Un jour ça ira ★☆☆☆

L’Archipel est un centre d’hébergement en plein Paris qui accueille, dans les anciens locaux de l’Institut national de la protection intellectuelle, avant leur réfection, des familles étrangères. Les frères Zambeaux y ont posé leur caméra, s’attachant notamment à deux pré-ados d’une douzaine d’années, Djibi et Ange. Djibi  vit avec sa mère immigrée du Sénégal ; Ange est seule avec son père. Grâce aux ateliers d’écriture et de chant qui leur sont proposés, Djibi et Ange créent un peu de beauté et d’espoir.

Pendant douze ans Edouard Zambeaux a présenté Périphéries sur France Inter. Il s’y intéressait aux marginaux, aux petits, aux sans-grades. C’est avec la même empathie qu’il filme les familles du 115, le numéro d’urgence des mal-logés, ballottés d’hôtels en meublés. Djibi les appelle les « serial déménageurs ».

Un jour ça ira décrit la vie des occupants, l’ennui de leurs journées sans but, l’inquiétude que suscite la fermeture imminente de l’Archipel et le relogement hypothétique de ses résidents. Il décrit aussi le travail remarquable de dévouement des travailleurs sociaux qui en assurent la gestion et qui animent les activités proposées aux jeunes. On ne peut, en particulier, s’empêcher de saluer le talent de la chanteuse-parolière-pianiste Peggy Rolland dont la voix et la rythmique permettent, le temps d’une chanson, de faire oublier les couacs de ses élèves pas toujours doués.

Un jour ça ira a le défaut de ses qualités. L’émotion qu’il nous fait partager est parfois un peu trop racoleuse. La larme qu’il nous fait verser est souvent de trop. Autrement plus critiques et autrement plus convaincants étaient les documentaires sur l’accueil en Cada (Les Arrivants, 2008) et sur l’apprentissage du français à des jeunes étrangers (La Cour de Babel, 2013).

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L’Insoumis ★★☆☆

Gilles Perret, savoyard revendiqué, s’est fait une réputation de documentariste sérieux et engagé en traitant à bras le corps des sujets austères : l’histoire industrielle (De mémoire d’ouvriers, 2011), la mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance (Les Jours heureux, 2012), la création de la Sécurité sociale (La Sociale, 2016).
Il a suivi au jour le jour la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon de février à avril 2017.

Difficile de critiquer un documentaire sur Jean-Luc Mélenchon sans critiquer Jean-Luc Mélenchon. Car le personnage clive. Soit il séduit ; soit il horripile.

Gilles Perret n’avance pas masqué. De gauche voire d’extrême-gauche, il confesse sa sympathie pour le candidat de la France insoumise ou, à tout le moins, pour les idées qu’il a portées durant cette campagne présidentielle chamboule-tout. Il ne nous fait pas croire en une impossible neutralité – que revendiquait Depardon en 1974 mais que tout son fameux documentaire 1974, une partie de campagne contredit.

Et l’image qu’il donne de Jean-Luc Mélenchon est largement positive. Ses qualités sont exaltées : sa formidable énergie, sa capacité de travail, son aisance oratoire et surtout son attachement aux petits, aux sans-grades. Ses défauts sont excusés : ses accès de colère sont présentées comme une force de caractère et un signe d’authenticité, son histrionisme est la marque d’une légitime ambition, son soi-disant autoritarisme est corrigée par les nombreuses séquences où on le voit recueillir les avis et les conseils de son comité de campagne.

Est-ce à dire que le portrait de Gilles Perret vire à l’hagiographie ? Ce serait lui faire un procès injuste. Car Gilles Perret est sincère. Sincère quand il décrit un candidat vieillissant, agacé par le jeunisme d’un Macron, incapable de lire autrement qu’à travers les œillères étriquées d’un marxisme daté. Sincère quand il le suit le soir du premier tour, convaincu qu’il se qualifiera d’un cheveu pour le second, s’accrochant aux sondages qui le lui font miroiter et tardant, du coup, à accepter la défaite et à appeler à voter pour Emmanuel Macron et contre Marine Le Pen.

