Unbelievable ★★★☆

La jeune Marie Adler n’a pas eu une enfance facile. Maltraitée par ses parents, déplacée d’une famille d’accueil à une autre, elle est à dix-huit ans violée, chez elle, par un inconnu menaçant. Sa réaction déconcertante et les incohérences de son témoignage conduisent la police à mettre en doute sa parole. Sous la pression, Marie retire sa plainte. Elle est bientôt poursuivie pour faux témoignage et son nom est jeté en pâture à la presse.
Trois ans plus tard, dans un autre État américain, plusieurs viols sont commis selon le même modus operandi. Deux inspectrices tenaces n’ont de cesse d’en découvrir l’auteur. L’enquête permettra ainsi de rendre justice à la jeune Marie dont la parole n’avait pas été écoutée.

Les agressions sexuelles, les femmes qui en sont victimes, leurs difficultés à faire entendre leur témoignage : le sujet est d’une brûlante actualité. Unbelievable s’en empare à bras-le-corps, à commencer par son titre, d’une intelligente polysémie : impossible à croire, le témoignage de cette victime ? impossible à croire les épreuves qu’elle a dû traverser jusqu’à ce que la vérité éclate ?

Unbelievable a une immense qualité : le scénario, inspiré d’une histoire vraie qui s’est déroulée entre 2008 et 2011 et qui a fait l’objet d’une longue enquête journalistique couronnée par le Prix Pulitzer, ne sombre jamais dans le manichéisme. Si la violence systémique subie par Marie est clairement dénoncée, elle s’exprime à travers des personnages qui, tous, de sa mère adoptive qui comprend d’autant moins la réaction de la jeune fille qu’elle a elle-même été violée vingt ans plus tôt, aux deux inspecteurs qui remettent en cause son témoignage, se comportent avec elle avec une douceur melliflue.

Unbelievable a une autre qualité : sa durée. La mini-série de huit épisodes dure au total près de sept heures, ce qui laisse à la narration le temps de prendre son temps, le temps par exemple de nous entraîner sur une fausse piste là où un film de deux heures ne saurait se le permettre.

Mais Unbelievable a pour autant un défaut. Son titre, son pitch nous laissent augurer une histoire qui aurait pu se suffire à elle-même : celle d’une femme violée dont le témoignage n’est pas cru. Mieux, elle aurait pu laisser planer un suspense : Marie a-t-elle été vraiment victime du viol qu’elle déclare avoir subi ? Mais la série ne prend pas cette direction-là. Dès les premières images, aucun doute n’est permis : le viol a bien eu lieu.
La série prend une autre direction. Elle nous entraîne au Colorado, dans une enquête policière sur les traces du violeur en série dont on comprend bien vite qu’il a attaqué Marie trois ans plus tôt à près de deux milles kilomètres de là.

Certes, la traque par Toni Collette et Merritt Wever de ce violeur suffit à nous tenir en haleine pendant les sept derniers épisodes. Mais on y perd malheureusement de vue ce qui aurait dû rester au centre de la série. Si j’avais eu mon stylo rouge, j’aurais écrit : « très bien, mais attention au Hors sujet ».

La bande-annonce

Pain, amour, ainsi soit-il (1955) ★★☆☆

L’ancien militaire Antonio Carotenuto (Vittorio De Sica) a décidé de prendre sa retraite à Sorrente, sa ville natale. Il y retourne accompagné de sa fidèle gouvernante Caramella (Tina Pica) pour apprendre par son frère que la locataire de sa maison natale, l’exubérante Sofia (Sophia Loren), refuse de la quitter. De guerre lasse, Antonio et Caramella se logent chez Dona Violante (Léa Padovani), une Sorrentine très pieuse.
Toujours vert et séducteur, Antonio a tôt fait de s’enflammer pour Sophia qu’il poursuit de ses assiduités. La jeune femme joue de la séduction qu’elle exerce en obtenant du vieux coq la prolongation de son bail et pour Nicola (Antonio Cifarella), le jeune et beau pécheur qu’elle aime en secret, un emploi de policier municipal.

