Vadim Dumesh est un jeune documentariste qui a grandi en Lettonie et qui s’est formé en Israël avant de s’installer en France. Il a posé sa caméra dans la base arrière taxi (BAT) de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Il a lui-même tourné quelques images, mais il a surtout demandé à plusieurs chauffeurs de taxis de filmer eux-mêmes leurs quotidiens avec leur téléphone portable. Pendant le tournage, l’ancienne base a fermé et les chauffeurs ont déménagé vers un nouveau lieu, plus fonctionnel, mais moins chaleureux.
Vadim Dumesh s’est emparé d’un sujet passionnant. Qui sont les centaines de taxis parisiens qui, chaque jour, accueillent à Roissy les touristes étrangers qui y atterrissent ? Que font-ils durant la longue attente à laquelle ils sont contraints entre deux courses ?
Comme c’est hélas souvent le cas dans le documentaire aujourd’hui, chez Wiseman comme chez Philibert, aucune explication n’accompagne La Base. Aucune voix off, aucun carton, aucun diagramme ne vient éclairer l’organisation des taxis à Roissy. La règle, d’airain, s’applique : les images et les paroles sont les seules sources d’information mises à la disposition du spectateur.
Lors de la projection débat à laquelle j’ai eu la chance d’assister, les questions ont fusé précisément sur l’organisation de la profession. Vadim Dumesh, ouvert et souriant, y a volontiers répondu, aidé par plusieurs chauffeurs présents dans la salle et parfois acteurs du film – ainsi de Nicolas et de ses improbables cravates. Face à tant d’interrogations frustrées, Vadim Dumesh s’est défendu : son film, a-t-il dit, n’avait pas pour objet de décrire l’organisation des taxis à Roissy mais de montrer comment une profession s’était saisie d’un lieu – la base – et d’un moment – l’attente entre deux courses – pour en faire « quelque chose » : un temps de repos, de détente, d’échanges, de socialisation pour des professionnels condamnés à un emploi très solitaire.
L’argument est recevable ; mais il n’est qu’en partie fondé. La Base fait naître bien des questions auxquelles le seul visionnage du film, si on n’a pas la chance de bénéficier du débat qui le suit, ne fournit pas les réponses. Sans doute est-il intéressant de voir comment les chauffeurs s’approprient ce lieu, mais il l’est plus encore d’en comprendre l’origine et l’économie.
Faute de nous fournir cet arrière-plan, La Base se réduit à une succession de scènes mal filmées, sans queue ni tête, dont le seul fil directeur serait le déménagement de l’ancienne base à la nouvelle, et les seuls repères quelques figures cosmopolites hautes en couleurs : Jean-Jacques, le patriarche, Ahmad et Madame Vong, une des rares femmes du lieu (la profession compte 5 % seulement de femmes).