Marcel et Monsieur Pagnol ★☆☆☆

Sur la suggestion du petit-fils de Marcel Pagnol, Sylvain Chomet raconte la vie de ce Marseillais de génie, auteur de la trilogie Marius, Fanny, César, de Jean de Florette et de Manon des sources, de La Femme du boulanger, et qui rédigea au crépuscule de sa vie alors qu’il pensait que l’inspiration l’avait quitté ses souvenirs : La Gloire de mon père, Le Château de ma mèreLe Temps des secrets et un quatrième tome qu’on omet souvent, Le Temps des amours.

On retrouve dans son film d’animation toute la chaleur et la truculence des oeuvres précédentes de Sylvain Chomet. Elles étaient muettes. Celle-ci est parlante. Mais pas sûr qu’on y gagne, l’accent méridional forcé des personnages frôlant souvent la caricature. On y perd surtout la fantaisie presque surréaliste qui faisait tout le piment des Triplettes de Belleville ou de L’Illusionniste.

Ce biopic trop sage raconte la vie de Marcel Pagnol de sa naissance en 1895 jusqu’à sa mort en 1974, comme le ferait une notice Wikipédia. Rien n’y manque de son attachement à la Provence qui nourrit toute son oeuvre, de l’énumération de la quasi-totalité de ses pièces et de ses films, depuis les plus connus jusqu’aux plus méconnus (Les Marchands de gloire, Jazz, Fabien…), des détails de sa vie privée (le décès prématuré de sa mère qui le laisse orphelin, la tutelle étouffante de son père, son exil à Paris, sa vie sentimentale très agitée, la mort de sa fille…)…

Ceux qui connaissent bien l’oeuvre de Pagnol – et c’est mon cas car, en bon méridional, j’ai été biberonné à ses livres en Presses Pocket durant mon enfance – auront le sentiment d’un survol trop superficiel. Je me demande ce qu’en retiendront ceux qui ne la connaissent pas. Quant au procédé, dont le titre se fait l’écho, consistant à ressusciter la figure tutélaire du jeune Marcel pour aider le vieux monsieur Pagnol à rédiger, à la demande d’Hélène Lazareff, ses souvenirs (qui seront la matière de sa célèbre tétralogie), il semble un peu capillotracté et échoue à susciter l’émotion.

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Le Dernier Compromis ★★☆☆

La documentariste Anne Fonteneau a suivi pas à pas Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, la première centrale syndicale de France, pendant les six derniers mois de ses fonctions début 2023. La période coïncide avec la discussion au Parlement de la réforme des retraites et le bras de fer engagé avec le Gouvernement.

À quoi vous fait penser l’affiche de ce documentaire ? À celle du Parrain avec Marlon Brando ? J’ai interrogé Anne Fonteneau hier soir à la sortie de la salle du Quartier-Latin où elle était venue présenter son film pour savoir si cette ressemblance était voulue ou fortuite. Elle m’a répondu que le maquettiste auquel avait été passée la commande de cette affiche avait reçu le film comme un thriller politique et avait conçu l’affiche à partir de ce point de vue.
Je ne partage pas ce ressenti. Le Dernier Compromis n’est pas un thriller et Laurent Berger n’est pas un chef de clan.

C’est un homme totalement investi dans son travail, qui s’y consacre corps et âme. Anne Fonteneau a manifestement voulu entrer dans son intimité alors que l’homme s’affirme pudique et le restera tout du long. Tout au plus découvre-t-on son goût pour le baby-foot et la chanson française qui lui permettent de décompresser. Mais de l’homme Laurent Berger, on n’apprend rien ou pas grand-chose sinon qu’il a hérité de ses parents son engagement syndical et qu’il a fait ses premières armes dans une humble section de la CFDT à Saint-Nazaire en Loire-Atlantique.
Le documentaire le filme à la fin d’un mandat long de onze années. On ressent à la fois une grande lassitude, un profond épuisement et aussi une anxiété, chez cet homme de cinquante-cinq ans à peine, pour la « vie d’après » : il se sait hyper-actif et redoute une brutale décompression (depuis septembre 2023 Laurent Berger travaille au Crédit mutuel… et reconnaît ouvertement s’y ennuyer un peu).

