Here ★☆☆☆

C’est l’été à Bruxelles. Les constructions s’arrêtent. Les travailleurs du bâtiment rentrent chez eux pour les vacances. Stefan doit attendre que sa voiture soit réparée pour prendre la route vers la Roumanie. Ces quelques jours lui laissent le temps de vider le frigo des légumes qui y étaient restés, d’en faire une soupe et d’aller la distribuer à quelques amis autour de lui. Se réfugiant le temps d’une averse dans un restaurant chinois, il y fait la rencontre de Shuxiu. La belle trentenaire est bryologue. Elle étudie les mousses à l’université et parcourt les bois environnant la capitale belge pour en prélever des échantillons. C’est là qu’elle rencontre une seconde fois Stefan sur le chemin du garage où sa voiture doit être réparée.

Here est un film minimaliste composé de petits riens. Son scénario est étique – même si le résumé que j’en ai fait est bien long. Here est l’histoire d’une rencontre et esquisse les débuts d’un amour en train d’éclore.

Here fonctionne sur des oppositions et des jeux de miroirs. D’un côté la ville, ses bâtiments qui s’y construisent, son artificialité ; de l’autre la nature, la verdeur des bois, l’humidité des sous-bois. D’un côté Stefan, l’ouvrier du bâtiment, de l’autre Shuxiu et ses mousses. Mais les deux milieux ne sont pas inconciliables. Il y a une symbiose entre les deux éléments, une relation d’interdépendance. Interdépendance des écosystèmes : les villes sont couvertes d’arbres et les campagnes traversées par des lignes de chemins de fer. Et deux êtres se croisent que tout devrait opposer, leurs origines, leurs langues, leurs professions, mais qui finissent par se rencontrer et qui peut-être finiront par s’aimer.

On peut trouver très belle cette réflexion poétique et philosophique sur la ville et ses marges. On peut aussi la trouver bien longuette même si elle dure une heure et vingt-deux minutes à peine.

La bande-annonce

Pompo The Cinephile ★★☆☆

Pompo est une productrice qui a hérité de son grand-père la passion du cinéma. Hélas, elle ne produit guère que des séries B sans âme. Elle a toutefois écrit un scénario plus personnel, mettant en scène un vieux chef d’orchestre qui retrouve l’inspiration dans une retraite bucolique au contact d’une jeune paysanne. Pompo décide d’en confier la réalisation à son assistant, le jeune Gene, qui n’a aucune expérience mais a la passion du cinéma chevillée au corps. Pour le rôle principal, elle convainc une vieille star, ami de son grand-père. Et pour la jeune ingénue, elle recrute une inconnue dont Gene tombe instantanément amoureux.

Pompo The Cinephile est un anime, un film d’animation inspiré d’un manga japonais. C’est un genre qui a ses fans et qui est loin de ma zone de confort, qui se situe plutôt du côté des longs plans fixes ouzbeks en noir et blanc et sans dialogue que des pyrotechnies colorées japonaises entrecoupées d’onomatopées roucoulantes. Mais, de sa zone de confort, il faut savoir sortir pour découvrir d’autres genres qui se révèlent stimulants.

Il y a quelques mois, était sorti en France Blue Giant, un anime japonais qui racontait le parcours d’un jeune jazzman plein d’ambition. Cet anime là lui ressemble, par sa forme bien sûr mais par son thème aussi. Il s’agit dans les deux cas de décrire le travail sans concession de deux jeunes artistes prêts à tout pour réaliser leurs rêves.

Car le vrai héros de Pompo n’est pas la productrice, Pompo, mais son assistant, Gene. C’est à lui que le spectateur s’identifie. C’est avec lui qu’il partage l’angoisse et l’excitation de son premier tournage avant de plonger dans les affres du montage et de ses longues nuits sans sommeil d’un travail sans cesse remis sur le métier.

Pompo a une vertu rare : il raconte par le menu l’élaboration d’un film, depuis l’écriture de son scénario, le recrutement de ses acteurs, son tournage proprement dit, jusqu’à son montage enfin, la partie la plus douloureuse durant laquelle il faut sacrifier des heures de rushes pour aller à l’essentiel. Pompo n’est pas exempt d’une certaine naïveté. Mais il n’en reste pas moins un film original sur le cinéma et sa fabrication.