Quelle que soit l’opinion qu’on a de Jean-Luc Mélenchon, L’Insoumis mérite d’être vu. Il ne fera changer d’avis personne : ceux qui l’aiment l’aimeront sans doute un peu plus – et verseront une larme sur cette campagne pleine d’espoir. Ceux qui le détestent ne le détesteront pas moins – même si peut-être ils lui reconnaîtront plus d’humanité qu’ils ne lui en avaient soupçonné.

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The Ride ★☆☆☆

En décembre 1890, trois cents Sioux lakota sont massacrés par le 7ème de cavalerie à Wounded Knee. Pour entretenir leur mémoire, leurs descendants entreprennent chaque année une chevauchée commémoratives de plusieurs de centaines de kilomètres à travers les plaines enneigées du Dakota. La documentariste Stéphanie Gillard les a suivis.

Mise à part une brève introduction très pédagogique qui nous explique les événements historiques de la fin du dix-neuf siècle, The Ride adopte un parti pris radical et minimaliste. Le documentaire commence le premier jour de la chevauchée et se termine à son arrivée à Wounded Knee. Ni plus ni moins. Pas de voix off. Pas d’inserts. Un documentaire qui alterne de longs plans séquences filmant en panoramique la caravane qui s’achemine lentement et des discussions, à la veillée, avec des anciens ou des plus jeunes.

Car cette chevauchée, on le comprend vite, a une vocation pédagogique. Il s’agit pour les aînés de transmettre aux plus jeunes le souvenir de leur histoire. Ils le font avec une grande douceur, sans désir de vengeance ce qui donne à The Ride un parfum de western mélancolique. Sans quitter la petite communauté des cavaliers, on comprend vite qu’elle est isolée au milieu des États-Unis, qui ont dépossédé les Amérindiens de leur identité culturelle. (Mal) intégrés, ils parlent anglais, portent des jeans et vivent comme des Américains de la classe pauvre. Juchés sur leurs chevaux, avec leurs bâtons de prière, ces descendants des Sioux massacrés à Wounded Knee sont tout à la fois majestueux et dérisoires.

Le problème est que The Ride manque de souffle et que l’interprétation (stimulante ?) que je viens d’en faire est plus le produit d’une relecture a posteriori que d’un ressenti sur le coup. En se bornant à suivre la morne caravane, qui traverse la plaine gelée sans qu’aucune péripétie ne vienne égayer sa lente pérégrination, Stéphanie Gillard n’échappe pas à l’ennui qui bientôt s’installe et ne nous quittera plus.

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L’Apparition ★★★★

Reporter de guerre, traumatisé par la mort de son photographe en Syrie, Jacques Mayano (Vincent Lindon) est mystérieusement convoqué au Vatican. On lui propose d’y présider une commission d’enquête canonique. Une jeune novice (Galatea Bellugi), dans les Alpes françaises, prétend avoir vu apparaître la Vierge. Couvée par un prêtre en rupture de ban (Patrick d’Assumçao), cette jeune orpheline élevée en foyer qui vient de rejoindre un couvent de moniales avait seize ans à peine au moment des faits. Des pèlerins affluent en masse sur les lieux de l’apparition, inquiétant à la fois les autorités civiles et religieuses.

Cinéaste de la mystification, le réalisateur de Marguerite et À l’origine s’avance sur le terrain miné de la foi. Il traite une apparition mariale sur le mode du thriller – en confiant bizarrement le soin de l’enquête non à un policier mais à un journaliste. Et il y réussit magistralement, multipliant les fausses pistes et les rebondissements.

Il y est aidé par une distribution impeccable. Vincent Lindon joue toujours le même rôle : celui du type taiseux et bourru qui ne comprend pas, s’interroge et s’énerve. mais ce rôle là lui va comme un gant et colle au personnage de Jacques Mayano. Déjà remarquée dans les excellents Réparer les vivants et Keeper, deux de mes films préférés de l’année 2016, Galeata Bellugi irradie. Ses yeux bleus, sa peau diaphane, sa voix douce donnent au personnage de la jeune voyante une crédibilité sans laquelle le film aurait boîté.

Mais le thriller a ses limites : il appelle une fin simple où l’on voit l’enquêteur élucider le mystère. Et bien souvent cette élucidation est plus décevante que l’enquête qui y a conduit. Ici, le problème semble binaire : soit les apparitions ont eu lieu, soit elles sont le produit du cerveau malade d’une jeune fille mythomane. Tout le film navigue entre ces deux possibilités et nous fait toucher du doigt la difficulté de prouver aussi bien la réalité d’un phénomène paranormal (comment « prouver » une apparition mariale ?) que son inexistence (comment apporter la preuve négative que la Vierge n’est pas apparue ?).

