L’Homme aux mille visages ★★★☆

En 1994, le directeur de la Guardia civil (la police nationale espagnole), accusé de corruption, fuit le pays. L’Homme aux mille visages raconte l’histoire de sa traque et le rôle obscur qu’y joua Francesco Paesa, un ex agent secret.

L’Homme aux mille visages est un film à la croisée de plusieurs genres.

C’est d’abord un film historique qui se situe … en 1995. Pour moi, 1995 n’a rien d’historique. C’était hier. Avant-hier si vous insistez. Alberto Rodriguez filme ce temps-là comme si c’était les années 70. Comme le Carlos de Assayas. Avec des vieilles voitures, des costumes démodés, des postiches ridicules. Et moi de me demander si, en ces temps lointains où je possédais encore une dense chevelure, j’avais une telle dégaine avec mon gros téléphone portable coincé à l’oreille…

C’est ensuite un film d’espionnage qui louche du côté de John Le Carré : La Taupe, Un homme très recherché, Un traître idéal… Avec une intrigue volontairement dense mais toujours lisible, une pléiade de seconds rôles, une narration bien rythmée.

Comme chez Le Carré, mais avec une ironie que le maître britannique n’a jamais eu, c’est enfin un film volontiers grinçant où les personnages se moquent d’eux-mêmes avec un cynisme réjouissant. On s’attache à Luis, le fugitif trop amoureux pour supporter de rester planqué toute sa vie, à Jesús, le pilote de ligne que sa passion des femmes perdra, à Casturelli, l’homme de paille rongé par l’alcoolisme. Et surtout, on se prend de fascination pour Francisco qui cache sous un visage impassible un plan dont je vous laisse découvrir la rouerie aux multiples rebondissements.

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À voix haute ★★★☆

Le concours Eloquentia désigne chaque année le meilleur orateur parmi les étudiants de Paris 8 et les habitants de Seine-Saint-Denis. Une formation y prépare qu’animent un avocat, une dramaturge, un slameur…
Stéphane de Freitas a fondé ce concours et l’a filmé. Diffusé sur YouTube puis sur France 2 l’automne dernier, À voix haute a eu une tel succès que sa sortie en salles a été décidée dans un format légèrement étendu.

Le résultat m’a enthousiasmé.
Bien sûr, j’ai conscience de ses limites – qui me retiennent de lui conférer une quatrième étoile. Il s’agit d’un documentaire très classique qui suit quelques candidats le temps de leur formation jusqu’au concours. Le rythme du récit est scandé par le compte à rebours du jour J et sa dramaturgie chorale utilise les candidats les plus attachants.
Il s’agit aussi d’un documentaire extrêmement bienpensant où la diversité ethnique de ces jeunes, tous formidables, font parfois penser à une publicité Benetton (Laila, la féministe voilée d’origine syrienne, Eddy, le franco-algérien, Franck et El Hadj les Blacks, etc.)

Mais que diable ! Ne soyons pas pisse-vinaigre ! À condition de ne pas être trop scrogneugneu, à condition d’accepter de se laisser entraîner, À voix haute est incroyablement euphorisant. Parce qu’on se laisse prendre par le suspense du concours, affligés par l’échec des uns, réjouis de la qualification des autres. Parce que l’enthousiasme de ces jeunes gens, qui suivent avec une exemplaire assiduité la formation qui leur est proposée, est communicative. Parce qu’enfin on reste pantois devant leur talent, qu’il s’agisse d’Eddy, cet acteur né qui marche chaque jour près de dix kilomètres jusqu’à la petite gare de l’Aisne où un train le conduit à Saint-Denis ou de Souleila Mahiddin dont je vous fiche mon billet qu’on la reverra très bientôt au sommet de l’affiche.

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Bienvenue au Gondwana ★☆☆☆

Le Gondwana est une petite république africaine moins démocratique qu’elle ne se prétend. Sa devise : Loyauté – Allégeance – Prison. Son drapeau : deux hippopotames prêts à gober une couronne sur fond jaune et blanc. Son Président-fondateur décide de briguer un troisième mandat. Un petit groupe d’observateurs occidentaux est mandaté pour donner sa caution à ce processus électoral contestable.

