What Happened, Miss Simone? ★★☆☆

Nina Simone fut sans doute l’une des plus grandes chanteuses de jazz. On lui doit quelques uns des standards les plus connus du siècle dernier : My Baby Just Cares for Me, Don’t Let Me Be Misunderstood, I Put a Spell on You… Mais ce fut aussi une rebelle, victime du racisme et des violences conjugales, atteinte de troubles bipolaires tardivement diagnostiqués, qui s’engagea sans retenue dans la lutte contre les discriminations  au risque de compromettre sa carrière.
En 2015, Netflix qui n’était pas encore l’immense plateforme qu’elle allait devenir, avait fait beaucoup de publicité autour de la sortie de ce documentaire. Le confinement et le tarissement rapide d’un catalogue de films, que je trouve moins riche que je l’escomptais, me permettent de le découvrir tardivement.

Très classiquement, What Happened, Miss Simone? raconte l’histoire d’une vie. Celle d’une enfant de Caroline du nord qui rêvait de devenir la première pianiste classique noire. Elle ne réalisa pas ce rêve (la légende veut qu’elle ait été refusée par l’Institut Curtis à raison de sa race, accusation dont se défend l’institut qui invoque la présence parmi ses élèves de jeunes pianistes de couleur) ; mais elle fit mieux et devint immensément célèbre par d’autres voies.

Elle joua d’abord dans des bars, à Atlantic City puis à New York pour financer ses cours de piano. En 1957, elle enregistre I Loves You, Porgy de Gershwin qui devient un succès du box office. Sa carrière est lancée. Un ancien officier de la brigade des mœurs, Andrew Stroud,  y veille, qui devient son agent puis son mari et le père de sa fille.

Mais à partir de la fin des années soixante, Nina Simone se radicalise. Elle prend une part de plus en plus active dans le combat pour les droits civiques, n’hésitant pas à afficher sa sympathie avec les militants les plus violents de la cause. Elle ne supporte plus le « système » qu’elle accuse de tous les maux. Elle refuse la logique du show business, quitte les Etats-Unis pour la Barbade, puis pour le Libéria et enfin pour la France, ne consentant à remonter sur scène que lorsque sa situation financière l’y accule.

What Happened, Miss Simone? remplit honnêtement son cahier des charges en racontant la vie de la chanteuse et  en nous en faisant écouter les titres les plus connus (on regrette l’absence de son interprétation déchirante du Ne me quitte pas de Brel). Il effleure une question à laquelle il ne répond pas et à laquelle il n’y a peut-être pas de réponse : Nina Simone a-t-elle sombré dans la rébellion paranoïaque à l’ordre américain à cause de ses antécédents médicaux ? ou bien sa prise de conscience du racisme structurel qui gangrène les Etats-Unis a-t-elle eu raison de son équilibre mental et de sa santé physique ?

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La Fille du RER (2009) ★☆☆☆

Jeanne (Emilie Duquenne) est orpheline de père. Elle vit avec sa mère Louise (Catherine Deneuve) dans un modeste pavillon de la banlieue parisienne. Sans emploi, elle rencontre Franck (Nicolas Duvauchelle), un sportif séduisant hélas mêlé à de louches combines qui sera bientôt victime d’une agression.
Plus jeune, Louise avait été courtisée par Samuel Bleistein (Michel Blanc) devenu depuis un avocat célèbre. Samuel a un fils Alex (Mathieu Demy), sur le point de divorcer de son épouse (Ronit Elkabetz), et un petit-fils Nathan.
Le jour où Jeanne simule une agression antisémite dans le RER, vite montée en épingle dans les médias, c’est vers Samuel que Louise se tourne pour la conseiller et la défendre.

Un fait divers avait fait sensation en juillet 2004. Une jeune femme, lacérée de coups de couteaux, le ventre tagué de trois croix gammées, avait porté plainte au commissariat d’Aubervilliers. Elle affirmait avoir été attaquée dans le RER D par une bande de six jeunes de banlieue sans susciter de réactions des autres voyageurs. L’information, relayée par l’Agence France presse, enflamma l’opinion publique et la classe politique. Le Monde, Le Figaro, Libération firent leur une sur la résurgence de l’antisémitisme, la violence des « nazis de banlieue » maghrébins et africains et « l’odieuse passivité » des autres voyageurs. Mais deux jours plus tard, la jeune femme avoua à la police avoir tout inventé pour attirer l’attention de son compagnon. Elle fut condamnée à quatre mois de prison avec sursis et à une obligation de soins pour « dénonciation de crime imaginaire ».

