Mica ★☆☆☆

Mica est un gamin de onze ans abandonné à lui-même par des parents qui n’ont pas les moyens de l’envoyer à l’école. Ils le confient à un proche qui l’emmène à Casablanca travailler dans un club de tennis pour bourgeois huppés. Le garçonnet y découvre un monde qui lui est étranger. S’il est vite en butte à l’hostilité des garçons bien nés de son âge qui y prennent des cours de tennis, il s’attire la bienveillance de Sophia, une ancienne championne qui y donne des leçons. Il révèle vite des dons exceptionnels. Mais son statut l’autorise-t-il à participer à un tournoi ?

On se souvient de Ali Zaoua, prince de la rue, le tout premier long métrage de Nabil Ayouch, sorti en 2001, qui documentait la vie de quelques enfants des rues de Casablanca. Mica voudrait s’inscrire dans le même registre, déjà souvent visité depuis Oliver Twist et Sans Famille de l’enfance exploitée.

Le problème est qu’il entend croiser ce sujet là avec un autre : la naissance d’un champion. Le genre n’est pas mauvais en soi, même s’il est lui aussi bien balisé. On en connaît par avance chacune des étapes : d’abord la révélation d’un don, puis les difficultés à le laisser éclater, enfin la victoire finale.

Le problème (décidément, Mica en a beaucoup) est que le film ne va pas au bout de cette logique. Il s’agit moins de la naissance d’un champion que de l’émancipation d’un enfant des rues qui, malgré les obstacles placés sur sa route, pourra se faire une place dans la vie, pourra accéder à une forme de dignité et de reconnaissance.

On aurait scrupule à trouver à redire à ce programme. Pour autant, il est traité avec beaucoup de naïveté. Et la maladresse de Sabrina Ouazani, qui manifestement n’avait jamais tenu une raquette de sa vie, à interpréter une championne se voit et se paie.

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Alexandre le bienheureux (1968) ★★☆☆

Alexandre (Philippe Noiret) est un Hercule qui ne rêve qu’à paresser. Mais sa femme, « la Grande » (Françoise Brion), est sans cesse sur son dos pour s’assurer qu’il exécute la liste impressionnante de corvées qu’elle lui assigne chaque matin. Quand elle meurt brutalement, Alexandre se sent enfin libre de faire ce qu’il veut : dormir, aller à la pêche, jouer au billard, avec pour seul compagnon le fox-terrier qui s’est attaché à ses pas. Sa désinvolture scandalise les habitants de son petit village du Perche. Mais elle séduit Agathe (Marlène Jobert), une pimpante jeune femme qui vient d’être embauchée dans l’épicerie du coin et qui partage ses valeurs.

Alexandre le bienheureux est auréolé d’une réputation un peu excessive. C’est loin d’être un chef d’œuvre. Ce n’en a pas d’ailleurs la prétention. Mais c’est un hymne à la paresse joyeusement anarchiste qui a donné à Philippe Noiret son premier grand rôle de cinéma et qui a lancé la carrière de Pierre Richard – que Yves Robert, qui en avait décelé le talent comique, allait faire exploser quatre ans plus tard dans Le Grand Blond – et de Marlène Jobert. On y retrouve d’ailleurs dans les seconds rôles une panoplie d’acteurs aujourd’hui décédés qui ont fait les grandes heures du cinéma populaire français : Jean Carmet, Paul Le Person, Tsilla Chelton, Jean Saudray (le nom de Jean Saudray ne vous dit rien ? prenez quelques secondes pour chercher sa photo : vous le reconnaîtrez au premier regard).

La trame d’Alexandre le Bienheureux est étique. Elle relève plus de la nouvelle ou du conte que du roman proprement dit. On se demande d’ailleurs comment Yves Robert a pu en tirer un film d’une heure et quarante minutes. Son secret : prendre son temps, ainsi que le professe son héros, pour raconter une histoire en trois volets. Dans le premier, filmé sur un mode cartoonesque, on y voit le malheureux Alexandre trimer sang et eau sous la férule d’une épouse tyrannique. Le deuxième, avec notamment cette scène où on voit Alexandre prendre son petit-déjeuner au lit avec un ingénieux dispositif, est le plus célèbre qui le voit rompre avec les conventions sociales et clamer son droit à la paresse. Le troisième, qui raconte le flirt entre Alexandre et Agathe jusqu’à son terme logique, est le plus hédoniste. Sa conclusion, joyeusement misogyne – si tant est qu’on puisse associer cet adjectif et cet adverbe aujourd’hui – m’a surpris. Aurait-elle supporté les foudres du politiquement correct aujourd’hui ?