La critique hélas n’a pas le droit de révéler la solution de l’énigme. Elle est étonnante. Je lis ici ou là qu’elle est artificielle. Le Monde, qui a la dent dure, évoque – non sans humour – un deus ex machina. Bien au contraire. J’ai rarement vu conclusion plus intelligente, résolution d’une énigme plus subtile et plus appropriée. Elle tient à distance le mensonge et la vérité et dépasse l’alternative simpliste dans laquelle le scénario semblait s’être enferré. Surtout, elle esquisse une voie de sainteté inattendue loin du Barnum ridicule des lieux de pèlerinage, vers une démarche plus modeste de pardon, de sacrifice et d’amour.

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Phantom Thread ★☆☆☆

Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis) est un immense couturier londonien qui ne vit que par son art. Sa sœur Cyril (Lesley Manville) veille jalousement à son bien-être et s’assure que rien ne le distraie de sa routine.
Reynolds Woodcock fait la conquête d’Alma (Vicky Krieps), rencontrée dans une modeste auberge sur la côte anglaise. Il la séduit et la ramène avec lui à Londres.

Les louanges pleuvent sur le dernier film de Paul Thomas Anderson. Au point qu’elles me complexent de juger trop sévèrement un film que je n’ai ni compris ni aimé. J’avais eu la même réaction début 2016 devant Carol, un film qui n’est pas sans présenter de nombreuses analogies avec Phantom Thread.

Pour commencer, les critiques considèrent le jeune réalisateur américain comme l’un des plus talentueux de sa génération. J’avoue ne pas partager cette admiration. Ni Inherent Vice, ni The Master ni même There WIll Be Blood ne m’avaient en leurs temps convaincu. Ce Phantom Thread inutilement maniéré me confirme dans le sentiment qu’Anderson loin d’être un génie est tout au mieux un habile faiseur.

Mais venons en à son dernier film. Commençons par la musique de Jonny Greenwood pour laquelle, là encore, on crie au génie. Tout en en saluant l’élégance de sa partition, je l’ai trouvée inutilement envahissante. Elle ne s’interrompt jamais. Quelle en est la fonction ? Qu’est-ce qui en justifie l’omniprésence pour des personnages qui jamais n’en écoutent ou n’en discutent ? On a parfois l’impression que le réalisateur, avec cette musique si racée, a voulu en rajouter une couche, comme un chef prétentieux qui étalerait du caviar sur un canapé de foie gras.

Évoquons les acteurs. Dans le rôle de l’oie blanche Vicky Krieps. Pour montrer qu’elle sort du ruisseau, on l’a découvre servant le petit déjeuner dans un troquet de province. Pour souligner combien Woodcock l’impressionne, on lui fait piquer un fard à chacun des mots qu’il lui adresse. Quant au personnage principal, il est interprété par Daniel Day-Lewis, un des plus grands artistes contemporains, le seul à avoir jamais emporté trois fois l’Oscar du meilleur acteur (en 1990 pour My Left Foot, en 2008 pour There Will Be Blood et en 2013 pour Lincoln) en attendant un quatrième peut-être pour ce Phantom Thread où il est nominé. Il est bien sûr terriblement séduisant dans le rôle du sombre Woodcock. Mais sa voix volontairement fluette et son jeu étonnamment monolithique – surtout si on le juge à l’aune de l’immense talent de cet acteur – finissent vite par lasser.

Venons-en à l’essentiel : le propos du film. On lit qu’il s’agit d’une vengeance féminine. Phantom Thread serait l’histoire du renversement d’un lien de domination. Il est difficile de discuter du comportement d’Alma sans révéler top hardiment le contenu du film. Mais je puis dire que la décision qu’elle prend, et qu’elle prend à deux reprises, pour renverser ce lien de domination, est radicale et surprenante, pour ne pas dire dénuée de toute crédibilité. Quant à la réaction de Woodcock, surtout à la seconde occurrence, il faudra que des spectateurs plus perspicaces que moi – et plus versés dans les relations de domination au sein du couple – me l’expliquent.

