Officier SS, Rudolf Höss a commandé le camp d’Auschiwtz. Il y a vécu, avec sa femme et ses cinq enfants, dans une maison confortable.
Le titre de ce film est obscur. J’ai dû aller en chercher la signification dans le dossier de presse du film : l’expression « zone d’intérêt » (Interessengebiet en allemand) était utilisée par les SS pour décrire le périmètre de quarante km² entourant le camp d’Auschwitz. Dans cette zone protégée vivaient notamment les soldats allemands chargés de la police du camp. On imagine que son commandant était le mieux loti.
Tout le film de Jonathan Glazer repose sur un contraste monstrueux. À quelques mètres à peine du camp d’Auschwitz, de ses baraquements sordides, de ses chambres à gaz, de ses fours crématoires, Höss, sa femme et ses enfants menaient une vie paisible, semblable à celle de n’importe quelle famille allemande.
Cette percussion entre une vie normale et son arrière-plan génocidaire est soulignée par deux éléments. Les images : beaucoup de scènes se déroulent en extérieur dans le jardin que Höss et sa femme ont patiemment aménagé en y plantant des fleurs et des légumes et en y creusant une piscine où, les beaux jours venus, leurs enfants s’égaient. Systématiquement en arrière-plan, on voit Auschwitz, ses barbelés, ses murs gris et ses cheminées qui fonctionnent à plein régime et dont on comprend avec horreur ce qu’elles expulsent. Le son : la bande-son est saturée de bruits indistincts, des sifflets de locomotives, des ordres hurlés, des cris de désespoir, des tirs de mitraillette… Ce travail sur le son m’a rappelé Le Fils de Saul.
Le problème de La Zone d’intérêt est qu’une fois ce cadre posé, rien ne se passe. La Zone d’intérêt est un film statique. Certes, de petites saynètes sont égrenées, censées montrer, sous des dehors ordinaires, la monstruosité de la proximité d’Auschwitz : un domestique fume les plantes du jardin avec des cendres dont on comprend aisément l’origine ; Mme Höss s’approprie un élégant vison sans doute volé à une prisonnière qui est en train d ‘être gazée ; un fils Höss joue innocemment avec des dents arrachées aux morts dont on se demande d’ailleurs comment diable elles sont entrées en sa possession ; la famille fait joyeusement ripaille, tandis qu’à quelques mètres à peine, on imagine les prisonniers d’Auschwitz qui ont échappé aux chambres, s’entre-déchirer pour un quignon de pain… Toutes ces saynètes au demeurant figurent dans la bande-annonce.
Ma défunte sœur m’avait offert à sa sortie, pour mon anniversaire, en janvier 2016, le roman de Martin Amis que Jonathan Glazer porte à l’écran. Il m’attend sur ma table de nuit depuis huit ans désormais. Je le lirai en pensant à elle, qui m’a transmis le goût de la littérature, et aux images de ce film glaçant.