Ma Loute ★☆☆☆

On ne peut être insensible au dernier film de Bruno Dumont, un des réalisateurs français les plus originaux. On est pour ou on est contre. Contre, je le suis résolument.

Tout dans ce film pourtant est original, à commencer par son titre. « Ma Loute » est le prénom d’un des protagonistes, fils aîné d’une famille de paysans, les Brufort, qui voit débarquer, l’été venu, les Van Peteghem, de riches bourgeois du Nord en villégiature au bord de la mer. Nous sommes en 1910 entre Proust et Jarry ; mais nous pourrions être aujourd’hui. Les Brufort sont des rustres mal dégrossis dont on apprendra (trop) vite le lourd secret. Mais, sous le vernis de la civilisation, les Van Peteghem ne valent guère mieux. Sort seule du lot Billie, la fille androgyne des Van Peteghem, qu’une attirance partagée rapproche du fils Brufort.

« Ma Loute  » est un spectacle totalement inédit. Par son cadre : la baie de la Slack superbement photographiée. Par son esthétique de bande dessinée et ses personnages truculents à commencer par le duo d’inspecteurs inspirés des Dupont & Dupond ou Laurel & Hardy. Par son mélange des genres : polar, gore, histoire d’amour, critique sociale…

Alors, me direz-vous, pourquoi être hostile à ce film si c’est pour l’encenser ? À cause de son inanité. « Ma Loute » est une belle machine qui tourne dans le vide. À trop vouloir critiquer bourgeois et paysans, consanguins et cannibales, Bruno Dumont les réduit à des caricatures cartoonesques. Immenses acteurs l’un et l’autre, Fabrice Luchini et Juliette Binoche jouent le ridicule au point de se ridiculiser. En tuant la lueur d’espoir qu’avait fait naître l’idylle naissante entre Billie et Ma Loute, Bruno Dumont étouffe la seule parcelle d’humanité que ce film nihiliste avait laissé éclore.

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Le Bois dont les rêves sont faits ★★☆☆

La documentaliste Claire Simon a planté sa caméra dans le bois de Vincennes. Pas dans le bois de Boulogne dont il y aurait eu peut-être plus de choses à dire : Roland-Garros et les travelos, le Pré Catelan et les minets de la place Dauphine, la Fondation Louis Vuitton et l’hippodrome d’Auteuil.

Pas non plus pour raconter l’histoire du parc de Vincennes, des monuments ou des institutions qui l’entourent. Pas un mot sur le zoo ou son jardin des plantes. Rien sur le château ou sur la Cartoucherie. Seulement une allusion à la faculté de Vincennes, temple de la contre-culture soixante-huitarde, qui s’est installée à Saint-Denis et dont il ne reste rien.

Sous les auspices de Gilles Deleuze et de Gilles Lipovetsky, Claire Simon filme un lieu anomique. Ni tout à fait en ville, ni tout à fait ailleurs. Le bois de Vincennes, c’est encore Paris mais ce n’est plus tout à fait Paris.

Elle y croise des marginaux qu’elle prend le temps d’apprivoiser (le film dure près de deux heures trente) et qu’elle filme avec un respect affectueux : un ermite misanthrope, une prostituée sympathique, un militaire retraité, une maman au bord de la dépression…

Ces rencontres ne nous disent rien sur Paris. Il n’y a aucune ambition sociologique, ni aucun message politique dans ce documentaire. Le Bois… est un kaléidoscope dont certaines séquences sont en état de grâce alors que d’autres ne riment pas à grand-chose. C’est la principale force de ce long documentaire. C’est aussi sa principale faiblesse.

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Mr. Holmes ☆☆☆☆

En 1947, Sherlock Holmes, âgé de 93 ans, prend une retraite méritée au bord de la mer. Secondé par le fils de sa gouvernante, il essaie de se remémorer sa dernière enquête malgré une mémoire défaillante.