La bande-annonce

White Building ★☆☆☆

Samnang a vingt ans. Il forme avec ses deux amis Ah Kah et Tol un trio inséparable. Les trois jeunes gens sillonnent Phnom Penh sur le scooter de Samnang et participent à des concours de danse hip hop en rêvant de devenir célèbres.
L’immeuble où habite Samnang et sa famille est menacé de destruction. Le père de Tol préside l’association des copropriétaires qui est confrontée à un dilemme : accepter l’indemnisation ridicule que leur proposent les promoteurs immobiliers ? ou la refuser au risque de tout perdre ?

White Building a débarqué à la dernière Mostra de Venise – où le prix du meilleur acteur a été décerné à Piseth Chhun, l’interprète de Samnang – avec deux impressionnants parrains : le Chinois Jia Zhangke qui coproduit le film et le Cambodgien Davy Chou avec qui Kavich Neang a cofondé sa société de production. Il partage d’ailleurs nombre de traits caractéristiques avec les films de ces deux réalisateurs : des paysages urbains filmés avec une poésie paradoxale, des scénarios qui interrogent la famille et les défis qu’elle doit relever, un regard nostalgique vers un passé fuyant, une vision désabusée d’une modernité déshumanisée

Avant de tourner White Building, Kavich Nenang a filmé la destruction du « White » un immeuble emblématique du centre de Phnom Penh construit dans les années soixante, vidé durant le régime des Khmers rouges, finalement rasé en 2017. Il en fit un documentaire intitulé Last Night I Saw You Smiling et sorti en 2019. Deux ans plus tard, il en tire un film – dont il dut reconstituer les décors dans un immeuble voisin, presqu’aussi décrépit.

Son film a valeur de témoignage géographique. Il se veut porteur de la mémoire d’un lieu emblématique. Plus largement, il illustre le combat de petits propriétaires de centres-villes, dans beaucoup de métropoles, contre la promotion immobilière qui les menace d’expulsion et de déclassement, la modicité des indemnités compensatoires et la flambée des prix à l’achat leur interdisant de se reloger au même endroit.

Le problème de White Building est son manque d’originalité. Le cinéma asiatique, et même le cinéma cambodgien, n’est plus aussi exotique qu’à l’époque où il nous parvenait au compte-gouttes. On a déjà eu notre lot de plans-séquences de scooters circulant dans les rues embouteillées d’une métropole asiatique. On a déjà vu, comme dans White Building, des Mères ou des Pères Courage impuissants à enrayer la disparition de leur univers. Certes le khmer a une musique d’une douceur unique au monde. Mais cet atout là ne suffit pas à lui seul à faire un bon film.

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Cape et Poignard (1946) ★★☆☆

Pendant la Seconde Guerre mondiale, un atomiste (Gary Cooper) est recruté par les services secrets américains pour se rendre en Europe. En Suisse, il rencontre une scientifique hongroise que la Gestapo avait forcé à travailler sur un projet de bombe atomique. Sur ses conseils, il se rend en Italie pour libérer le professeur Polda des griffes de la Gestapo. Il y sera aidé par la résistance italienne et par la belle Gina (Lili Palmer) avec laquelle se nouera une relation passionnée.

Fritz Lang est à la mode. Après avoir traversé quelques décennies de purgatoire, ses films connaissent un regain d’intérêt. Il n’est pas de semaine où il ne soit pas programmé à Paris. Il y a bien sûr les chefs d’œuvre expressionnistes de la première période allemande : MabuseMetropolis, M le maudit... Il y a aussi, les grands films noirs des années 50 : Le démon s’éveille la nuit, La Femme au gardénia, L’Invraisemblabe Vérité….