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Le Retour du héros ★★☆☆

Au grand dam de Élisabeth sa sœur aînée (Mélanie Laurent), Pauline Beaugrand s’est amourachée du capitaine Neuville (Jean Dujardin). Le fringant officier doit aller combattre en Autriche et promet à sa fiancée de lui écrire chaque jour. Il n’en fait rien, la laissant dépérir. Élisabeth prend alors la plume et écrit, à la place de l’absent, des missives tendres où il narre une vie aventureuse. Mais, convaincue qu’il ne reviendra jamais, elle décide de faire mourir Neuville aux Indes pour permettre à sa sœur, vite consolée par un nobliau dégénéré, de tourner la page et fonder un foyer.
Mais tout se dérègle quand Neuville, qui avait en fait déserté les armées napoléoniennes, revient pouilleux et sans le sou.

Le Retour du héros mérite-t-il les critiques cinglantes qui ont accompagné sa sortie ? Je suis partagé. Et sans doute la présence à mes côtés de mon fils cadet, fan inconditionnel de Jean Dujardin dont il connaît par cœur chacune des répliques dans OSS117, m’a-t-elle influencé.

Certes Le Retour du héros n’est pas un chef d’œuvre. Loin s’en faut. C’est une grosse comédie signée par Laurent Tirard dont la marque de fabrique n’est pas la subtilité (Le Petit Nicolas, Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté, Un homme à la hauteur). Un gros glaviot craché dans un landau ; une godiche qu’on subjugue en la giflant [c’est bien connu : les femmes aiment qu’on les gifle] ; des Cosaques le sabre entre les dents qui menacent de mettre à feu et à sang la douce Bourgogne [c’est bien connu : les Cosaques ont envahi la Bourgogne en 1812]. On est plus proche de Claude Zidi ou d’Édouard Molinaro que de Philippe de Broca ou de Jean-Paul Rappeneau.

Pour autant Le Retour du héros n’est pas aussi calamiteux qu’on le dit. D’abord par son scénario qui réussit à tenir la durée. Quand Neuville revient, Pauline pourrait révéler son imposture et le film s’arrêter faute d’enjeu. Mais Laurent Tirard et Grégoire Vigneron parviennent à multiplier les rebondissements inattendus, qui prennent à contre-pied le spectateur et le conduisent sans regarder sa montre à une conclusion qui n’était qu’à moitié escomptée.

Mais Le Retour du héros vaut surtout par son interprétation. Il faut dire un mot des rôles secondaires joués par une brochette d’acteurs impeccables dont le visage est souvent familier mais le nom injustement oublié : Féodor Atkine, Laurent Bateau, Christian Bujeau. Noémie Merlant dans le rôle de la sœur benjamine un peu cruche et Christophe Montenez dans celui de son mari pusillanime sont tordants.
Et bien sûr les deux héros principaux. Jean Dujardin qui réjouira ses fans – et désespèrera ceux qui considèrent non sans motif que sa carrière fait du surplace : toujours aussi séduisant, toujours aussi drôle. Mais surtout Mélanie Laurent qui n’est pas loin de lui voler la vedette sans en faire des tonnes, par quelques mimiques, quelques regards, quelques soupirs. La démonstration si besoin en était qu’elle compte désormais parmi les plus grandes.

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Revenge ★★☆☆

Trois hommes d’affaires ont l’habitude chaque année de se payer un week-end entre mecs dans une luxueuse maison au milieu du désert. Pour expulser leur trop-plein de testostérone, ils s’adonnent à leur passion : la chasse.
Mais cette année, l’un d’entre eux est arrivé avec sa jeune maîtresse. Sa présence ne laisse pas les deux autres mâles insensibles. Elle est violée, laissée pour morte. Mais la proie deviendra prédatrice.

Le Rape and revenge est un sous-genre à part entière, qui emprunte parfois au thriller (Millenium), au drame (L’Eté meurtrier), au film d’action (Kill Bill). Le scénario part d’un ou plusieurs viols  suivi de la vengeance de sa victime ou de ses proches. Le propos n’est pas sans ambigüité : si le viol est dénoncé, la façon d’y répondre, qui retourne contre ses auteurs la violence dont ils ont usés, est légitimée.

