Rosie Davis ★★★☆

Rosie Davis, son mari et leurs quatre enfants sont à la rue. Cette famille modeste était locataire d’un pavillon, dans la banlieue de Dublin. Leur propriétaire a décidé de le vendre. Mais Rosie et son mari n’avaient pas les moyens de l’acheter. En attendant de trouver un nouveau toit, ils en sont réduits à vivre dans leur voiture.

L’affiche du film, sa bande annonce donnent une impression de déjà-vu. Des histoires de femmes célibataires qui se battent courageusement pour sauver ce qui leur reste de dignité et offrir un meilleur avenir à leurs enfants, on en a déjà vu treize à la douzaine. La plupart ont été réalisées par Ken Loach dont Moi, Daniel Blake, Palme d’Or en 2016, racontait à s’y méprendre la même histoire. Mais le cinéma français y a pris aussi sa part : Y aura-t-il de la neige à Noël ? en 1996 et, plus récemment, le bouleversant Louise Wimmer qui révéla Corinne Masiero.

Pour autant, en dépit de cet effet de répétition, Rosie Davis émeut profondément. Comme dans un film des frères Dardenne – qui avait filmé dans Rosetta une héroïne aussi résiliente – le tempo ne se relâche jamais. Pendant vingt-quatre heures, on suit pas à pas Rosie dont la détermination à protéger ses enfants et à leur trouver un toit se fracasse à mille et uns obstacles dérisoires : un doudou perdu, un pyjama souillé, la benjamine malade, l’aînée qui disparaît….

Contrairement à ce que l’affiche pourrait laisser croire, Rosie n’est pas célibataire – à la différence des héroïnes des films précités. Elle a un partenaire qui travaille et qui l’épaule. Cette situation matrimoniale rend peut-être sa situation plus encore touchante : elle fait partie de la classe moyenne inférieure, de ces working poors qui, sans tares particulières, peuvent sombrer dans la pauvreté sur un coup du sort.

Rosie Davis est d’une étonnante brièveté. Sans qu’on s’y attende, il s’interrompt là où on escomptait qu’il se prolonge une bonne demie-heure supplémentaire. Sa conclusion est aussi abrupte que poignante. Elle laisse une trace qui ne s’efface pas.

Bien que sa bande annonce ait été largement diffusée, bien que son affiche soit placardée dans le métro parisien, Rosie Davis est très mal distribué. Pour sa première semaine, il n’était à l’affiche que de deux cinémas dans Paris intra muros et d’une quarantaine dans toute la France. Raison de plus pour courir le voir.

La bande-annonce

Sorry to Bother You ★★☆☆

Cassius Green (Lakeith Stanfield) vit dans le garage de son oncle avec Detroit, une performeuse (Tessa Thompson). Le couple, qui tire le diable par la queue, est recruté par une société de télémarketing.
En prenant au téléphone la voix nasillarde d’un Blanc, Cassius (prononcer : Cash is) en devient bientôt le meilleur employé. Mais tandis qu’il obtient une promotion éclair auprès du patron cocaïnomane de la société Worryfree, engagée dans un obscur projet de déshumanisation de la chaîne de travail, , ses camarades se mettent en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail.

Sorry to Bother You est un film désopilant qui avait fait sensation à Sundance avant sa sortie en salles. Sa forme emprunte volontiers aux dystopies DIY et gentiment surréalistes d’un Michel Gondry – qui a d’ailleurs réalisé le film publicitaire qu’on voit dans la seconde moitié du film.

Sorry to Bother You est d’abord un film sur la condition noire aux États-Unis et sur la difficulté pour y vivre dans un monde de Blancs. Le sujet n’est pas nouveau et avait été traité avec la même féroce ironie par Justin Simien en 2014 dans Dear White People.

Mais Sorry... ne se réduit pas à cette seule dimension. C’est avant tout une œuvre politique qui dénonce la cupidité des entreprises et les tares du capitalisme. Quoique distribué par une major hollywoodienne, Sorry to Bother You est un film profondément subversif qui ridiculise autant qu’il récuse les valeurs du système américain.

Première réalisation de l’ancien rappeur Boots Riley, Sorry to Bother you n’est pas sans défaut. On sent que son auteur a voulu y mettre trop de choses et trop en dire. Comédie poilante, satire grinçante, anticipation effarante, plaidoyer vibrant, Sorry to Bother you est beaucoup pour un seul film.

