Chacun sa vie ★★★☆

J’avoue un penchant coupable pour les films de Claude Lelouch. J’en aime l’énergie débordante, le romantisme échevelé, le rythme endiablé, les intrigues polyphoniques, la musique envahissante, les dérapages pas toujours contrôlés. J’ai pour eux une indulgence excessive qui me conduit fidèlement à les voir à leur sortie au cinéma alors que les spectateurs les boudent et la critique les ignore.

J’avais vu l’an passé Un + Une.  J’en disais que Lelouch filme toujours sous des titres différents (Un homme et une femme, Hommes femmes, mode d’emploi, Ces amours-là) le même film sur la magie de l’amour. Je suis allé voir Chacun sa vie. Je pourrais en dire que Lelouch filme toujours sous des titres différents (Vivre pour vivre, La Vie, l’amour, la mort, Toute une vie, Viva la vie) le même film sur la magie de la vie… et de l’amour.

L’affiche est trop petite pour lister tous les acteurs, célèbres ou moins, qui font une apparition, plus ou moins longue : Johnny Halliday, Jean Dujardin, Jean-Marie Bigard (hélas !), Christophe Lambert (plus space que jamais), Béatrice Dalle (dont les dents et le seins sont de plus en plus déconcertants), Nina Farès (qui ressemble trop aux précédentes épouses de Lelouch pour ne pas y voir anguille sous roche), Gérard Darmon, Francis Huster, etc.

Certaines situations sont hilarantes. D’autres tombent à plat. D’autres enfin sont franchement limite. En vieillissant, la philosophie de l’amour chez Claude Lelouch se beaufise : « Tous les hommes sont des cochons ; mais les femmes aiment les cochons ». On l’aimerait plus subtil. Mais comme au vieil oncle Robert, qui boit toujours un coup de trop aux réunions de famille et embarrasse par ses blagues lourdingues, on pardonne beaucoup à ce vieux saltimbanque du cinéma français.

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A United Kingdom ★☆☆☆

Les Tswana bantouphones constituent le premier groupe ethnique du Bechuanaland, un territoire largement désertique d’Afrique australe. Le roi Khama III décida en 1885 de se placer sous la protection de la Couronne britannique pour se prémunir de l’expansionnisme des Boers d’Afrique du Sud. Son petit-fils monta sur le trône en 1925 à l’âge de quatre ans seulement. Tandis que la régence était confiée à son oncle, il partit parfaire son éducation à Londres. En 1947, il y rencontra Ruth Williams, en tomba amoureux et l’épousa contre l’avis du conseil de régence et contre celui de l’administration britannique. Il réussit néanmoins à la faire accepter de son peuple, mena le Botswana à l’indépendance en 1966 et en devint le premier président démocratiquement élu jusqu’à sa mort en 1980.

C’est cette histoire vraie, qui avait déjà fait l’objet de plusieurs ouvrages (A Marriage of Inconvenience de Michael Dutfield et Colour Bar de Susans Williams), qui est portée à l’écran.

Sans doute A United Kingdom a-t-il l’avantage – comme la trop longue introduction de cette critique – de nous apprendre un pan inconnu de l’histoire du Bostwana. Mais c’est bien là le seul atout de ce film qui par ailleurs échoue dans les grandes longueurs.

Comme tant d’autres de ces prédécesseurs – y compris le mythique Out of Africa dont je ne comprends pas la renommée usurpée – il sombre dans un exotisme de carte postale. Le coucher de soleil sur la savane qui en décore l’affiche en annonce la couleur.

Ses personnages sont d’un manichéisme caricatural : les Blancs britanniques et racistes sont plein de morgue, les Noirs tswanas (y inclus le héros d’origine nigériane qui n’en a guère les traits) sont dignes et épris de liberté.

Là où Meryl Streep et Robert Redford réussissait à faire souffler un vent d’érotisme sur la savane, Rosamund Pike et Martin Oleweyo sont bien trop sages. Comme s’ils avaient été obligés de se couler dans le carcan guindé qui sied à un couple présidentiel et sans lequel la diffusion de ce film dans toutes les écoles du Botswana pendant le prochain demi-siècle n’aurait pas été possible.

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Félicité ★★☆☆

Félicité est une femme forte. Elle gagne sa vie en chantant dans un bar de Kinshasa. Mais quand son fils est victime d’un grave accident de la route, elle doit trouver l’argent exigé pour l’opération qui le sauvera de l’amputation.

Félicité, c’est deux films en un.

