Teen Spirit ★★☆☆

Violet Valenski (Elle Fanning) est une adolescente discrète qui s’ennuie ferme dans l’île de Wight au sud de l’Angleterre. Lycéenne maussade, elle enchaîne les petits boulots pour se faire de l’argent de poche et contribuer aux charges de la famille. Sa mère, une immigrée polonaise, l’élève seule depuis que son père l’a quittée.
Mais Violet a une passion : le chant, qu’elle pratique à la chorale de l’église et dans un troquet, devant un public clairsemé d’alcooliques moroses. Jusqu’au jour où Vlad Brajkovic, un ancien chanteur d’opéra croate déchu, repère son talent et accepte de la parrainer au concours de chant « Teen Spirit ».

On me dit Teen Spirit ? Je réponds Virginie Despentes. Je me demande combien de spectateurs iront, comme moi, voir ce film, sur un malentendu, escomptant une adaptation de l’une des œuvres de jeunesse de l’auteure de Vernon Subutex. Ils n’en auront pas pour leur compte ; car la romance sucrée de Max Minghella (le fils de son père, Anthony Minghella, le réalisateur du Patient anglais, mais aussi l’acteur qui joue Nick Blaine dans The Handmaid’s Tale) n’a rien de trash ni de punk.

Le scénario cousu de fil blanc de Teen Spirit est affligeant. Comme de bien entendu, on y voit une Anglaise ordinaire passer avec succès toutes les épreuves qui la mèneront de l’anonymat à la gloire. Rien ne nous est épargné, depuis la concurrente fielleuse, le petit ami séducteur et duplice jusqu’à la corruptrice impresario (superbe Rebecca Hall révélée dans Vicky Cristina Barcelona), sans oublier la mère aimante mais dure et l’ami fidèle mais faible.

La musique ne réjouira que les aficionados de NRJ. Des scies déjà mille fois entendues, au risque de nous causer des acouphènes, sont martelées sur des images de video clips : Lights d’Ellie Goulding, Wildflower de Carly Rae Jepsen, Dancing On My Own de Robyn, etc.

Pourquoi, après ce dézingage en règle deux étoiles alors ? Pour une seule raison : Elle Fanning. J’ai déjà eu souvent l’occasion de dire la passion que je lui voue. Une admiration qui n’est ni sentimentale ni irrationnelle. Je ne suis pas sous le coup de son charme. D’ailleurs Elle Fanning a des traits assez durs, un visage carré, un menton agressif, une bouche trop petite (je lui trouve une ressemblance avec Elisabeth Moss, l’héroïne de The Handmaid’s Tale). Mais elle réussit, d’un plan à l’autre, à se métamorphoser. Quelconque un instant, elle est sublime l’instant d’après. Elle a des expressions enfantines, un sourire désarmant, et, à plus de vingt-et-un ans, une sensualité désormais parfaitement assumée.
Surtout, c’est une actrice qui travaille ses rôles. Cela se voit. On la sent investie, concentrée, attentive aux moindres détails. Loin d’être un défaut, c’est à mes yeux une qualité. À une époque où on valorise le lâcher prise, où l’on encense le talent naturel de jeunes génies au charme félin façon Timothée Chalamet ou Lily-Rose Depp, je reste indéfectiblement du côté des besogneuses, des bosseuses : Natalie Portman, Naomi Watts, Julianne Moore, Jennifer Lawrence, Jessica Chastain…

La bande-annonce

Yves ★☆☆☆

Rappeur sans talent, Jerem (William Lebghil, héros de la série Soda et tête d’affiche de Première année) vivote dans le pavillon miteux que lui a légué sa défunte grand-mère. Son agent (Philippe Katerine, qui tenait le premier rôle du précédent film de Benoît Forgeard) le presse sans succès d’honorer ses contrats.
Une société de robotique le recrute pour tester un nouveau frigo intégré en échange de la livraison gratuite de ses courses. Le frigo se prénomme Yves et devient l’ami irremplaçable de Jerem.

Considérant mon état civil, Yves avait pour moi un attrait particulier. Pourquoi affubler un frigo de mon prénom ? Est-il ringard, ridicule, charmant, original ? Pourquoi ne pas avoir prénommé ce frigo Marcel, Gérard ou Michel ? Je pensais qu’on m’en ferait la remarque. Je n’y ai pas eu droit, soit que le film, sorti le 26 juin en pleine fête du cinéma, soit définitivement passé inaperçu, soit que j’ai passé l’âge de faire l’objet de ce genre de remarques.

La Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2019 s’était ouvert avec Le Daim, où Quentin Dupieux mettait en scène un blouson qui parle. Il s’est achevé avec Yves, un frigo intelligent. C’est le signe que le cinéma français aime à flirter avec l’absurde.

Si Le Daim interrogeait la folie d’un homme, Yves traite d’un sujet moins tragique mais pas moins sérieux : l’emprise croissante des nouvelles technologies sur nos vies. Le sujet a un immense potentiel cinématographique : qu’on pense à 2001, Odyssée de l’espace (Yves fait un clin d’œil à Hal), à Her, ou à la série dystopique Black Mirror. L’intérêt de Yves est de révéler le potentiel comique évident d’un monde où des machines bienveillantes prendront progressivement le contrôle de nos vies.

Le problème de Yves est de ne pas choisir vraiment son parti. Il n’opte pas résolument pour l’absurde, trop raisonnable pour nous entraîner dans son délire, trop loufoque pour qu’on le prenne au sérieux. Il ne prend pas non plus à bras-le-corps la question qu’il entend traiter : Yves est trop superficiel pour traiter le sujet de l’A.I. qui aurait autorisé des développements autrement plus consistants – même si le procès autour du droit d’auteur d’une chanson composée par Jerem avec l’aide de son robot constitue une stimulante dystopie juridique..

Une fois son sujet posé, et malgré une interprétation qui ne démérite pas, Yves tourne en rond et verse dans la comédie sentimentale en imaginant une romance improbable entre Jerem et So (Dora Tillier, héroïne de Monsieur et madame Adelman), la commerciale chargée d’analyser le comportement de son frigo. C’est le signe de l’épuisement d’une veine qui aurait mieux été exploitée dans un court ou un moyen-métrage.

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Dirty God ★★★☆

Jade (Vicky Knight) a été brûlée à l’acide par son petit ami. Dans l’attente du procès de son agresseur, elle doit, avec l’aide de sa mère, élever sa fille de deux ans. Elle doit surtout assumer un visage défiguré face aux regards apitoyés ou horrifiés qui l’accueillent.

Dès ses premières images, Dirty God prend son sujet à bras-le-corps : en très gros plan, la caméra s’attarde sur le corps dévasté de Jade. Toute la partie gauche de son visage, ses bras, son thorax portent les cicatrices monstrueuses de sa brûlure. On ignore à quand remonte son agression ; mais on imagine sans peine – surtout si on a lu Le Lambeau – le temps qu’ont nécessité les opérations, la lente et douloureuse cicatrisation.

Dirty God n’est pas sans défaut. D’abord son titre qui tire le film dans une direction qui n’est pas la sienne : il n’a guère de dimension religieuse ou métaphysique. Ensuite, ces trois verbes qui ornent son affiche française, hymne boursouflé à la résilience. Le seul visage de Vicky Knight, actrice amatrice qui a traversé les mêmes épreuves que son héroïne, aurait suffi. Il est d’une incroyable richesse. À sa droite des cicatrices qui laissent la peau crevassée, vieillie, dont Jade crânement ne cache rien alors qu’elle aurait pu les masquer en laissant retomber sa chevelure. À sa gauche un visage parfait qui permet d’imaginer combien la jeune femme était séduisante avant sa mutilation. Ce visage interroge notre relation à la beauté physique : pourquoi y sommes-nous si sensibles ? dans quelles conditions peut-on, doit-on s’en abstraire ?

Dirty God ne se borne pas à nous montrer une femme défigurée. Il construit une histoire pour la mettre en situation. Elle aurait pu se concentrer sur le procès de son agresseur, dont on comprend qu’il est d’origine étrangère. On craignait par avance quelques pesantes considérations sur les couples mixtes, le fossé culturel, la place de la femme dans l’Islam, etc. Fort heureusement, elles nous sont épargnées.

L’histoire se resserre sur Jade et sur sa difficile réinsertion. Là encore, le risque était grand de sombrer dans la désespérance « loachienne » en nous montrant une fille-mère en butte à un environnement sourd à sa détresse. Mais, là encore, le péril est évité. Jade n’est pas seule. Elle a une mère aidante, une amie solidaire, une collègue de travail qui facilite son insertion chez son nouvel employeur.

