Espèces menacées ★★★☆

Tomasz (Vincent Rottiers) et Jospéhine (Alice Isaaz) viennent de se marier. Mais bien vite Tomasz se révèle jaloux et violent. Joséphine, qui s’est fâchée avec ses parents, appellera-t-elle son père au secours ?
Mélanie (Alice de Lencquesaing) est enceinte. Elle annonce à son père (Eric Elmosnino) qu’elle va se marier avec un homme de 63 ans.
Anthony (Damien Chappelle) peine à se fixer professionnellement et sentimentalement. Sa mère (Brigitte Catillon) perd lentement la tête et Damien doit quitter Paris pour venir prendre soin d’elle.

Espèces menacées est l’adaptation de trois nouvelles de Richard Bausch, un romancier célèbre aux États-Unis, quasi-inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. Adapter des nouvelles au cinéma est casse-gueule. Un risque est d’enchaîner les histoires comme un film à sketches. Un autre est d’essayer d’inventer entre elles un lien artificiel. Un troisième, dans lequel tombe Espèces menacées, est de s’attacher à l’une plus qu’aux autres. Bien vite, le film se focalise sur Tomasz et Joséphine. Il se désintéresse de Mélanie, de son vieux mari et de son futur bébé. Il traite par-dessus la jambe Anthony, qui entretemps s’est enamouré de sa femme de ménage.

Espèces menacées n’en présente pas moins une unité de lieu . Les trois histoires se déroulent dans la baie des Anges, à Nice ou dans ses environs.
Il est frappant de voir combien le cinéma français se « provincialise ». Le temps n’est plus où tous les films se tournaient à Paris. Considérez les films sortis le mois dernier. Quasiment tous se déroulent en province : Ôtez-moi d’un doute (Lorient), Kiss & Cry (Colmar), Gauguin (Polynésie), Mon garçon (massif du Vercors), Money (Le Havre). C’est souvent l’effet des subventions versées par les collectivités territoriales – qui exigent en contrepartie que le tournage se déroule sur leur territoire. Mais cette exigence est bénéfique qui conduit les réalisateurs à s’emparer d’un lieu et à en exalter l’esprit. C’est particulièrement le cas de Gilles Bourdos – qui avait déjà tourné son Renoir dans la région. Sous sa caméra, Nice ne ressemble pas à l’image de carte postale qu’on en a. Pas de soleil ni de mer bleue. Mais une Riviera hivernale, grise et vide de ses touristes – qui n’est pas sans rappeler Mon âme par toi guérie où jouait déjà l’excellent Gregory Gadebois.

Aucune publicité n’a été faite de ce « petit » film. Ni dans les cinémas, ni dans les abribus. Je ne serais pas aller le voir si sa bande-annonce ne m’avait tapé dans l’œil. Jetez-y le vôtre. Et laissez vous tenter.

La bande-annonce

Une suite qui dérange – Le Temps de l’action ★★☆☆

En 2006 sortait Une vérité qui dérange (An Inconvenient Truth) qui remporta l’Oscar du meilleur documentaire et permit à Al Gore de décrocher l’année suivante le Prix Nobel de la paix. Dix ans plus tard, Une suite qui dérange (An Inconvenient Sequel) se présente comme sa suite assumée. Bizarrement sous-titré en français Le Temps de l’action (alors que le sous-titre original est Truth to Power), il y est moins question des  moyens concrets d’agir pour la planète que de suivre Al Gore dans sa croisade sans cesse recommencée contre le réchauffement climatique.

Le héros a vieilli. Il a désormais des cheveux blancs. On le sent parfois sur le point de renoncer face aux climato-sceptiques qui le dénigrent, face aux catastrophes naturelles de plus en plus dévastatrices, face à Donald Trump et ses tweets imbéciles. Mais son constat est toujours aussi angoissant : la calotte glaciaire fond, le niveau des mers s’élève, le climat se dérègle, les ouragans sont de plus en plus violents, les canicules de plus en plus brûlantes, les feux de forêts de plus en plus meurtriers. Que faire ? C’est là où Al Gore est le moins convaincant qui se borne à plaider en faveur de la substitution du pétrole et du charbon par le solaire et l’éolien.

