Une vie rêvée ★★☆☆

Après avoir perdu sa maison, son emploi, s’être couverte de dettes, Nicole (Valéria Bruni-Tedeschi), la cinquantaine, se retrouve dans une cité HLM du Val-de-Marne, coincée avec son fils, Serge (Félix Lefebvre), dans un appartement minuscule.

Je ne serais pas allé voir Une vie rêvée si les hasards de la programmation ne m’y avaient pas contraints (poke DB qui l’a vu exactement pour les mêmes raisons et un coup de chapeau aux distributeurs qui ont réussi, à attirer au moins deux spectateurs involontaires). Son pitch ne me tentait guère. Son interprète principale non plus : Valérie Bruni Tedeschi semble s’être fait une spécialité de rôles hystériques et exaspérants, une Isabelle Huppert plus jeune, une Sandrine Bonnaire moins sage.

Pendant une heure, j’ai poussé des soupirs d’exaspération devant une histoire qui enchaînait laborieusement toutes les scènes attendues : Nicole et son banquier, Nicole et son fils, Nicole et sa nouvelle amie (Lubna Azabal)…. Mon exaspération a cédé durant la dernière demi-heure. L’histoire y prend un tour inattendu. Est-il crédible ? je n’en suis pas certain. Mais il n’en est pas moins réjouissant.

Et l’honnêteté me force à reconnaître que Valérie Bruni Tedeschi était parfaite dans ce rôle.

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Tatami ★★★☆

L’équipe iranienne de judo participe en Géorgie aux championnats du monde. Dans la catégorie des moins de 60kg, Leila (Arienne Mandi impressionnante de puissance et de ténacité) a de bonnes chances de médaille. Mais la politique s’en mêle confrontant Leila et sa coach Maryam (Zar Amir) à des choix cornéliens.

L’identité des deux co-réalisateurs de Tatami interpelle : Guy Nattiv est Israélien, installé aux Etats-Unis, Zar Amir est Iranienne et vit en France depuis 2008. Son rôle dans Les Nuits de Mashhad lui a valu un prix d’interprétation à Cannes en 2022.

Sous de tels auspices, Tatami ne peut être qu’un film politique. Tatami dénonce la situation des femmes en Iran, condamnées à porter, même dans la pratique du sport, le hijab. Il dénonce l’antisionisme des mollahs et son refus obstiné de tout contact avec des sportifs israéliens. Il dénonce les méthodes répressives utilisées par le régime pour faire pression sur ses ressortissants et les faire rentrer dans le rang.

Il s’inspire de plusieurs histoires vraies : celle d’une joueuse iranienne de taekwondo qui a fait défection avec son mari et celle d’un judoka iranien qui, sous la pression de sa fédération, avait déclaré forfait pour éviter de combattre un adversaire israélien (le régime refuse toute rencontre avec les représentants de ce qu’il appelle « le régime d’occupation sioniste »). Mais précisons que la fédération iranienne n’envoie pas de judokates dans des compétions internationales ; car le port du hijab y est en effet interdit en raison des risques d’étranglement qu’il occasionnerait.

Mais Tatami ne se résume pas qu’à ce seul plaidoyer, aussi admirable et nécessaire soit-il. C’est un film qui n’oublie pas le cinéma. Il est tourné en noir et blanc dans un lieu quasi-unique, le palais des sports de Tbilissi, croisement baroque d’architecture soviétique et brutaliste. Unité de lieu donc mais aussi unité de temps : le film se déroule en temps réel – je me suis demandé, sans en rien savoir, si les matches de judo se succédaient à un rythme aussi rapide dans une compétition internationale. Le tout donne au film un tempo intense qui nous maintient en haleine tout du long.
Dernière qualité : le personnage de Maryam, qu’on pensait secondaire et qu’on craignait de voir enfermé dans une caricature, celle de la gardienne des valeurs du régime, et qui se révèle beaucoup plus subtil.

Une amie m’a dit avoir été déçue par l’épilogue. Certes, celui-ci met un peu trop les points sur les i. On l’aurait compris sans besoin de l’expliciter autant. Pour autant, il m’a semblé moins prévisible que je l’escomptais. En dire plus vous priverait du plaisir de le découvrir.