La bande-annonce

Les Éternels (Ash is purest white) ★☆☆☆

Valse en trois temps.
1. 2001 : Qiao (Zhao Tao) est amoureuse de Bin (Liao Fan) qui dirige la pègre locale. Elle n’hésite pas à risquer la prison pour le sauver d’un gang rival.
2. 2006 : Qiao ressort libre de cinq années de captivité. Elle traverse la Chine pour retrouver Bin qui ne l’a pas attendue
3. 2018 : À force d’intelligence, Qiao a repris le pouvoir sur la pègre de Datong. Bin, victime d’un accident vasculaire, n’est plus que l’ombre de lui-même.

Il est de bon ton de considérer Jia Zhang-ke comme l’un des plus grands réalisateurs chinois contemporains. Ses films sont régulièrement sélectionnés dans les grands festivals européens : les quatre derniers étaient en compétition à Cannes et A Touch of Sin y a remporté en 2013 le prix du scénario. On lui reconnaît deux qualités. La première : volontiers naturaliste, il documente les changements que traverse la Chine contemporaine et filme « l’envers du miracle chinois ». La seconde : une grande maîtrise de la mise en scène et du montage permettant de marier des fresques ambitieuses organisées sur une longue temporalité et des récits intimistes.

Son dernier film s’inscrit dans la continuité des précédents. Il en a les mêmes caractéristiques, la même ambition. À travers l’histoire de Qiao et Bin, Jia Zhang-ke veut raconter l’histoire de la Chine, de sa folle modernisation, de sa lente déshumanisation. Il brosse aussi un admirable portrait de femme qui fait primer contre tout et contre tous les valeurs de droiture et de loyauté.

Sur le papier, tout cela est bel et bon. Mais Les Éternels a un défaut rédhibitoire. C’est un film qui suinte l’ennui. Très vite, le spectateur comprend que Qiao est une femme droite et Bin un homme lâche. Pas besoin de visiter toutes les gares de Chine, du Hubei au Shanxi, pour le comprendre. Le film dure plus de deux heures. C’est une purge interminable.

La bande-annonce

Rebelles ★☆☆☆

Sandra (Cécile Defrance), ex Miss Nord Pas de Calais, revient habiter chez sa mère près de Boulogne-sur-mer. Sans argent, sans travail, elle trouve à s’employer à la pêcherie locale. Elle y retrouve Marilyn (Audrey Lamy), une ancienne camarade d’école qui élève seule son fils, et fait la connaissance de Nadine (Yolande Moreau), une collègue plus âgée qui subvient seule aux besoins de sa famille depuis que son époux a été licencié.
Sandra a tôt fait d’attirer l’attention du contremaître qui, un soir, après la fermeture des bureaux, tente de la violer. Sandra se défend tant et si bien qu’elle le tue sous les yeux de Marilyn et de Nadine. Que faire du cadavre et des affaires du défunt dont le sac contient des liasses de billets à l’origine douteuse ?

Rebelles n’est pas la suite de Belles. C’est une comédie française formatée pour le grand écran où ses stars attireront la ménagère de vingt à soixante-dix ans. Sa BOF passe sans transition de Saint-Saëns à Niagara. Son scénario ne nous épargne ni les clichés ni les rebondissements peu crédibles. Dans un instant d’indulgence, le public masculin rira aux circonstances douloureuses de la mort du contremaître et le public féminin à la façon dont son corps est sorti de la pêcherie.

Rebelles repose sur le jeu outré des acteurs qui s’en donnent à cœur joie. Cécile Defrance est comme d’habitude excellente, mâchonnant son chewing gum avec autant de talent qu’elle faisait tourner son ombrelle dans son précédent film Mademoiselle de Jonquières. Sans surprise, Audrey Lamy joue la meilleure copine à la voix haut perchée et Yolande Moreau la dondon pas futée qu’il ne faut pas titiller. Une mention spéciale pour Simon Abkarian, abonné aux seconds rôles, qui interprète le mafieux local, et à Béatrice Agenin dans le rôle de la mère de Sandra.