Pour donner une tension à leur documentaire, les deux réalisateurs ont pris pour fil narratif la préparation de la COP21 de Paris en décembre 2015. Ils s’attachent à un aspect de cette négociation complexe : les résistances de l’Inde, puissance émergente qui refuse de sacrifier son développement sur l’autel de la vertu écologique. Le ministre indien de l’énergie oppose à AL Gore un argument qui le laisse coi : « L’Occident s’est développé pendant 150 ans en utilisant des énergies fossiles. Pourquoi nous refuser aujourd’hui ce dont vous avez abusé hier ? » Les réticences indiennes sont vaincues grâce à l’intervention de Al Gore qui convainc les dirigeants de la Banque mondiale d’accorder à l’Inde des facilités de crédit pour se doter de capteurs solaires et renoncer à leurs projets de centrales au charbon.

Une suite qui dérange est sans doute une longue publicité en faveur des actions menées par Al Gore. C’est tout juste s’il ne se termine pas avec le numéro de CCP où lui verser des dons. Pour autant, il est des actions moins nobles, des causes moins vertueuses auxquelles on aurait trouvé à redire à ce procédé un poil trop racoleur.

La bande-annonce

Mother! ★☆☆☆

Jennifer Lawrence habite une belle maison à la campagne qu’elle a amoureusement rénovée. Son compagnon, interprété par Javier Bardem, est un écrivain célèbre en panne d’inspiration.

Mother! commence par deux images dont on comprendra à la fin du film qu’elles en sont la clé d’explication. Mais Mother! n’est pas – hélas – construit autour d’un suspense qui se dénouerait par un twist final.

Plus classiquement, Mother! est l’histoire d’une femme qui sombre dans la folie. Encore y a-t-il un doute sur cette présentation. Car, comme souvent dans les films qui ont le désordre mental comme thème, on se demande un instant si c’est Jennifer Lawrence qui devient folle ou si c’est son univers qui s’écroule.

Pendant la première moitié du film, l’ambiguïté demeure. C’est l’occasion pour les vétérans Ed Harris et Michelle Pfeiffer de deux apparitions impérissables. Mais la seconde moitié se perd dans une accumulation d’effets de plus en plus risibles. Jusqu’à un dénouement grand guignolesque qui plonge l’auditoire dans un silence gêné, hésitant entre le spasme d’horreur et l’éclat de rire.

C’est un gâchis terrible. Car le film du génial Darren Aronofsky (l’auteur de Pi et de Requiem for a Dream) présentait deux atouts de poids. Jennifer Lawrence, qui reste parfaite de bout en bout, d’une remarquable dignité dans le naufrage du film. Et une caméra et un son (il faut absolument voir Mother! en Dolby stereo) virtuoses qui la suivent dans chaque pièce de cette maison labyrinthique qui se transforme au gré de ses humeurs.

La bande-annonce

Faute d’amour ★★★★

Un couple se déchire. Un enfant en paie le prix.
Boris et Zhenya sont en plein divorce. Ils vivent encore sous le même toit – qu’ils tentent en vain de vendre – mais ne sont plus capables d’y passer cinq minutes sans s’agonir d’injures. Ils ont d’ailleurs recommencé à faire leur vie chacun de leur côté : Zhenya a rencontré un homme plus âgé et plus aisé, Boris a fait un enfant à une femme plus jeune qui vit encore avec sa mère.
Entre eux deux Alyocha souffre en silence. Jusqu’à disparaître. Cette disparition rapprochera-t-elle ses parents ? ou les libèrera-t-elle d’un poids ?

Amateurs de feel good movie passez votre chemin. Faute d’amour est un film éprouvant. Comme dans L’Économie du couple, on y vit un divorce en temps réel. Comme dans Le Ruban blanc de Hanneke ou Scènes de la vie conjugale de Bergman, on y entend jusqu’au malaise des disputes d’une effarante violence. Comme dans Elena ou Leviathan, Zviaguintsev y poursuit le procès à charge de la société russe et de sa dérive individualiste.

