Freaks ★★★☆

Des monstres sont exhibés dans un cirque : lilliputien, microcéphale, sœurs siamoises, femme à barbe… Hans, le nain, est amoureux de Cléopâtre, la belle trapéziste qui, apprenant qu’il va hériter, décide de l’épouser puis de l’empoisonner. La communauté des monstres prend la défense de l’un des siens et se venge de la plus atroce des manières.

« Freaks » est un film de 1932 qui ressort en version restaurée au Grand Action. Il fait partie des « 1001 films à voir avant de mourir ». « Freaks » mérite cette célébrité à plusieurs titres. Il s’agit en premier lieu d’un documentaire étonnant sur le cirque et ses « curiosités » – ainsi qu’on les appelait à l’époque. On y voit des monstres. Des vrais (la MGM avait rassemblé tous les monstres des cirques américains). Comme il n’en existe plus. Ou comme, du moins, on ne les montre plus. Et on ne peut s’empêcher de ressentir une curiosité malsaine et voyeuriste à les découvrir.

Il s’agit en deuxième lieu d’une histoire profondément morale. Le plus monstrueux des personnages est la belle Cléopâtre qui, avec la complicité du fier Hercule, dupe l’innocent Hans et manque de l’assassiner. Au contraire, les monstres manifestent les plus hautes qualités : la solidarité autour de leur compagnon menacé, l’ingéniosité pour piéger la meurtrière….

Mais il s’agit en troisième et dernier lieu d’un film à la morale ambiguë. Car les monstres infligent à leur assaillant une punition d’une monstruosité inouïe, presque fantastique, jetant du coup un doute sur leurs qualités morales que je viens de vanter.

La bande-annonce

Seul dans Berlin ★☆☆☆

En juin 1940, alors que l’Allemagne nazie fête sa victoire sur la France, Otto et Anna Quangel pleurent la mort de leur fils unique tombé au champ d’honneur. Ils décident d’entrer en résistance en écrivant et en distribuant des cartes postales contre Hitler.

Un peu comme « Suite française » d’Irène Nemirowsky, le roman de Hans Fallada, écrit en 1946, dont Primo Levi disait qu’il était « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie », a connu un succès tardif et retentissant. Après une première traduction française en 1967 chez Plon, passée inaperçue, Denoël publie à nouveau « Jeder stirbt für sich allein » en 2002. Je l’ai lu entre Mascate et Shompole (mais là je frime). Le succès est cette fois ci au rendez-vous. Le livre est monté au théâtre, aux Amandiers et au Lucernaire où j’ai trainé mes ados maussades (je continue à frimer, un peu moins, mais encore trop). Il est traduit en anglais en 2009.

L’adaptation cinématographique était un produit dérivé inévitable. Elle est bizarrement l’œuvre de Vincent Perez, acteur populaire passé derrière la caméra, dont l’intérêt pour la Seconde guerre mondiale était jusqu’à présent peu médiatisé. Son film fut paraît-il difficile à réaliser. Et dès la première image on comprend pourquoi.

Tout sonne faux. Pour une raison simple. Les acteurs parlent anglais. Les Britanniques Emma Thompson et Brendan Gleeson – ce qui pourrait à la limite se comprendre – et même l’Allemand Daniel Brühl – ce qui est un comble. Ce choix linguistique calamiteux – dont on imagine qu’il a été dicté par le souci de toucher un public anglo-saxon rétif aux sous-titres – condamne inéluctablement ce film à n’être qu’une reconstitution empesée et désincarnée.

La bande-annonce

Louise en hiver ★★☆☆

Alors que l’été se termine à Biligen-sur-mer, Louise rate le dernier train qui part vers la ville. Restée seule dans la cité balnéaire désertée, elle se prépare à affronter l’hiver.

La vieille dame et la mer. Le film d’animation de Jean-François Laguionie n’a pas grand’chose à voir avec le célèbre roman de Ernest Hemingway. Il n’y est pas question de pêche au thon ni de pêcheur tenace. L’auteur de « L’île de Black Mór » et « Le Tableau » raconte l’histoire d’une femme au crépuscule de sa vie qui finit par s’accommoder de la solitude à laquelle elle est condamnée. Après s’être construite une cabane sur la plage et s’être fait un compagnon d’un chien errant, elle s’organise une vie bien réglée.