La bande-annonce

La Récréation de juillet ★☆☆☆

Jeune professeur de musique dans le collège où il fut plus jeune lui-même élève, Gaspard (Andranic Manet) profite de la vacance des locaux durant les vacances d’été pour y inviter cinq amis d’enfance. Leur réunion a un but caché : commémorer la mémoire de Louise, la sœur jumelle de Gaspard qui vient de mourir en Argentine.

L’affiche et le pitch de La Récréation de juillet laissent augurer une comédie franchouillarde, comme on en a vu treize à la douzaine, enchaînant quelques scènes potaches entre adulescents liés par une indéfectible amitié d’enfance. Le film est moins drôle qu’on ne l’augurait – ou qu’on le redoutait. Il n’en sombre pas moins dans un sentimentalisme un peu niais exaltant l’amitié-pour-toujours et les amis-pour-la-vie (BFF Kiss Lol…. comme auraient dit mes ados).

Le film n’est pas non plus le film chorale qu’on attendait, mettant en scène une bande de copains. Parmi les six élèves, Edouard est au centre. C’est lui qui est à l’origine de leurs retrouvailles. C’est lui qui est le moteur de l’action. Dans le rôle principal, Andranic Manet (Réparer les vivants, Mes provinciales, Le Roman de Jim…) porte le film à bouts de bras. Le reste de la distribution est plus inégal : on reconnaît Arcadi Radeff, la révélation du Tableau volé et Alba Gaïa Bellugi, trop souvent éclipsée par le succès de sa sœur cadette.

La Récréation de juillet est lesté d’une couche plus grave, une réflexion sur la mort et sur le deuil. Cette strate-là aurait pu être intéressante. Mais elle n’est pas exempte de maladresse. Dans le même registre, je me souviens de Nos futurs qui traitait des amitiés d’enfance et du deuil avec autrement plus de sensibilité et d’intelligence dans l’écriture.

La bande-annonce

Emilia Perez ★★★☆

Avocate pénaliste, Rita Moro (Zoe Saldaña) est recrutée par Manitas del Monte (Karla Sofia Gascón), un seigneur de la drogue mexicain, pour une mission très particulière : organiser son changement de sexe, simuler sa disparition et accompagner en Suisse sa femme (Selena Gomez) et ses enfants.

Tout ou presque a déjà été dit sur le dixième film de Jacques Audiard. À Cannes, en mai dernier, il a raflé deux prix : celui du Jury – ce qui laisse penser qu’il a raté de peu la Palme d’or – et celui de l’interprétation féminine pour ses quatre actrices – solution un peu batarde pour réconcilier ceux qui voulaient l’attribuer à Zoe Saldaña et ceux qui lui préféraient Karla Sofia Gascón. En couverture de Télérama et de PremièreEmilia Perez est accueilli par une critique d’autant plus enthousiaste que l’été cinématographique a été pauvre en sorties retentissantes. Certes quelques voix dissidentes se font entendre (Les Cahiers du cinéma, Les Inrocks) ; mais elles sont largement minoritaires.

Le thème du film est à la fois trop improbable pour être crédible et trop dans l’air du temps pour ne pas être suspect : la réassignation de genre d’un chef de cartel, interprété par une actrice qui, elle aussi, a vécu dans sa chair la même transition. Il n’y a aucun suspens autour de cet enjeu, qui est annoncé dans la bande annonce, révélé dès le début du film et qui en constitue le principal argument publicitaire. L’identité  est un thème passionnant, qui d’ailleurs traverse le cinéma d’Audiard depuis ses tout premiers films (Un héros très discret racontait l’histoire d’un homme ordinaire qui se faisait passer pour un héros de la Résistance). Il aurait pu être plus creusé encore ici : pourquoi Manitas décide-t-il de changer de sexe ? par une irrésistible pulsion refoulée depuis l’enfance ? pour échapper à ses rivaux ? pour consacrer sa vie désormais au Bien ?