Réfugié aux Etats-Unis dans les années trente, il a tourné pendant la guerre une série de films d’espionnage anti-nazis : Chasse à l’hommeLes bourreaux meurent aussi, écrit avec Bertolt Brecht, Espions sur la Tamise. Cape et Poignard est le dernier, sorti un an après la fin des combats, ce qui le rendait déjà démodé. Il est construit autour d’une question qui pouvait légitimement inquiéter les Etats-Unis en 1945, mais qui était brutalement sortie de l’actualité un an plus tard : l’Allemagne nazie réussira-t-elle à se doter de l’arme atomique ?
On sait aujourd’hui que ces inquiétudes étaient infondées. Alors même que l’Allemagne disposait des savants capables de concevoir cette arme – même si nombre d’entre eux avaient déjà quitté l’Europe et allaient être enrôlés aux États-Unis dans le Projet Manhattan – le Reich a reculé devant l’ampleur des sacrifices que sa production industrielle aurait nécessités préférant tout miser sur les V1 et les V2.

Cape et Poignard – dont le titre peut laisser escompter un film de cape et d’épée qui se déroulerait sous le règne de Louis XIV alors qu’il s’agit en fait d’une des devises des services secrets américains – trouve honnêtement sa place dans cette filmographie. Il vaut surtout par l’interprétation de Gary Cooper, dont aucune aventure, même les plus rocambolesques, ne vient altérer le charme et la parfaite élégance.
Le scénario, en revanche, est tiré par les cheveux, filmé successivement dans une Suisse et une Italie de carton-pâte. Il souffre, à son milieu, d’une énorme ventre mou et s’enlise dans une bluette sans relief entre ses deux personnages principaux.
Fritz Lang voulait ajouter à son film une dernière partie qui se serait déroulée en Allemagne même. Mais les studios l’en ont empêché.

La bande-annonce

La Croisade ★☆☆☆

Abel (Louis Garrel) et Marianne (Laëtitia Casta) vivent dans un appartement cossu du très bourgeois septième arrondissement parisien. Il découvre un beau jour que Joseph, leur fils unique, âgé de treize ans à peine, a vendu plusieurs de leurs biens : la petite robe Dior de Marianne, les montres de collection d’Abel, les plus vieilles bouteilles de leur cave. Pressé de questions, Joseph leur dévoile le pot-aux-roses : ces ventes permettent de financer le projet qu’il met en œuvre avec des centaines de camarades de son âge, en France et à l’étranger : créer au cœur de l’Afrique une immense mer intérieure pour y freiner la désertification.

Louis Garrel, assisté de Jean-Claude Carrère qui mourra avant d’en voir l’aboutissement, a co-signé ce scénario furieusement dans l’air (pollué) du temps et en a assuré seul la réalisation. L’idée en est simple sinon simpliste et résonne avec l’actualité de la génération Thunberg : face à des adultes irresponsables qui n’ont pas pris la mesure du danger que fait peser sur nous le réchauffement climatique, les enfants doivent se mobiliser en utilisant l’expertise scientifique disponible et les moyens démultipliés que les réseaux sociaux leur offrent.

Le résultat est un peu simpliste lui aussi. La faute en est peut-être au format ultra-bref choisi : le film dure soixante-six minutes seulement, un format qui le rapproche du moyen sinon du court métrage. Certes, sa première scène est savoureuse – à condition que le plaisir qu’on prend à la découvrir n’ait pas été éventé par sa bande-annonce – mais le reste du film est un peu mièvre. Et les premiers émois adolescents du jeune Joseph n’apportent rien de neuf ni d’intéressant au sujet. Seul lot de consolation : Laëtitia Casta dont on cherche en vain dans le visage ou dans le port altier la moindre imperfection et dont la sollicitude maternelle qu’elle déploie à l’égard de son fils laisse penser que, non contente d’être la plus belle femme au monde, elle est peut-être aussi la mère la plus aimante.

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Sombre (1998) ★★☆☆

Jean (Marc Barbé) sillonne les routes de France à bord de sa vieille Citroën. Il assassine les femmes qu’il rencontre après de brèves étreintes. Il rencontre Claire (Elina Löwensohn) et Christine qu’il manque d’assassiner après une baignade nocturne. Auprès d’elles il accèdera enfin à une forme de douceur.