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À son image ★★☆☆

Antonia est photographe de métier. Après une nuit bien arrosée, elle se tue sur la route de Calvi. Ses proches la pleurent. Son parrain préside son enterrement.

À son image est l’adaptation très fidèle, à quelques scènes près, du roman éponyme de Jérôme Ferrari publié en 2018 (six ans après Le Sermon sur la chute de Rome qui lui valut le Goncourt). C’est le quatrième long métrage de Thierry de Peretti. Les deux hommes ont le même âge et le même attachement contrarié à la terre corse. Les romans du premier, les films du second en portent le témoignage – et pourraient d’ailleurs être la matière d’une stimulante étude universitaire intitulée : « Le nationalisme corse à travers les œuvres de JF et de TdP ».

À son image se veut à la fois la biographie d’une jeune femme corse trop tôt décédée et l’histoire de la naissance du FNLC et ses scissions meurtrières de 1980 aux années 2000.

Mais avec leurs deux sujets, le roman comme le film maintiennent une distance. Thierry de Peretti filme ses personnages à distance. Il ne s’autorise quasiment aucun plan serré. On reste à la surface de la vie d’Antonia dont on ne comprend pas clairement les ressorts de sa passion pour la photographie ou son amour pour Pascal, le beau nationaliste. On reste aussi à la surface de l’histoire du FLNC dont ne sont évoquées que quelques bribes.

Le résultat est paradoxal. Il a un rythme inhabituel. Les scènes sont courtes. Leur chronologie est confuse. Les acteurs pour la plupart amateurs jouent terriblement mal et semblent n’avoir été choisis que pour une seule qualité : leur maîtrise de la langue corse. Ils ne changent pas alors que l’action est censée se dérouler sur plus de vingt années.

Mais ces défauts peuvent se muer en qualités. À son image n’a certes pas le rythme bien huilé des films auxquels on est habitué. Mais il en a un autre, inhabituel, dérangeant, peut-être maladroit mais original. La vie qu’il raconte n’a pas la fluidité des biopics hollywoodiens. Par exemple on ne comprend pas le départ d’Antonia pour la Yougoslavie, sinon par son désir de s’évader de l’atmosphère étouffante et nombriliste de son île. Mais cette absence de fluidité me semble plus réaliste, plus crédible que d’autres biographies trop bien huilées.

Enfin et surtout, Jérôme Ferrari et Thierry de Peretti évitent tout manichéisme. Leur roman/film n’est pas une publicité coproduite par le Conseil régional de Corse à la gloire de l’Île de beauté. Il n’est pas plus un procès à charge contre les dérives du FNLC. C’est plutôt une déclaration d’amour ambiguë à une terre et à ceux qui l’habitent et qui ont parfois le défaut de trop l’aimer.

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The Wicker Man (1973) ★★★☆

Après avoir reçu une lettre anonyme, l’inspecteur de police Neil Howie (Edward Woodward) débarque sur une petite île reculée des Hébrides écossaises pour y enquêter sur la disparition d’une jeune fille. Chrétien dévot, il y découvre une communauté repliée sur elle-même, vouant un culte aux dieux païens. Lord Summerisle (Christopher Lee), dont l’ancêtre a introduit la culture de fruits rares qui a fait la richesse de ses habitants, y cumule les fonctions de chef civil et d’autorité religieuse.

The Wicker Man – aussi connu sous son titre français, Le Dieu d’osier – est un film mythique. Il compte au nombre des 1001 films à voir avant de mourir. Sa scène finale est d’anthologie. Le film lui doit sa célébrité. Mais l’intérêt du film ne s’y résume pas.

The Wicker Man en effet croise trois fils. Le premier est un thriller qui aurait pu être banal si son épilogue à la fois n’en révélait toute l’architecture et ne lui donnait sa dimension tragique. Le deuxième est une enquête anthropologique sinon théologique – Robin Hardy est documentariste de formation – qui questionne les us et coutumes d’une communauté insulaire reculée et sa relation aux forces divines. Le troisième, celui qui peut selon les opinions sembler le plus démodé ou le plus intéressant, est l’ambiance post-Woodstock. Certaines scènes d’ailleurs furent coupées à la sortie – telle la sarabande endiablée de Britt Ekland, future James Bond girl deux ans plus tard dans L’Homme au pistolet d’or.