Plus que par son sujet, c’est par son traitement que Emilia Perez impressionne. C’est un film hybride, qui mêle les genres. Une comédie musicale servie par la musique de Camille et de son compagnon Clément Ducol et par les chorégraphies endiablées de Damien Jalet. Le genre, artificiel à souhait, est casse-gueule. Il ralentit la narration. Pour un peu que les chansons ou leur interprétation soient ratées, tout peut chavirer. Ce danger est évité de justesse dans certaines séquences dispensables. Mais Emilia Perez tient crânement la route, entre polar et mélo.

Emilia Perez n’est peut-être pas le meilleur film de Jacques Audiard. Un prophète le surpassait à mon avis. Pour autant, la capacité de ce réalisateur, aux soixante-dix ans bien sonnés, de se réinventer dans chacun de ses films (le western avec Les Frères Sisters ou la comédie sentimentale avec Les Olympiades) force l’admiration. Pour son œuvre si puissante et si diverse, il aura à bon droit sa place dans les encyclopédies du cinéma du XXIème siècle.

La bande-annonce

Dead or Alive 1, 2 et 3 ★☆☆☆

Dead or Alive est une trilogie de films respectivement réalisés en 1999, 2000 et 2004, sortis en bloc en janvier 2004 dans les salles françaises et reprogrammés cet été dans quelques salles parisiennes. Ils sont indépendants les uns des autres mais mettent tous en scène le même duo d’acteurs interprété par Riki Takeuchi, dont la coiffure lui donne des faux airs d’Elvis japonais, et Sho Aikawa.

Dead or Alive (DOA) 1 se déroule de nos jours à Yokohama et raconte l’affrontement sanglant qui oppose des yakuzas japonais à une triade chinoise qui cherche à s’y implanter.
Dans DOA 2, les deux acteurs interprètent des tueurs à gages, qui, après un contrat sur lequel ils avaient été mis en concurrence, retournent dans leur village d’enfance et y renouent leur vieille amitié.
DOA 3 se veut futuriste. Il se déroule en 2346 à Yokohama, une ville sous la coupe d’un dictateur qui souhaite stériliser la population en lui faisant consommer une drogue.

Avec un quart de siècle de recul, les sources d’inspiration de Takashi Miike sont plus visibles encore. Il y a d’abord l’hyper-violence des films de Tarantino – qui fut lui-même inspiré par les films de kung-fu chinois et les films de sabre japonais. Il y a ensuite l’influence des mangas futuristes – le combat final de DOA 3 rappelle l’épilogue cyberpunk et body horror de Tetsuo. Il y a enfin, surtout dans le deuxième volet, la même tendresse que chez Kitano qui venait de sortir Hana-bi.

Takashi Miike pratique la surenchère. La crédibilité de ses scénarios est le cadet de ses soucis. DOA 1 se termine dans un combat apocalyptique qui prête à rire. La fin de DOA 3 y prête presqu’autant. Guère crédibles, les scénarios ne sont guère lisibles non plus, à l’exception m’a-t-il semblé du troisième – mais la raison en est peut-être que je commençais à m’habituer à cette forme d’écriture.

Les plus indulgents ne s’en formaliseront pas. Ils apprécieront ce réalisateur prolixe, qui tourne comme il respire (il aurait dirigé 59 longs-métrages depuis 1991), sans prendre le temps de peaufiner son œuvre. Il faut quand même être très bon public et aimer les plaisirs régressifs pour y trouver de l’intérêt.

La bande-annonce

Le Médium ★★☆☆

La trentaine, carrément à l’ouest, Michael (Emmanuel Laskar, des faux airs d’Edouard Baer) est au tournant de sa vie. Sa copine le plaque le jour de l’enterrement de sa mère (Noémie Lvovsky). Sa sœur (Maud Wyler) est persuadée que Michael a hérité d’elle ses dons de médium et l’incite à marcher dans sa voie. Quand une jeune veuve (Louise Bourgoin) vient lui demander de l’aider à se libérer du fantôme de son mari, Michael, sous le charme, accepte de l’aider.