C’est d’abord un Rosetta (1999) ou un Ma’Rosa (2016) congolais. Deux films, le premier belge, le second philippin, qui portaient le nom de leur héroïne, à l’instar de Félicité. Une héroïne, présente à chaque plan, qui devait se battre contre la terre entière, la première pour trouver un travail et le garder, la seconde pour réunir l’argent exigé par des policiers corrompus pour relâcher son mari. Comme Rosetta, comme Rosa, Félicité, filmée caméra à l’épaule par Alain Gomis, souvent de dos comme une héroïne dardenienne, déploie une mutique énergie à sauver son fils. Pour y parvenir, ses allers et retours dans Kinshasa sont l’occasion d’une visite kaléidoscopique de cette capitale chaotique.

Alain Gomis aurait pu se borner à tourner ce film-là. Mais l’auteur de L’Afrance et de Aujourd’hui a placé la barre plus haut. Ce premier film ne dure qu’une heure et cède la place à un second, plus poétique, moins linéaire. Ce n’est pas révéler l’issue du premier que d’évoquer la sortie de l’hôpital du fils de Simo et le soudain abattement dans lequel sombre Félicité. Comment en sortira-t-elle ? C’est l’enjeu de cette seconde moitié. Le récit est entrecoupé de longues plages musicales durant lesquelles l’orchestre symphonique kimbanguiste joue la merveilleuse musique d’Arvo Pärt – décidément très utilisé au cinéma sous toutes les latitudes (Knight of Cups, El Club, The Place Beyond the Pines, There Will Be Blood, Gerry…). Félicité, lentement, s’adoucit au contact de Tabu, un voisin dont la force physique n’a d’égale que la douceur de ses sentiments pour la belle chanteuse.

J’ai moins aimé cette seconde partie que la première. Je l’ai trouvé trop longue, moins rythmée, moins cohérente. Pour autant, cette légère déception n’a pas assombri le plaisir pris à ce film qui a largement mérité le Grand Prix du Jury au Festival de Berlin et l’Étalon d’Or au Fespaco de Ouagadougou.

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The Lost City of Z ★★☆☆

Officier de l’armée britannique, méprisé par ses supérieurs en raison de la déchéance de son père, Percy Fawcett est missionné par la Société royale géographique pour cartographier la frontière entre le Brésil et la Bolivie au cœur de la forêt amazonienne.

James Gray est un des réalisateurs les plus intéressants de sa génération. Ses films sont remarquables. Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient se déroulent dans la banlieue de New York. Avec The Lost City of Z, Gray change de lieu et d’époque. Le titre et l’affiche louchent du côté de Indiana Jones. Mais, The Lost City of Z raconte moins la découverte d’El Dorado que sa quête obsessionnelle. Il emprunte moins à Spielberg qu’à Coppola (Apocalypse Now), Huston (L’Homme qui voulut être roi) ou Herzog (Fitzcarraldo).

Sans doute The Lost City of Z est-il splendidement éclairé par le chef op Darius Khondji. Sans doute les scènes de retour dans l’ennuyeuse Angleterre – qui sont souvent, dans ce genre de films, traités comme des interludes – sont-elles aussi intéressantes que celles qui se déroulent sur le Rio Verde. Sans doute enfin, le final a-t-il la macabre majesté de celui de Apocalypse Now.

Pour autant, l’ensemble de ses composants mis bout à bout ne suffit pas à faire un grand film. Un film qui se démarquerait de ses trop illustres et trop nombreux prédécesseurs qui, dans ce registre-là, celui de l’explorateur parti au bout du monde à la recherche de soi, ont déjà donné tant de chefs d’œuvre.

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Les mauvaises herbes ★★☆☆

Jacques, un acteur de seconde zone, fuyant des créanciers trop pressants, se retrouve dans le nord du Québec en costume de théâtre. Il y croise Simon, un vieil agriculteur sur son motoneige qui accepte de le secourir. Mais la générosité de Simon n’est pas désintéressée : il exige de Jacques qu’il l’assiste dans son commerce de … cannabis.

Ainsi présentée, l’intrigue de ces bien-nommées Mauvaises herbes semble particulièrement peu crédible. Elle fonctionne pourtant étonnamment bien, quelques images suffisant à la planter (si on ose dire). On voit d’abord Jacques jouer le texte d’une pièce qu’un public endormi suit d’un œil distrait, l’autre occupé à textoter. On le voit ensuite semer ses créanciers dans une course poursuite burlesque à travers Montréal. On le retrouve enfin sur une route verglacée de l’hiver canadien, dans sa tenue de petit marquis Louis XV, fuir le double danger de la pègre et de l’hypothermie.

Mais l’intrigue menace de s’arrêter une fois que Jacques et Simon concluent leur pacte gentiment criminel. Pour que l’intrigue avance, il faut introduire un troisième personnage, Francesca, une employée des eaux venue relever les compteurs et découvrant, bien malgré elle, les plantations de cannabis. Le duo se transforme en trio. Et rebelote : il faut encore élargir le cercle pour faire avancer une intrigue qui devient vite répétitive.