La forme nourrit le fond. Les décors de « Louise en hiver » sont au diapason de l’histoire qu’il raconte : une gouache granuleuse aux tons pastels d’une grande tendresse. Flottant entre le présent et le souvenir, le rêve et la réalité, le sommeil et la veille, « Louise en hiver » est un film très doux, un peu triste, presque neurasthénique.

Pourquoi deux étoiles et pas trois ? Parce que, tout en reconnaissant les qualités de ce film, je n’ai pas été touché autant que j’aurais pu l’espérer. Soit que je n’étais pas hier dans le bon état d’esprit pour l’accueillir. Soit que cette histoire de vieille dame rêveuse est en fait trop insignifiante pour réellement susciter l’émotion.

La bande-annonce

Iris ★☆☆☆

À la sortie du restaurant où elle déjeunait avec son époux , Iris  disparaît. Marc Lopez, un garagiste sans le sou, l’a kidnappée et exige de son mari le versement d’une rançon pour la libérer. Mais le kidnapping est une arnaque montée par Iris. À moins que…

« Iris » est un film qu’on aurait aimé aimer. Un polar à tiroirs comme le cinéma américain en réalise d’excellents et comme le cinéma français ne parvient pas à en faire. Avec un riche banquier sadomasochiste au sourire carnassier (Jalil Lespert devant et derrière la caméra). Un pauvre bougre embarqué dans une arnaque qui le dépasse (Romain Duris beaufement moustachu). Et une innocente épouse, peut-être moins innocente qu’il n’y paraît (Charlotte Le Bon au minois trop joli pour convaincre de la perversité de son personnage).

Interdit aux moins de douze ans, « Iris » est l’occasion de quelques scènes SM, faussement transgressives, une version un peu hard d’une pub pour La Perla. Mais il serait mesquin d’y trouver à redire, la plastique de Charlotte Le Bon – ou de sa doublure nu – et ses vertigineux escarpins ayant de quoi réjouir le petit cochon qui sommeille en chacun d’entre nous.

C’est plutôt du côté de la mise en scène qu’on pourrait mégoter. Alors que le scénario se déroule intelligemment avec son lot de rebondissements, la mise en scène, elle, ne passe jamais l’accélérateur, installant « Iris » dans un faux rythme soporifique. Comble du paradoxe : on finit par s’ennuyer ferme d’une histoire en tout point bien troussée.

La bande-annonce

Swagger ★☆☆☆

Olivier Babinet filme onze collégiens à Aulnay-sous-Bois. Régis, le roi de la sape, Aissatou la Sénégalaise trop discrète, Paul qui vient de Pondichéry, Elvis qui veut devenir chirurgien…

Il faut écouter ce que ces ados, loin des préjugés qu’on en a, ont à nous dire. La première chose est la plus préoccupante : la rupture radicale et peut-être définitive avec les Français « de souche ». Pas un seul « Gaulois » dans « Swagger » – sinon la silhouette muette d’un enseignant. Les Blancs ont déserté Aulnay. Et les enfants, Noirs au Arabes, font le constat désabusé de leur désertion.

La seconde est plus réjouissante. Ces jeunes ont du swag, du style et du cran. Il faut écouter Régis raconter avec truculence un épisode des Feux de l’amour ou comparer le style vestimentaire de Barack Obama ou de François Hollande. Il faut écouter la frêle Naïla se lancer dans une critique désopilante de Mickey et de Barbie.

Des films ou des documentaires sur des ados de banlieue, on en a vu treize à la douzaine. Plus ou moins réussis. De « Bandes de filles » de Cécile Sciamma à « Entre les murs » de Laurent Cantet (qui, certes se déroulait dans un collège parisien intra muros … mais ne mégotons pas !) en passant par « Divines » « La Vie en grand » ou « Les Héritiers ». De « La Cour de Babel », l’excellent documentaire de Julie Bertuccelli sur une classe d’adaptation à « Elektro Mathematrix » l’euphorisante comédie musicale de Bianca Li. Et c’est bien là que le bât blesse.

« Swagger » hésite entre deux partis. Le premier, le plus classique, est celui du documentaire qui nous donnerait à entendre la parole de ces jeunes. Le second, plus audacieux, est celui de l’exercice de style qui projette d’Aulnay et de son urbanisme sans charme une image presque poétique, grâce à des vues aériennes, des jeux d’ombre et de lumière, des ralentis, une bande son très sequencée. Faute de choisir entre ces deux options, « Swagger » se condamne à un entre-deux qui le dessert.