Acteur des Chiens de Navarre, la troupe de comédiens électrisés fondée par Jean-Christophe Meurisse, Emmanuel Laskar a tourné deux courts-métrages avant de réaliser son premier long. Il en tient le rôle principal, mais s’entoure d’actrices reconnues. Louise Bourgoin, toujours aussi séduisante, y tient un rôle improbable de veuve pas vraiment joyeuse mais plus si triste ; Noémie Lvovsky déploie toujours la même verve, cette fois-ci d’outre-tombe ; Maud Wyler confirme qu’elle est décidément la meilleure BFF (Best Friend Forever) de cinéma qui soit.
Emmanuel Laskar a choisi de tourner dans le Var, dans une région qui m’est chère et que bizarrement le cinéma boude alors qu’elle est tellement cinégénique. On reconnaît le village de Collobrières niché au cœur du massif des Maures, l’abbaye du Thoronet et la plage de l’Almanarre, où j’allais me baigner enfant, avec à l’arrière-plan les îles d’Hyères. Le tout filmé durant un splendide été indien, vidé des touristes qui y affluent en juillet-août.

Le Médium hésite entre deux registres. Ce n’est ni une comédie burlesque sur un métier suspecté de charlatanerie ni un drame sur la mort et les moyens d’en exorciser la peur. Cet entre-deux se justifie – on aurait reproché au réalisateur d’être trop léger s’il avait penché vers la comédie et trop grave s’il avait penché vers le drame – mais il n’en est pas moins inconfortable. Le Médium cherche le bon ton mais les quatre-vingts minutes que dure le film ne lui laissent pas le temps de le trouver.

La bande-annonce

Dieu peut se défendre tout seul ★☆☆☆

Richard Malka est depuis 1992 l’avocat de Charlie Hebdo. Il a défendu le directeur de sa publication en 2007 et en 2008 dans les procès que lui avaient intentés l’Union des organisations islamiques de France et la Mosquée de Paris pour avoir repris les caricatures de Mahomet publiées par le journal danois Jyllands-Posten et obtenu sa relaxe en première instance puis en appel. Ces procès avaient fait l’objet en 2008 d’un film, C’est dur d’être aimé par des cons, et d’un livre, Éloge de l’irrévérence, rassemblant les plaidoiries de Richard Malka et de Georges Kiejman lors de ces procès.

Le même dispositif est déployé autour de la plaidoirie qu’il prononce en décembre 2020, en qualité d’avocat des parties civiles au procès qui se tient devant la cour d’assises spéciale contre les complices des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher. Elle est publiée chez Grasset en 2021 sous le titre Le Droit d’emmerder Dieu. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un documentaire sous un titre légèrement moins provocateur.

Sorti en catimini, dans deux salles parisiennes et cinq villes de province à peine, au cœur de l’été 2024, près de quatre ans après le procès, le documentaire d’Isabelle Cottenceau peine, par sa durée – une heure vingt à peine – et par sa qualité à se différencier du docu TV de 52 minutes. Il est tout entier centré sur Richard Malka, laissant à penser que l’homme travaille seul, sans associé ni collaborateur. Il lit face caméra le texte de sa plaidoirie et revient sur la généalogie de ce procès.

Richard Malka a donné un visage à un combat : celui de Charlie Hebdo pour la liberté d’expression et même pour le droit au blasphème. Il a raison d’affirmer qu’en France, société pluraliste et laïque, le respect de toutes les croyances doit pouvoir se conjuguer avec le droit de critiquer toutes les religions. Pour autant, le vibrant plaidoyer de Richard Malka serait plus convaincant encore si l’avocat ne prenait pas la défense de Manuel Valls dans le procès intenté en 2015 contre Dieudonné pour injure publique, celle de la crèche de Baby Loup demandant le licenciement d’une salariée voilée, celle enfin de Charlie Hebdo dans le procès qui l’opposait à une publication pastiche Charpie Hebdo. Dans ces trois instances là, Malka reprochait précisément à ses adversaires ce qu’il revendiquait à raison dans sa plaidoirie de 2020 : la liberté d’expression.