En dépit de la maîtrise de Sir Ian McKellen, je suis totalement passé à côté de ce Mr. Holmes. Son esthétique de téléfilm sent la naphtaline. Son scénario nous balade sans raison dans l’espace (un détour bien inutile par le Japon post-Hiroshima) et dans le temps (des flash-back ramènent Holmes trente ans en arrière). L’énigme policière, à supposer qu’on se donne la peine de la comprendre, est totalement dépourvue d’intérêt. Quant à la relation que le vieil homme noue avec le jeune garçon, sous le regard désapprobateur de sa mère, elle est aussi prévisible que mièvre.

Moi qui espérais un spectacle du niveau de Downton Abbey, j’ai eu Heidi.

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Vendeur ★★☆☆

Encore un film français me direz-vous ? Un film sans grand budget mais avec des seconds rôles aux petits oignons ? Un de ceux qui disparaissent de l’écran au bout de deux semaines faute de trouver son public ? Qui passera en fin de soirée sur France 2 ? Qu’on ne trouvera jamais en VOD ni sur Air France ? Certes, mais je les aime tant. C’est à croire que je suis sponsorisé par UniFrance !

Vendeur se déroule dans le monde de l’entreprise. Un milieu que ce cinéma français a investi pour en dénoncer la dureté sinon l’inanité. On pense à Ressources humaines de Laurent Cantet (où il était déjà question de filiation), De bon matin de Jean-Marc Moutout ou, plus récemment, La Fille du patron de Olivier Loustau. Intéressant que cette thématique-là ne soit guère présente dans le cinéma américain – sauf à considérer que la série des Mad Men ou Le Loup de Wall Street sont des films sur l’entreprise.

La cinquantaine, portant beau, Serge (Gilbert Melki époustouflant) vend des cuisines. Son fils, Gérald (Pio Marmai omniprésent sur les écrans pour ma plus grande incompréhension) rêve d’ouvrir un restaurant, mais la crise l’oblige à rejoindre l’équipe de son père.

Pas sûr que cette histoire de filiation soit la dimension la plus réussie de ce film qui aurait pu se suffire à lui-même en se concentrant sur le personnage de Serge. Sa vie privée est une succession d’échecs : de chambres d’hôtels en bars à putes, il a sacrifié sa santé et sa famille à son travail. Un travail fascinant dont le film nous révèle, avec une dureté non dépourvue d’humour, les ressorts. Pour y exceller, il faut pas mal de cynisme, beaucoup de bagout et surtout énormément d’intelligence humaine.

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Braqueurs ★★☆☆

Il est de bon ton de critiquer les séries B françaises en les comparant à leurs homologues outre-Atlantique : budgets riquiqui, intrigues banales, misérabilisme social… C’est souvent injuste, car le cinéma français sait produire des petits films bien troussés, bien écrits, bien joués, secs et efficaces.

Braqueurs est de ceux-là. Certes ni le titre ni l’affiche, ni le pitch concocté par une paresseuse boîte de com ne brillent pas leur originalité. À se demander quelle audience est visée, car Braqueurs ne plaira pas seulement à un public masculin, amateur de cascades et de scènes d’actions.

Yanis dirige une bande de braqueurs. Une erreur commise par son petit frère l’oblige à se frotter à des dealeurs des cités. Pour sauver sa famille, il doit braquer un « go-fast » chargé d’héroïne.

Le scénario de Braqueurs n’est pas simpliste. Riche en rebondissements et en personnages, il aurait facilement rempli deux heures. Julien Leclercq a l’intelligence de le résumer en une heure vingt, nerveuse, dense, sans gras. La caméra ne lâche pas Yanis. En chef de clan taiseux, Sami Bouajila confirme, si besoin en était, son talent.  Souvent cantonné au rôle de l’Arabe de service, il excelle aussi bien dans la comédie (Good Luck Algeria) que dans le film d’action.

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Café Society ★☆☆☆

Depuis que je vais au cinéma, je n’ai jamais raté un Woody Allen. À mon âge ça commence à faire. 1987 ? 1988 ? C’est devenu un rite saisonnier, en général automnal mais cette année printanier, Cannes oblige. Un rendez-vous immanquable. Un peu comme le raisin en septembre et les truffes à Noël.