André Téchiné adapte la pièce de théâtre, RER, que Jean-Marie Besset avait tiré des faits. Deux options s’offraient à lui. Il écarte la première : il ne dira quasiment rien de l’emballement médiatique suscité par le faux témoignage de la jeune femme – ni du mea culpa piteux auquel la révélation de la vérité a obligé les rédactions quelques jours plus tard. Il se concentrera sur la pseudo-victime et sur son entourage proche.

Ce parti pris n’est en rien critiquable. La question que soulève cette affaire est en effet fascinante : comment une jeune femme de vingt-trois ans peut-elle en arriver à simuler une telle agression ? Hélas, l’option retenue par André Téchiné pour y répondre déconcerte. Au lieu de se focaliser sur son héroïne, au lieu de traquer dans son histoire, dans son comportement, les motifs de son geste, le réalisateur – qui comme dans chacun de ses films cosigne le scénario – noie son héroïne dans une foule de caractères parasitaires et d’intrigues secondaires. Particulièrement inutile apparaît l’histoire de Samuel Bleistein, de son fils, de sa belle-fille et de son petit-fils, qui occupe pourtant un bon tiers du film.

Il aurait fallu ne pas lâcher d’une semelle Jeanne, interroger chacun des petits mensonges avec lesquels elle se plaisait à enjoliver sa vie, scruter le point de bascule où ces petits mensonges vont se muer en un plus gros, comprendre pourquoi elle utilise le ressort, diablement explosif, de l’antisémitisme (on la voit seulement verser une larme devant un documentaire sur la Shoah). Faute de n’en rien faire, La Fille du RER, malgré la qualité de sa distribution plaqué or, se condamne à rester à la surface des choses et des êtres.

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40 ans, toujours dans le flow ★★☆☆

Radha Blank est en pleine crise de la quarantaine. Voilà plus de dix ans qu’elle n’a pas réussi à concrétiser les espoirs que ses premières œuvres théâtrales avaient fait naître malgré les efforts que déploie son agent et ami d’enfance. Célibataire, en surpoids, elle vit à Harlem dans un appartement exigu et peine à faire le deuil de sa mère qui vient de mourir. La production de sa prochaine pièce l’oblige à des compromis auxquels elle se refuse. En attendant, elle vivote en donnant des cours de théâtre dans un lycée dont les élèves lui mènent la vie dure.

L’autobiographie de l’auteur en proie au doute créatif est un genre éculé. C’est, tout bien considéré, assez logique : les auteurs qui cherchent désespérément un sujet d’inspiration finissent tous immanquablement par écrire sur leur expérience immédiate de l’angoisse de la page blanche. C’est aussi un genre dangereux qui court les risques alternatifs ou cumulatifs du nombrilisme, de la complaisance et de l’insignifiance : quoi de plus égocentrique et de plus ennuyeux qu’un auteur en train de raconter le vide de sa vie ?

Radha Blank parvient avec beaucoup de pudeur à éviter ces embûches.
Certes son autobiographie ne bouleverse pas les canons du genre et ne réserve guère de surprises. Comme on s’y attendait, il n’y a pas un plan qui ne la montre, seule chez elle, sur le chemin de son lycée, avec ses élèves, en compagnie de son agent ou bien encore durant les répétitions de sa pièce. Son omniprésence pourtant n’est pas envahissante ; car elle fait preuve de tant d’humour, de tant de lucidité qu’on ne peut très vite que s’attacher à elle. Les dialogues sont ciselés. Aucun ne provoque d’éclat de rire ; mais tous font naître une émotion.

Tourné dans un noir et blanc velouté, en 35mm, 40 ans, toujours dans le flow (traduction calamiteuse de The Forty-Year-Old Version) se déroule à Harlem, dans le nord de Manhattan. Il réussit le pari paradoxal de filmer New York avec élégance sans en montrer aucun des clichés caractéristiques.