La bande-annonce

Paris au mois d’août (1966) ★★☆☆

Après le départ de sa famille en vacances en Bretagne, Henri Plantin (Charles Aznavour), un modeste employé à la Samaritaine, reste seul à Paris au mois d’août, avec pour seule compagnie quelques voisins, habitués du troquet du coin. Il rencontre à la sortie de son travail, sur le quai de la Mégisserie, Patricia Seagrave (Susan Hampshire) une Anglaise venue à Paris poser pour des photos de mode. Entre les deux cœurs solitaires, une brève idylle se noue.

Paris au mois d’août affichait complet à la séance de la Filmothèque du Quartier latin où je suis allé le voir. Il faisait partie d’un cycle « Paris au cinéma » opportunément programmé par ce cinéma minuscule d’art et essai de la rue Champollion qui enregistre, quel que soit le film à l’affiche, des taux d’affluence records.

Sans doute y a-t-il un effet de miroir amusant à aller voir Paris au mois d’août à Paris, au mois d’août. D’autant que ce film se plaît à montrer les rues parisiennes, telles qu’on les connaît bien, mais telles aussi qu’elles ont considérablement changé en soixante ans. Henri et Pat traversent le Pont-Neuf, remontent la rue Dauphine, contournent le jardin du Luxembourg avant d’arriver au Panthéon. Le lendemain, ils vont visiter les Invalides. Pat pose pour un photographe sur le toit du CNIT à La Défense et au pied de la Tour Montparnasse qui est en train de sortir de terre [PS : Il ne s’agirait pas de la Tour Montparnasse dont les travaux ont commencé en 1969 seulement].

Mois vide, août est à Paris le mois des célibataires pour ceux qui y travaillent pendant que leur famille est partie en vacances. Dans les quartiers chauds de l’Afrique coloniale avait cours pendant ce mois-là une expression qui ne laissait pas la moindre ambiguïté : le mois du Blanc. Bon mari, bon père de famille,  mais étouffant dans une vie trop étroite pour lui, Henri Plantin ne peut pas ne pas céder au charme et à la pétulance de Pat. C’est un tourbillon qui l’emporte, une nouvelle jeunesse qui s’offre à lui et la promesse d’un nouveau départ.

Revoir Paris en noir et blanc au mois d’août est une joie. Partager avec ces vieux amants leur ivresse est un bonheur. Mais Paris au mois d’août souffre d’un handicap rédhibitoire : Charles Aznavour. Il n’est pas crédible un instant. Bob Lemon l’était un peu plus dans Sept ans de réflexion (1955), un film au scénario très proche. Quant à Marilyn Monroe, inutile de dire que son sex appeal était autrement plus atomique que celui de la bien fade Susan Hampshire

La bande-annonce

Matria ★★★☆

Ramona, la quarantaine, vit dans une petite ville côtière de Galice entre un mari alcoolique et infidèle et une fille bientôt majeure en mal d’émancipation. Pour assurer leur subsistance, elle cumule plusieurs emplois, dans une poissonnerie, dont elle démissionne après que la nouvelle direction a décidé de rogner son salaire, à bord d’un bateau de pêche et auprès d’un veuf taiseux.

Matria est le premier film du réalisateur Alvaro Gago qui avait déjà réalisé un court métrage éponyme, inspiré de la femme qui avait pris soin de sa grand-mère. Son action se déroule à Ponteverda, sur les rives de l’Atlantique. Le film est entièrement tourné en galicien, une langue qui ressemble suffisamment à l’espagnol pour qu’un spectateur français en reconnaisse les sonorités, mais en diffère au point de l’empêcher d’en comprendre toutes les nuances.

Matria repose sur les épaules de María Vázquez que la caméra ne quitte pas un seul instant. Ramona partage l’énergie désespérée et la résilience têtue des héroïnes des films des frères Dardenne. Filmée en plans-séquences souvent de dos, en constant mouvement, Ramona m’a fait penser à ce que Rosetta serait devenue vingt ans plus tard. Ramona rencontre dans sa vie quotidienne les mêmes obstacles que les héros des films de Ken Loach. Les paysages pluvieux des bords de l’Atlantique rappellent les cieux bas et lourds de l’Angleterre du Nord. Invoquer ces réalisateurs immenses pourrait écraser ce premier film ; mais la référence, pour intimidante qu’elle soit, se veut louangeuse.

