilon, un conseiller présidentiel vibrionnant, interprété par Xavier Dolan. D’autre part Paul Andreu (Swann Arlaud), l’architecte surdoué qui avait signé l’aérogare de Roissy à vingt-neuf ans à peine et qui accepte modestement de se mettre au service de son collègue. Un autre personnage de fiction a été rajouté, celui de l’épouse de Spreckelsen (Sidse Babett Knudsen) qui essaie, sans guère de succès, de ramener son mari à la raison quand il s’arc-boute sur ses principes.

Un moment, j’ai cru que le film allait être celui que j’aurais aimé voir : un éloge du compromis. J’espérais que l’architecte intraitable accepterait de faire quelques concessions pour sauver son projet et que les résistances technocratiques qui le brimaient finiraient par céder pour laisser son art s’exprimer. Patatras ! la réalité s’est rappelée à moi et aux protagonistes et le film a pris une autre direction.

Cette absence de happy end m’a frustré. Mais, tout bien considéré, il faut y voir plus une qualité qu’un défaut. Le film, comme le livre qu’il adapte, est fidèle aux faits, lesquels, on le sait hélas, ne sont pas toujours ceux qu’on espère.

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Deux procureurs ★★★☆

Dans l’URSS stalinienne, à l’acmé de la Grande Terreur stalinienne qui fit plusieurs millions de victimes, les plaintes des détenus n’étaient pas transmises. L’une d’elles parvient toutefois au jeune procureur Kornev (Aleksandr Kuznetsov), fraîchement émoulu de la faculté de droit, qui se présente à la prison où est détenu son auteur. Il parvient de haute lutte, malgré les obstacles dressés par la direction, à s’entretenir avec lui. Kornev décide immédiatement d’aller à Moscou pour rendre compte au Procureur général, Andreï Vychinski, de ce témoignage déchirant.

Né en 1964 en Biélorussie soviétique, installé à Berlin depuis 2011, Sergei Loznitsa s’est fait connaître en 2013 en Occident par un premier film dont l’action se déroulait durant la Seconde Guerre mondiale. La facture de Dans la brume annonçait celle de ses œuvres suivantes : des plans-séquences interminables, une quasi absence de dialogues, une virtuosité intimidante… Les mêmes recettes étaient utilisées l’année suivante dans Maidan, un documentaire sur la chute du président Ianoukovitch durant l’hiver 2014, dans Une femme douce le portrait d’une héroïne dostoïevskienne dans la Russie post-soviétique et dans Donbass, une évocation en treize plans-séquences de cette région ukrainienne annexée par la Russie, qui y bafoue les droits de l’homme et humilie ses citoyens.

Deux procureurs est l’adaptation très fidèle d’une courte nouvelle de Gueorgui Demidov (1908-1979), emprisonné à la Kolyma en Sibérie en septembre 1938. Le film de Loznitsa n’en a pas la concision – il tangente les deux heures – mais il en a l’âpreté. Il a été tourné l’automne dernier en Lettonie dans une ancienne prison désaffectée. Loznitsa aurait pu filmer des montagnes de cadavres ou des cellules grouillantes de vermine ; il préfère montrer de longs couloirs sinistres, des guichets cadenassés et des gardiens patibulaires.

Son héros est un Juste qui se rebelle contre une Justice dévoyée lorsqu’il découvre qu’elle emprisonne et condamne des innocents et leur arrache des aveux. Mais c’est aussi un naïf qui s’imagine que ces excès de pouvoir sont le fait des chefs locaux et que si Moscou en était informé, ces exactions prendraient fin. Quand il se rend au siège de la Prokuratur, il déambule dans les mêmes escaliers interminables et se heurte à la même bureaucratie bornée que celle à laquelle il s’était heurté la veille en province. Son entretien avec Vychinski, un personnage historique tristement célèbre pour ses réquisitoires impitoyables fait froid dans le dos.

En compétition à Cannes, Deux procureurs en est reparti bredouille. Il y aurait mérité un prix.

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L’homme qui rétrécit ★☆☆☆

Paul (Jean Dujardin) est un homme ordinaire qui vit avec sa femme (Marie-Josée Croze) et sa petite fille dans une maison d’architecte au bord de la mer du Nord. Il est la victime d’un phénomène que la médecine ne parvient pas à expliquer : il rétrécit de jour en jour. Réduit à quelques centimètres à peine, il tombe dans la cave de sa maison, est abandonné des siens et doit mener une lutte à mort contre la faim, la soif et les prédateurs alors que son rapetissement continue inexorablement.