Pain, amour et ainsi soit-il est le troisième et dernier volet d’une trilogie mettant en scène le génial Vittorio de Sica dans le rôle d’un carabinier entre deux âges, séducteur impénitent. Pain, Amour et fantaisie avait eu un tel succès en 1953 qu’une suite en fut immédiatement tournée l’année suivante avec le même réalisateur (Luigi Comencini) et les mêmes acteurs (Vittorio De Sica, Gina Lollobrigida, Marisa Merlini…). Pour le troisième opus, Dino Risi remplace Luigi Comencini et Sophia Loren Gina Lollobrigida, partie à Hollywood glaner une gloire qu’elle ne trouvera pas. Vittorio De Sica reste fidèle au poste, quitte à verser dans un cabotinage parfois bien laborieux.

La jeune Loren a vingt ans à peine quand elle tourne Pain, amour, ainsi soit-il. Coachée par Carlo Ponti, son aîné de vingt-deux ans et son futur mari, elle est déjà connue pour sa participation au concours de Miss Italie quatre ans plus tôt, pour quelques photos dénudées dont la censure italienne n’a fait qu’augmenter la curiosité qu’elles avaient suscitée et pour quelques petits rôles. Sa provocante sensualité explose dans ce film. Le mambo qu’elle danse devant un Vittorio De Sica mesmérisé annonce celui de Brigitte Bardot, l’année suivante, dans Et Dieu… créa la femme.

Pain, amour, ainsi soit-il marque, dans l’histoire du cinéma italien, le passage du néo-réalisme d’après-guerre à la comédie bouffonne des années soixante, et dans l’histoire de l’Italie, la fin des années noires et le début des Trente Glorieuses. Pain, amour, ainsi soit-il n’est pas un grand film et n’a pas la prétention de l’être. C’est un film joyeux et lumineux dont la conclusion, certes prévisible, dévoile la profondeur. Il a mieux vieilli que bien des films de cette époque.

Un extrait

Deutschland 86 ★★★☆

1986. Gorbachev est arrivé au pouvoir en URSS et fait souffler un vent nouveau dans le Bloc de l’Est. La RDA prend l’eau. Acculée à la faillite, elle doit trouver à tout prix des capitaux, quitte à renier ses idéaux. La rentabilité financière des opérations qu’il mène est devenue le mètre-étalon du HVA, le service d’espionnage est-allemand où Annett Schneider (Sonja Gehrardt) travaille désormais avec l’enthousiasme des néophytes.
Après sa précédente mission, Martin Rauch (Jonas Nay) est parti se faire oublier en Angola où il enseigne l’allemand dans un orphelinat. Mais sa tante Lenora (Maria Schrader), que les services secrets ont dépêchée au Cap pour soutenir l’ANC face au régime raciste sud-africain, le convainc de reprendre du service.

Le succès de Deutschland 83 appelait une suite qui se déroule trois ans plus tard et met en scène les mêmes personnages. L’arrière plan historique y est utilisé avec autant d’intelligence que dans la précédente saison. Deutschland 83 se déroulait en pleine guerre froide ; Deutschland 86 a pour cadre son crépuscule.

Plusieurs fils narratifs se tissent et s’entrecroisent : le retour de Martin en Europe à la recherche du fils qu’il a eu trois ans plus tôt avec Annette, les tests sous-traités à la RDA de nouveaux médicaments, parfois toxiques, contre le Sida dont la découverte pousse une médecin est-allemande à tenter de franchir le mur avec sa famille, l’installation à Berlin après son coming-out d’Alexandre Ebel, l’un des héros de la précédente saison, et son pacifisme sincère mais instrumentalisé par Tobias Tischbier, un parlementaire ouest-allemand infiltré par le HVA, « l’Opération Croisière » montée pour tourner l’embargo sud-africain sous couvert d’une croisière de luxe pour les prolétaires à bord d’un paquebot faisant route vers Le Cap, etc.

Les trois premiers épisodes de Deutschland 86 sont un peu déroutants qui s’égarent en Afrique australe dans une intrigue à laquelle on peine à s’intéresser. Mais, quand après un détour par la Libye de Kadhafi – dont la RDA soutenait les menées terroristes – l’action se recentre sur Berlin, on retrouve dans les derniers épisodes de la saison la même fièvre que dans Deutschland 83.