Jade veut retrouver sa vie. Elle revendique son droit au plaisir, en cherchant sur Internet des plaisirs fugaces. Elle veut effacer définitivement ses cicatrices en donnant foi aux promesses irréalistes d’une opération esthétique au Maroc. Elle veut se libérer d’une mère étouffante et assumer l’éducation de sa fille. Elle ne peut pas gagner sur tous les terrains – sauf à transformer son histoire en conte de fées irréaliste. La principale qualité de Dirty God est d’éviter cet ultime écueil sans pour autant sombrer dans le pathos.

La bande-annonce

Tolkien ★★☆☆

Avant d’écrire la trilogie de l’Anneau en 1954-1955 et de devenir le père de la fantasy moderne, John Ronald Reuel (Nicholas Hoult) fut orphelin, élevé à la dure dans les collèges victoriens, tombé très jeune follement amoureux d’une orpheline comme lui, passionné de philologie et envoyé comme tous ceux de sa génération combattre dans les tranchées de la Somme durant la Première guerre mondiale. Il s’est inspiré de son expérience pour inventer l’Empire du milieu et toute la mythologie du Seigneur des anneaux.

Le succès mondial du Seigneur des anneaux, décliné en format plus ou moins étiré pendant plus d’une décennie, devait fatalement inspirer chez un producteur cupide l’idée de mettre en scène la vie de son concepteur, l’écrivain britannique J.R.R. Tolkien, pariant sur le ralliement pavlovien d’une partie de ses fans inconditionnels. Ils seront sans doute décontenancés et fatalement déçus par ce biopic bien lisse qui n’a rien à voir avec le lyrisme baroque de la trilogie des anneaux.

Tolkien parle moins de dragons que d’éducation : Le Cercle des poètes disparus dans les décors de Downton Abbey sous la caméra d’un réalisateur finlandais, que son premier film remarqué (Tom of Finland, le biopic d’un dessinateur homo-érotique aux prises avec la censure dans les années cinquante) aura permis d’acheter son visa pour Hollywood.

Si on en croit Tolkien, la généalogie du Seigneur des anneaux doit beaucoup à la « communauté » (fellowship) que le jeune étudiant et trois de ses amis ont formée à Oxford avant la Première guerre mondiale. C’est sans doute vrai. Mais l’inspiration de Tolkien – qui écrivit le Hobbit vingt cinq ans plus tard et la trilogie quinze ans encore après – plonge à plusieurs sources dont le film ne rend pas compte. Son goût pour la philologie, le vieil anglais et les sagas norroises est à peine évoquée. Plus grave, rien n’est dit de sa foi catholique (sinon que sa mère s’y convertit avant sa mort précoce et confia ses deux enfants à la garde d’un prêtre) qui irrigue toute son œuvre : lutte du Bien contre le Mal, libre arbitre, éloge des humbles, peur de la mort et désir d’immortalité…

Reste du coup un film en costumes d’une jolie facture ponctuée de quelques scènes marquantes : la mère de Tolkien lisant à ses enfants devant l’âtre un conte fantastique, l’idylle de Ronald et Edith dans les coulisses de l’opéra qui joue L’Or du Rhin de Wagner (quand bien même Tolkien a toujours nié la moindre filiation entre sa trilogie et le cycle des Nibelungen), les fantasmes enfiévrés du sous-lieutenant Tolkien dans les tranchées de la Somme où il croit voir un dragon dans le feu des lance-flammes allemands et où il doit la vie sauve à son estafette (prénommée Sam !), le lyrisme élégiaque de son professeur de vieil anglais qui lui expose l’étymologie du mot oak…

C’est sans doute suffisant pour convaincre la spectatrice fleur bleue ; mais le compte n’y est pas pour rallier les fans de la Trilogie.

La bande-annonce

Buñuel après « L’Âge d’or » ★★☆☆

Après le scandale provoqué par son film L’Âge d’or, interdit par la censure, le jeune réalisateur Luis Buñuel se retrouve ruiné et déprimé. Un coup de chance lui offre une opportunité : son ami le producteur Ramón Acín gagne à la loterie une somme qui lui permet de financer un nouveau film.
Il s’agira d’un documentaire tourné dans une région reculée de l’Estrémadure.

Tiré du roman graphique de Fermín Solís, Buñuel dans le labyrinthe des tortues, le film de Salvador Simó inaugure un genre : le making-of d’un documentaire en dessin animé.
Pourquoi pas ? On voit depuis quelques années l’animation, comme le montre la richesse de la programmation du festival d’Annecy qui vient de se conclure, envahir tous les genres. Le temps n’est plus où elle se cantonnait aux comptines trop sucrées pour enfants. L’animation raconte des histoires aux adultes. Elle constitue désormais un sous-genre du documentaire historique. En témoignent des œuvres telles que Funan sur le génocide cambodgien, Another Day of Life sur la guerre d’indépendance de l’Angola ou Adama sur les tirailleurs sénégalais enrôlés durant la Première Guerre mondiale.