Le Dernier Compromis est l’occasion de revivre de l’intérieur le conflit des retraites qui a rythmé tout le début de l’année 2023. Ce bras-de-fer s’est piteusement terminé par l’utilisation du 49.3 qui a permis le passage en force de la réforme. On mesure rétrospectivement l’erreur stratégique commise par Emmanuel Macron et sa première ministre. En refusant d’aller au bout du débat parlementaire, il s’est privé de la meilleure issue possible (soit la réforme était votée, démontrant ainsi que le Gouvernement bénéficiait du soutien d’une majorité de parlementaires, soit elle ne l’était pas et le Gouvernement aurait été vaincu la tête haute) et a préféré donné l’image de l’entêtement et de la surdité.

Le défaut de ce Dernier Compromis est de rester à la surface des choses. Il échoue à percer la carapace décidément trop épaisse de Laurent Berger ; il échoue à décortiquer les tenants et aboutissants de la réforme des retraites de 2023. Dommage…

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Together ★★☆☆

Tim est un musicien raté qui n’a jamais percé, Millie une enseignante dont le salaire fait bouillir la marmite. En couple depuis une dizaine d’années, Tim et Millie n’ont toujours pas décidé de franchir le pas du mariage et de la p/maternité. La nouvelle affectation de Millie les conduit à déménager à la campagne, loin de la ville et de leurs amis. Un jour, ils s’égarent dans la forêt, se réfugient dans une grotte et en sortent le lendemain avec de curieux symptômes.

Je ne suis vraiment pas adepte des films d’horreur. J’en ai vu tout mon saoul à la présidence de la commission de classification, les ai trouvés souvent mauvais et répétitifs…. et horriblement angoissants. Mais l’affiche de Together m’a fait de l’oeil (!) Ne la trouvez-vous pas intrigante ? horrifiante ? J’ai jeté un oeil (bis !) au pitch et ai acheté mon billet.

Je connais mal les films d’horreur. Mais je crois que les meilleurs sont ceux qui filent une métaphore, qui, au-delà des images horrifiques qu’ils montrent, racontent en filigrane autre chose qui résonne avec notre moi profond. The Substance par exemple raconte le corps féminin, la hantise de sa décrépitude, le diktat du rajeunissement…

Together est un film sur le couple. Sur la « bonne » distance entre les  deux membres d’un couple. Sur le désir paradoxal – et souvent asynchrone hélas – de se rapprocher de l’autre ou au contraire de s’en distancier. On y entend 2 Become 1With or Without You de U2 aurait été bien adapté aussi… mais peut-être le budget du film avait déjà été englouti dans l’achat des droits du tube des Spice Girls. L’interprètent Dave Franco et Alison Brie, partenaires à la scène et à la ville.

Comme souvent dans les films d’horreur, Together tangente le grand-guignol. Certaines de ses scènes sont à la fois horribles et hilarantes. Mais, il relève le défi de cet exercice d’équilibriste jusqu’à son tout dernier plan qui nourrit les interrogations des spectateurs au sortir de la projection.

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Family Therapy ★☆☆☆

Aleksander et Olivia habitent une villa ultra-moderne au cœur de la forêt slovène. Leur fille Agata y vit avec eux pour des motifs qui se révèleront progressivement. Aleksander a eu avant son mariage un fils, Julien (Aliocha Schneider), qui a grandi en France et qui revient s’installer temporairement chez son père.

Family Therapy nous vient de Slovénie. Vérification faite, ce n’est pas le premier, mais le second film slovène que j’aie jamais vu. J’avais bien aimé Conséquences en 2019 sur une jeunesse délinquante, en mal d’affection et de repères.

Family Therapy est un film radical qui rappelle, par la sécheresse de son dispositif, les premiers films de Yorgos Lanthimos (Canine, Alps…). Il met en scène une famille vivant quasiment en autarcie, progressivement étouffée par ses névroses : Aleksander rêve de s’envoler dans l’espace, Olivia cache sa frustration sexuelle, Agata aspire à renouer avec l’adolescence insouciante que la maladie lui a volée… Ce fragile équilibre familial est peu à peu perturbé par des facteurs extérieurs : une famille de touristes qui lui demande de l’héberger après un accident automobile, ce fils prodigue, beau comme le héros de Théorème

L’atmosphère bizarre de Family Therapy est dans un premier temps intrigante. Mais Sonja Prosenc n’a pas su tirer profit du dispositif stimulant qu’elle a mis en place. La seconde partie de son film, avec sa réception mondaine qui rappelle les films de Ruben Östlund, ne tient pas les promesses de la première.