J’ai été durablement traumatisé par une scène. Elle se déroule au début du film. La raconter n’est pas le spoiler. Il s’agit d’une dispute entre Boris et Zhenya au sujet de leur appartement qu’ils tardent à vendre et de leur fils dont ils ne savent que faire : ils se battent moins pour sa garde que pour s’en débarrasser en le plaçant en internat. La scène s’interrompt quand Zhenya passe aux toilettes. En poussant la porte, le spectateur découvre le petit Alyosha, tapi dans l’ombre, étouffant un sanglot, le visage déformé par le chagrin et la peur, auditeur silencieux de la dispute dont il est l’enjeu. On se demande comment on a pu obtenir d’un enfant de douze ans de tels sanglots, un tel rictus – qui rappelle Le Cri de Munch. Une scène plus effrayante que bien des films d’horreur.

Boris et Zhenya sont des monstres d’égoïsme. Zhenya est la pire des deux. On la voit avec son nouvelle amant, nue et lascive, lui susurrer des mots d’amour en lui racontant l’horreur de sa grossesse, les affres de l’accouchement, le dégoût des premiers contacts avec son fils. Quand elle rencontre sa mère, on comprendra d’où lui vient une telle dureté : on ne donne rien quand on n’a rien reçu. Boris ne vaut guère mieux. Il travaille dans une entreprise exigeant de la part de ses employés le respect d’une stricte orthodoxie. Le divorce équivaudrait pour lui au licenciement. Et on le sent plus soucieux de cacher ses déboires conjugaux à son employeur que de retrouver son fils.

Quand Alyocha disparaît, Boris et Zhenya, qui avaient découché chacun de leur côté avec leur compagnon, mettent trente six heures à s’en rendre compte. Ils contactent la police qui refuse de les aider. Ils ont finalement recours à une milice privée, le Groupe de recherches des enfants perdus, curieuse cohorte muette de bénévoles, dans un pays gangrené par l’appât du gain, qui consacrent leur temps à aider des familles à la recherche de leurs enfants.

Alyocha a-t-il fugué ? A-t-il été enlevé ? Ses parents le retrouveront-ils vivant ? On vous laissera, cher spectateur qui avez accepté de regarder ce film traumatisant, le découvrir. Vous serez surpris. Je ne suis pas sûr d’avoir compris la fin du film. J’aimerais en discuter avec vous.

La bande-annonce

Le Redoutable ★★★☆

En 1967, Jean-Luc Godard est au sommet de sa gloire. L’auteur du Mépris d’À bout de soufle et de Pierrot le fou incarne à lui seul la Nouvelle Vague. Pourtant il ne se résigne pas à reproduire les recettes éculées de ses précédents succès. Pressentant les événements de Mai-68, il cherche à réinventer son cinéma.

Le Redoutable est la libre adaptation de l’autobiographie de Anne Wiazemski qui épousa Godard en 1967 – et le quitta trois ans plus tard. C’est d’abord l’histoire d’un couple déséquilibré (elle a vingt ans, il en a dix-sept de plus) mais profondément uni (une profonde tendresse les unit et jamais n’éclate entre eux la moindre dispute). Mais c’est avant tout l’histoire d’un homme : un scrogneugneu en révolte permanente contre l’ordre établi, un grand bourgeois au langage châtié qui revendique sa proximité avec une classe ouvrière qu’il ne connaît pas et qu’au fond il méprise. Un tel personnage aurait dû être horripilant ; mais son intégrité le rend attendrissant.

On a, à bon droit, dit le plus grand bien de l’interprétation de Louis Garrel. Il se fond parfaitement dans le rôle de Godard – avec la même aisance que Pierre Niney dans celui de Yves Saint Laurent. Les cheveux, les lunettes, le zozotement, tout est parfait. Mais sa prestation ne doit pas éclipser celle de Stacy Martin, parfaite elle aussi dans le rôle de la jeune Anne, si jolie, si fraîche, éperdue d’admiration pour Godard, mais au final suffisamment intelligente pour comprendre son aveuglement et refuser son égoïsme.

L’interprétation de Louis Garrel ne doit pas non plus faire oublier la mise en scène de Michel Hazanavicius. Le réalisateur oscarisé de The Artist aurait pu se contenter – comme Godard à la fin des années soixante s’était refusé de le faire – de suivre lentement la pente toute tracée creusée dans ses précédents films. Au lieu de tourner le troisième épisode de OSS 117, il se frotte à un genre nouveau pour lui, le biopic, et à un monstre sacré, Godard. Le défi est relevé haut la main.