Avez-vous comme moi gardé un souvenir inoubliable de L’homme qui rétrécit, le film américain de 1957 adapté du roman de Richard Matheson publié un an plus tôt ? Ses trucages maladroits où l’on voyait un chat et une araignée énormes pourchasser le malheureux héros réduit à rien vous ont-ils comme moi marqué à jamais ? Si tel est le cas, vous avez peut-être, comme moi, eu la curiosité d’aller voir ce remake tardif, réalisé quelque soixante-dix ans (!) plus tard.

Exit la peur des radiations nucléaires qui étaient la cause du rapetissement du héros. Elle a été supplantée par celle du dérèglement climatique. Mais dans les deux films, on ne s’apesantira guère sur la question. Le sujet est ailleurs.

Il est traité en deux parties d’inégale longueur. La première voit un homme ordinaire confronté à un phénomène extraordinaire. C’est la partie la moins convaincante notamment à cause des effets spéciaux particulièrement maladroits qu’elle utilise. Elle pose aussi un problème de scénario : comment imaginer que le héros se replie sur lui-même et refuse d’être soigné ?

La seconde partie est la plus attendue, surtout si l’on se souvient du film de 1957. On y voit le fameux chat et la non moins fameuse araignée aux dimensions monstrueuses et notre malheureux héros fragilisé par sa taille lilliputienne et son coffre imperceptible qui rend inaudibles ses appels à l’aide.
Certes, les effets spéciaux ont fait quelques progrès depuis soixante-dix ans. L’araignée est vraiment monstrueuse et la menace qu’elle fait planer dans ce sous-sol aimante toute la seconde moitié du film.

Mais ces scènes iconiques et assez peu crédibles (comment Paul se hisse-t-il hors de l’aquarium où il est tombé ?) ne suffisent pas à elles seules hélas à justifier l’intérêt du film. Il est irrémédiablement plombé par une voix off métaphysique sur le cosmos et le sens de la vie, ânonnée sur un ton sentencieux, le même que dans Sur les chemins noirs, par Jean Dujardin.

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Smashing Machine ★☆☆☆

Mark Kerr est un lutteur américain qui, à la fin des années 90, fut l’un des pionniers des MMA (mixed martial arts, anciennement appelés combat libre ou free-fight). Après deux défaites, sa carrière connut une longue éclipse. Accro aux antalgiques, Mark Kerr dut subir une cure de désintoxication. Il ne réussit jamais à revenir au top niveau.

Benny Safdie, qui tournait jusqu’à présent toujours avec son frère Josh (Good Time, Uncut Gems), s’est lancé en solo dans un biopic, celui d’une ancienne star des MMA. Il s’est adjoint un atout de poids, Dwayne Johnson, alias The Rock, et son hallucinante musculature.

C’est là que réside le principal intérêt du film et la curiosité qu’il suscite : cette montagne de muscles hypertestostéronés et luisants d’huile, l’ambiance électrisante des arènes de MMA avec ce mélange dérangeant de la plus abjecte violence et du kitsch d’un spectacle hollywoodien.

Le problème de Smashing machine est qu’il ne nous propose pas grand chose de plus. Il voudrait, comme de bien entendu, souligner les failles d’un homme, coincé entre l’image de toute-puissance et d’hypervirilité qu’il projette et ses blessures intérieures. Le personnage de sa femme, remarquablement interprétée par Emily Blunt, qui joue à la perfection un rôle difficile de bimbo vulgaire et provocante, est convoqué à cette fin. Mais ce pan-là de la vie de Mark Kerr ne s’avère pas très intéressant, comparé à ce qu’il vit sur le ring.

Le cinéma américain a fait du boxeur/catcheur/lutteur une de ses figures emblématiques – alors que le cinéma français ne s’y est guère intéressé : Raging Bull, Rocky, Million Dollar Baby, The WrestlerFighterFoxcatcher, Iron Claw… Je ne suis pas certain que Smashing Machine trouve sa place dans ce glorieux lignage.

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La Femme la plus riche du monde ★★☆☆

Marianne Farrère (Isabelle Huppert) a beau être la femme la plus riche du monde, elle s’ennuie dans son hôtel particulier neuilléen. Sa vie est rythmée par les conseils d’administration de la multinationale qu’elle a héritée de son père et par les interviews qu’elle donne à la presse. Un jour, un photographe fantasque Pierre-Alain Fantin (Laurent Lafitte) vient prendre quelques clichés d’elle pour une revue à la mode. La milliardaire s’enflamme pour l’artiste excentrique et homosexuel. Ses outrances et sa vie débridée l’amusent. Elle fait de lui son ami et, au grand dam de son entourage, le bénéficiaire de ses libéralités.