La bande-annonce

Play It as it Lays (1972) ☆☆☆☆

Maria Wyeth (Tuesday Weld) est une star du cinéma qui s’est brûlée les ailes trop jeune. Le premier plan du film la montre déambulant dans les allées du jardin de la clinique psychiatrique où elle a été internée, après le suicide de son ami BZ Mendenhall (Anthony Perkins).
Le film, construit en long flashback, revient sur la vie de Maria. Elle a grandi dans une minuscule ville du Nevada, depuis rayée de la carte, entre un père accro à la roulette et une mère dépressive. Elle a très tôt connu le succès à New York où elle a rencontré son premier mari. Mariée en secondes noces au réalisateur Carter Lang (Adam Roarke) qui l’a dirigée dans ses deux films, elle s’est progressivement éloignée de lui jusqu’à en divorcer. Elle multiplie les liaisons d’un soir, tombe enceinte de Les Godwin (Richard Anderson), un scénariste, se fait avorter de l’enfant qu’elle porte. Elle passe ses journées à sillonner les autoroutes de la métropole de Los Angeles au volant de sa Corvette jaune.

Play It as it Lays est un film de Frank Perry sur un scénario écrit par Joan Didion et son mari John Gregory Dunne. Je n’en avais jamais entendu parler avant de voir le mois dernier, le documentaire consacré par Netflix à l’auteure américaine dont je venais de lire le bouleversant récit autobiographique L’Année de la pensée magique. J’ai eu envie de lire Maria avec et sans rien et de regarder parallèlement le film qui en avait été tiré deux ans plus tard. Je l’ai trouvé sur Youtube, en v.o., sans sous-titres, dans une version restaurée au son grésillant et à l’image baveuse. S’agissait-il d’une version piratée ? ou tombée dans le domaine public et désormais libre de droits ?

J’aime beaucoup faire l’aller-retour entre un livre et le film qui en a été tiré. Il est d’usage de considérer que le livre est toujours supérieur. Parce qu’il est la plupart du temps plus riche, ses centaines de pages développant une intrigue que les cent minutes de cinéma doivent nécessairement épurer. Parce qu’il suscite l’imaginaire du lecteur qui est immanquablement déçu de ne pas le retrouver à l’identique dans la version filmée qu’il a inspirée.

Je ne suis pas de cet avis. Je trouve le film souvent plus intéressant que le livre. Parce que, dans certains cas, il porte la marque d’un réalisateur de génie : prenez les films de Kubrick qui sont tous inspirés de livres, d’ailleurs plutôt médiocres (Full Metal Jacket, Les Sentiers de la gloire….). Parce qu’un film est une œuvre collective, qui a coûté des millions de dollars, sur le scénario duquel des armées de script doctors se sont penchées pour en retirer tous les défauts qui lestent parfois les livres écrits d’une plume imparfaite et solitaire. Prenez par exemple Le Chardonneret, ce roman trop long, mal construit, de Donna Tartt, dont l’adaptation, plus ramassée, ne s’égare pas dans des disgressions qui nuisent à l’intérêt du livre.

En l’espèce, force m’est d’avouer que j’ai pris aussi peu d’intérêt au livre de Joan Didion qu’au film dont elle a co-écrit le scénario. Il s’agit d’une œuvre typique du début des années soixante-dix qui ne sont pas restées pas comme un âge d’or du cinéma. La Guerre du Vietnam et Woodstock plongent Hollywood dans une introspection psychédélique. 1972, c’est l’année où sortent aux Etats-Unis Cabaret de Bob Fosse, Délivrance de John Boorman, Pink Flamingos de John Waters, Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci, Guet-apens de Sam Peckinpah, etc.

Comme le livre, le film est construit en plusieurs chapitres très courts dont on peine parfois à comprendre l’enchaînement. La ravissante Tuesday Weld, qui fut dans les années soixante une star avant de sombrer dans l’oubli, est quasiment de tous les plans, dont on filme la lente descente dans la folie. Anthony Perkins, qui n’aura jamais réussi à faire oublier son rôle dans Psychose, l’accompagne un temps et connaît une fin plus tragique qu’elle encore.