Sombre est un film culte déjà vieux d’un quart de siècle. Je ne l’avais jamais vu. L’occasion m’en a enfin été donnée par une projection-débat aux Trois Luxembourg en présence de son réalisateur, Philippe Grandrieux.

L’expérience est rude. Sombre est interdit aux moins de seize ans. Comme son titre l’annonce, il est plongé dans une lumière crépusculaire. Quasiment muet, il filme une succession de meurtres : Jean rencontre des femmes, les séduit, les attire dans un coin sombre, les caresse – sans qu’on puisse avec certitude comprendre s’il atteint ou pas l’orgasme – et les étrangle. Aucun policier, aucun gendarme ne vient interrompre cette course meurtrière dont on imagine pourtant qu’elle met en émoi l’opinion publique et les forces de l’ordre.

Le schéma se reproduit à l’identique jusqu’à la rencontre de Claire, au passé aussi opaque que celui de Jean, dont on ne saura rien sinon, au détour d’une confidence de son amie Christine, qu’elle est vierge.
Pourquoi Jean ne tue-t-il pas Claire comme il a tué toutes les femmes qu’il a croisées ? On n’en saura rien non plus. C’est peut-être la magie de l’amour qui touche Jean pour la première fois. Et Sombre est peut-être un film sur l’Amour, l’amour que Claire porte à Jean qui le libèrera de ses instincts meurtriers, l’amour que pour la première fois Jean éprouve auprès de Claire.

Mais quel chemin tortueux aura-t-il fallu emprunter jusqu’à cette conclusion rédemptrice !

La bande-annonce

Guanzhou, une nouvelle ère ★☆☆☆

En 2008, les habitants ancestraux d’une petite île située dans un bras de la Rivière des perles près de Canton ont été délogés manu militari et leurs maisons ont été rasées. Leur éviction devait permettre la construction d’un immense projet immobilier soi-disant écologique, à une encablure du centre-ville de Canton. Quelques habitants, sans droit ni titre, ont refusé de quitter les lieux et continuent de vivre dans les ruines. L’anthropologue franco-argentin Boris Svartzman est venu les filmer.

Le thème des mutations urbaines pénètre de part en part le cinéma chinois contemporain. Il est au cœur de l’oeuvre de Jia Zhangke, peut-être le plus grand réalisateur chinois vivant. C’est aussi le thème principal de Séjour dans les monts Fuchun ou de So Long, My Son qui ont remporté récemment en France un succès mérité, mais aussi de Vivre et Chanter ou de Les anges portent du blanc, passés plus inaperçus. Plusieurs documentaires l’ont pris à bras le corps tels que Derniers jours à Shibati réalisé par un documentariste français dans la ville multimillionaire de Chongqing au Sichuan.

Ce qui frappe, dans Guanzhou, une nouvelle ère, c’est moins ce refrain déjà souvent entendu du temps qui passe, des vieux quartiers qu’on détruit, des insolentes tours ultra-modernes qu’on érige et du dédain dans lequel on laisse les anciens habitants nostalgiques, que la liberté de ton de ces Chinois expulsés. On imaginait, à tort ou à raison, que la Chine était un État policier, cadenassé, où la liberté de parole n’existait guère et où chaque Chinois était encadré par un contrôle social très strict et un appareil d’Etat omniprésent et omniscient. Les témoignages glanés par Boris Svartzman sidèrent par leur liberté de ton et par la dureté des critiques qu’ils font entendre. Ils suscitent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses : les paysans qui ont parlé à visage découverts ont-ils été inquiétés pour leurs propos ? le réalisateur s’est-il vu interdire à tout jamais le droit de retourner en Chine ? Des réponses positives ne nous surprendraient guère et accréditeraient l’idée préconçue qu’on nourrit d’une Chine autoritaire. Des réponses négatives nous surprendraient plus et ouvriraient l’espoir (ou l’horizon) d’un État moins omniscient qu’on l’imagine et/ou acceptant qu’une contestation sociale s’exprime – dès lors qu’elle ne menace pas l’ordre établi.