Buñuel après l’âge d’or évoque une page méconnue de la vie et de l’œuvre de Luis Buñuel. Le réalisateur espagnol, expatrié à Paris, n’a pas trente ans. Il fréquente André Breton et Salvador Dali. Il vient de tourner Un chien andalou et L’Âge d’or, deux œuvres profondément subversives qui marqueront l’histoire du surréalisme, mais qui souffrent d’être déconnectées du réel. Le documentaire Terre sans pain marque une rupture dans sa carrière. Pour la première fois, Buñuel se coltine avec le réel – même si, comme le montre le film, il n’hésite pas à le re-fabriquer. Indirectement politique, son cinéma le devient directement.

Terre sans pain est un témoignage anthropologique – qui n’est pas sans rappeler dans cette veine Nanouk l’Esquimau de Robert Flaherty tourné dix ans plus tôt. Le dessin animé nous en montre les séquences les plus emblématiques. On y découvre des populations misérables, arriérées. Le documentaire de Buñuel n’était pas tendre avec les animaux : on y voyait un coq étêté, une chèvre précipitée du haut d’une falaise, un âne agonisant sous la piqûre d’un essaim d’abeilles. Le dessin animé, quatre-vingt dix ans plus tard, a l’audace de braver les oukases de la SPA et du parti animaliste et de nous remontrer ces images.

Seul défaut : on aurait volontiers fait l’économie des cauchemars de Buñuel qui le mettent en présence d’un père avare de tendresse dont le réalisateur quémande la reconnaissance.

La bande-annonce

Noureev ★☆☆☆

Rudolf Noureev (Oleg Ivenko) est la star du ballet du Kirov en tournée en Europe en 1961. Accueilli à bras ouverts par le danseur Pierre Lacotte (Raphaël Personnaz), par la belle-fille d’André Malraux, Eva Saint (Adèle Exarchopoulos), le jeune danseur est vite fasciné par la vie parisienne. Mais le KGB, qui ne le quitte pas d’un chausson, voit d’un mauvais œil ses fréquentations.

J’ai couru voir le soir de sa sortie ce biopic, dont la bande-annonce fiévreuse tournait en boucle depuis quelques semaines. Tout m’y faisait envie : la Guerre froide racontée à travers l’histoire du plus célèbre danseur russe depuis Nijinsky, la reconstitution aussi soignée qu’élégante du Paris du début des années soixante, la si sensuelle Adèle Exarchopoulos, le toujours parfait Ralph Fiennes…

Hélas tout sonne faux dans ce pensum de plus de deux heures qui transpire l’ennui. Il tisse trois fils narratifs. Le premier, couleur sépia, est l’enfance misérable de Noureev dans l’hiver permanent d’Oufa, au cœur des monts Oural. Le deuxième est sa formation à Leningrad auprès du célèbre maître de ballet Alexandre Pouchkine, interprété par un Ralph Fiennes neurasthénique. Le troisième, le plus intéressant, celui sur lequel on nous vend le film, et celui qui hélas n’en constitue qu’un (gros) tiers se passe dans un Paris d’opérette, acrobatiquement cadré pour éviter qu’on en voie la tour Montparnasse ou le centre Pompidou. Le film est construit autour d’un faux suspense qui peine à tenir en haleine ceux, sans doute nombreux, qui connaissent déjà la destinée de Noureev.

On pardonnera Oleg Ivenko de mal jouer. C’est un danseur professionnel, catastrophique dès qu’il a une ligne de texte, sublime dès qu’il s’élance sur le plateau. En revanche, Noureev réussit à vider Adèle Exarchopoulos de toute sensualité. Et ça, c’est impardonnable.