Mais hélas, aussi tragique soit-il, le destin de ces deux personnages n’a éveillé en moi aucune empathie.

Le film en v.o.

Framing Britney Spears ★★☆☆

Enfant star, révélée dès ses onze ans par le Mickey Mouse Club , Britney Spears accède à la célébrité à seize ans avec … Baby One More Time en 1998. Chanteuse de pop à la voix puissante et grave, elle s’inspire de Madonna et de ses chorégraphies millimétrées. Elle s’adresse à un public adolescent ; mais ses tenues très dénudées ont tôt fait de choquer l’Amérique puritaine. Sa liaison avec Justin Timberlake et sa rupture lui valent l’attention étouffante des paparazzi.
Mariée en 2004, elle a deux fils en 2005 et 2006. Mais son divorce lui fait perdre pied. Elle  provoque un scandale en se rasant la tête et en agressant un photographe. Internée contre son gré, elle est placée sous la tutelle de son père en 2008 qui gère, dans des conditions opaques, sa personne et ses finances. Treize ans plus tard, la chanteuse, qui continue pourtant à se produire, mais refuse désormais tout contact avec la presse, est toujours sous tutelle. Cette situation anormale suscite un mouvement de solidarité #FreeBritney.

Ce documentaire est le résultat d’une enquête menée par le New York Times. Il a été diffusé le 5 février 2021 sur la chaîne FX et est accessible depuis cette date aux Etats-Unis sur Hulu. Amazon Prime Video en assure depuis hier, 5 avril, la diffusion en France, en Allemagne et en Autriche. Sa sortie a immédiatement attiré l’attention du public tant la célébrité de la chanteuse reste grande et sa situation juridique controversée.

C’est en effet autour de sa tutelle et des interrogations qu’elle soulève que ce court documentaire, de soixante-quatorze minutes à peine, s’organise. Sur la jeunesse de la chanteuse, dans une petite ville de Louisiane où elle s’illustre vite dans la chorale de l’église baptiste, sur sa soudaine célébrité, sur l’enchaînement toxique des enregistrements et des tournées, le documentaire passe très vite. Trop vite peut-être pour ses fans enamourés – qui n’auraient en tout état de cause pas appris grand chose qu’ils ne sussent déjà.

Mais pour les autres – dont je suis – le principal intérêt de ce court documentaire se trouve dans la bataille juridique qui se joue autour de la star, de sa santé et, semble-t-il plus encore, de son argent. Constatant la dégradation de sa santé psychique et son internement d’office, un juge de Los Angeles l’a placée sous la co-tutelle de son père, Jamie Spears et d’un avocat ami de la famille, Andrew Wallet. La tutelle est-elle exercée au mieux des intérêts moraux et financiers de la chanteuse ? ou Britney est-elle en vérité bâillonnée contre son gré ? Les deux thèses s’affrontent. La seconde a quelques relents complotistes. Mais ce n’est pas la moins séduisante. Et c’est celle qu’accréditent les fans de la chanteuse ainsi que ce documentaire qui n’a pas obtenu des membres de la famille les réponses aux questions qu’il lui avait adressées.

La bande-annonce

Morse (2008) ★☆☆☆

Oskar est un jeune collégien mal dans sa peau. Il habite seul avec sa mère divorcée dans un petit appartement d’une cité HLM. Il est la tête de Turc de ses camarades. S’installe dans l’appartement voisin du sien une jeune fille, Eli, au comportement mystérieux qu’accompagne un homme d’âge mur qu’elle présente comme son père.

Morse est un film suédois entouré d’une réputation élogieuse que j’avais raté à sa sortie début 2009 en France. Il est l’œuvre de Tomas Alfredson, un réalisateur qui, trois ans plus tard, signait La Taupe, adaptation universellement saluée du best-seller de John Le Carré.