Au total, The Wicker Man crée un genre, le folk horror, dont Midsommar reprendra, avec le succès que l’on sait, les codes.

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Le Serment des 103 ★★☆☆

Le 28 mars 1972, 103 des 108 propriétaires fonciers du Larzac menacés par l’extension d’un camp militaire, annoncée six mois plus tôt par le ministre de la défense Michel Debré, signaient le serment de s’opposer à tout prix à leur expropriation. À l’occasion du cinquantenaire de cet appel, la chaîne Histoire TV a commandé à Véronique Garcia un 55-minutes. Une salle parisienne proche de mon domicile a organisé une projection débat.

Grâce à leur mobilisation, les paysans du Larzac ont réussi, pendant près de dix années à faire obstacle à leur expropriation jusqu’à l’élection de François Mitterrand qui, en 1981, malgré l’opposition de son ministre de la défense, Charles Hernu, a tenu sa promesse de campagne d’abandonner le projet. Les comités Larzac qui se sont constitués ont embrassé la non-violence : « Faites labour pas la guerre ». Et ils s’y sont tenus, ainsi que les forces de l’ordre : les heurts n’ont jamais causé la moindre victime – même si le plasticage d’une ferme, dont les auteurs n’ont jamais été identifiés, ont bien failli tuer leurs occupants.

La clé de leur succès, que souligne intelligemment le documentaire, a été d’agréger autour de leur cause des oppositions de tous bords : celle des objecteurs de conscience opposés à l’extension du camp militaire, celle des écologistes attachés à la défense d’un mode de vie rural, celle des hippies, qui se cherchaient une cause et un havre après mai-68 et même celle des Indiens d’Amérique venus sur le Larzac témoigner des persécutions subies en Amérique du nord. La convergence des luttes, le Graal des militants, leur intersectionnalité, le Graal des sociologues, s’est rarement aussi bien incarnée que sur le Larzac. Elle n’était pas gagnée d’avance : les paysans, catholiques et conservateurs, ont vu arriver d’un mauvais oeil les « chevelus » et autres « barbus » qui prônaient le jeûne ayurvédique et l’amour libre.

Les panélistes ont évoqué « une page oubliée de notre histoire contemporaine », ignorée des manuels d’histoire de Terminale. J’avais au contraire l’impression que cet épisode était bien connu. La raison en tient sans doute à mon âge : j’ai grandi dans les années 70. Elle tient aussi à l’intérêt que je porte à la désobéissance civile, à son histoire et à sa sociologie : pourquoi le peuple se dresse-t-il contre une décision publique ? quelle forme prend sa mobilisation ? à quoi tient le succès ou l’échec de la contestation ? Autant de questions passionnantes. Avant Notre-Dame des Landes, avant Sainte-Soline, avant l’A69, le Larzac constitue un précédent riche d’enseignements d’une mobilisation réussie.

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Le Monde d’après 3 ☆☆☆☆

Après un premier volet sorti en octobre 2022 et un deuxième en mars 2023, voici une nouvelle série de sketches sur le monde de l’après-Covid. Les deux premiers se déroulaient, confinement oblige, à l’intérieur ; celui-ci prend l’air comme son affiche l’annonce.

Son titre n’est pas clair. Signifie-t-il qu’après le Covid un nouveau monde est né, meilleur que celui d’avant comme nous fûmes nombreux à l’espérer, ou pire au contraire ? Ou bien, si le titre doit être lu comme une antiphrase, que rien n’a changé ?