La bande-annonce

Kiss & Cry ★★★☆

Sarah a quinze ans.  Elle fait du patin artistique en sports études et prépare fiévreusement les championnats de France sous la férule de Xavier, un entraîneur sadique, et de sa mère, une Russe installée en France. Mais des patins, Sarah aimerait en rouler à des garçons de son âge et vivre une vie « normale » sans être asservie à son sport.

L’affiche du film résume à merveille Kiss & Cry. En haut, une patineuse surmaquillée, les cheveux nattés, dans une combinaison kitsch, se concentre. En bas, une ado rieuse entourée d’amies glousse en envoyant des photos sur Snapchat.

Le film co-réalisé par Chloé Mahieu et La Pinell fait coup double. D’un côté, il documente l’univers impitoyable du patinage artistique. De l’autre, il filme une bande d’adolescentes avec une rare délicatesse.

Le monde du patinage artistique avait rarement été filmé. Après avoir vu Kiss and Cry, on se demande bien pourquoi tant il semble se prêter à la dramatisation : un groupe de personnages – les patineuses – tendues vers un objectif commun – les championnats de France – doivent traverser une série d’épreuves – leurs chamailleries, la tyrannie de leur entraîneur, la pression de leurs parents. C’est par cette porte d’entrée là que les réalisatrices en sont venues à tourner ce film. Il est né d’un documentaire réalisé en 2014 autour d’un groupe de jeunes championnes. Leur entraîneur – plus vrai que nature – et elles reprennent leur rôle. Seule actrice professionnelle, la mère de Sarah, la Russe Dinara Droukarova aperçue récemment dans La Supplication ou Trois souvenirs de jeunesse. Il y a quelques mois était sorti sur les écrans un documentaire similaire sur le monde de la natation synchronisée Parfaites.

Plus dangereux était la description de l’adolescence, si souvent traitée au cinéma avec un bonheur inégal. Les jeunes réalisatrices relèvent le défi haut la main, qui réussissent à rendre attachante Sarah. Elle a la moue boudeuse de l’ado butée – on pense à Dana, la fille de Brody dans Homeland. Elle a une façon bien à elle de refuser la tendresse d’un premier baiser. Elle a le juron facile (quand une jeune fille dit « j’m’en bats les couilles », j’ai toujours une seconde d’hésitation) et le rire communicatif.

La dernière scène pourra décontenancer. Tout bien considéré, c’était la façon la plus intelligente de conclure ce film attachant.

La bande-annonce

Good Time ★★☆☆

Connie (Robert Pattinson) a un frère Nick déficient mental (Benny Safdie). Il l’associe au braquage d’une banque qui tourne mal. Nick est arrêté. Connie parvient à s’enfuir mais il met tout en œuvre pour sortir son frère de prison.

Le quatrième film des frères Safdie emprunte à plusieurs sources.

Le lien indestructible qui unit Connie à son frère rappelle l’amitié des deux héros de Des souris et des hommes. Il aurait pu constituer le sujet unique du film. Mais hélas, le scénario le perd en cours de route. Au milieu du film, alors que Nick est emprisonné à Rikers Island – prison désormais bien connue en France pour avoir hébergé DSK au printemps 2011 – l’histoire se focalise sur le seul Connie.

Du coup, Good Time lorgne du côté de After Hours : soit l’histoire d’un homme perdu dans New York et y accumulant les déboires. Connie en effet tente de faire évader Nick de l’hôpital où il a été transféré après une rixe. Ses pas croiseront ceux d’un autre détenu. Ils prendront un bus, s’installeront chez des braves New Yorkais du Queens, pénètreront ensuite dans un parc d’attractions pour y retrouver un magot qui y aurait été planqué…

Denier emprunt pour les lumières : Tangerine de Sean Baker. Et pour la musique électro omniprésente voire envahissante : Heat de Michael Mann. Deux films qui d’ailleurs racontent, eux aussi, une longue nuit d’errance dans une mégapole américaine (ici L.A, là N.Y.).