Morse est un film de vampires, un genre que le succès de Buffy puis de Twilight semble avoir définitivement catalogué. C’est précisément à Twilight et au conformisme trop sucré de ses cinq opus sortis à la même époque que Morse était opposé pour en souligner les qualités. Morse réussissait à merveille, disait-on, à retranscrire le malaise adolescent, ce moment où on s’interroge sur son identité, sur son corps, sur ses relations aux autres, sur les premiers émois de sa sexualité….

C’est peut-être le cas. Morse a en effet ces qualités que je ne lui dénierai pas. Mais son sujet désormais très convenu, son traitement ouaté ne m’ont pas touché. La faute à la caméra de Tomas Alfredson trop scandinave pour moi ? ou la faute à un genre dont décidément je ne vois pas l’intérêt ?

La bande-annonce

Madame Claude ☆☆☆☆

Paris. Fin des années soixante, début des années soixante-dix. Fernande Grudet alias madame Claude (Karole Rocher) dirige d’une main de fer un réseau de prostituées qui ont pour clients l’élite administrative et financière de la France pompidolienne. Elle bénéficie de l’appui de la pègre et de la police qu’elle renseigne régulièrement sur ses habitués. Pour autant, elle vit dans l’angoisse permanente d’être rackettée voire éliminée.
Ses filles viennent souvent d’un milieu modeste. Ce n’est pas le cas de Sidonie (Garance Marillier), sa dernière recrue, issue de la haute bourgeoisie, qui lui devient indispensable. Entre la « maquerelle de la République » et la jeune femme se noue une relation ambigüe qui durera jusqu’à la chute de madame Claude.

Le film de Sylvie Verheyde a débarqué avant-hier, 2 avril, sur Netflix avec tambour et trompette. Le sujet est sulfureux. Mais la réalisatrice, dans les interviews qu’elle a données à la presse, se défend d’en faire un usage racoleur. Au contraire, affirme-t-elle, Madame Claude serait un film post #MeToo qui dénonce les violences faites aux femmes.

Il est bien difficile de lui donner tort ou raison tant les obstacles se dressent en chemin avant qu’on puisse remettre en cause la posture qu’elle revendique.

Le premier est à mettre au crédit de ce Madame Claude. C’est la beauté du corps des filles et le luxe de la reconstitution historique, des décors, des costumes, des moindres extérieurs. Madame Claude a coûté cher. On pense au Casino de Scorsese. Et le résultat se voit à l’écran qui atteint un résultat contraire à celui que la réalisatrice s’était fixée : rendre glamour une réalité qui ne l’était pas.

Le deuxième est les personnages. Tout tourne autour de madame Claude qui est interprétée non sans talent par Karole Rocher qui, sans être une inconnue, n’est pas le genre de stars bankables sur les épaules de laquelle la réussite du film aurait pu reposer. L’idée, réussie, est d’en faire un gangster au féminin. Face à elle, en miroir, les scénaristes ont inventé le personnage de Sidonie, joué par la jeune Garance Marillier, révélée par Grave, dont on se demandera durant tout le film ce qu’elle est censée incarner : une disciple ? une rivale ? une victime ? Autour des deux femmes gravite une galaxie d’hommes recrutés parmi les meilleurs acteurs actuels du cinéma français : Roschdy Zem, dans le rôle de Jo Attia, un baron de la pègre qui a pris Fernande/Claude sous son aile depuis qu’elle est montée faire le trottoir à Paris après Guerre, Benjamin Biolay et Pierre Deladonchamps en inspecteurs des RG cauteleux, Paul Hamy en amant infidèle, etc. La liste est longue (j’ai oublié de citer Hafsia Herzi, Mylène Jampanoi et Philippe Rebot). Mais elle se heurte à un écueil : une absence totale d’empathie pour ces personnages, à commencer par les deux principaux.

La faute en est – et c’est le troisième obstacle – au scénario du film. Comme dans tous les biopics qui traitent d’une figure publique dont on connaît le destin, on sait déjà comment l’histoire de madame Claude se terminera. Du coup, le suspense en est éventé. Le fil qui tient le film se distend ; pire, il disparaît. Les épisodes se succèdent, sans transition, sans continuité. L’action est censée se dérouler en l’espace de six années – avec un épilogue vingt ans plus tard où Karole Rocher apparaît outrancièrement vieillie tandis que Garance Marillier n’a pas pris une ride – alors qu’elle pourrait aussi bien n’en occuper qu’une seule.