L’autobiographie de Radha Blank est aussi l’histoire d’une hésitation et d’une bifurcation : Radha continuera-t-elle à écrire des pièces de théâtre en usant jusqu’à la corde des sujets qu’elle et d’autres ont déjà explorés ? ou osera-t-elle avec le beau D, malgré leur différence d’âge, slamer ses textes sur une musique de rap ? La conclusion est sans surprise ; mais elle sonnera comme un message d’espoir pour tous ceux qui traversent la crise de la quarantaine en désespérant de se réinventer.

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JC comme Jésus Christ (2011) ★☆☆☆

Jean-Christophe Kern (Vincent Lacoste) est un jeune génie du cinéma. Son premier film a décroché la Palme d’or à Cannes à quinze ans et une moisson de Césars. Le cinéaste, aussi talentueux qu’immature, prépare le deuxième au sujet transgressif : une comédie musicale sur les Dutroux. Une équipe de documentaristes l’accompagne.

Faux documentaire tourné par un acteur,  JC comme Jésus Christ est une satire du monde du cinéma qui ne recule devant aucune outrance. Jonathan Zaccai qui, à l’époque, n’avait pas encore perdu son pied dans Le Bureau des légendes, prend le parti du documenteur en convoquant une brochette d’acteurs (Elsa Zylberstein, Aure Atika, Gilles Lellouche, Kad Merad…) pour jouer dans leur propre rôle. Sa bande-annonce donne le ton qui suscite l’envie de voir ce film… ou pas

JC comme Jésus Christ contient quelques scènes passablement drôles, comme celle où Gilles Lellouche tente de convaincre Vincent Lacoste qu’il ferait un parfait Marc Dutroux. Mais son scénario est trop lâche – qui manifestement ne sait pas comment se terminer – sa réalisation trop dilettante – on retrouve les quatre mêmes malheureux décors – sa durée trop courte – soixante-seize minutes à peine – pour être pris au sérieux. Le film a fait un bide à sa sortie en salles début 2012. MK2 le propose gratuitement en ligne pour tous les orphelins du cinéma. Pas sûr que ce soit leur rendre service….

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War Machine ★★★☆

Quand le général McChrystal est nommé en 2009 à la tête de l’ISAF, la coalition des forces armées en Afghanistan, la guerre y dure depuis déjà huit ans sans perspective réaliste d’une issue victorieuse. Certes, les talibans ont été chassés de Kaboul et se terrent à la frontière pakistanaise. Mais le pays, lesté par ses traditions, foncièrement hostile aux forces d’occupation, peine à se reconstruire. L’armée américaine et celles de ses alliés, taillées pour gagner la guerre, peinent à gagner la paix.

Michael Hastings, un journaliste de Rolling Stone, signa un reportage qui provoqua le départ anticipé de McChrystal de son commandement. Il en tira ensuite un livre, The Operators.
C’est ce livre volontiers ambigu que David Michôd, le réalisateur australien de Animal Kingdom et Le Roi, porte à l’écran.

War Machine est un film désarmant qui hésite constamment entre deux registres : d’un côté la réflexion très fine sur l’interventionnisme militaire dans l’après-guerre froide, de l’autre la bouffonnerie vers laquelle le tire l’interprétation outrée par Brad Pitt de son héros.

Car Brad Pitt en fait des tonnes pour caricaturer le malheureux général McChrystal qui n’en méritait pas tant – et dont on serait curieux de connaître la réaction à ce spectacle embarrassant. Quelque part entre le Patton de George C. Scott (Oscar – refusé – du meilleur acteur en 1971) et Le Dictateur de Sacha Baron Cohen, Brad Pitt force le trait, campant un général droit dans ses bottes, affublé de tics (regardez ses pouces !), entouré d’une bande de joyeux drilles qu’on croirait tout droit sortis de M*A*S*H ou d’un épisode des Têtes brûlées (vous vous souvenez de la série avec Robert Conrad que vous regardiez sur Antenne 2 à la fin des années 70 ?). Il croise un président Karzai pas moins caricatural, interprété par Ben Kingsley dans deux scènes désopilantes.