On a beaucoup dit que Robert Pattinson était épatant. En tournant avec les plus grands (Cronenberg, Gray, Corbijn), la star de Twilight montre qu’elle ne se réduit pas à une jolie frimousse affichée aux murs des chambres d’ados boudeuses. Il est de chaque plan. Sa présence enfiévrée habite le film.
Mais on a moins souligné la prouesse de Benny Safdie, le co-réalisateur du film, dans le rôle de Nick. Son interprétation est sidérante. Au point qu’on regrette que la caméra le quitte pour se focaliser sur le beau Robert.

La bande-annonce

Nos années folles ★★☆☆

Paul (Pierre Deladonchamps) est marié à Louise (Céline Salette). Il est mobilisé lorsque la Première guerre mondiale éclate. Blessé, traumatisé, il ne veut plus retourner au front. Louise le cache dans la cave de son appartement. Mais Paul ne supporte pas la réclusion. S’il sort, il risque d’être reconnu, arrêté, passé par les armes pour avoir déserté. Louise a alors l’idée de le travestir. Paul devient Suzanne

André Téchiné nous surprend encore. Sa filmographie est impressionnante. Tous les plus grands acteurs français ont tourné avec lui : Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jeanne Moreau, Juliette Binoche, Patrick Dewaere, Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil…Exception dans son œuvre, Nos années folles est  inspiré de faits réels. L’histoire de Paul Grappe a été exhumée par les historiens Fabrice Virgili et Danièle Voldman. Elle avait déjà inspiré la bande dessinée de Chloé Cruchaudet Mauvais genre publiée en 2013

Pourtant, Nos années folles n’est pas un film historique. C’est d’ailleurs même par sa maladresse à reconstituer une époque qu’il pêche faute de moyens. Dommage pour un film dont le titre à double sens laissait augurer plus de flonflons et de cotillons. Autre maladresse : sa façon de filmer le temps qui passe. L’action se déroule de 1914 à 1928 : Paul, qui se travestit pour éviter la prison, n’est plus dans l’obligation de le faire après l’amnistie des déserteurs mais continue portant dans cette voie. Or, on ne voit pas l’effet du temps qui passe – dont il est, c’est vrai, toujours délicat de rendre compte au cinéma ou dans la littérature. Paul et Louise ne changent pas. Ni au physique – ce qui, à la limite, est secondaire. Ni au moral – ce qui est plus grave car, précisément, le film repose sur les chemins différents qu’ils empruntent jusqu’au drame final.

Céline Salette est particulièrement convaincante dans le rôle de Louise. Cette actrice, qui se fait lentement et sûrement un nom, incarne l’amour fou. Elle aime Paul en homme ; elle aimera Suzanne avec la même passion.

Le maillon faible de Nos années folles, c’est Paul/Suzanne précisément. Il est difficile de dire du mal de Pierre Deladonchamps au sourire si attendrissant. Le problème est qu’il est trop sympathique pour le rôle. André Téchiné le dépeint comme un brave bougre qui se travestit pour ne pas remonter au front et qui prend goût à ce travestissement. En réalité Paul Grappe fut un sale type qui vécut toute sa vie aux crochets de sa femme. S’il déserta, ce fut moins par pacifisme que par lâcheté . S’il se travestit, ce fut pour pouvoir évoluer dans un monde interlope. Mari violent et abusif, il n’hésita pas à prostituer sa femme. Le personnage n’avait rien d’aimable. Et les efforts de Téchiné pour le peindre sous un jour moins défavorable font long feu.

La bande-annonce

The Party ★★★☆

Jane (Kristin Scott Thomas) fête son entrée au gouvernement en recevant chez elle quelques intimes : April (Patricia Clarkson) son amie de toujours, avec son mari allemand (Bruno Ganz), Martha (Cherry Jones) la militante féministe et sa compagne Jinny (Emily Mortimer) qui attend des triplés, Tom (Cilian Murphy) qui est venue sans son épouse Marianne censée prendre la direction du cabinet de Jane. La soirée commence dans l’insouciance.