La bande-annonce

L’Espion qui venait du froid (1965) ★★☆☆

À l’initiative de sa hiérarchie, Leamas (Richard Burton), un agent britannique rappelé de Berlin après la mort d’un de ses agents, feint d’être retiré du service et s’enfonce dans l’alcool et la misère pour laisser penser qu’il pourrait faire défection. Tamponné par les services est-allemands, Leamas est longuement interrogé dans une ferme isolée par Fiedler (Oskar Werner). Le but de Leamas est de faire tomber Mundt, l’un des chefs du contre-espionnage est-allemand. Mais l’irruption imprévue de Nan Perry (Claire Bloom), la bibliothécaire communiste que Leamas avait fréquentée à Londres, risque de compromettre sa tâche.

J’avais lu très jeune L’Espion qui venait du froid dans une vieille édition Folio cornée et me souviens encore de mon engouement à cette lecture. J’y découvrais une intrigue délicieusement compliquée avec des retournements inattendus, où ce qu’on tenait pour vrai à une page se révélait fallacieux à la suivante. À l’époque, ce genre de scénario m’était quasiment étranger et je le découvrais avec l’enthousiasme du néophyte. Je n’avais encore jamais lu John Le Carré dont, pendant les vingt années suivantes, je devins un lecteur fidèle, sans jamais retrouver dans ses livres, sinon peut-être dans Le Tailleur de Panama, le plaisir original pris à la lecture de L’Espion

Je n’avais jamais vu l’adaptation au cinéma du roman de Le Carré. Sa programmation à la Filmothèque du Quartier Latin m’en a enfin donné l’occasion. L’Espion qui venait du froid n’est pas tout à fait un film culte ; mais il n’est pas loin de l’être. Cet anti-James Bond (il est réalisé alors que Sean Connery donne au personnage de Ian Fleming une célébrité mondiale avec les trois premiers films produits par Albert Broccoli en 1962, 1963 et 1964), tourné dans un noir et blanc sinistre, avec un Richard Burton au sommet de son art, fait du métier d’espion un tableau lugubre. Le monologue de Leams y est repris au mot près : What the hell do you think spies are? Moral philosophers measuring everything they do against the word of God or Karl Marx? They’re not. They’re just a bunch of seedy squalid bastards like me, little men, drunkards, queers, henpecked husbands, civil servants playing « Cowboys and Indians » to brighten their rotten little lives.

Je dois avouer une petite déception. Elle est double.
J’avais le souvenir d’une intrigue très sophistiquée. Elle ne l’est en fait pas tant que cela. J’ai l’impression que les scénarios de thriller, notamment américains, sont devenus pour certains tellement sophistiqués, que notre goût de spectateur s’est développé et que ce qui nous apparaissait hier compliqué ne l’est plus.
Second défaut : j’ai trouvé la mise en scène pesante et le temps bien long. C’est d’ailleurs un défaut que j’oserais respectueusement relever contre les romans de John Le Carré : ils sont systématiquement trop longs, trop touffus, trop lents, préférant à l’action la peinture des tourments d’une âme humaine dont on a compris qu’elle est noire et faillible.

La bande-annonce

Incroyable mais vrai ★★★☆

Alain (Alain Chabat) et Marie (Léa Drucker) déménagent. Un agent immobilier leur a vendu leur nouvelle maison en les avertissant du secret qu’elle recèle. Ils refusent de s’en ouvrir à Gérard (Benoît Magimel) et à sa nouvelle fiancée (Anaïs Demoustier) qui viennent leur annoncer une nouvelle étonnante.

Le cinéma de Quentin Dupieux étonne et détonne. J’avoue ne pas être un inconditionnel de son humour nonsensical. J’ai détesté Mandibules ; Au poste ! m’a semblé bien insignifiant ; j’ai vaincu mes réserves pour mettre au Daim deux chiches étoiles.

La bande-annonce de Incroyable mais vrai m’avait laissé perplexe qui annonçait un film dans la même ligne que les précédents. L’affiche, hideuse (on dirait un mauvais Mocky), me laissait augurer le pire. Aussi quelle ne fut pas ma surprise à la découverte en avant-première, grâce au Club Allociné, de ce petit bijou.