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Lumière pâle sur les collines ★★☆☆

Etsuko, la cinquantaine, vit dans les années 80 dans la campagne anglaise et vient d’y mettre en vente sa maison. Sa fille Niki vient passer quelques jours chez elle. C’est l’occasion pour les deux femmes de revenir sur le passé de Etsuko qui a grandi à Nagasaki, y a connu l’explosion de la bombe atomique, s’y est mariée et est tombée enceinte au début des années cinquante d’un premier enfant. À Nagasaki, Etsuko s’est liée d’amitié avec une femme, Sachiko, qui a élevé seule son enfant et s’est apprêtée à quitter le Japon pour les Etats-Unis.

Lumière pâle sur les collines est le premier roman de Kazuo Ishiguro, un immense écrivain britannique d’origine japonaise, passé à la postérité pour Les Vestiges du jour (porté à l’écran par James Ivory au début des années 90) et couronné par le Prix Nobel de littérature en 2017. Le roman, pourtant fort bref, est d’une grande complexité. Il multiplie les allers-retours entre le temps présent – la campagne anglaise du début des années 80 – et le Japon de l’immédiat après-guerre qui peine encore à se relever de l’apocalypse nucléaire. Il joue aussi avec les apparences, laissant planer un doute sur la réalité des personnages qui ne sont peut-être que les doubles fantasmés les uns des autres.

Kei Ishikawa avait déjà réalisé en 2022 A Man, un film déconcertant qui lui aussi mettait en scène des personnages aux identités floues. Il se frotte ici à l’adaptation jugée impossible d’un roman d’une grande élégance qui explore de nombreuses pistes : le deuil par le Japon de sa grandeur impériale, sa douloureuse reconstruction, les aspirations à un nouveau départ d’une femme mal mariée, la culpabilité de cette même femme au crépuscule de sa vie…..

Lumière pâle sur les collines est un film métisse, comme l’auteur du roman qui l’a inspiré. C’est un film à cheval entre le Japon et l’Angleterre. Sa facture peut surprendre. Sa beauté – et celle de ses acteurs – peut sembler très artificielle. Autre écueil : l’incompréhension face à un scénario qui ne livre pas spontanément ses clés.

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À bout de course (1988) ★★★☆

Jeunes militants pacifistes, Arthur et Anne Hope ont fait exploser en 1971 une usine produisant du napalm, blessant accidentellement un gardien. Traqués par le FBI depuis une dizaine d’années, ils fuient la police, avec leurs deux enfants, régulièrement obligés de changer de résidence et d’identités.

Le cycle « Warner Bros 100 ans » permet de (re)voir des chefs d’œuvre : Le Chanteur de jazz, Casablanca, Rio Bravo, 2001, Odyssée de l’espace, Blade Runner…. Au milieu de ces grands classiques se cachent quelques pépites comme ce film un peu oublié que j’avais raté à sa sortie en octobre 1988. L’image mal restaurée, la coiffure des personnages, la musique font immédiatement remonter, qu’on les ait aimées ou détestées, le souvenir inimitable des 80ies.

La nostalgie est d’autant plus forte qu’À bout de course a pour héros le jeune River Phoenix, né en 1970, décédé en 1993, à l’orée d’une carrière prometteuse que son frère cadet, Joaquin, a poursuivie pour lui par procuration.

Le sujet du film est inspiré de faits réels : la longue cavale de deux pacifistes dans les Etats-Unis des 70ies après un attentat meurtrier. C’est une réflexion sur l’engagement, le radicalisme, l’action non violente qui dérape – un sujet d’une brûlante actualité aujourd’hui qu’évoquent notamment Une bataille après l’autre, Sabotage ou Une année difficile – et les conséquences de nos actes.

Mais c’est le personnage de Danny, le fils aîné, interprété par River Phoenix, qui est le plus émouvant. Musicien surdoué, comme sa mère le fut en son temps avant de rompre avec sa famille et d’embrasser le radicalisme, l’adolescent de dix-sept ans ne supporte plus ces déménagements à répétition, qui le privent de toute vie sociale et lui interdisent l’accès à l’Université. Loin d’interpréter les ados rebelles, River Phoenix joue un garçon sage, presque passif, laissant au scénario et aux situations le soin de faire comprendre le poids qui pèse sur lui. Ses parents sont déchirés d’imposer à leur fils un tel sacrifice.

Sidney Lumet réalise À bout de course avec une remarquable économie. L’émotion que suscite son dénouement, qui arracherait des larmes aux plus insensibles, n’en est que plus puissante.