Pour Laurent Firode, le Covid était tout au plus une grosse grippe qui a tué quelques vieillards qui seraient morts de toute façon quelques années plus tard. Cette menace grossie a conduit l’Etat à prendre des mesures liberticides, notamment l’obligation vaccinale, sans utilité sanitaire, dans le seul objectif d’enrichir les groupes pharmaceutiques : « On nous a obligés à nous vacciner parce qu’on allait mourir ; je ne me suis pas vacciné et je ne suis pas mort » lance l’un des personnages du deuxième sketch qui, quelques minutes plus tard, abandonnera sur le bord de la route un médecin « covidiste » blessé en lui faisant l’aumône d’un Doliprane et en lui rappelant que la consigne est d’éviter à tout prix l’engorgement des hôpitaux.
Cette réplique donne à penser. Elle a la beauté stylistique du parallélisme. Elle sonne aussi comme une évidence : toute personne qui ne s’est pas vaccinée contre le Covid et qui n’en est pas morte peut légitimement revendiquer être la preuve vivante de l’inutilité de la vaccination. Pour autant, cette affirmation de bon sens – ou son symétrique : « Je me suis fait vacciner et pourtant j’ai attrapé le Covid ; c’est la preuve que le vaccin ne servait à rien » – peut, si l’on s’en donne la peine, être réfutée en rappelant quelques principes de bases de virologie et d’immunologie.

Laurent Firode fait le pari, malin, de l’humour. Pari dont on sait l’efficacité depuis la commedia dell’arte, Molière et son Castigat ridendo mores. Cette technique consiste à outrer le comportement de ceux qu’on vise à ridiculiser : influenceuses vegan et néo-rurales qui exigent d’un coq qu’il arrête de chanter, actrice sur le retour qui espère se faire de la publicité en défendant la cause d’une Iranienne emprisonnée, angoissée climatique aisément manipulable pour participer à des actions violentes, sensitivity reader qui passe à la moulinette des textes prétendument offensants au risque de les dénaturer, etc.

Le pari est en partie réussi car certaines situations et certaines réparties sont franchement drôles. Mais cette charge en règle covido-sceptique, antivax, climato-sceptique contre le monde actuel et les travers qu’on lui trouve – l’accent mis sur la défense de la planète, l’égalité des sexes, le principe de précaution… – n’en reste pas moins nauséabonde. Et les sarcasmes qu’on entend dans la salle, doublés des commentaires étouffés qui s’y murmurent, ne donnent pas envie de sympathiser avec les autres spectateurs.

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L’Île ★★☆☆

Damien Manivel (Le Parc, Les Enfants d’Isadora, Magdala) avait le projet de réunir une bande d’adolescents pour filmer en un seul plan séquence leur dernière nuit ensemble, sur une plage bretonne, à la veille du départ de l’une d’entre eux au Canada. Faute de financement, ce film n’a pas été tourné. Mais des rushes ont été gardés des deux semaines que la petite troupe avait passées, au début de l’été, pour apprendre à se connaître et répéter ensemble. Ce sont ces rushes que le producteur du film a convaincu le réalisateur de monter et d’en faire un film.

L’Île n’est pas le making of d’un film qui ne s’est pas fait. Il en est le brouillon.

Le résultat est étonnant. On a l’habitude de voir des films, des produits achevés, parfaits, ou du moins qui aspirent à la perfection. Ici, au contraire, on voit les coutures. On voit ce qui a précédé immédiatement le film. Son scénario et ses dialogues sont déjà écrits ; mais reste aux acteurs à se les approprier.

L’Île nous montre ce que nous ne voyons d’habitude pas. Et cette révélation donne au film, au produit fini, une épaisseur étonnante. Un geste d’un acteur qui a l’air si naturel devient le résultat d’une longue préparation, de multiples tâtonnements. On découvre ici à la fois la difficulté de jouer, l’art de la mise en scène et le talent de certains acteurs, plus doués que d’autres.

Le paradoxe de L’Île est que tout laisse augurer que le film, s’il avait été tourné, aurait été passablement raté. Il visite un thème déjà mille fois défriché, celui de la fin de l’adolescence, de l’entrée dans l’âge adulte, de l’excitation des envols et de la tristesse des séparations. Ses situations, ses dialogues semblent d’une grande platitude.
Mais si le produit fini, qu’on ne verra jamais, semble assez quelconque, son brouillon n’en est pas moins très instructif. Et, une fois qu’on est arrivé à cette conclusion s’ouvre devant nous un abîme : parmi tous les films très ennuyeux qu’on a vus ces derniers mois, combien auraient été plus intéressants si on n’en avait vu que les répétitions ?