Le film manque de prendre définitivement le virage de la comédie loufoque. C’eût été un choix radical et pourquoi pas envisageable. La réussite dans ce registre des Chèvres du Pentagone ou de La Guerre selon Charlie montre qu’on peut rire des guerres menées par les Etats-Unis en Afghanistan ou en Irak. Mais, assez miraculeusement, War Machine reste du début à la fin dans un entre-deux qui se révèle diablement stimulant. Il ne va jamais jusqu’au bout de sa loufoquerie. Il continue inébranlablement à traiter sérieusement d’un sujet sérieux : l’incapacité d’une force militaire d’occupation à reconstruire un pays conquis. Et le regard qu’il porte sur ce sujet reste incroyablement balancé, et donc très stimulant (à la différence d’un M*A*S*H qui versait dans une posture antimilitariste pas très fine selon moi).

Ce film déconcertant réussit à la fois à nous faire rire et à nous faire réfléchir. Double pari qu’on pensait impossible à réussir simultanément.

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Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (1986) ★★☆☆

Nola Darling est une femme indépendante et libérée qui habite son propre appartement à Brooklyn. Elle a trois amants entre lesquels son cœur – et son cul – balancent. Jamie Overstreet est un poète romantique. Mars Blackmon (Spike Lee himself) a pour lui un irrésistible sens de l’humour. Greer Childs est un macho narcissique. Nola Darling a aussi une voisine lesbienne qui lui fait du rentre-dedans.

Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (traduction audacieuse mais pas si mauvaise du titre original  She’s Gotta Have It) est le premier long métrage de Spike Lee. Tourné en 1986, il a connu une seconde jeunesse avec la série télévisée qui en a été tirée et dont les deux saisons ont connu sur Netflix en 2017 et 2019 un vif succès. Le canevas sur lequel il est construit se prête en effet bien à des déclinaisons : faire le portrait d’une femme à travers celui de ses amants.

Spike Lee, qui présidera le prochain jury du festival de Cannes, est souvent présenté comme le cinéaste d’une cause : celle de l’égalité des droits de la communauté noire aux Etats-Unis. Certes, il a passé sa vie à filmer des Afro-Américains : Do the Right Thing, Jungle Fever, Malcom X, etc. Mais ses films ne versent pas pour autant dans un militantisme obsessionnel. Spike Lee filme les Noirs comme Woody Allen ou Éric Rohmer filme les Blancs : dans leur vie de tous les jours.

C’était déjà le cas de son premier film. Son manque de moyens saute aux yeux : le son est crachotant, le cadrage pas toujours maîtrisé, la direction d’acteurs trop flottante… Son scénario ressemble un peu à ceux qu’on ânonne en dernière année d’école de cinéma. Mais son sujet n’a rien perdu de sa modernité – ce qui explique d’ailleurs le succès de la série qui en a été tiré : Nola Darling n’en fait qu’à sa tête dresse le magnifique portrait d’une femme libre et celui d’une masculinité, sous trois formes différentes, obligée à se remettre en question face à la revendication montante d’une émancipation féministe.

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Cherry ★☆☆☆

Un jeune homme anonyme (Tom Holland) tombe amoureux sur les bancs du lycée d’Emily (Ciara Bravo). Dévasté de chagrin après sa rupture, il décide de s’engager dans l’armée. Mais le couple se reforme et les deux amoureux se marient juste avant ses classes et son départ pour l’Iraq. Il y servira comme infirmier et y verra mourir sous ses yeux plusieurs de ses frères d’armes.
Revenu deux ans plus tard, durablement traumatisé, il se soigne à l’oxycodone et développe une sévère dépendance. Il entraîne Emily dans ses addictions. Pour financer sa drogue, il n’a d’autre alternative que de devenir braqueur de banques.