Thiery Klifa s’est emparé avec gourmandise de l’affaire Bettencourt-Banier. Liliane Bettencourt, l’héritière vieillissante de L’Oréal, s’était entichée, on s’en souvient, de François-Marie Banier, ce photographe à la réputation sulfureuse. Sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers, l’avait attaqué pour abus de faiblesse, reprochant au photographe d’avoir obtenu de sa mère près d’un milliard d’euros de dons en numéraire ou en nature. L’accusation se fonde notamment sur des enregistrements réalisés clandestinement par le majordome de Liliane Bettencourt. L’affaire se conclut par un accord entre les parties en 2010. Mais son volet pénal, que le film n’évoque pas, conduit à la condamnation en 2016 de François-Marie Banier à quatre ans d’emprisonnement avec sursis.

Cette affaire croquignolesque est l’occasion pour Thierry Klifa de dresser un portrait mordant de ces ultra-riches. Il n’a pas mégoté sur les costumes et les décors d’un luxe incroyable et d’une élégance parfaite. La production y a-t-elle englouti l’essentiel de son budget ? C’est probable et c’est pertinent.

L’affaire aurait pu être traitée avec moins de nuances, sur le mode du vaudeville ou bien sur celui de la critique de classe cinglante. Thierry Klifa évite ces deux écueils. Il ne verse pas dans la caricature. Marianne Farrère/Bettencourt n’est pas – ou du moins pas seulement – une milliardaire qui a perdu le sens des réalités ; c’est d’abord une femme qui revit au contact d’un homme qui lui change les idées.  Il faut reconnaître, même si d’aucuns ne la portent pas dans leur cœur, qu’Isabelle Huppert est parfaite dans ce rôle. Laurent Lafitte est également parfait dans le sien ; mais c’est pour lui un pléonasme. L’homosexualité affichée de Fantin/Banier permet d’écarter immédiatement l’hypothèse farfelue d’une romance et, au contraire, de questionner la construction d’un lien amical plus profond encore.

Il faut saluer aussi la qualité des seconds rôles, tous impeccables, à commencer par celui du majordome interprété par Raphaël Personnaz, condamné par ses fonctions à garder un silence respectueux alors que les frasques de Fantin le scandalisent. Mention spéciale à André Marcon qui montre ici, une fois encore, quel acteur établi il est.

La situation des personnages, aussi intéressante qu’elle soit, est vite stabilisée et n’évolue guère. La question autour de laquelle le film se construit – Fantin/Banier était-il un escroc qui a sciemment plumé une veuve fortunée ou bien un artiste fantasque qui a profité des libéralités de sa riche amie sans y voir malice ? – est très rapidement posée et les développements subséquents ne permettent guère, au bout de deux heures, d’y répondre mieux qu’après trente minutes.

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Queendom ★★☆☆

Née en 1999, Gena Marvin a grandi au bord de la mer d’Okhotsk, à Magadan, à plusieurs milliers de kilomètres de la Russie européenne. Elle a été élevée par ses grands-parents, de modestes pêcheurs. Dans la Russie homophobe et conservatrice de Poutine, elle a essayé d’exprimer son mal-être, sa non-binarité dans des performances artistiques audacieuses, se mettant en scène dans des costumes d’une folle excentricité : le crâne et les sourcils entièrement rasés,  le visage entièrement grimé, juchée sur des talons plateformes de plusieurs dizaines de centimètres de hauteur, moulée dans des combinaisons en latex. Rejetée par ses grands-parents, exclue de son école d’art à Moscou, Gena manifeste contre l’entrée en guerre de la Russie en 2022 et décide de quitter son pays.

Agniia Galdanova a suivi Gena Marvin pendant près de trois ans, de Magadan à Moscou et jusqu’à Paris où l’artiste a finalement obtenu un visa fin 2022 – un beau témoignage de l’ouverture de la France, plus souvent conspuée pour la frilosité de sa politique migratoire que félicitée pour son hospitalité.

Queendom donne à voir les incroyables performances de Gena Marvin qui manifeste un talent fou, dans les costumes qu’elle confectionne elle-même, inspirées par l’inquiétante figure de Slender Man – l’un des creepypasta les plus célèbres… et dont, bien sûr, je n’avais jamais entendu parler avant d’écrire cette critique !