La bande-annonce

McQueen ★★☆☆

Enfant terrible de la mode, Alexander McQueen a gravi à toute allure tous les échelons.
D’origine modeste, il a commencé en apprentissage dans les ateliers de Saville Row, se forme à Milan – sans parler un mot d’italien – puis à l’école Saint Martins de Londres. Il est remarqué par la journaliste et fashionista Isabella Blow qui avait déjà lancé Philip Tracy et qui restera son amie jusqu’à son suicide en 2007.
En 1995 sa collection « Le Viol de l’Écosse », où ses mannequins défilent dans des vêtements lacérés et déchirés, fait sensation. Bernard Arnault l’embauche pour succéder à John Galliano à la tête de Givenchy. Lee McQueen – qui s’était entre temps rebaptisé Alexander – et la troupe d’artistes bohèmes qui l’entourent y font sensation. La greffe ne prend pas et McQueen retraverse la Manche cinq ans plus tard.
Bourreau de travail, s’imposant à lui-même et imposant aux autres une tension hystérique, il multiplie les collections. Chacun de ses défilés, de plus en plus macabres et provocateurs, fait sensation.
Mais Alexander McQueen s’enfonce dans la drogue et dans la dépression. Sa carrière ressemble à celle de Amy Winehouse ou de Whitney Houston auxquelles des documentaires viennent d’ailleurs d’être consacrés. Très proche de sa mère, il ne supporte pas sa mort des suites d’une longue maladie. La veille de ses obsèques, il se pend.

Deux Britanniques, Ian Bonhôte et Peter Ettedgui, lui consacrent un documentaire. Sa facture est très classique. Les images d’archive alternent avec les interviews des proches de McQueen. La musique de Michael Nyman, aussi riche soit-elle, est un peu trop envahissante. Les créations de McQueen sont éblouissantes, notamment l’incroyable robe du Cygne en 1999 peinte par deux bras articulés entourant le modèle tournant sur une plateforme. Un happening délirant dont la vision suffit à elle seule à retenir l’intérêt d’un documentaire qu’on peut volontiers regarder en coupant le son.

La bande-annonce

A Thousand Girls Like Me ★★☆☆

Depuis l’âge de dix ans, Khatera a été violée par son père. De cet inceste, pas moins de six enfants ont été conçus. Le premier est abandonné par son père dans le désert. Khatera avorte des quatre suivants. Le dernier naît à terme.
En 2014, âgée de vingt-trois ans, Khatera témoigne à la télévision afghane des violences qu’elle subit. Son père est arrêté. La réalisatrice Sahra Mani la filme pendant trois ans avec sa mère et sa fille. Khatera est encore enceinte. Elle va accoucher.

A Thousand Girls Like Me ne documente pas le sort des enfants victimes d’inceste en Afghanistan. Mais il suit pendant trois années une victime qui a eu le courage de briser la loi du silence. Si les violences qu’elle a subies sont terribles, leur révélation publique n’améliore guère son sort. Elle se heurte à un appareil judiciaire inerte, corrompu et patriarcal qui met en doute sa parole et la traite plus en coupable qu’en victime. Les tests ADN sont rares et chers en Afghanistan et tardent à démontrer la paternité de son enfant. Les oncles de Khatera défendent leur frère et harcèlent Khatera. Fille mère, sans travail, sans emploi, elle peine à trouver un logement, est contrainte à d’incessants déménagements dès que ses voisins découvrent son identité et est condamnée à passer ses journées dans des pièces minuscules avec la seule compagnie de sa mère et de ses enfants turbulents.

Il est des sujets qui bâillonnent la critique. A Thousand Girls Like Me est de ceux-là. Le sort de Khatera est si effroyable qu’on aurait mauvaise conscience de dire du mal du documentaire qui en est tiré, dont on imagine sans peine les difficultés qu’il a rencontrées pour être tourné et monté. Que sa réalisation ne brille pas par sa virtuosité n’a guère d’importance. Le drame qu’il relate est si déchirant, le courage déployé par la souriante Khatera sur le long chemin de la reconnaissance de ses droits si admirable que A Thousand Girls Like Me mérite en tout état de cause d’être vu.

La bande-annonce

Funan ★★☆☆

Lorsque les Khmers rouges prennent Phnom Penh en avril 1975, Chou, son mari Kuon et leur fils Sovanh sont, comme la plupart des habitants de la capitale, jetés sur les routes. Dans une bousculade, le petit garçon disparaît laissant ses parents dévastés de chagrin. Emprisonnés dans un camp, condamnés par l’Angkar à travailler jusqu’à épuisement, ils resteront pendant quatre longues années dans l’ignorance du sort de leur fils.