Cherry est l’adaptation fidèle de l’autobiographie de Nico Walker qui a vécu le même parcours que son héros – à l’exception peut-être de son dénouement – et en a tiré un livre qui est vite devenu un best-seller. Ses droits furent immédiatement acquis par les frères Russo, les réalisateurs de quatre films de l’univers cinématographique Marvel : deux Captain America et deux Avengers (que je dois avouer, le rouge au front, n’avoir pas vus). Pour interpréter le héros de Cherry, ils ont recruté le jeune Tom Holland qui démontre ici qu’il est capable d’endosser d’autres rôles que celui de Spiderman.

Cherry est un film long, trop long (deux heures et vingt-deux minutes), auquel on ne saurait reprocher son manque de réalisme, mais qui brasse trop de sujets pour convaincre tout à fait. Dans sa première partie, il raconte la plongée dans l’enfer de la guerre d’un jeune conscrit. Le choix du titre – « Cherry » désigne le puceau, le bleu, le bleu-bite – et le sous-titre qui l’accompagne dans sa version québécoise (« l’innocence perdue ») semble indiquer que c’est là le sujet principal du film. Il a déjà été souvent traité : par Stanley Kubrick dans Full Metal Jacket, par Oliver Stone dans Platoon, par Sam Mendes dans Jarhead ou, plus récemment, dans 1917.

Dans sa seconde partie, Cherry traite d’un sujet différent, même s’il n’est pas sans lien avec le premier : la plongée dans l’enfer de la drogue provoquée par le PTSD (post traumatic stress disorder) que le héro ramène d’Iraq.
Là encore, le thème n’est pas nouveau. Beaucoup de films, parmi les plus grands, ont évoqué le traumatisme des soldats de retour du front : Taxi Driver, Voyage au bout de l’enfer, Rambo, Né un 4 juillet, Démineurs, American Sniper ou, plus récemment Un jour dans la vie de Billy Lynn
Beaucoup d’autres ont traité de la spirale de l’addiction : Leaving Las Vegas (un de mes films préférés), Requiem for a Dream (idem), Las Vegas Parano, Trainspotting, Drugstore Cowboys, Breaking Bad (le couple que forment les deux héros de Cherry n’est pas sans rappeler Jesse Pinkman et sa compagne héroïnomane) ou plus récemment le très sensible My Beautiful Boy.

La circonstance qu’un sujet ait été traité au cinéma est-il une condition suffisante pour disqualifier le film suivant qui le traitera ? Certes pas. L’affirmer serait condamner le cinéma à une épuisante fuite en avant (même si certains des films les plus réussis des vingt dernières années sont précisément ceux qui s’aventurent sur des terrains jamais défrichés : Eternal Sunshine of a Spotless Mind, The Artist, La Forme de l’eau, La La Land, Parasite ….). L’affirmer charrie en outre une part de snobisme que je reconnais et que j’assume : « Ah ah ah ! bande d’analphabètes ! vous n’avez pas honte de ne pas avoir vu tel et tel film austro-hongrois en noir et blanc qui déjà, en 1912, traitait du même sujet ! »

Il n’en demeure pas moins que le cinéphile, parfois un peu élitiste, qui regarde Cherry a envie de dire à ceux qui seraient tentés de le regarder aussi : « Laissez tomber Cherry et regardez plutôt Full Metal Jacket et/ou American Sniper et/ou Leaving Las Vegas« .

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Les Producteurs (2005) ★★☆☆

Max Bialystock (Nathan Lane) n’est plus que l’ombre de lui-même. Ses productions à Broadway enchaînent les flops. L’échec de la dernière en date, une adaptation soi-disant comique de Shakespeare, le laisse désespéré et ruiné. Mais son comptable, Léopold Bloom (Matthew Broderick) lui souffle une idée paradoxale : produire un énorme bide pourrait le rendre très riche.
Aussi les deux hommes bientôt rejoints par Ulla, une improbable secrétaire suédoise (Uma Thurman), se mettent-ils en tête de réaliser la pire comédie musicale jamais produite à Broadway. Ils cherchent d’abord la pire pièce jamais écrite et pense l’avoir trouvée avec l’œuvre d’un nazi repenti (Will Ferrell), Springtime for Hitler. Pour la monter, ils recrutent le plus gay des metteurs en scène (Gary Beach).