Depuis quelques années, le maestro vieillissait. Mais on lui laissait encore le bénéfice du doute. Combien de fois a-t-on écrit qu’un mauvais Woody valait mieux qu’un bon navet ? Au milieu d’une longue liste de films oubliables (qui se souvient de Melinda et Melinda ou de Scoop ?), quelques pépites rappelaient que Woody était un génie : Match Point, Blue Jasmine

Mais aujourd’hui le roi est nu. Woody a atteint ses limites. S’il n’avait pas quatre-vingts ans passés, j’oserais dire qu’il a fini de creuser sa tombe. Tant (oh mon Dieu, j’ai déjà oublié le titre de ce film que je viens de voir) Café Society est un ratage complet.

La mise en scène si tonique, si vivante, est désormais d’une soporifique paresse. Le scénario surprenant et rebondissant est ici long comme un jour sans pain. Même les acteurs ont l’air de s’ennuyer. Restent des décors, des costumes, une lumière (l’Amérique des années 30), luxueux mais sans âme.

Pariant sur la réputation de son auteur, Café Society a fait l’ouverture du Festival de Cannes. Il y était projeté hors compétition.  Pour ne pas éclipser les autres films ? Ou pour ne pas leur faire de tort ?

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Nos souvenirs ☆☆☆☆

Nos souvenirs avait été hué à Cannes l’an passé. N’imaginant pas qu’un film de Gus Van Sant, le réalisateur multi-palmé de Elephant et Paranoid Park, puisse être tout à fait dépourvu d’intérêt, j’ai voulu me faire mon opinion. Bien mal m’en prit ! Car le dernier film de Gus Van Sant est un ratage complet.

Arthur Brennan (Matthew McConaughey) s’envole vers le Japon. Il se rend au pied du mont Fuji dans la forêt d’Aokigahara. Brisé par la mort de sa femme (Naomi Watts), il a décidé de se suicider.

Tandis qu’il erre dans cette forêt, à la fois apaisante et terrifiante, il se remémore sa vie passée. Le couple qu’il formait avec Joan battait de l’aile, le divorce avait même été envisagé, jusqu’à ce que Joan soit opérée d’une tumeur au cerveau.

Lesté d’une musique envahissante, Nos souvenirs se voudrait un hymne à la vie, à la réconciliation avec soi-même. C’est hélas, malgré le talent de ses deux protagonistes, un film qui pèse des tonnes, dure des plombes et sombre dans le ridicule.

On n’avait pas vu pire depuis Au-delà, l’épouvantable nanar de Clint Eastwood avec Cécile de France. C’est tout dire…

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Green Room ★★☆☆

Green Room est un survival. En français, on dit « film de survie » ; mais en anglais, ça sonne nettement mieux, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qu’un survival ? Un film dont les héros survivent. Quels héros ? Parfois seul (le héros de Into the Wild ou de 127 heures), souvent en groupe (Délivrance, Massacre à la tronçonneuse). À quoi survivent-ils ? Aux éléments déchaînés (Le Jour d’après), à la fin du monde (La Route), à des zombies (World War Z), à des extraterrestres (Alien)…

Le survival est un genre hobbesien, qui dépeint une situation anarchique où la violence se déchaîne contre des victimes innocentes abandonnées à elles-mêmes, mais qui illustre aussi la nécessité de reconstruire un ordre sur des valeurs : le héros survivra à force de volonté et d’inventivité, le groupe se défendra en apprenant à coopérer. Le survival est aussi un genre « genré » : a priori plus fragiles, les filles y survivent pourtant mieux, soit que leur intelligence les préserve… soit que leur T-shirt mouillé constitue un argument impossible à sacrifier en cours de route.

Green Room est donc un film de genre qui suit des règles bien connues : unité d’action (un groupe de punk rock lutte contre des skinheads), unité de lieu (l’action se déroule dans un rade miteux, au cœur d’une forêt menaçante), unité de temps (le film dure jusqu’à épuisement de ses personnages).