Diplômé de l’école des Gobelins, Denis Do est né en France en 1985. Sa mère a connu l’enfer des camps khmers rouges. Il a voulu en témoigner en s’inspirant de son expérience et de celle de ses proches. Porté par les voix de Bérénice Béjo et de Louis Garrel, Funan a reçu le Cristal du long métrage au dernier festival du film d’animation d’Annecy.

Les massacres de masse commis par les Khmers rouges entre 1975 et 1979 – on évitera le terme « génocide » dès lors que ces crimes visaient indifféremment tous les Khmers sans cibler un groupe ethnique, racial ou religieux – n’ont guère inspiré le cinéma. Ils sont au centre du très hollywoodien La Déchirure tourné dès 1984. Ils ont inspiré l’œuvre du réalisateur cambodgien Rithy Panh et notamment son documentaire S21, la machine de mort khmère rouge sorti en 2003.

Denis Do choisit une animation très douce nimbée de couleurs vert, bleu et orange, alternant des plans très larges d’une nature somptueuse et des gros plans des visages des protagonistes. Ce parti pris met Funan à portée des enfants, même des plus jeunes, sans risquer de les choquer. Mais il a le défaut d’euphémiser une violence aussi stupide que brutale. Le comparer avec Valse avec Bachir serait lui faire trop d’éloges.

La bande-annonce

Les Étendues imaginaires ★☆☆☆

À Singapour, de nos jours, Wang, un ouvrier chinois, a mystérieusement disparu du chantier de construction qui l’employait. L’inspecteur Lok est chargé de l’enquête.

Le cinéma de Singapour ne s’exporte guère. Tout au plus connaît-on Eric Khoo (Hotel Singapura, La Saveur des Ramen) et Boo Junfeng (Apprentice). Il renvoie de la Cité-État une image diffractée : Hotel Singapura était une variation sur le thème de l’amour, La Saveur des ramen racontait la quête d’un père sur fond de chroniques culinaires, Apprentice mettait en scène un bourreau chargé d’exécuter les condamnés à mort dans la prison centrale de Singapour.

Les Étendues imaginaires rajoute une facette au kaléidoscope. C’est la face obscure de Singapour qui y est décrite, loin des gratte-ciel aseptisés du centre ville. Le titre fait référence à la poldérisation qui permet chaque année à la ville, en manque de terres, de gagner quelques arpents sur la mer. Comme dans Diamond Island, qui se déroulait au Cambodge, comme dans Taste of Cement qui se déroulait au Liban, des hordes d’ouvriers pauvres et souvent en situation irrégulière travaillent à ces travaux titanesques.

Les Étendues imaginaires documente la vie de ces ouvriers cosmopolites venus de tout le continent asiatique, qui vivent dans des conditions misérables, leur passeport confisqué par leurs employeurs, et se retrouvent à la nuit tombée pour communier dans de tristes bacchanales.

Mais Les Étendues imaginaires n’a pas que cette seule ambition. C’est aussi, c’est surtout, un film esthétisant qui, à la manière de In the Mood for Love ou de Mulholland Drive – mais avec autrement moins de talent – vise l’envoûtement. Il entrelace, dans un long flashback onirique, les parcours de l’ouvrier Wang et de l’inspecteur Lok. Un cybercafé et son ouvreuse font le lien entre les deux mondes.

On se laisse un temps fasciner. Et puis bientôt, à force de n’y rien comprendre (Ajit est mort ou pas ?), on décroche inexorablement. Culturopoing.com parle d’un « épilogue magnifique proche de la transe ». Trop assommé pour être touché, je n’y ai rien vu de tel.

La bande-annonce

Celle que vous croyez ★★★☆

Claire (Juliette Binoche), la cinquantaine, professeur de lettres à Jussieu, vient de divorcer. Elle partage la garde de ses deux enfants avec son mari (Charles Berling). Elle a depuis quelques mois un amant plus jeune, Ludo (Guillaume Gouix). Parce qu’il se détache d’elle, elle s’invente un profil Facebook pour le surveiller. Rebaptisée Clara, âgé de vingt-quatre ans, elle entre en contact avec un ami de Ludo, Alex (François Civil). La discussion rapproche les deux internautes. Comment Claire/Clara se sortira-t-elle de son mensonge ?