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Le monde est à eux ★☆☆☆

Jérémie Fontanieu, professeur d’économie en terminale au lycée Delacroix de Drancy, acoquiné avec son collègue en mathématiques, se targue d’avoir inventé une méthode garantissant 100 % de réussite au baccalauréat. Il la met en oeuvre avec succès depuis 2015. Il a décidé de filmer avec leur accord les élèves de la promotion 2019-2020 – sans bizarrement que soit jamais évoqué le Covid et ses conséquences sur la scolarité.

On aurait pu craindre que son documentaire, qui a mis près de quatre ans à sortir sur les écrans, ressemble à un long clip publicitaire. Ce n’est pas le cas. Plus classiquement, comme on l’a vu si souvent, dans des fictions ou des documentaires (Entre les murs, Allons enfants, Chante ton bac d’abord…), Le monde est à eux suit chronologiquement une classe pendant toute une année. On voit Yness,  Fatih, Bilel, Dalil, Killan, Helvin ; mais ils sont trop nombreux et passent trop vite devant la caméra pour qu’on s’attache réellement à aucun d’entre eux.

En quoi consiste la méthode « Réconciliations » qui permet ainsi de tirer jusqu’au bac des lycéens décrocheurs ? Elle n’a rien de bien révolutionnaire. C’est un mélange de fermeté et de bienveillance. C’est une démarche qui associe étroitement les parents que les deux professeurs rencontrent dès la rentrée et qu’ils tiennent régulièrement informés par SMS des progrès de leurs enfants. C’est surtout un investissement exceptionnel des professeurs – ou tout au moins des deux qu’on voit, les autres étant bizarrement passés sous silence au point qu’on se demande si leur absence ne cache pas de sourdes dissensions au sein de l’équipe professorale par rapport à ce duo-là trop engagé.

Je ne suis pas assez versé en sciences de l’éducation pour porter un regard critique sur cette méthode et son efficacité. Mais, je connais un peu le cinéma et n’en ai pas vu beaucoup dans ce documentaire.

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Rue des Cascades (Un gosse de la butte) (1963) ★★★☆

Alain est un gamin haut comme trois pommes qui aime faire des pitreries avec ses camarades. Sa mère, une veuve quadragénaire, tient un café-épicerie dans une petite rue de Ménilmontant. Elle est tombée amoureuse de Vincent, un Antillais, plus jeune qu’elle. Vincent inspire à Alain une franche hostilité teintée de racisme. Mais bien vite la gentillesse de Vincent viendra à bout des préjugés du petit garçon.

Ce film est l’adaptation d’un roman de 1953 de Robert Sabatier. Son titre, Alain et le Nègre, qui subirait aujourd’hui immanquablement les foudres de la censure, est sans ambiguïté. Il oppose, pièce à pièce, les deux héros : Alain, désigné par son prénom, et Vincent renvoyé à l’anonymat de la couleur de sa peau. Ce titre, si brutal, annonce un lent apprivoisement : comment le « nègre » va conquérir l’amitié l’enfant qui l’avait accueilli avec tant de réticence.

Maurice Delbez, un réalisateur oublié, a choisi de ne pas reprendre ce titre. Quand son film sort fin 1964, il s’intitule « Un gosse de la butte ». Il sera rebaptisé plus tard du nom d’une rue en coude du vingtième arrondissement où l’action se déroule.

Le film fait un bide à sa sortie. Son réalisateur, en faillite personnelle, abandonnera le cinéma et ne tournera plus que pour la télévision. Rue des Cascades est ressorti en 2017 sous son nouveau titre dans une version restaurée et a connu un succès d’estime. Son propos est avant-gardiste. C’est un film tendrement anti-raciste, qui met en scène le racisme le plus crasse, par exemple celui de M. Bosquet (René Lefèvre) le soûlographe qui fréquente le troquet de Hélène et y débite ses lieux communs, pour en démonter la bêtise. C’est aussi un film féministe avant l’heure, avec les deux personnages de Hélène, si noblement interprété par la grande Madeleine Robinson, qui pressent qu’une liaison avec un homme plus jeune qu’elle est vouée à l’échec, et de Lucienne, sa voisine, qui défie la bien-pensance en prenant un amant.