Coralie Fargeat, jeune réalisatrice française passée par les meilleurs écoles (Sciences Po Paris, l’atelier scénario de la Femis) utilise les codes du film d’horreur pour réaliser un rape and revenge movie décomplexé. La recette est simple : une femme, trois hommes, un viol qui la laisse pour morte, une revanche déclinée en trois actes. Elle est sans surprise. Elle ne s’embarrasse pas de crédibilité. Elle n’en est pas moins fichtrement efficace.

Un tel scénario aurait pu faire un navet. Mais Coralie Fargeat s’est donné les moyens de réussir un film qui se laisse regarder. Un budget de deux millions d’euros. Un tournage au Maroc. Et deux acteurs qui pimentent le casting : la hotissime Matilda Luz et le non moins sexy Keve Janssens qu’on aperçoit tour à tour, égalité des sexes oblige, dans les tenues les plus dénudées qui soient.

Et c’est peut-être là qu’on touche les limites de l’exercice. On lit en effet, en pleine affaire Weinstein et #MeToo, que Coralie Fargeat aurait signé un pamphlet féministe dénonçant les violences faites aux femmes. Mais quel public son film attira-t-il sinon quelques porcs que font saliver les jolies fesses [peachy ass en VO] de l’héroïne ?

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Finding Phong ★★☆☆

Phong a grandi dans la campagne vietnamienne, dernier fils d’une nombreuse fratrie. Depuis sa prime enfance une certitude l’habite [si j’ose dire] : il est une femme dans un corps d’homme.
Il décide de suivre un traitement hormonal et de se faire opérer en Thaïlande. Ce documentaire le suit pendant ce processus.

Finding Phong est un documentaire qui tourne le dos à tout psychologisme alors qu’il traite d’un sujet éminemment psychologique. La caméra des coréalisateurs, le français Swann Dubus-Mallet et le Vietnamien Phuong Thao Tran, filme dans la durée les transformations physiques de Phong : des seins qui gonflent trop lentement, des cheveux qui poussent et que Phong coiffe avec coquetterie, des tenues de plus en plus féminines…

Cette transformation nourrit chez le spectateur une curiosité un peu malsaine, vite satisfaite par quelques explications chirurgicales imagées. Mais il aura bientôt compris que l’essentiel se passe ailleurs, dans la tête. Et dans la tête de Phong, au fond, même s’il pleure beaucoup et souvent, il ne se passe pas grand-chose. Car Phong est un être simple. Il est une femme dans un corps d’homme. Point. Le documentaire n’entretient pas à ce sujet de suspense ni n’invente de rebondissement artificiel au risque de manquer de nerf.

Son environnement est plutôt clément à Phong. Certes sa mère ne voit pas d’un bon œil sa mue mais elle est la première à concéder que c’est par égoïsme maternel. Son père est plus philosophe. Et ses frères administrent une belle leçon de modestie quand ils avouent leur gêne initiale puis expriment leur respect de la liberté du choix de leur frère.

Finding Phong s’arrête à la sortie de la clinique thaïlandaise où Phong subit une vaginoplastie. Comme si Phong s’y était trouvé.e. On regrette que la caméra ne le/la suive pas encore quelque temps dans sa nouvelle vie. Ces quelques mois supplémentaires auraient permis de répondre à une question laissée en suspens :  Phong devient-il une femme du jour où il a un vagin ? On esquisse une réponse doublement négative : non car il l’était déjà avant son opération et non car il/elle ne le sera jamais tout à fait. Ou pour le dire autrement : la femme ne se définit pas par son vagin et le vagin ne fait pas la femme.

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La juste route ★☆☆☆

Un petit village hongrois au milieu de nulle part, en août 1945, prépare fébrilement le mariage du fils du maire. Mais la fête est gâchée par l’arrivée de deux Juifs qui transportent deux mystérieuses malles.
Que cherchent-ils ? Que transportent-ils ? Les interrogations que leur arrivée suscite bouleversent le petit village et obligent ses habitants à regarder le passé en face.

Impossible de voir aujourd’hui cette Juste route sans se rappeler Un homme est passé, le chef d’œuvre de John Sturges. Un manchot, interprété par Spencer Tracy (le rôle lui valut une de ses neuf (!) nominations à l’Oscar du meilleur acteur) descendait d’un train dans une bourgade perdue du Far West et suscitait l’hostilité générale en y cherchant le père d’un soldat japonais qui lui avait sauvé la vie durant la guerre du Pacifique. On apprenait plus tard que ce Nippo-Américain avait été la victime d’un crime raciste pendant la guerre.