Matria dresse un portrait de femme puissante, pour reprendre un mot à la mode. C’est un film social sans misérabilisme ni cliché. Mal distribué dans une période où les salles de cinéma sont closes ou désertées, il risque de passer inaperçu. C’est bien dommage.

La bande-annonce

John McCabe (1971)/Josey Wales hors-la-loi (1976) ★★☆☆

John McCabe (Warren Beatty) est un joueur de poker nonchalant et solitaire qui décide de se poser dans une petite ville du nord-est des Etats-Unis. Il y emploie quelques filles jusqu’à ce que l’arrivée de l’une d’elles, Constance Miller (Julie Christie), ne l’incite à se développer. Sa réussite suscite la convoitise. Une offre de rachat lui est soumise. Mais suite à un malentendu, elle est rejetée et McCabe doit se préparer à combattre les hommes de main chargés de l’éliminer.
Josey Wales (Clint Eastwood) est un paisible colon qui travaille sa terre dans le Missouri quand les troupes nordistes la mettent à sac, tuant sa femme et son fils. Il rejoint une milice sudiste, refuse de se laisser désarmer à la fin de la Guerre de Sécession et, accompagné d’un vieil Indien cherokee, sa tête mise à prix, traverse le Texas pour trouver refuge au Mexique.

John McCabe et Josey Wales hors-la-loi est à l’affiche d’un cycle de westerns programmés cet été au Christine Cinéma Club. Ils ont bien des points communs.
Le premier est d’être quasiment contemporains.
Le deuxième est de porter fièrement le nom de leurs héros – même si Warren Beatty partage l’affiche du premier avec Julie Christie – interprété par deux stars alors omnipotentes à Hollywood, qui y faisaient la pluie et le beau temps, produisant, réalisant, jouant le rôle titre de leurs propres films.
Le troisième, peut-être le plus significatif, est d’appartenir à un genre, le western, et à un sous-genre, le western crépusculaire. Après avoir connu son âge d’or dans les 40ies et 50ies, le western entame dans les 70ies un long déclin. Le temps de la Conquête de l’Ouest, des combats glorieux entre de vaillants cowboys et de perfides Indiens dans les paysages majestueux de la Monument Valley, est révolu. Le western devient moins manichéen et plus amer.

Bien qu’il lui soit de cinq ans antérieur, John McCabe est plus emblématique du western crépusculaire que Josey Wales hors-la-loi. Robert Altman, auréolé par la Palme d’or qu’il vient de décrocher à Cannes pour M.A.S.H. filme avec son chef opérateur Vilmos Zsigmond des paysages sans charme, boueux et brumeux, noyés sous la pluie, recouverts par la neige sitôt l’hiver venu. Pas l’ombre d’un Indien, ni même d’un cowboy, mais des brutes sales et saoules dont le seul commerce qu’elles entretiennent avec des femmes est exclusivement sexuel. Le personnage de John McCabe est un anti-héros. Engoncé dans une énorme pelisse, il ne brille ni par son intelligence – c’est Constance Miller qui fait décoller sa petite entreprise – ni par son courage – face aux trois gâchettes dépêchées pour l’abattre, sa première réaction est la fuite. Altman ne cherche pas à le réhabiliter et lui réservera le destin qu’il mérite.

Josey Wales est une figure plus classique du western. C’est un solitaire qui, s’il combat dans une milice sudiste, ne se réduit pas à cet attachement partisan, pas plus que l’amitié contingente qui le lie à deux Indiens qui croisent son chemin ne font de lui un pro-indien. Ce n’est pas non plus un homme vertueux, mu par des principes éthiques supérieurs, ni même par l’unique désir de venger les siens, supplanté avec les années par celui de sauver sa peau. Il n’en reste pas moins un surhomme, comme on en voyait dans les westerns de John Ford et de Sergio Leone (sous la direction duquel Eastwood a fait ses premiers pas) capable de se sortir des situations les plus dangereuses grâce à son sang-froid et à sa gâchette infaillible.

La bande-annonce de John McCabe
La bande-annonce de Josy Wales hors-la-loi