La bande-annonce

L’Histoire de l’amour ☆☆☆☆

Leo aime Alma. Alma aime Leo. Mais la Seconde guerre mondiale les sépare. Un roman « L’Histoire de l’amour » qu’une Américaine de Brooklyn traduit de l’espagnol soixante ans plus tard parviendra-t-il à les rapprocher ?

Nicole Krauss avait écrit au milieu des années 2000 un roman à tiroirs dont la lecture m’avait emporté. Je me faisais une joie de son adaptation à l’écran même si les critiques assassines du Masque et la Plume avaient refroidi mon enthousiasme.

Hélas ces critiques n’avaient pas tort. Elles reprochaient au scénario du film, qui procède par bonds répétés entre les lieux (la Pologne, le Chili, New York) et les époques  (1941, 1950, 1995, 2006), d’être difficile à suivre. Elles clouaient au pilori Derek Jacobi, qui interprète Leo vieux, pour son cabotinage. Elles blâmaient le réalisateur Radu Mihaileanu pour son lyrisme dégoulinant – qui déjà tangentait dangereusement la ligne rouge du tire-larmisme dans « Va, vis et deviens » et « Le Concert ».

Seules étaient épargnées l’interprétation de Gemma Arterton et sa rayonnante beauté. Hélas, aussi sensible que je puisse être au physique appétissant de l’héroïne de « Tamara Drewe » et « Gemma Bovery », force m’est de constater que, inondée de larmes ou grimée en vieillarde, elle n’est guère à son avantage dans cette Histoire de l’amour.

La bande-annonce

Planétarium ★☆☆☆

À Paris, dans les années 30, les soeurs Barlow, Laura l’aînée  (Natalie Portman probablement la plus parisienne des stars hollywoodiennes) et Kate la cadette (Lily-Rose Depp tout juste sortie de l’enfance, portrait craché de sa mère), donnent un spectacle de spiritisme. Elles attirent l’attention d’un riche producteur (Emmanuel Salinger) qui rêve de capter sur la pellicule les esprits qu’elles convoquent.

J’avais adoré les deux premiers films de Rebecca Zlotowski : « Belle épine » qui avait révélé Léa Seydoux et Anaïs Demoustier (excusez du peu) et « Grand central ». La jeune réalisatrice, agrégée de lettres et diplômée de la Femis, quitte le terrain de la chronique sociale contemporaine pour celui, plus casse-gueule, de la reconstitution historique. On ne saurait lui faire le reproche d’avoir filmé à l’économie. Si les extérieurs sont rares, les costumes en revanche sont splendides.

Le problème vient d’ailleurs. D’un scénario qui, à l’instar du personnage du producteur Korben, ne sait pas ce qu’il veut. De quoi parle « Planetarium » ? On ne le saura jamais – pas plus qu’on ne nous donnera la moindre piste pour percer son titre. Le portrait de deux sœurs qui cherchent à vivre d’un don qu’elles ne sont pas sûres de posséder ? Le portrait d’un homme perdu dans ses chimères ? Le tableau d’une époque qui va à sa perte sans en avoir conscience ? Une métaphore du cinéma qui cherche sans succès à capter une vérité évanescente ?

Sans doute tout cela. C’est beaucoup. C’est trop.

La bande-annonce

Captain Fantastic ★★★★

Moitié hippie, moitié altermondialiste, un père décide d’éduquer ses six enfants loin de la société et de ses pollutions. Mais sa vie hors du monde est remise en cause lorsque sa femme se suicide. Contre l’avis de ses beaux-parents, il décide de se rendre aux funérailles en compagnie de ses enfants et d’exécuter les dernières volontés de la défunte.

Et dire que j’ai failli ne pas aller voir ce bijou ! Sa bande-annonce me donnait l’impression d’en révéler tous les ressorts et de ne ménager aucune surprise. Quelle erreur aurais-je commise ! Ma passion inentamée pour le cinéma doit beaucoup à de telles surprises : j’arrive encore à être étonné, emporté, par des films qui ne paient pas de mine.

« Captain Fantastic » commence comme « Into the Wild » et finit comme « Little Miss Sunshine ».