Elle donne surtout à voir Geena Marvin elle-même, cet artiste non-binaire élevé comme un garçon par des grands-parents habités par une homophobie ordinaire dans les provinces reculées de la Russie post-soviétique. Immense, imberbe, d’une pâleur hyperboréenne, ce gigantesque éphèbe aux grands yeux bleus est d’une beauté étourdissante. Une mélancolie persistante, un pessimisme noir semblent l’habiter. On sent Geena bien fragile alors pourtant qu’elle démontre un courage étonnant, à défier les bonnes mœurs et la police en s’exhibant dans ces parures improbables au vu et au su de tous. On serait bien curieux de savoir ce qu’il adviendra d’elle : restera-t-elle en France ? vivra-t-elle de son art ? rentrera-t-elle un jour en Russie ?

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Tótem ★☆☆☆

Sol a sept ans. Sa mère la conduit chez son père et chez ses tantes. La maisonnée vibre des préparatifs de la fête qui sera donnée ce soir-là.

Tótem est un film mexicain tourné à hauteur d’enfant. Le procédé n’est pas nouveau. Il produit des résultats contrastés. Début 2022, j’avais énormément aimé Un monde, l’immersion traumatisante, filmée de son point de vue, d’une fillette dans son école primaire. J’avais trouvé plus convenu Petite Solange, qui racontait le divorce des parents d’une pré-adolescente. En 2023, dans L’Île rouge, Robin Campillo racontait ses souvenirs d’enfance à Madagascar, au début des années 70, dans un camp militaire de coopérants français.

Tótem a une immense qualité : il réussit à la perfection à reconstituer l’ambiance fiévreuse des préparatifs d’une fête. Il le fait d’autant mieux que ces préparatifs sont vus à travers les yeux de Sol, avec leur part de mystère, d’incongruité voire d’ironie. On comprend très vite qu’autre chose se joue : le père de Sol, Tona, âgé de vingt-sept ans à peine, se meurt dans la chambre d’à côté, sous la garde d’une infirmière aimante et son anniversaire qui se prépare sera très probablement son dernier.

Le problème de Tótem est que, une fois ce cadre posé, plus rien ne s’y passe. Le film fait du surplace, se contentant d’ajouter des scènes quasi-identiques, rajoutant plusieurs couches de personnages plus ou moins originaux (un grand-père psychanalyste qui s’exprime grâce à un laryngophone, une tante qui se refait sa teinture, une autre qui se muscle le fessier avec des électrostimulateurs…) jusqu’à la fête nocturne, sa cohorte d’amis aussi fidèles qu’émus, et l’épilogue qu’on savait par avance inéluctable.

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The Gazer ★★☆☆

Frankie souffre d’une maladie neurologique dégénérative qui altère sa conscience du temps et de la réalité. Depuis la mort brutale de son mari, dont les circonstances nous seront progressivement révélées, elle vit séparée de sa fille, confiée à la garde de sa belle-mère. Un soir, elle croit assister à une agression dans l’immeuble qui fait face à la station service qui l’emploie comme pompiste.

Gazer (bizarrement distribué en France sous le titre The Gazer), présenté à Cannes en mai 2024 à la Quinzaine, a mis près d’un an à trouver son chemin en salles. J’ai bien failli le rater tant sa sortie y fut discrète : pas de bandes annonces en salles, pas d’affiches aux flancs des bus. J’aurais eu tort ; car The Gazer, sans être un chef d’oeuvre, mérite le détour.

The Gazer a été tourné avec deux bouts de ficelles, en pellicule 16mm, par un réalisateur dont on ne sait rien, sinon qu’il est électricien (sic) dans le New Jersey. Son héroïne – et co-scénariste – porte certes un patronyme fameux mais n’a aucun lien de parenté avec le célèbre acteur italien.

The Gazer s’amuse à multiplier les références cinéphiles sans pour autant tourner à l’exercice prétentieux. Fenêtre sur cour de Hitchcock pour le crime observé dans l’immeuble en vis-à-vis. Taxi Driver de Scorsese pour son portrait de héros paumé lancé dans une traque angoissante dans les rues ici d’un New Jersey anomique. Conversation secrète de Coppola ou Blow Out de De Palma pour l’utilisation de vieilles cassettes audio et la découverte de ce qu’elles ont capté, inaudible à l’ouïe humaine. Memento de Nolan pour la mémoire en miettes de son héros, peut-être criminel à son insu. ExistenZ de Cronenberg pour son gristle gun, mi-objet mi-organe.

The Gazer relève le défi de maintenir la tension pendant ses presque deux heures. On se laisser séduire par le charme bizarre d’Ariella Mastroianni. On a envie, comme elle, de démêler l’écheveau de sa mémoire défaillante. Comment interpréter le dernier plan ? Est-il un ultime sursis avant l’instant fatal ? ou ouvre-t-il une lueur d’espoir ?

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