La publication d’une caricature de Charlie Hebdo sur mon mur Facebook a récemment suscité une discussion enflammée sur le thème « Peut-on rire de tout ? ». La conclusion, intelligente quoique aujourd’hui un peu convenue, convoqua Desproges : « Oui, mais pas avec n’importe qui ». Dans le cours de la discussion un ami évoqua le film de Mel Brooks sorti en 1968, qui inspira au début des années 2000 une comédie musicale à succès laquelle fut portée à l’écran en 2005. Il me recommanda chaleureusement de la voir. Je suivis son conseil.

En effet, Les Producteurs repose – en partie – sur une idée sacrément transgressive : faire rire d’Adolf Hitler. L’idée n’est pas nouvelle. Charles Chaplin l’a utilisée dès 1940, avec un génie indépassable dans Le Dictateur. Puis Ernst Lubitsch en a fait un des ressorts du cultissime To Be or Not to Be – dont Mel Brooks produira en 1983 un remake assez navrant. Cinquante ans plus tard, Roberto Benigni a signé avec le succès que l’on sait La vita è bella.
Cette dimension est portée par le personnage de Franz Liebkind (littéralement Franz l’enfant adorable) qui élève sur les toits de New York des pigeons voyageurs pour correspondre avec ses amis allemands en Argentine, porte des lederhosen, est toujours coiffé d’un Stahlhelm M35 et entonne volontiers des champs hitlériens. Le personnage, interprété avec la bouffonnerie qui le caractérise, par Will Ferrell, est hilarant. Il l’est plus encore si l’on pense que le scénario date de 1968 et qu’il a été écrit par un juif germano-russe qui donne aux deux personnages principaux, pour le premier, le nom d’une ville de Pologne vidée de ses habitants par la Shoah et, pour le second, un patronyme juif (déjà utilisé par Joyce dans Ulysses).

Les Producteurs est une bouffonnerie qui ne recule devant aucune outrance. Son scénario est, à y regarder de plus près, complètement dénué de crédibilité tout en étant bigrement ironique : il s’agit de réaliser une comédie musicale à Broadway qui parle de la réalisation de la pire comédie musicale jamais produite à Broadway ! Ses personnages en font des tonnes, à commencer par le héros Bialystok condamné à séduire des octogénaires crédules pour financer sa pièce et par son acolyte, Bloom, un comptable introverti qui va se libérer de ses névroses au contact de la belle Ulla (qui lui prend vingt bon centimètres au garrot).

Si on est de bonne humeur et indulgent, si on aime les comédies musicales (c’est mon cas !) et leurs inévitables longueurs, on se laissera séduire par Les Producteurs. En révisant mes fiches, j’ai réalisé à mon plus grand étonnement que je l’avais en fait déjà vu à sa sortie en 2006. Je n’en avais pas gardé le moindre souvenir alors pourtant que c’est le genre de film qui ne s’oublie pas facilement. Plus étonnant encore, je lui avais mis à l’époque…. zéro étoile, signe que je n’avais pas, mais alors pas du tout, aimé.
Double conclusion pessimiste : 1. je perds la mémoire 2. mon jugement, qui varie du tout au tout à quinze ans d’intervalle, n’a décidément aucune consistance et vous, cher lecteur, me donnez plus de crédit que je n’en mérite en vous y fiant.

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Good Luck Algeria ★★☆☆

Amis de toujours, Samir Zitouni (Samir Bouajila) et Stéphane Duval (Franck Gastambide) fabriquent et vendent en Savoie des skis de fond haut de gamme 100 % français. Mais leur PME bat de l’aile après la défection d’un sponsor. Pour lui donner la publicité qui lui manque et lui éviter la faillite, Stéphane a une idée audacieuse : qualifier Samir aux Jeux olympiques sous les couleurs de l’Algérie. Samir réussira-t-il à se hisser au niveau ? réussira-t-il surtout à se réconcilier avec sa double identité ?

Good Luck Algeria est inspiré d’une histoire vraie. Noureddine Maurice Bentoumi, le frère du réalisateur, de père algérien et de mère française, a représenté l’Algérie aux épreuves de ski de fond des championnats du monde en 2005 et des Jeux olympiques de Turin en 2006.