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Bonjour la langue (impromptu) ☆☆☆☆

Charles (Paul Vecchiali), un nonagénaire, voit débarquer à l’improviste chez lui à Draguignan, son fils Jean-Luc (Pascal Cervo) dont il n’avait plus de nouvelles depuis six ans. Les deux hommes dialoguent à bâtons rompus.

Paul Vecchiali est un grand cinéaste français qui a commencé sa carrière au début des années soixante et aura réalisé une trentaine de longs métrages. Il est décédé en janvier 2023, quelques jours à peine après avoir achevé le montage de son dernier film. Aussi le respect dû à sa mémoire devrait-il nous inspirer un peu de mansuétude.

Mais hélas, sorti de ce contexte funéraire, Bonjour la langue ne vaut pas tripette. J’avais déjà eu la dent (très) dure avec son antépénultième film sorti en 2020, Un soupçon d’amour.

Bonjour la langue, dont le titre prend le contre-pied de celui du dernier film de Godard, Adieu au langage, semble être l’ultime désir de cinéma d’un réalisateur que son producteur n’a pas voulu contrarier. Il a été tourné dans le jardin du vieil homme au Plan-de-la-Tour dans le Var. Il n’a pas dû coûter grand-chose : une journée de tournage à peine, deux acteurs (et un troisième qui fait une courte apparition), trois décors, une caméra fixe.

Pascal Cervo donne la réplique au maître. Il fut l’un de ses acteurs fétiches, à l’affiche de plusieurs de ses films. Les deux hommes sont donc liés par une profonde amitié. Mais cela suffit-il à faire un film ? Leur dialogue n’était pas écrit. Il est largement improvisé. Ils se coupent la parole, parlent, parlent, au point de nous donner le tournis. Une révélation ouvre la dernière scène. Le film a la politesse de se terminer au bout d’une heure vingt. C’est sa seule qualité..

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Hors-service ★☆☆☆

Cinq (ou six) anciens fonctionnaires qui viennent de quitter leur emploi se retrouvent dans un hôpital désaffecté : un policier, une enseignante, une anesthésiste, une magistrate, un postier. Ils y partagent leur amertume sur le travail qu’ils ont dû abandonner faute de moyens suffisants pour le mener à bien, souvent brisés physiquement et psychiquement.

Hors-service instruit le procès de la casse du service public. Les griefs sont bien connus : les grands services publics (l’école, la Justice, la police, l’hôpital…) sont désormais régis par une logique managériale au détriment tant des usagers qui bénéficient d’un service public dégradé que des fonctionnaires soumis à une logique de rentabilité. Ceux-ci sont désormais placés dans une situation intenable : satisfaire aux critères de performance qui leur sont imposés par leur hiérarchie au risque de sacrifier leurs administrés.

Ce procès hélas n’a rien de nouveau. Il est régulièrement instruit depuis une quarantaine d’années au nom du dépenser moins, du dépenser mieux.

Le documentaire de Jean Boiron-Lajouis vise juste à s’attaquer à ce sujet-là. Mais il vise mal avec un parti pris de mise en scène déconcertant. Il a en effet choisi de rassembler ses protagonistes dans un non-lieu, dans un hôpital désaffecté qu’ils réhabilitent lentement dans le but utopique d’en faire un lieu d’accueil pour d’anciens agents publics en rupture de ban.

Tel est le fil rouge médiocrement crédible de Hors-service qui se réduit vite à de longs dialogues. Pour en rompre la monotonie, le scénariste a proposé à chacun des protagonistes de reconstituer dans une pièce son ancien bureau et d’y rejouer les gestes de sa vie quotidienne. Mais cet artifice particulièrement scolaire ne suffit pas à sortir le film de la lente spirale dans laquelle il s’enfonce : le remâchement d’une déception professionnelle. Sans doute, cet échange aura-t-il permis aux protagonistes de retrouver entre eux un peu de l’estime de soi qu’ils avaient injustement perdue. Mais, faute d’ouvrir des perspectives, ce procès à charge, qui ne laisse pas la parole à l’autre partie, se résume à une ennuyeuse psychanalyse de groupe dont le spectateur se sent exclu.

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Sous tension ★★☆☆

Costas, la trentaine, vit toujours chez sa vieille mère. Il a trouvé un poste d’agent de sécurité à l’hôpital. Il a une fiancée, plus jeune que lui, qui termine ses études à l’université, et un frère, qui élève seule une petite fille que Costas adore.