Pour tout gâcher, le dernier tiers du film verse dans la guimauve sentimentale, hélas douloureusement prévisible. Reste le plaisir toujours renouvelé des dialogues québecois, qu’on ne comprendrait pas sans l’aide des sous-titres, mais dont la truculence suffit bien involontairement à ravir le spectateur français.

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United States of Love ★☆☆☆

Histoires de femmes.
Malheureuse auprès d’un mari qui ne lui donne plus de plaisir, Agata fantasme sur le curé de sa paroisse. Iza espère pouvoir enfin épouser l’homme marié dont elle est la maîtresse depuis plusieurs années et qui vient de perdre sa femme. Renata, une enseignante proche de la retraite, est secrètement amoureuses de Marzena, la sœur d’Agata, une ancienne reine de beauté qui cherche sans succès à percer dans le mannequinat.

Vous n’avez rien compris à ce résumé trop dense ? Estimez vous heureux. Le film est plus incompréhensible encore qui ne se comprend qu’après coup, une fois bouclées le destin de ces quatre femmes frustrées, animées de pulsions inavouables : séduire un prêtre, épouser un veuf, conquérir le cœur d’une hétérosexuelle…

La construction semble en tous points calquée sur celle de Certaines femmes, le film de Kelly Reichardt sorti en début d’année : soit le portait kaléidoscopique de plusieurs femmes murées dans leur solitudes que relie entre elles un fil narratif ténu. Je lis qu’il s’agirait d’un manifeste féministe. Je trouve au contraire que les femmes n’y ont pas le beau rôle qui courent sans raison après un rêve inatteignable au risque d’y perdre leur dignité.

L’action est censée se dérouler en Pologne en 1990 juste après la Chute du Mur. Pourtant, rien dans la lumière grise et les héroïnes dépressives ne laisse imaginer l’ivresse de liberté qui a saisi la Pologne – sauf à vouloir démontrer que cette soi-disant ivresse était une construction occidentale qui n’a pas eu une once de réalité à l’Est.

United States of Love vaut surtout par l’éclairage et le cadrage : images pâles, sous-saturées, cadrages millimétriques inspirés des natures mortes des peintres hollandais. La chair y est montrée nue, flasque, presque animale : ventres débordants, pénis détumescents, seins vergéturés… C’est pathologiquement beau. C’est surtout foncièrement triste.

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Parfaites ★★★☆

Pendant plus d’un an, le documentariste Jérémie Battaglia a suivi l’équipe canadienne de natation synchronisée dans la phase préparatoire des Jeux olympiques de Rio.

J’ai adoré ce documentaire sorti en catimini dans quelques trop rares salles.
Pour trois raisons.

D’abord pour ses étonnantes images. Jérôme Battaglia vient de la photographie et réussit, comme le montre l’affiche, des plans sous-marins ou aériens d’une étonnante sophistication.

Ensuite pour son euphorisant suspense. Comme tous les films de sport, Parfaites est construit autour d’un enjeu simple. Gagnera ? Gagnera pas ? On prend fait et cause pour la sympathique équipe canadienne. On partage son stress, ses joies, ses déceptions. On admire sa quête sans cesse recommencée d’une perfection absolue. On découvre aussi un sport d’une étonnante exigence, nécessitant les talents de nageuse, de gymnaste et de danseuse. Un sport qui souffre d’être trop souvent réduit à l’image caricaturale qu’il donne : jolies poupées en bikini, trop maquillées, au sourire artificiel.

Enfin pour sa dimension géopolitique. Le Canada est en effet un outsider dans le monde de la natation synchronisée. Il est écrasé par la Russie ou par la Chine qui sélectionnent au berceau les nageuses sur des critères purement physiques. Pour améliorer leur synchronicité, ils identifient des jeunes filles quasi identiques, des « jumelles ». Le Canada n’a pas ce luxe. De cet handicap, il veut faire une force, souhaitant renvoyer l’image d’une équipe nationale diverse et métissée. Courez voir Parfaites pour savoir si ce pari hétérodoxe portera ses fruits.

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Le Serpent aux mille coupures ★★★☆

Trois trafiquants de drogue rencontrent par hasard en pleine nuit un motard blessé qui les abat froidement avant de se réfugier dans une ferme dont il prend les occupants en otage. C’est le début d’une longue traque.

Nous sommes tous les orphelins des polars noirs des années 70-80 qui ont accompagné notre adolescence : Peur sur la ville, Adieu poulet, Le Professionnel … Le genre, à force peut-être d’avoir été visité sous toutes les coutures, est passé de mode.