C’est la même ambiance de western qui caractérise ce film hongrois. Même noir et blanc stylisé [oui oui Un homme est passé était en couleurs… mais ne pinaillons pas]. Même unité de temps, de lieu et d’action. Même personnages archétypiques, à commencer par ces deux Juifs mutiques qui cheminent derrière la carriole qui transportent leurs précieux chargements.

Sans qu’ils prononcent une parole, l’arrivée de ces deux visiteurs hystérise le village. On comprend vite que sa prospérité actuelle – que vient obscurcir la présence menaçante de l’occupant soviétique – est le fruit des spoliations passées. Le maire, le chef de gare, le curé, tous sont complices. Et l’ivrogne du village qui est tenaillé par le remords se voit rapidement sommer de se taire quand il recommande de tout avouer.

Le film est tendu par un suspense : que vont demander ces deux visiteurs ? que transportent-ils ? Il suffit de regarder l’affiche pour imaginer la réponse. Du coup, ce suspense assez pauvre ne suffit pas à lui seul à nourrir le film. Pour y remédier, le scénario se leste d’histoires secondaires, telle celle de la future mariée (qu’on voit sur l’affiche quoique son rôle soit secondaire et ses apparitions furtives) qui n’est guère attirée par son promis et lui préfèrerait volontiers un paysan pro-communiste ou celle du fiancé qui préfèrerait fuir l’ambiance délétère de ce village hypocrite que de s’y marier.

À force de s’interdire tout sentimentalisme, la mise en scène de Ferenc Tökör nous anesthésie. Dommage…

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Ni juge, ni soumise ★☆☆☆

Anne Gruwez est juge d’instruction à Bruxelles. Pendant trois ans, l’équipe de Striptease l’a filmée. Dans son bureau où elle auditionne des inculpés et décide leur mise en accusation. Sur les lieux des crimes où elle se déplace dans une 2CV chevrotante. À la police judiciaire où elle décide de rouvrir une vieille affaire restée irrésolue.

Jetez un œil à la bande annonce pour découvrir Anne Gruwez. Elle ne vous laissera pas indifférente.

La première réaction sera bien sûr le franc éclat de rire devant la drôlerie de ses réparties. On n’oubliera pas de sitôt l’audience d’une maîtresse SM qui enseigne par le menu à la juge fascinée – et à son greffier vaguement gêné – les secrets d’un massage prostatique réussi ou celle d’une famille consanguine abrutie. Bien sûr l’équipe de Striptease résume en cent minutes des heures de rush et des années d’audition qui n’étaient forcément pas toutes si hilarants. Mais le best of qu’ils ont amassé est franchement poilant. La salle ne s’y trompe pas qui, quasi-pleine et étonnamment âgée, s’esclaffe bruyamment – j’ai bien cru que mon voisin allait s’étouffer de rire.

Mais derrière cette réaction primaire s’en cache une seconde plus malaisante. C’est d’ailleurs celle qu’inspire les enquêtes de Striptease. Un sentiment d’incrédulité, de gêne, d’impudeur. Incrédulité devant les énormités que prononce cette magistrate qui lui vaudrait, en France, une convocation immédiate devant le CSM par exemple lorsqu’elle tient des propos racistes sur un Albanais accusé de violence conjugale ou devant cette avocate qui, bafouant les droits de la défense, enfonce son client, abruti d’alcool et de médicaments. Gêne devant des accusés qui, quels que soient leurs torts, ont dû signer une décharge autorisant Striptease à les filmer sans réaliser le ridicule dans lequel ils sont tournés. Impudeur d’un cadavre qu’on déterre par un beau jour d’été pour lui prélever de l’ADN sans que soit observée à l’égard de sa dépouille l’élémentaire décence que le respect des morts exige.

Bien sûr, en écrivant ce qui précède, j’ai conscience d’être un cul-serré, un Français scrogneugneu que ne font pas rire quelques bonnes blagues belges , un conseiller d’État péremptoire qui sacralise les principes déontologiques pour critiquer la réalité quotidienne de la vie d’un juge d’instruction qui se coltine avec la réalité. Peut-être… Mais quand même…

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