The Party est gâché par une mauvaise idée : ce titre ultra-référencé, emprunté à Peter Sellers et que rien ne fera oublier. Mais cette mauvaise idée est la seule d’un film qui frise la perfection.

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. The Party ressemble à du théâtre filmé mais n’en a pas les défauts. Pas d’interminables monologues. Pas d’écrasantes prestations d’acteurs. Pas d’histoires qui tournent en rond en attendant que l’amant sorte du placard.

The Party a une immense qualité : sa durée. Soixante huit minutes qui passent comme un éclair. À se demander pourquoi les films doivent tous respecter les sempiternelles quatre-vingt-dix minutes alors qu’ils gagneraient en rythme et en nerfs en s’en amputant de vingt.

En soixante-huit minutes, tout est dit. Les personnages sont introduits. La tension naît de l’anxiété de Tom, l’épatant Cilian Murphy, qui sue à grosses gouttes et cache un pistolet. Sur qui va-t-il tirer ? Sur Jane qui reçoit des SMS enflammés de son amant ? Sur son mari abruti par l’alcool ? Sur April l’insupportable amie dont les compliments sont autant de reproches ? Sur Martha qui a passé sa vie à défendre la cause des femmes ?

C’est Bill, le mari, qui le premier fait une révélation qui change du tout au tout l’ambiance de la soirée. Une deuxième bientôt lui fait suite qui transforme instantanément la victime en bourreau. Puis une troisième qui fait du procureur un accusé. Les masques se fissurent, reléguant au second plan la brillante réussite de Jane qu’on était censé fêter entre amis. Quand la sonnette retentit pour rompre le huis clos, on se souvient, sans y croire, de l’arrivée tardive d’un invité de la dernière heure. Le film se termine quand la porte s’ouvre.

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Barbara ★☆☆☆

L’affiche l’annonce : Amalric filme Balibar interprétant Barbara. Chaque patronyme compte sept lettres. Sept lettres souvent identiques : des a, des r, des b.

On est loin du biopic en bonne et due forme qui raconterait l’ascension, la gloire et la mort d’une célébrité. Un biopic classique rythmé par quelques unes de ses plus belles chansons.

L’ambition de Mathieu Amalric est autrement plus grande. C’est un fan assumé qui filme, béat d’admiration, une actrice qu’il vénère – qui fut sa compagne et la mère de ses enfants – interprétant une chanteuse qu’il adule. Amalric n’hésite pas à jouer son propre rôle, donnant à son personnage le patronyme de sa mère et le prénom d’un de ses cousins.

Barbara est donc un film sur un film en train de se faire. Mise en abyme brechtienne qui séduit d’abord avant de lasser. Sans doute faut-il saluer cette intelligente tentative de sortir des sentiers battus du biopic platement chronologique. Le problème est que Barbara tourne en rond, additionne les saynètes et ne mène nulle part.
Jeanne Balibar est – évidemment – époustouflante. Sa ressemblance avec Barbara est stupéfiante : le physique anguleux, mais aussi les intonations et la gestuelle maniérée. Amalric en joue en mêlant des documents d’archive de la vraie Barbara à des scènes filmées avec Balibar. Mais, à y bien réfléchir, on peut s’interroger sur les limites de ce psittacisme. Pourquoi faire un film avec Balibar s’il s’agit de ressusciter la « vérité » de Barbara ? Pourquoi ne pas avoir réalisé un documentaire ?

L’autre défaut est de caricaturer Barbara en diva excentrique. Elle l’était d’ailleurs peut-être largement. Toujours est-il que sa diction outrée et ses états d’âme deviennent vite horripilants. Plus grave : à force d’insister sur l’a-normalité de Barbara, le film de Mathieu Amalric finit par la dé-réaliser. Et la femme Barbara, trop excessive, trop vouvoyante, trop fétichiste, trop stressée, trop tout, ne nous touche plus.

Restent son talent fou, sa voix ensorcelante et ses chansons merveilleuses. Un génie intemporel qui puise son inspiration dans les années 50 mais qui n’a pas pris une ride. On sort de la salle en fredonnant Nantes, Göttingen, L’Aigle noir ou Ma plus belle histoire d’amour et avec l’irrépressible envie de réécouter la discographie de cette immense chanteuse.

La bande-annonce