J’attendais beaucoup du premier film de Mamane, le chroniqueur de RFI qui, dans ses chroniques radiophonique hilarantes, a donné une première célébrité à la république très très démocratique du Gondwana.

J’ai été très déçu.

Pourtant, le scénario laissait espérer une critique décapante de l’Afrique corrompue, de ses processus électoraux à la Potemkine et d’une certaine Françafrique pas encore tout à fait éteinte. Le résultat est certes atteint qui n’épargne personne. Ni la brochette représentative d’observateurs occidentaux (une Allemande coincée, une Espagnole pétillante, un Autrichien baroudeur) roulés dans la farine par la fausse convivialité de leurs hôtes africains. Ni les Noirs de la majorité (Junior, le fils du président, qui mène la belle vie à Paris dans un bien mal acquis en attendant de succéder à son père) ou de l’opposition (le personnage du chef de l’opposition, extrait de prison le temps de mener une campagne bidon pour donner l’illusion d’un débat pluraliste, est particulièrement bien croqué) qui servent avec cynisme un régime qu’ils croient inébranlable.

Pour autant le résultat final déçoit pour une raison simple : Bienvenue au Gondwana est une comédie qui ne fait pas rire. Les personnages sont trop caricaturaux pour être crédibles (un Razzie d’honneur à Antoine Duléry qui interprète le chef de la délégation, dont la seule préoccupation est d’exporter au Gondwana les asperges blanches que les agriculteurs de sa circonscription ne parviennent plus à écouler en Europe). Les situations sont trop prévisibles pour surprendre (on voit venir à des kilomètres l’évolution du jeune conseiller juridique que la rencontre d’une belle Gondwanaise va dessiller). Plus grave : aucun gag n’est si drôle, pas même les bouffonneries de Digbeu et Gohou, pour faire rire une salle bien remplie de spectateurs jeunes et blacks frustrés d’une bonne rigolade.

Dans le même registre, on préfèrera sans hésiter Le Crocodile du Botswanga (2014).

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Casanova ☆☆☆☆

J’ai tout détesté dans « Le Casanova de Fellini » : le libertinage triste, le scénario répétitif, les monstres chers à Fellini, le titre narcissique….
Est-ce parce que le film, qui porte à la caricature l’esthétique kitsch des années 70, est passé de mode ? Ou suis-je à ma grande honte hermétique au génie du Maestro ?

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Zona Franca ★☆☆☆

L’extrême sud du Chili, en Patagonie, est une terre ingrate dont les colons ont jadis chassé les habitants pour y exploiter l’or blanc, le mouton, sa viande, son cuir, sa laine.

Le documentariste français Georgi Lazarevski y a planté sa caméra. Loin de tout exotisme, il filme un ancien chercheur d’or, une vigile de supermarché et un syndicaliste. Si Zona Franca est le nom d’un immense centre commercial que fréquentent les touristes venus visiter le détroit de Magellan, il ne le filme guère – faute sans doute d’avoir obtenu de ses propriétaires l’autorisation d’y laisser entrer sa caméra.

Son passage en Patagonie a coïncidé avec l’éclatement d’une grève générale provoquée par la hausse du prix du gaz. Cette coïncidence dessert son projet plus qu’elle ne l’enrichit. Car, en consacrant à cette grève, dont on comprend mal les causes et les enjeux, toute la moitié de son documentaire, Georgi Lazarevski en déséquilibre l’architecture.

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Je danserai si je veux ★★★☆

Tout – ou presque – est dans l’affiche. D’abord le titre : Je danserai si je veux qui sonne comme un slogan féministe. Ensuite la photo de trois femmes. L’une porte le voile. Les deux autres boivent et fument. Enfin à l’arrière plan, une ville, dont on sait depuis Richard Bohringer que c’est beau la nuit.

Le reste se découvre très vite.
Layla, Salma et Nour sont trois jeunes femmes arabes et israéliennes. Elles partagent un appartement à Tel Aviv. Layla est avocate ; Salma a un job dans un bar ; Nour poursuit des études à l’université. Chacune à sa façon est en prise avec la société phallocrate.