Soit au départ une première moitié du film qui se déroule exclusivement dans les montagnes Rocheuses où Ben et ses enfants réalisent une utopie écologique : vivre en harmonie avec la nature, en y développant son corps et son esprit (Ben soumet ses enfants à  un entraînement physique et à une éducation intellectuelle qui fait d’eux des Castors juniors aussi débrouillards que savants).

Soit ensuite un road trip familial provoqué par un bien macabre événement mais qui multiplie les situations cocasses. Cette petite bande décalée rencontre de « vraies » gens, s’y percute parfois (les élans amoureux du fils aîné pour une cagole de camping sont hilarants), les met face à ses contradictions souvent (les cours que Ben donnent à ses enfants donnent de bien meilleurs résultats que ceux que leurs cousins reçoivent au collège).

« Captain Fantastic » est follement attachant par son absence de manichéisme. Ben n’est ni un gourou qui endoctrine des mineurs sous influence, ni un héros monolithique qui a raison contre la terre entière. C’est un père pétri d’amour qui veut protéger ses enfants et leur transmettre le meilleur. Cet amour s’illustre dans le respect qu’il porte à chacun d’eux : les enfants ne sont jamais traités comme une masse indifférenciée mais comme six individualités aux besoins spécifiques. Et les résultats qu’il atteint feraient pâlir de jalousie tout parent d’élève normalement constitué : les analyses que font, sous l’aiguillon de leur père, l’aînée de « Lolita » ou la cadette du Premier amendement sont d’une rafraichissante acuité.

Cet amour se traduira dans le dernier tiers du film par une prise de conscience et par une décision qui force l’admiration et démontrera la capacité de Ben à reconnaître ses limites et à toujours faire prévaloir le bien-être de ses enfants.

Sans avoir l’air d’y toucher, « Captain Fantastic » traite avec une infinie délicatesse de sujets aussi grave que la paternité, l’éducation, le libre arbitre. À chacune de ces questions, il propose une réponse tendre, bonne, juste. Un pays qui produit de tels films ne peut pas être totalement mauvais. Même après avoir porté à sa tête un clown misogyne et menteur.

La bande-annonce

Nos futurs ★★★☆

Deux camarades de lycée que la vie a séparés se retrouvent à la trentaine : l’un (Pierre Rochefort) est devenu trop sérieux, l’autre (Pio Marmaï) pas assez. Ils décident de réunir tous leurs anciens amis pour reconstituer à l’identique la mémorable soirée de leur dix-huitième anniversaire.

« Nos futurs » chemine sur les sentiers bien balisés de la nostalgie adulescente. On a le sentiment, confortable et paresseux, de retrouver les recettes des précédents films de Rémi Bezançon : « Ma vie en l’air », « Le premier jour du reste de ta vie »…

Mais, petit à petit, le film bifurque vers autre chose. Vers un film plus grave, plus macabre. Une réflexion plus adulte sur la mort. Quelques allusions auraient dû nous mettre la puce à l’oreille. On les déchiffre plus ou moins tardivement (en ce qui me confirme c’était plutôt plus !) jusqu’à un dénouement très surprenant, très réussi, très triste…

La bande-annonce

La Rage au ventre ★☆☆☆

Dans « La rage au ventre » (traduction paresseuse de Southpaw), il est question, comme son titre en français ne l’indique pas, de boxe. Et pas de problèmes intestinaux.

Jake Gyllenhaal, l’acteur le plus imprononçablement sexy du moment, y confirme tout le bien qu’on pensait de lui – surtout depuis que je l’ai croisé au musée Picasso.

Capable de prendre dix kilos de muscle et de perdre dix kilos de graisse pour un rôle, il joue avec une conviction communicative le rôle de Billy Hope, un orphelin du Bronx devenu champion du monde à force de courage. Avec sa femme aimante et sa fille adorable, il vit une vie de nabab.

Mais il n’y a qu’un pas du Capitole à la Roche tarpéienne Ouh la la ! Ça, c’était une phrase furieusement décalée ! Dit plus simplement : il va accumuler les galères avant de se relever fièrement.

Le problème avec les films de boxe, c’est qu’après « Rocky », « Raging Bull » et « Million Dollar Baby », il est difficile sinon impossible d’ajouter quoi que ce soit.

La bande-annonce