Il est construit autour d’un mystère dont il ne faut rien dire. La bande-annonce – ou plutôt les bandes-annonces – joue sur sur cet effet d’attente. Le début du film aussi. Le procédé est délicieusement sadique : « Je vais vous dire un secret … ». On rêve qu’un film l’utilise tout du long sans jamais révéler ce fameux secret. Frustré d’une révélation toujours retardée, crierait-on au génie ou à la fumisterie ?

Incroyable mais vrai ne va pas jusque là et révèle ce fameux secret. On n’en dira rien bien entendu sinon qu’il est suffisamment étonnant et absurde pour justifier l’attente de son annonce repoussée et pour servir de sujet au reste du film. En revanche, l’autre secret révélé par Gérard et sa fiancée, aussi drôle soit-il, semble peut-être superflu, même s’il crée un effet de miroir entre la situation des deux couples, minés par la même obsession. Peut-être Incroyable mais vrai aurait-il gagné à se concentrer sur le seul couple d’Alain et Marie (pourquoi avoir laissé à Alain Chabat son prénom et avoir privé Léa Drucker du sien ?).

Autre défaut du film : son rythme. Le premier quart d’heure, on l’a dit, est sadiquement jubilatoire. Il l’est d’autant plus que le montage multiplie les flashbacks et les flashforwards : on voit Alain et Marie en train de visiter leur nouvelle maison et en train de s’y installer. Le montage devient plus linéaire ensuite avant de connaître, dans son dernier quart d’heure une brusque accélération, comme si Quentin Dupieux voulait bâcler son histoire sans se laisser le temps de la développer. J’ai suffisamment pesté contre des films trop longs pour en critiquer un qui dure 1h14. Mais pour autant, je n’aurais pas détesté que celui-ci me fasse rire pendant quelques dizaines de minutes encore.

La bande-annonce

De sang-froid (1967) ★★★☆

En 1959, deux jeunes prisonniers en liberté conditionnelle assassinent de sang-froid un paisible fermier du Kansas, sa femme et ses deux enfants. Le quadruple meurtre défraie la chronique et glace l’Amérique. Six ans plus tard, après une longue procédure, les deux meurtriers sont exécutés.
De ce fait divers, Truman Capote fit dès 1966 un roman qui créa un genre voué à une riche postérité : l’enquête journalistique où s’entrelacent la narration des faits et celle de la façon dont le romancier-journaliste les découvre.
L’année suivante, Richard Brooks en fit un film.

Il est récemment repassé au Grand Action à Paris dans le cadre du festival organisé à l’occasion des soixante-dix ans de la revue Positif. Le débat qui l’a suivi a été l’occasion de replacer ce film dans l’oeuvre foisonnante de Richard Brooks et dans le cinéma de l’époque.

Ce qui frappe quand on regarde De sang-froid cinquante ans plus tard, c’est sa modernité. Son premier tiers est construit en plans alternés de l’errance des deux taulards sur les routes du Midwest et de la vie sans histoire de la paisible famille qu’ils vont sauvagement assassiner. Les deux fils du récit se renouent par le son : c’est la même sirène de locomotive qu’on entend derrière la voiture des deux meurtriers tapie dans l’obscurité d’un sous-bois et lorsque Nancy Clutter éteint sa lampe de chevet, sa prière faite.
Il est filmé dans un noir et blanc intemporel à une époque où la Technicolor avait tout envahi.
La musique de Quincy Jones y est omniprésente et d’une étonnante complexité. On pense aux notes de jazz de Miles Davis pour Ascenseur pour l’échafaud (filmé près de dix ans plus tôt).

J’ai lu sous la plume de Pierre Murat dans Télérama que De sang-froid n’était « rien qu’un plaidoyer extrêmement généreux contre la peine de mort ». La critique est un peu courte. Elle est surtout bien sévère. Certes, la scène de l’exécution des deux assassins est glaçante. Mais elle ne constitue pas le cœur du film. Ce cœur, c’est la scène du quadruple homicide. On le suit minute après minute, en en connaissant par avance le funeste dénouement, en se demandant comment diable ce banal cambriolage a pu déraper dans un si effroyable massacre. C’était la question que s’était posée Truman Capote, sur laquelle il avait buté. Richard Brooks tente de mettre la réponse en image. Je vous la laisse la (re)découvrir

La bande-annonce