Celle que vous croyez est le sixième film de Safy Nebbou. C’est l’adaptation d’un livre de Camille Laurens sorti en 2016. Il a pour thème les réseaux sociaux. Ils nourrissent une paradoxale schizophrénie : ils sont à la fois un gage de transparence et un prétexte à supercheries. Qui n’a jamais menti sur Internet ? Qui n’y a jamais été trompé.e ? Ils sont l’occasion de nouer des relations ambigües : le hasard des connexions – ou la recherche assumée via les sites de rencontres – conduit de parfaits étrangers à une intimité aussi artificielle qu’envoûtante.

Mais Internet et ses liaisons dangereuses n’est pas le seul sujet du film. Il y est aussi question du temps qui passe et de cette jeunesse qui s’échappe. Comme tant de femmes – et d’hommes – de son âge, Claire n’accepte pas de renoncer aux jeux de la séduction. Elle aurait pu s’inscrire sur AdopteUnMec – qui, dans une campagne de publicité revendiquait dix millions d’utilisateurs en France – ou sur Meetic – qui refuse de communiquer sur son nombre d’inscrits. Elle rencontre Alex d’une autre façon. Mais peu importe.

Juliette Binoche est parfaite pour le rôle. On connaît son professionnalisme, sa pratique assidue de la danse, la discipline à laquelle elle se soumet pour entretenir son corps et investir ses rôles. L’actrice – qui fête aujourd’hui même ses cinquante cinq ans – est incroyablement séduisante. Serait-on goujat, on parlerait à son sujet de Milf.

Le scénario était casse-gueule. Il risquait de tourner au vaudeville ou au théâtre de boulevard en accumulant les tentatives plus ou moins réussies de Claire/Clara pour cacher son âge avant de se conclure par une rencontre romantique entre les deux amoureux. On n’évite pas quelques scènes, d’ailleurs assez drôles, par exemple quand Claire peine à adopter le langage « jeune » de Clara.

Mais le scénario cosigné par Safy Nebbou et Julie Peyr (scénariste attitrée des films de Arnaud Desplechin) est autrement plus malin. Il ne propose pas une conclusion mais quatre. La première, en haut des escalators de Beaubourg, est la plus poignante et on s’en serait volontiers contenté. Le film dure trente minutes de plus et en propose trois autres. La deuxième est plus lumineuse, la troisième moins facilement crédible. La quatrième est franchement retorse qui suppose l’intervention active de la psychanalyste de Claire interprétée par Nicole Garcia, toujours impériale, double assumée de Juliette Binoche, d’une vingtaine d’années son aînée. Et le dernier plan du film en esquisse même une cinquième qui restera ouverte.

On pourrait reprocher au scénario de nous les livrer en vrac sans avoir fait l’effort d’en choisir une. La critique est recevable ; mais elle n’est pas fondée. Celle que vous croyez en appelle à notre cœur autant qu’à notre intelligence. C’est une qualité suffisamment rare pour être saluée.

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Nos vies formidables ★★☆☆

Margot (Julie Moulier) est toxicomane. Elle a accepté de se faire soigner. Pendant huit semaines, elle va participer à une cure de désintoxication avec une dizaine d’autres malades.

Fabienne Godet creuse un sillon original à mi-chemin du documentaire et de la fiction. Son premier long-métrage Sauf le respect que je vous dois… tourné en 2005 avec Olivier Gourmet, Marion Cotillard, Dominique Blanc et Julie Depardieu (excusez du peu !) avait pour thème le harcèlement professionnel. Son deuxième Ne me libérez pas, je m’en charge… était un documentaire sur Michel Vaujour, un braqueur multirécidiviste, roi de l’échappée belle. Son quatrième film est consacré à l’addiction et aux moyens d’en réchapper.

Pour tourner Nos vies formidables, Fabienne Godet a utilisé une méthode originale. Sur la base d’un scénario très vague, elle a rassemblé en résidence une troupe de comédiens – parmi lesquels on reconnaît Johan Libéreau ou Bruno Lochet. Elle a leur confié une fiche biographique pour chacun de leurs personnages. Et elle les a laissés improviser.

Le résultat porte la marque de la méthode retenue. Les acteurs forment une vraie communauté qu’on sent unis par une complicité réelle. Chaque personnage est incarné. Chaque situation est crédible.

Mais Nos vies formidables souffre de la comparaison avec les films, décidément nombreux depuis quelques années, consacrés au même sujet. On pense aux récents My Beautiful Boy et Ben is Back. Mais on pense plus encore aux films français tous trois extraordinairement réussis : La Prière (2018), La fête est finie (2017) et Le Dernier pour la route (2009).

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