Ce film en noir et blanc, aux faux airs des Quatre Cents Coups, d’un grand classicisme, tourné au milieu des années soixante, mais qu’on pourrait croire de dix ans plus ancien, sans stars, au motif simple sinon simpliste, m’a profondément touché.

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Caligula (1979) ★☆☆☆

Caligula (Malcom Mac Dowell) a régné entre 37 et 41 ap. J-C. Son surnom lui venait des « petites bottes » qu’il portait enfant, auprès de son père Germanicus. Apparenté par son père à Marc Antoine, par sa mère à Auguste, il a succédé à Tibère (Peter O’Toole) dont il était le petit-neveu et le fils adoptif, mais qui lui préférait Gémellus, que Caligula fera assassiner. Le règne de Caligula a vite basculé dans le despotisme et la démesure. Il entretenait une relation incestueuse avec sa sœur Drusilla (le rôle refusé par Maria Schneider qui le jugeait trop dénudé fut interprété par Teresa Ann Savoy) qu’il fit diviniser après sa mort en 38. En butte à l’hostilité des sénateurs, qu’il avait humiliés, il fut assassiné par sa garde prétorienne.

Caligula est l’un des empereurs romains dont le règne est le plus mal documenté de la dynastie julio-claudienne. Suétone lui était hostile et décrivait un monarque mégalomane et cruel. C’est l’image qui en est restée et que reprend fidèlement à son compte cette superproduction américano-italienne

Caligula est un film maudit. Le producteur américain Bob Guccione, fondateur du magazine Penthouse, en est à l’origine et y investit sa fortune. Il recruta Gore Vidal pour en écrire le scénario mais récusa cette première version, qui soulignait l’homosexualité de l’empereur. Il en confia la direction au réalisateur Tinto Brass qui reprit de fond en comble le scénario de Vidal. Lors de la postproduction Tinto Brass et Bob Guccione s’affrontèrent ce qui conduisit le premier à se retirer. Son nom n’apparaît plus au générique que comme chef opérateur. Tourné en 1976, il ne sortit en salles que trois ans plus tard précédé par une réputation sulfureuse (le critique de cinéma américain Roger Ebert le qualifie de « bouse écœurante, totalement inutile, honteuse »). Il fut interdit dans plusieurs pays et remporta, là où sa sortie fut autorisée, un succès de scandale.
Il ressort aujourd’hui dans une version plus fidèle au montage original de Tinto Brass, délestée des scènes pornographiques filmées par  Bob Guccione et Giancarlo Lui.

L’épreuve est éprouvante, qui dure près de trois heures. Croisement improbable de Ben Hur et de Salò ou les 120 Journées de Sodome – qui avait été tourné deux ans plus tôt – Caligula est une succession quasi ininterrompue de scènes d’orgies filmées dans des décors impressionnants. Malcom MacDowell cabotine à souhait ; Peter O’Toole, qui n’avait pas cinquante ans à l’époque, y interprète le vieux Tibère au crépuscule de sa vie, sombrant dans la folie ; Helen Mirren, dans le rôle de l’épouse de Caligula, nous démontre qu’elle fut jeune un jour, ce que l’on peinait à croire à force de la voir interpréter depuis des décennies des rôles de septuagénaires.

L’effet de répétition devient vite lassant. Les scènes s’enchaînent les unes aux autres, reproduisant chaque fois la même structure : en arrière-plan, des corps dénudés s’entrelacent dans de fougueuses embrassades (pour rester poli), tandis qu’à l’avant-plan, un Caligula rebondissant invente une nouvelle lubie, exécute un opposant, humilie un sénateur, nomme consul…. son cheval ! Si Caligula dans sa nouvelle version reste interdit légitimement aux moins de seize ans, le parfum de scandale dans lequel baignait le film à la fin des années 70 s’est depuis longtemps dissipé. Il en faut beaucoup pour choquer le bourgeois de 2024.

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