Sous tension nous vient de Grèce. Son titre original est Wishbone, qu’on aurait pu traduire « furcula » ou « os de la chance ». C’eût été aussi hasardeux que le titre finalement retenu, qui n’a aucun sens.

Sans sirtaki ni ciel bleu, Sous tension se déroule dans les décors anomiques d’une grande ville (Athènes ?) en hiver. On pense aux cinémas roumain ou iranien, à leurs héros, des « Mr Nobody » écrasés par un destin qui les broie.

Costas est pris dans un engrenage dont il ne trouve pas l’issue. Pour payer les dettes contractées par son frère et éviter que la maison hypothéquée de sa mère soit saisie, il doit accepter un marché sordide : témoigner à charge contre un médecin hospitalier dans le procès intenté par un avocat véreux suite au décès d’un patient.

Sous tension hésite entre drame social, sur fond de crise économique grecque, d’appauvrissement généralisé et de déclassement des classes moyennes, et film noir. Sans doute le propos aurait-il pu être resserré et le film tenir en moins de deux heures. Mais en dépit de ses longueurs, Sous tension n’est pas sans intérêt.

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Stups ★★★☆

Au tribunal judiciaire de Marseille comparaissent des hommes et des femmes accusés de participer au trafic de stupéfiants comme vendeurs, comme transporteurs, comme guetteurs ou comme « nourrices » (les personnes qui conservent à leur domicile les stupéfiants). Avec leurs avocats, ils essaient tant bien que mal d’infléchir le président du tribunal, qui ne se laisse pas faire, en niant les faits contre toute évidence ou en invoquant leur vie de galère, leur volonté de se réinsérer ou leur regret d’un acte isolé accompli sous la pression d’un gain élevé et facile.

Cinq ans après nous avoir fait pénétrer au cœur de la prison des Baumettes (Des hommes), Alice Odiot et Jean-Robert Viallet restent dans la cité phocéenne et y tournent un documentaire similaire, aux comparutions immédiates et chez le juge des enfants. On y voit la Justice à l’œuvre, pas celle qui fait la Une des journaux avec ses grands procès médiatiques, sur lesquels tous les internautes, surtout ceux les moins versés en droit pénal, ont un avis définitif, mais celle, quotidienne, qui juge des petits délinquants misérables impliqués de près ou de loin dans le trafic de stupéfiants.

Il y a deux façons de recevoir ce film, selon qu’on soit de gauche ou de droite. La première est d’y voir une Justice de classe, exercée par des Blancs, appartenant aux CSP les plus aisées (les bijoux dorés de la procureure rutilent), maniant une langue absconse que les accusés ne comprennent pas (ah ! les « nonobstant » de la procureure !), maniant parfois à l’égard des accusés une ironie méprisante et versant souvent dans un paternalisme déplacé. La seconde au contraire salue le travail patient des juges qui ne se laissent pas amadouer par les dénégations embrouillées des accusés et les forcent à se confronter à leurs actes et à en assumer les conséquences. Ils se féliciteront qu’à rebours de l’image qui a cours, la Justice ne soit pas si laxiste et emprisonne ceux qui lui sont déférés.

L’immense qualité de Stups est de garder le juste milieu entre ces deux lectures trop tranchées. Elle nous montre la Justice telle qu’elle est, telle qu’elle se fait, confrontée à l’humanité des inculpés qui comparaissent devant elle, mais aussi chargée de rappeler la Loi et la faire respecter. Elle interroge les différentes fonctions de la peine. Sa fonction répressive, protective et dissuasive en premier lieu : la peine sanctionne la commission d’un délit, protège la société de sa réitération et est censée dissuader l’inculpé de la récidive. Sa fonction éducative ensuite : l’accusé est censé sortir de prison dans de meilleures dispositions qu’il n’y est entré, prêt à se réinsérer dans une société qui l’avait temporairement banni.

C’est évidemment sur ce dernier point que le bât blesse. À quoi sert, nous interroge Stups, de mettre en prison des pauvres bougres auxquels la société ne propose aucun espoir et qui fatalement, dès qu’ils seront sortis de prison, comme le montrent d’ailleurs leurs casiers judiciaires bien remplis, n’auront d’autres solutions que de replonger dans la même spirale criminelle ? C’est sur cette interrogation que se clôt le documentaire, sur la condamnation à la prison ferme d’une femme toxicomane, enceinte, violentée par des dealers, acculée à servir de « nourrice » et sur le regard interrogateur de son avocat.

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