Madame Claude est-il un film post #MeToo qui dénonce les violences faites aux femmes ? Si j’étais un féministe militant, j’en douterais. Et j’en douterais d’autant plus que ce Madame Claude fonctionne sur un ressort éculé et malsain : promettre au spectateur libidineux – et je serais malhonnête de m’exclure du lot – la perspective de reluquer de jolies pépées dénudées.

La bande-annonce

Ma part du gâteau (2011) ★☆☆☆

La quarantaine, France (Karin Viard) élève seule à Dunkerque ses trois filles adolescentes. Licenciée d’un groupe sidérurgique en faillite, elle décide, après une tentative de suicide, de remonter la pente en allant travailler à Paris. Elle y devient la femme de ménage de Stéphane, un requin de la finance qui brasse des millions entre la City et La Défense et amène en week-end à Venise dans son bimoteur les top models qui défilent dans son lit. France a tôt fait de se rendre indispensable à Stéphane en babysittant Alban, son fils de quatre ans dont il est incapable de s’occuper. Mais la confiance qui s’installe peu à peu entre eux sera brutalement brisée par une consternante révélation.

Quand il écrit et réalise Ma part du gâteau en 2011, Cédric Klapisch a cinquante ans et est au sommet de sa célébrité. Si Paris en 2008 n’a pas trouvé son public, Klapisch reste auréolé du succès de L’Auberge espagnole qui avait attiré près de trois millions de spectateurs en salles en 2002. Il avait remis le couvert en 2005 avec Les Poupées russes qui en avait attiré presqu’autant.

Avec Ma part du gâteau, Klapisch s’attaque à un sujet ambitieux : la fracture sociale traitée à travers les deux personnages archétypiques de France, une Mère courage dunkerquoise, et Steve/Stéphane, un trader hors sol. Coline Serreau avait réalisé le même film en 1989 – quatre ans après l’immense succès de Trois hommes et un couffin. Romuald et Juliette mettait en scène un PDG arrogant et une femme de ménage antillaise. Il se terminait par un happy end aussi improbable que transgressif.

On se demande longtemps comment se terminera Ma part du gâteau et on redoute qu’il suive la même voie, convenue, que Romuald et Juliette. Son épilogue, qui intervient après bien des zigzags et des virages en épingles à cheveux, de Londres à Venise, de Paris à Dunkerque, sauve le film du désastre dans lequel il semblait s’être enlisé jusque là.

Car hélas, Klapisch s’égare. Comédie romantique du rapprochement des deux contraires ou drame poignant de la fracture sociale façon Philippe Lioret (Welcome) ou Stéphane Brizé (La Loi du marché, En guerre) ? Ma part du gâteau fait du surplace faute de choisir son parti. Certes, les acteurs s’en sortent plutôt bien, même si Karin Viard porte avec trop d’aisance des hauts talons Louboutin pour nous faire croire à son personnage de prolétaire et Gilles Lellouche (qui a repris in extremis un rôle destiné à Vincent Cassel) parle trop mal l’anglais pour nous faire croire au sien. Marine Vacth gâche son talent et sa beauté dans un rôle humiliant et Zinedine Soualem, toujours juste, fait une apparition trop brève. Mais le scénario de Ma part du gâteau est trop paresseux, ses situations trop caricaturales pour jamais susciter l’intérêt.

La bande-annonce

Unicorn Store ★★★☆

Kit (Brie Larson) est une artiste née qui vit la tête dans les nuages, au milieu des arcs-en-ciel, des paillettes et des licornes. Après avoir été renvoyée de son école d’art, parce que ses réalisations ne se conformaient pas aux canons lugubres de son professeur, elle accepte, sous la pression de ses parents, de rentrer dans le rang et de travailler dans une agence d’intérim.
Mais Kit reçoit une publicité d’une mystérieuse enseigne. Un vendeur excentrique (Samuel Jackson) l’y accueille dans un décor déconcertant et lui fait miroiter la réalisation de son rêve : accueillir une licorne dans son jardin. Contre toute raison et avec l’aide d’un charpentier débrouillard, Kit va se consacrer à ce nouveau but.