La bande-annonce

Zombi child ★☆☆☆

En 1962, à Haïti, Clairvius Narcisse est victime d’une tentative de zombification. Empoisonné, il est laissé pour mort, mis en bière, inhumé. À la nuit tombée, des hommes déterrent son cercueil. Réduit à l’état de mort-vivant, privé de parole, de volonté, il est employé dans une plantation de canne à sucre. Mais Clairvius, après avoir mangé un morceau de viande, retrouve une partie de sa conscience et réussit à s’enfuir.
De nos jours, sa petite-fille Mélissa, intègre en classe de seconde la Maison de la Légion d’honneur, un établissement scolaire réservé aux jeunes filles dont l’un des parents s’est vu attribué la Légion d’honneur ou l’Ordre national du mérite. Un groupe de jeunes filles accepte de l’accueillir dans la sororité à condition que Mélissa partage avec elles un secret.

Zombi sans e. L’orthographe du titre interpelle. Elle se décrypte aisément. Zombie est dérivé de l’anglais. Zombi est utilisé à l’origine en français, dérivé de zonbi en créole haïtien, nzumbe ou nzambé en kimbundu/kikongo (merci Wikipédia).
Il s’agit donc d’un zombi haïtien, baigné dans une culture ancestrale, pas d’un de ses vulgaires ectoplasmes hollywoodiens qui – comme le relève une des étudiantes de la Légion d’honneur, friande du genre -se déplaçait à tâtons avant de connaître, dans le cinéma le plus contemporain, une soudaine accélération de leur vélocité (Cf. les zombies sprinteurs de 28 jours après ou World War Z).

Dans un montage alterné, Zombi Child tisse deux fils narratifs. D’un côté on suit Clairvius Narcisse en 1962, Lazare haïtien, ramené à la vie par un sortilège vaudou dont il essaie de se désenvoûter. Histoire sans parole languissante qui filme des paysages sauvages et grandioses. De l’autre, on suit une bande de jeunes filles façon Virgin Suicides dans leur lycée hors norme : la maison de Saint-Denis de la Légion d’honneur dont on s’étonne que l’atmosphère si particulière n’ait pas déjà inspiré le cinéma.

Zombi Child a plus de défauts de qualités. Les plus irritants sont ceux qui constellent la description de la vie des lycéennes de la légion d’honneur. Pourquoi avoir prêté à ces jeunes filles de bonne famille un vocabulaire de cagoles ? Pourquoi leur avoir donné comme enseignant d’histoire Patrick Boucheron qui leur assène un discours digne d’une leçon d’ouverture au collège de France sur les « hoquettements » du dix-neuvième siècle auquel il n’y a guère ed chance que des lycéennes de seconde, aussi précoces soient-elles, entendent goutte ?
Mais le plus grave est l’ennui que distille ce film de près de deux heures dont le scénario étique se résume à rien, ou du moins à pas grand-chose. Bertrand Bonello tenait pourtant là un sujet fascinant qu’il gâche à force de paresse. Quel dommage !

La bande-annonce

Lune de miel ★★★☆

Anna (Judith Chemla) et Adam (Arthur Igual) sont juifs d’origine polonaise. Ils viennent de se marier. Ils confient aux bons soins des parents d’Anna leur nourrisson pour partir en voyage de noces. Si Adam serait volontiers parti à New York, Anna a décidé de se rendre en Pologne sur les traces de leurs deux familles.

Aucune tromperie sur la marchandise : le trailer de Lune de miel annonce la couleur. Il s’agira d’entrelacer comédie de couple et enquête sur les origines.

Sur les deux terrains le pari est réussi.

On rit beaucoup au personnage d’Anna qu’interprète la décidément remarquable Judith Chemla qui a réussi à se frayer patiemment un chemin jusqu’à la tête d’affiche depuis son passage à la Comédie-Française et sa nomination en 2013 au César de la meilleure actrice dans un second rôle pour Camille redouble. Elle est hilarante en ashkénaze hystérique, couturée de complexes, entretenant avec sa mère (impeccable et trop rare Brigitte Roüan) une relation compliquée, enthousiasmée au-delà du raisonnable de ce pèlerinage sur les traces de ses ancêtres. Face à une telle tornade, Arthur Igual fait le pari réussi de la sobriété.

Si Lune de miel fait rire, il réussit aussi à émouvoir. On aperçoit dans la bibliothèque de l’appartement parisien du couple une exemplaire des Disparus de Daniel Mendelsohn, poignante enquête historique sur les traces des ancêtres juifs polonais de l’auteur. On pense aussi à Tout est illuminé, le roman de Jonathan Safran Froer porté à l’écran par Liev Schreiber avec Elijah Wood dans le rôle principal. Sans avoir l’air d’y toucher, Lune de miel évoque en trois plans la disneylandisation de la Shoah dans laquelle a viré l’industrie touristique à Cracovie avec ses tours guidés à Auschwitz et ses concerts de musique klezmer, le devoir de transmission à travers le personnage d’Evelyn Askolovich, qui raconte sa déportation à Bergen Belsen et enfin l’oubli lourd d’antisémitisme et teinté de négationnisme dans lequel tombe irrésistiblement cette mémoire.

