Viver Mal et Mal Viver sont, comme leurs titres et leurs affiches l’annoncent, deux films construits en miroir l’un de l’autre. Ils sont tous les deux tournés au même endroit – un hôtel familial qui connut jadis des jours meilleurs – l’espace de deux ou trois jours. Ils racontent tous deux la même histoire envisagée de deux points de vue : Viver Mal s’intéresse aux trois groupes de clients de l’hôtel tandis que Mal Viver se focalise sur la propriétaire et sa famille.
Rompant avec les règles canoniques du cinéma qui veulent qu’un film dure entre quatre-vingt-dix et cent-vingt minutes, on voit parfois se développer, peut-être sous la récente influente des séries, des films au format hétérodoxe : le diptyque japonais de Kôji Fukada Suis-moi je te fuis/Fuis-moi je te suis ou l’interminable pensum argentin de plus de treize heures La Flor. De tels monstres cinématographiques excitent la curiosité, même si j’en suis sorti plus souvent déçu et exténué qu’enthousiasmé.
Viver Mal/Mal Viver est construit selon un cahier des charges très contraignant que Joao Canijo respecte scrupuleusement. Il s’agit de filmer dans le même plan les deux histoires qui s’y déroulent, l’une à l’avant-plan, l’autre à l’arrière plan. Avec un savant jeu de caméra qui réussit à inventer toujours de nouvelles perspectives pour filmer les mêmes décors sans la moindre monotonie, la première histoire est racontée dans le premier film, la seconde dans le second.
Ce parti pris pourrait sembler très artificiel. Il est au contraire d’un grand réalisme. Dans la vraie vie, quand deux personnes discutent dans un café, que la caméra isole, d’autres discussions se déroulent à l’arrière-plan, d’autres intrigues, amoureuses ou policières se nouent qu’un réalisateur panoptique pourrait nous montrer si lui prenait l’envie d’embrasser toute la réalité plutôt que d’en isoler artificiellement un seul pan.
Cette gageure – on pense aux jeux de Perec et à sa Vie, mode d’emploi – est intellectuellement très stimulante. Elle est, je l’ai dit, formellement très réussie grâce à l’inventivité toujours renouvelée des prises de vue. Est-elle pour autant captivante ? hélas non.
Car l’histoire, ou plutôt les histoires, que Viver Mal/Mal Viver raconte, sont bien ordinaires. Ordinaires ne veut pas dire banales : les couples s’y déchirent comme celui de ces deux influenceurs, les rancœurs familiales les mieux enfouies y éclatent. On pense aux huis-clos étouffants et hystériques de Bergman. La figure de la mère, sous toutes ses formes, y est particulièrement mise à mal. Mais cette accumulation de syndromes en tous genres est présentée à un rythme si lent qu’on sombre bien vite dans la neurasthénie, avant d’avoir atteint les quatre heures que durent au total ces deux films réunis.