Il y a deux façons de critiquer ce premier film d’une jeune réalisatrice palestinienne.
La première est la plus rationnelle. Elle est la plus sévère aussi.
Elle pointerait du doigt son architecture trop voyante. Scrupuleusement voilée, respectueuse des rites, Nour incarne la jeune Palestinienne pratiquante sous la coupe d’un fiancé qui lui refuse la moindre liberté. Avec ses piercings et ses joints, Salma est la bobo palestinienne qui cache à sa famille bourgeoise son orientation sexuelle. Plus âgée, plus indépendante, Layla est, elle, la Palestinienne installée que les hommes dont elles tombent régulièrement amoureux rappellent à son statut. Trois destins de femme comme autant d’illustrations simplistes de discours féministes.

La seconde choisit d’ignorer ces défauts pourtant bien voyants et de laisser parler son cœur.
Elle soulignerait l’émotion suscitée par ces trois personnages qui, chacun à sa façon, fait naître l’empathie. Même Nour, a priori la moins sympathique.
Sans se réduire à un simple coup de cœur impulsif, cette seconde critique évoquerait le portrait tout en nuance que le film dresse de Tel Aviv, la capitale économique d’Israël, dont Eytan Fox avait déjà fait en 2007 le personnage principal de son film The Bubble. Elle évoquerait aussi le rôle des hommes dans ce film, qu’on pouvait craindre un instant unanimement veules mais qui sont sauvés, dans une scène bouleversante, par la tendresse du père de Nour.

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The Young Lady ★★★☆

La Lady Macbeth du district de Mtsensk est une nouvelle écrite en 1865 par un auteur russe aujourd’hui tombé dans l’oubli. Elle inspira Chostakovitch qui en fit un opéra en 1934 et Andrzej Wajda qui en fit un film en 1961. Venu du théâtre, William Oldroyd transpose ce court roman dans l’Angleterre victorienne.

Au début on se croirait chez les sœurs Brontë : même landes désertes battues par les vents, mêmes aristocrates engoncés dans leur morale d’ascète, mêmes passions qui couvent sous la glace. La jeune Kathrine est mariée à Alexander Lester, un homme plus âgé qu’elle, propriétaire terrien, encore sous la coupe de son père. Leur nuit de noces est une catastrophe qui laisse la jeune femme traumatisée. On n’en dira pas plus sur l’intrigue sauf à révéler la lente transformation de la victime en bourreau et le basculement du film d’époque en film noir.

La quasi totalité de The Young Lady se déroule entre les quatre murs du manoir des Lester, dont Kathrine cherche désespérément à s’évader. La maison n’a pas l’élégance feutrée de Downton Abbey. Ce serait plutôt la demeure d’un noble désargenté, d’un capitaine Fracasse au bord de la banqueroute. Aucune distraction, aucune musique, une domesticité réduite à son strict minimum. La mise en scène de William Oldroyd est au diapason, qui prend le parti d’un minimalisme jamais poseur.

Tout repose sur Florence Puigh, la formidable actrice dans le rôle titre. Elle a la fragilité de la jeune fille obligée d’épouser un mari qu’elle n’a pas choisi. Elle a la moue sensuelle de la femme qui s’éveille à l’amour dans les bras d’un vigoureux palefrenier. Elle a dans le regard la lueur de folie de la meurtrière.

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Le Secret de la chambre noire ★☆☆☆

Jean (Tahar Rahim) a trouvé un petit boulot d’assistant auprès de Stéphane (Olivier Gourmet) qui vit reclus, avec sa fille (Constance Rousseau), dans une grande demeure de la banlieue parisienne. Cet ancien photographe de mode y reproduit l’ancienne technique du daguerréotype qui exige de ses modèles d’interminables séquences de pose.

Kiyoshi Kurosawa s’est fait un prénom dans le cinéma d’auteur. Son cinéma était typiquement japonais : des histoires de fantôme qui baignent dans une atmosphère élégamment angoissante. Il tourne son premier film loin du Japon. On était curieux de voir la greffe fonctionner. Las ! Rien ne marche.