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Charlotte a 17 ans ★☆☆☆

Charlotte a dix-sept ans – bien qu’elle en fasse facilement cinq de plus. Elle vient de connaître son premier chagrin d’amour qui vient de lui confesser son homosexualité (sic) après deux ans de relation (re-sic). Charlotte peut compter sur ses deux amies d’enfance pour la consoler : Mégane, qui tempête contre le monde et ses injustices, et Aube, qui essaie de cacher sans y parvenir son inexpérience avec les garçons.
Les trois jeunes filles trouvent un job dans un magasin de jouets. L’ambiance y est très détendue. Les garçons qui y travaillent leur réservent un joyeux accueil. Charlotte y collectionne les conquêtes au point de s’y faire une funeste réputation.

Nous vient du Canada ce petit objet filmique difficile à classer. S’agit-il d’un petit film amateur tourné à la va vite en noir et blanc par une bande de copains façon Clerks ? D’un teen movie racontant les émois amoureux d’une poignée d’adulescents façon Friends ? D’un pamphlet féministe revendiquant le droit des femmes au donjuanisme ou au polyamour façon Lutine ?

Un peu des trois. et c’est bien là que le bât blesse.
Soit on trouvera à ce film hors normes, qui joue sur ces trois tableaux, une fraîcheur originale. Soit on lui reprochera de ne pas savoir à quel sein (!) se vouer, quel parti prendre.
Dans un cas comme dans l’autre, on lui reconnaîtra néanmoins de ce côté-ci de l’Atlantique la saveur inégalable de ses truculents québécismes qu’on aurait eu bien du mal à comprendre sans les sous-titres.

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Piranhas ★☆☆☆

Nicola a quinze ans à peine. Avec quelques camarades de son âge, il passe ses journées à arpenter les rues de Naples en scooter. Ses aînés de la Camorra terrorisent les commerçants du quartier en exigeant d’eux le paiement du « pizzo » pour les prémunir d’une insécurité qu’ils sont les premiers à nourrir.
Les familles de la Camorra se livrent une guerre à mort qui crée, au gré des assassinats et des arrestations, un vide de pouvoir dont Nicola et sa bande entendent profiter pour se tailler une place au soleil.

Naples ou l’enfance d’un chef. On se souvient du film élégiaque de Eric Valli tourné dans les montagnes himalayennes en 1999. La comparaison s’arrête au titre. Piranhas (étrange traduction de La paranza dei bambini qui fait plus spontanément penser à un film d’horreur dans la forêt amazonienne qu’au portrait d’un jeune caïd napolitain) raconte, comme son affiche l’annonce, « l’ascension des baby gangs ». Cette histoire n’est guère crédible où l’on voit des gamins qui se disputent un pot de Nutella avant d’aller assassiner leurs rivaux. Mais elle peut se réclamer de Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra, dont elle constitue l’adaptation à l’écran d’un roman publié en 2016.

Des histoires de jeunes mafiosi, on en a déjà vu beaucoup. Sans remonter à Gomorra ou à Suburra, on avait bien aimé l’automne dernier Frères de sang, un petit film italien passé inaperçu.

De ce côté-ci des Alpes, Piranhas souffre de la comparaison avec Shéhérazade sorti l’an passé. Ses héros se ressemblent : l’un comme l’autre sont des chiens fous à peine sortis de l’enfance, en mal de référent paternel, qui s’éveillent à l’amour (si Viviana Aprea n’a pas le bagout de Kenza Fortas, César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Shéhérazade, elle est d’une beauté à couper le souffle). Mais Shéhérazade atteint, dans sa dernière demie heure une densité émotionnelle que Piranhas n’approche pas.

La fin de Piranhas est étonnante. Jusque là, le film avait déroulé un scénario ternaire bien huilé : l’ascension, la gloire, la chute. On se dirigeait tranquillement vers une scène finale qu’on s’imaginait déjà. Et soudainement, dans les deux derniers plans, le scénario prend une autre bifurcation, aussi surprenante que déconcertante. S’il ne l’avait pas fait, on aurait regretté son manque d’audace ; mais la façon dont il le fait l’expose au reproche de l’incohérence.

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