On appréciera d’autant les réalisations de Éric Valette qui s’inscrit sans vergogne dans cette filiation. Déjà Une affaire d’État en 2009 et La Proie en 2011 révélait la patte d’un réalisateur racé. Le Serpent aux mille coutures, adapté d’un roman de D.O.A. (un auteur français dont le nom de plume fait référence au célèbre polar américain sorti en 1950), est de la même farine.

Les spectateurs un peu bégueules trouveront l’histoire tirée par les cheveux, le dénouement bâclé, la violence superflue voire complaisante (l’interdiction aux moins de seize ans me semble néanmoins bien sévère). Pour ma part, je me suis laissé prendre par cette histoire rondement menée qui se déroule dans les vignobles du Tarn, un lieu inhabituel pour un polar. J’ai été particulièrement impressionné par le jeu de Tomer Sisley (qui ne réussit pas à décoller depuis ses débuts prometteurs dans Largo Winch), de Terence Yin (« plus réussi est le méchant, plus réussi est le film ») et de Erika Sainte (dont j’ai déjà dit dans ma critique de La vie est belge tout le bien dont je pensais). Tout en en reconnaissant volontiers les limites, j’ai aimé ce polar aux allures de western qui aurait mérité une diffusion en salles plus large que celle qui le condamne par avance à un injuste et trop rapide oubli.

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Fantastic Birthday ★☆☆☆

Greta va fêter ses quinze ans. Adolescente mal dans sa peau, elle a l’impression que personne ne la comprend : ni ses parents, ni sa grande sœur, ni ses amis du lycée. Pour lutter contre la solitude, elle se réfugie dans un univers parallèle peuplé de créatures inquiétantes.

Fantastic Birthday est le titre français (sic) de Girl Asleep. J’imagine volontiers le brainstorming des distributeurs français qui ont probablement trouvé que Girl Asleep n’était pas un titre qui attirerait les foules. Ils se creusent la tête. Quinze ans ? L’anniversaire ? Greta et ses amis imaginaires ? Jusqu’à ce que le stagiaire de troisième propose Fantastic Birthday qui a le double mérite de coller au contenu du film et d’avoir ce côté un peu arty.

Pendant son premier tiers, Fantastic Birthday fonctionne. Rosemary Myers stylise l’univers d’une adolescente. Son film ressemble terriblement à ceux de Wes Anderson : des plans millimétrés, des couleurs primaires, des familles gentiment foutraques.
Mais tout se déglingue quand Fantastic Birthday bascule dans le fantastique. Aussi réussis que soient les délires visuels de Greta, ils sont trop sursignifiants pour faire vraiment rêver. Peur de son corps ? peur de sa sexualité ? peur de l’autre ? Autant de peurs à assumer pour que l’adolescente franchisse avec succès l’épreuve initiatique de cet anniversaire festif qu’elle n’avait pas voulu.

Tant mieux pour elle. Tant pis pour le spectateur oublié au bord du chemin.

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Corporate ★★☆☆

Emilie Tesson-Hanssen (Céline Salette) travaille à la DRH d’une grande multinationale. Stéphane Froncart (Lambert Wilson) l’a recrutée dans un but machiavélique : réduire la masse salariale à moindre coût en poussant les salariés surnuméraires à la démission pour éviter le versement de lourdes primes de licenciements.
Ses méthodes trouvent leur limite lorsqu’un employé dépressif se défenestre dans la cour de l’entreprise.

Corporate a pour cadre la steppe managériale du XXIème siècle et son univers impitoya-able. Le cinéma a déjà investi cet univers : Violence des échanges en milieu tempéré, De bon matin (tous deux tournés par le même réalisateur Jean-Marc Moutout), Ressources humaines (qui avait révélé Jalil Lespert) ou même l’exécrable Le Capital de Costa-Gavras avec José Garcia ont peint des salariés acculés par des méthodes de management déshumanisées.

Corporate filme le harcèlement moral, le lean management et ses dérives. Il ne le fait pas sans un certain manichéisme qui nuit parfois à sa crédibilité. Lambert Wilson est trop méchant dans le rôle du directeur sans scrupule, Violaine Fumeau trop vertueuse dans celui de l’inspectrice du travail.

Corporate est sauvé de la caricature par l’excellente interprétation de Céline Salette. La killeuse qu’on découvre au début du film se fendille à la suite du suicide qu’elle a provoqué. Moitié par peur du gendarme, moitié par humanisme, elle se désolidarise de l’idéologie corporate qu’elle était censée promouvoir.

Plusieurs dénouements étaient possibles. Celui choisi m’a un peu déçu. Je l’aurais aimé plus sombre.

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