Pourtant l’idée de départ était stimulante. Elle interroge les techniques de la photographie, reconstituées à l’origine du huitième art. Peut-elle capturer une âme ? confère-t-elle à son modèle le don d’immortalité ? peut-elle l’en faire revenir d’entre les morts ?

Pendant la première moitié du film, ces thèmes sont explorés. Mais, trop long, Le secret… se leste d’une seconde moitié qui s’en éloigne. Tandis que le héros dérive dans une illusion trop évidente pour rester mystérieuse, l’intrigue se perd dans une querelle immobilière sans intérêt. On attend patiemment la double fin. Qu’advient-il de Marie, la belle modèle ? On le savait déjà. Qu’advient-il de Stéphane ? On s’en désintéresse.

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Les Figures de l’ombre ★☆☆☆

Elles sont brillantes. Elles sont intelligentes. Elles sont ambitieuses. Grâce à la mathématicienne Katherine Johnson, à la physicienne Mary Jackson et à l’informaticienne Dorothy Vaughan, la NASA enverra un homme dans l’espace.
Mais elles sont femmes. Et elles sont noires dans l’Amérique ségrégationniste des années 60.

On imagine volontiers avec quel enthousiasme les producteurs de la Fox ont accueilli à bras ouverts le scénario des Figures de l’ombre. Car le livre historique de Margot Lee Chetterly s’inscrit à la croisée de deux des pages les plus héroïques de l’histoire contemporaine américaine.

D’un côté la conquête de l’espace. Une victoire qui incarne jusqu’à la caricature le rêve américain : le surpassement de soi, le repoussement des limites, le travail d’équipe, le courage individuel. On ne compte pas les films qui en ont déjà fait la légende : L’Étoffe des héros, Apollo 13.

De l’autre la lutte des Noirs pour l’égalité des droits civiques. Là encore, les références cinématographiques abondent : Loving, Selma, La Couleur des sentiments… Un thème qui, en apparence, constitue une critique du modèle américain. Mais en apparence seulement. Car si, à première vue, le racisme est la première cible de ces films-là, c’est finalement la capacité des États-Unis à évoluer, à faire litière de leur passé ségrégationniste qu’ils encensent.

Les Figures de l’ombre agglutinent ces deux sujets dans un mélange trop téléguidé, trop tire-larmes pour être honnête.

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Chacun sa vie ★★★☆

J’avoue un penchant coupable pour les films de Claude Lelouch. J’en aime l’énergie débordante, le romantisme échevelé, le rythme endiablé, les intrigues polyphoniques, la musique envahissante, les dérapages pas toujours contrôlés. J’ai pour eux une indulgence excessive qui me conduit fidèlement à les voir à leur sortie au cinéma alors que les spectateurs les boudent et la critique les ignore.

J’avais vu l’an passé Un + Une.  J’en disais que Lelouch filme toujours sous des titres différents (Un homme et une femme, Hommes femmes, mode d’emploi, Ces amours-là) le même film sur la magie de l’amour. Je suis allé voir Chacun sa vie. Je pourrais en dire que Lelouch filme toujours sous des titres différents (Vivre pour vivre, La Vie, l’amour, la mort, Toute une vie, Viva la vie) le même film sur la magie de la vie… et de l’amour.

L’affiche est trop petite pour lister tous les acteurs, célèbres ou moins, qui font une apparition, plus ou moins longue : Johnny Halliday, Jean Dujardin, Jean-Marie Bigard (hélas !), Christophe Lambert (plus space que jamais), Béatrice Dalle (dont les dents et le seins sont de plus en plus déconcertants), Nina Farès (qui ressemble trop aux précédentes épouses de Lelouch pour ne pas y voir anguille sous roche), Gérard Darmon, Francis Huster, etc.

Certaines situations sont hilarantes. D’autres tombent à plat. D’autres enfin sont franchement limite. En vieillissant, la philosophie de l’amour chez Claude Lelouch se beaufise : « Tous les hommes sont des cochons ; mais les femmes aiment les cochons ». On l’aimerait plus subtil. Mais comme au vieil oncle Robert, qui boit toujours un coup de trop aux réunions de famille et embarrasse par ses blagues lourdingues, on pardonne beaucoup à ce vieux saltimbanque du cinéma français.

La bande-annonce