Rien de nouveau sous le soleil – ou plutôt sous la pluie triste de l’Oregon. Entre les quatre sympathiques membres du groupe punk et les skinheads aux lacets rouges s’engage une lutte à mort. Un huis clos oppressant et gore où tous les coups sont permis : poignard, gros calibre, pitbull…

Trop convenu pour ne pas rapidement sombrer dans l’oubli ? Mais suffisamment original pour retenir l’attention ? Un peu les deux…

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Dalton Trumbo ★★★☆

Scénariste à Hollywood, Donald Trumbo fut victime de la chasse aux sorcières pendant les années 50. Coupable d’être membre du Parti communiste, il fut emprisonné puis licencié. Il dut recourir à des pseudonymes et à des prête-noms pour continuer à travailler, rédigeant des scénarios de série B mais aussi des chefs-d’œuvre couronnés aux Oscars (Vacances romaines en 1954, Les Clameurs se sont tues en 1957).

Dalton Trumbo a les traits de Bryan Cranston, le héros de la cultissime série Breaking Bad. Autour de lui les silhouettes plus vraies que nature de Kirk Douglas, John Wayne, Otto Preminger et Edward G. Robinson. La jeune Elle Fanning (Somewhere, Super 8, Twixt…) confirme son talent de future star.

Sans doute la réalisation de Jay Roach est-elle trop académique pour susciter l’admiration. Mais il ne faut pas bouder son plaisir face à cette reconstitution soignée du Hollywood des années 50 et à ce destin poignant d’un homme qui ne renia jamais ses convictions ni ne perdit son sens de l’humour face à l’hystérie maccarthyste.

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Les Habitants ★☆☆☆

Raymond Depardon est le photographe qu’on connaît quand on n’en connaît pas d’autres. Le fondateur de la mythique agence Gamma en 1966. Le documentariste qui a filmé VGE en campagne (1974, une partie de campagne, 1974), le Tibesti (La Captive du désert, 1990), les comparutions immédiates à la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris (10e Chambre, instants d’audience, 2004) L’auteur de la photographie officielle du président de la République.

Chacune de ses expositions, chacune de ses publications, chacun de ses documentaires sont désormais un événement pour ses admirateurs éclairés et élitistes. « Les Habitants » ne déroge pas à la règle. Il y continue son tour de France en caravane entamé en 2012. Cette fois-ci, il y a installé un studio et a invité des passants à y continuer, deux par deux, le dialogue entamé dans la rue.

Le procédé n’est pas naturel. Même si le réalisateur n’a retenu qu’un dixième des rushes qu’il a tournés,  on peine à croire que les passants ne prennent pas un tant soit peu la pose – parce qu’on la prendrait sans doute soi-même dans la même situation.

Plus grave : le choix opéré par Depardon au montage. Le cinéaste-photographe nous montre des gens ordinaires. Soit. Mais ce qui frappe c’est leur médiocrité, leur étroitesse d’esprit voire leur veulerie. Les femmes sont des victimes résignées, les hommes des égoïstes immatures. Leur unique sujet de discussion, comme s’il n’y en avait pas mille autres en 2015 (les attentats terroristes, la politique, leur travail…) : leur couple. Des couples misérables, cabossés par l’alcool, la violence, les grossesses non désirées, sans amour, sans respect. Que de telles situations existent, on veut bien le croire. Mais qu’elles soient représentatives de la France dépasse la mesure.

Vous me rétorquerez que Depardon ne fait pas oeuvre de sociologue, que ces « habitants » ne sont pas représentatifs. Soit. Mais se pose dès lors la question de la raison d’être de ce documentaire. En enchaînant paresseusement des face à face déprimants de vulgarité, quel objectif Depardon poursuit-il ? Nous dessiller les yeux, nous autres spectateurs CSP++, sur une réalité qui nous est étrangère ? Ou donner à voir une France rance au risque de donner raison aux Zemmour et consorts ?

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