Avant d’être un biopic du « père de la bombe atomique », Oppenheimer est un film de Christopher Nolan, le onzième après des chefs-d’œuvre tels que Memento, Inception, Interstellar ou Dunkerque, où la patte du maître, ses tics et ses tocs sont reconnaissables au premier coup d’œil.
Parmi ses tics, Nolan aime déconstruire son récit en en rompant la linéarité. C’est le cas de ce biopic, sans vrai début ni fin, qui joue à saute-mouton avec la chronologie. La meilleure façon de le décrire est d’imaginer une boule de billard venant en percuter une autre qui ira en percuter une suivante puis une troisième.
La première boule de billard mue par la queue du démiurge Nolan, c’est l’histoire, classiquement racontée de la vie de Oppenheimer : ses études en Europe (à l’époque où, dans un cosmopolitisme et un multilinguisme qui se sont perdus les étudiants américains venaient dans le Vieux continent pour s’y éduquer), à Cambridge, à Leiden, à Göttingen, son retour aux États-Unis où il crée à Berkeley un département de physique théorique et met en lumière les conséquences apocalyptiques de la fusion de l’atome, jusqu’à son recrutement en 1943 pour diriger le projet Manhattan et construire au milieu du désert du Nouveau-Mexique à Los Alamos les deux bombes atomiques larguées à Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945.
La seconde, neuf ans plus tard, c’est la réunion de la commission administrative qui, en plein maccarthysme, va lui retirer son habilitation en raison de sa sympathie pour les idées communistes et de ses liens suspectés avec des espions soviétiques.
La troisième enfin dont on finira par comprendre les liens avec les deux précédentes, c’est la confirmation par le Sénat en 1959 de Lewis Strauss, l’ancien président de la Commission de l’énergie atomique, au poste de ministre du commerce dans l’administration de Eisenhower.
L’ensemble dure trois heures et s’avère un spectacle éprouvant dont on sort laminé. Car chaque seconde d’un film de Nolan se veut un sommet unique d’émotion et d’explosion. Chaque plan est souligné d’une musique envahissante et souvent superfétatoire. Au bout de trois heures d’un tel traitement on crie au génie ou au supplice. Voir un film de Nolan, c’est un peu comme lire un essai touffu dont chaque ligne aurait été stabilobossée.
Mais, si l’on passe par-dessus ces affèteries de fils prodige du cinématographe, force est de reconnaître l’immense talent de Christopher Nolan pour faire de son film une histoire haletante, sans temps mort – même si l’explosion de Trinity aux trois quarts du film constitue un climax après lequel il est difficile de rebondir – et un spectacle d’une beauté plastique étonnante – même si on peut émettre quelques réserves sur quelques séquences oniriques très « malickiennes ».
À l’heure du soi-disant nivellement par le bas par une culture hollywoodienne de masse, Nolan ne se moque pas du spectateur. Au contraire, il fait le pari sacrément culotté de son endurance – qui aujourd’hui est capable de rester trois heures de temps sans checker ses messages ? – et de son intelligence. Certes les docteurs en physique nucléaire (poke Raphaël T.) y trouveront à redire qui trouveront que les mécanismes de la fusion et de la fission sont caricaturalement exposés. Certes ceux des relations internationales (poke moi) estimeront bien simplistes l’opposition entre les bellicistes à tous crins, Folamours partisans de la course aux armements, et les pacifistes en faveur de leur limitation.
Mais pour autant Oppenheimer reste un spectacle hors norme, éreintant mais aussi enthousiasmant, qui dépasse de la tête et des épaules le tout-venant et qui laissera une marque durable chez ses spectateurs et dans l’histoire du cinéma.