Brie Larson est devenue brusquement l’une des actrices les plus en vue de Hollywood. Elle le doit à deux films : States of Grace en 2013 et Room en 2015 qui lui ont valu une palanquée de récompenses, y inclus, pour le second, l’Oscar de la meilleure actrice. Une aussi soudaine renommée aurait pu lui monter à la tête à vingt-cinq ans à peine. Mais la jeune femme semble l’avoir solidement accrochée sur les épaules. Tout en interprétant Captain Marvel dans la franchise Marvel, elle est passée en 2017 derrière la caméra pour filmer son premier long métrage dont on mesure aisément la part d’autobiographie qu’il recèle.

Unicorn Store est une délicieuse comédie romantique du coming-of-age, ce genre très américain qui met en scène des adolescents confrontés aux premiers émois et aux premiers défis de la vie adulte. Pour être plus exact, Unicorn Store relève d’un sous-genre du coming-of-age movie : le coming-of-age adulescent qui met en scène des jeunes adultes qui se refusent à grandir.

Brie Larson y est de tous les plans. Loin d’être envahissante ou égocentrique, cette omniprésence constitue le principal atout du film. C’est que l’actrice est tellement jolie, tellement charmante, tellement tendre, tellement drôle qu’on ne s’en lasse pas. L’énumération trop longue de la phrase qui précède aura suscité quelques doutes légitimes sur la subjectivité de son auteur. Oui, confesse-t-il (voilà que je parle de moi à la troisième personne !), il est tombé sous le charme de l’héroïne. Comment en aurait-il pu aller autrement ?

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L’Assaut (2010) ★★☆☆

Le 24 décembre 1994, en pleine guerre civile algérienne, un commando de quatre hommes du GIA prend en otage le vol AF8969 Alger-Paris. Les revendications du commando sont floues : veut-il la libération des deux leaders du GIA ? ou veut-il transformer l’Airbus en bombe volante et l’écraser sur la Tour Eiffel ? L’avion reste bloqué à Alger pendant deux jours ; le commando libère une partie des otages mais en exécute trois avant d’obtenir l’autorisation de décoller. Détourné sur l’aéroport de Marseille Marignane, il y est accueilli par le GIGN qui a reçu des autorités française l’ordre de donner l’assaut.

La prise d’otages d’un avion est un sujet éminemment cinématographique. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Plusieurs ont déjà inspiré des films : Vol 93 de Peter Greengrass, Otages à Entebbe ou L’Intervention (oups ! L’Intervention racontait une prise d’otages dans un bus, pas dans un avion !), sans parler d’un détournement (c’est le cas de le dire !) drolatique du genre : Y a-t-il un pilote dans l’avion ? et ses suites.

Le parti pris de Julien Leclercq et de son co-scénariste est de raconter les événements sous trois angles. Premièrement bien sûr depuis l’Airbus lui-même. Deuxièmement du point de vue du gendarme du GIGN qui prendra la tête de la colonne au moment de l’assaut. Le rôle est interprété par Vincent Elbaz et nous vaut hélas, quelques scènes dispensables à Satory avec sa femme et sa fille. Troisièmement – et c’est la partie la moins réussie du film que la joliesse de Mélanie Bernier n’arrive pas à sauver – à travers les yeux d’une jeune rédactrice du Quai d’Orsay participant à la cellule de crise qui, depuis Paris, adresse ses instructions au GIGN.

Accueilli par une fraîche critique, L’Assaut n’a pas trouvé son public à sa  sortie début 2011. Certes le film n’est pas un inoubliable chef d’œuvre. Il entretient un faible suspens dont on connaît déjà le dénouement. Les tons désaturés dans lesquels il est filmé peuvent sembler bien chichiteux. La scène finale, si on apprend qu’elle est fidèle à l’enchaînement des faits, est passablement illisible. Pour autant, ces objections (nombreuses) mises de côté, on mentirait en affirmant qu’on a trouvé le temps long et qu’on n’a pas été happé par l’histoire.

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