Le pitch est séduisant et on comprend aisément qu’il ait convaincu les producteurs de ce feel-good movie. Sa réalisation en revanche est moins convaincante. Elle veut traiter de front, au risque de les effleurer, trois sujets.
Le premier, le plus évident, est celui du défi sportif dont on sait par avance sans suspense comment il va être relevé : avec un coaching intensif dans la neige façon Rocky IV, alternant euphorie des cimes et désespoir des mauvais chronos avant le succès final.
Le deuxième est purement fictif : il s’agit du film social façon Ken Loach, auquel ne manque que Vincent Lindon, sur les difficultés financières d’une petite entreprise face à la crise.
Le troisième est le plus personnel. Revêtir le maillot algérien suppose pour Samir une difficile confrontation à son identité. Parfait produit de l’intégration républicaine, diplômé d’une école d’ingénieur, marié à une Française (Chiara Mastroianni remarquable d’abnégation dans un rôle en demi-teinte), Samir avait toujours renié sa double nationalité. Good Luck Algeria enfonce le clou avec un chouïa trop d’insistance, nous infligeant un retour au pays natal, en Algérie, dont ce film de quatre-vingt-dix minutes aurait pu faire l’économie.

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Madadayo (1993) ★☆☆☆

Le professeur Uchida (Tatsuo Matsumura) enseigne l’allemand dans un lycée de garçons. Alors que la guerre fait rage, il décide de prendre une retraite anticipée après trente années de services pour vivre de sa plume. Ses anciens élèves lui restent indéfectiblement attachés tout au long de sa retraite. Chaque année, ils organisent un banquet en son honneur. Ils l’aident à trouver un logement quand sa maison est détruite par un bombardement. Ils remuent ciel et terre pour retrouver Nora, le chat de gouttière auquel le professeur s’était tant attaché et dont la disparition l’afflige.

Diffusé gratuitement pendant une semaine sur le site mk2curiosity.com, Madadayo est le dernier film du grand réalisateur Akira Kurosawa (à ne pas confondre avec son homonyme Kiyoshi Kurosawa dont j’ai écrit ici, il y a quelques semaines, le mal que j’en pensais). Il est difficile de ne pas voir, dans le portrait qu’il dresse d’un vieux maître au seuil de la mort, une autobiographie crépusculaire et fantasmée.
Crépusculaire car son sujet, qui devait toucher le réalisateur alors âgé de quatre-vingt-trois ans et qui allait mourir cinq ans plus tard, est la fin de la vie d’un homme.
Fantasmée. Car c’est la fin de vie qu’on rêverait tous d’avoir : paisible et entourée de l’admiration de ses proches.

Le professeur Uchida a pour seule famille son épouse qui veille sur lui avec la dévotion silencieuse d’une servante – une posture qu’on ne peut pas ne pas remarquer, vue d’Occident où les rôles conjugaux sont plus égalitaires, et vue d’une époque où le féminisme a bien progressé. Il a recueilli un chat de gouttière dont la disparition l’écrase de chagrin. On imagine qu’il s’agit de la métaphore d’un enfant adopté (?) et peut-être disparu brutalement (au combat ?) auquel le film ne fait pourtant aucune allusion.

Sa seule famille, ce sont ses élèves, dont on ne comprend pas les motifs de la dévotion qu’ils vouent à leur enseignant. Car le professeur Uchida n’a rien d’héroïque. Rien ne transparaît de sa production intellectuelle ni de son œuvre littéraire. Au contraire, Kurosawa, très prosaïque, le dépeint comme un vieux monsieur banal et enfantin, qui a peur du noir et des orages.

Le problème de Madadayo est qu’il dure plus de deux heures mais n’a pas grand-chose à raconter. Certes, le personnage de Uchida est intéressant – comme l’est celui, quoique très effacé, de son épouse, qui a valu à son interprète plusieurs prix d’interprétation. Mais une fois, le cadre de l’histoire posé – le professeur dans sa retraite solitaire, ses élèves qui s’occupent de lui – rien ne se passe sinon la réitération des mêmes scènes répétitives, jusqu’à la mort du maître (s’agit-il d’un spoiler ?).

La bande-annonce