Emi est enseignante d’histoire dans un lycée de Bucarest. La petite quarantaine, elle a une vie sexuelle active avec son mari qui filme leurs ébats pour les pimenter. Pas de chance : une video se retrouve sur les réseaux sociaux, postée par le réparateur de l’ordinateur familial.
Des parents d’élèves l’apprennent et obtiennent la convocation d’une assemblée générale. Emi se retrouve sur la sellette.
Dans la nouvelle Vague roumaine, extraordinairement riche et stimulante, Radu Jude a trouvé sa place bien à lui : celle d’une vigie intellectuelle, mauvaise conscience d’une Roumanie trop prompte à oublier ses vieux démons. Son précédent film, « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares », évoquait une page sombre et méconnue de l’histoire européenne : ces quelques années où la Roumanie, vaincue par Hitler, s’est alliée avec l’Allemagne nazie sous l’autorité du maréchal Ion Antonescu, un « Pétain roumain » et s’est rendu coupable durant l’opération Barbarossa, sur le front de l’Est, de crimes de guerres et de génocide comme à Odessa en octobre 1941.
Bad Luck Banging or Loony Porn a un titre presqu’aussi long que ce film-là. Un titre à semer la confusion au moment de passer à la caisse du cinéma : « Bonsoir, je voudrais une place pour…. le film porno roumain ! » Son sujet est simple : c’est celui que j’ai résumé ci-dessus. Son traitement est plus tarabiscoté et contient trois parties d’inégale longueur.
La première est un prologue (je n’ose parler d’amuse-bouche) : il s’agit de la courte vidéo tournée par les deux amants. L’image est granuleuse, le cadrage imprécis, le son crachotant. Il s’agit de porno amateur, très cru, qui filme sans détour un sexe en érection, pas vraiment ragoûtant, une fellation et un coït. Pas de quoi étonner les abonnés à Jacquie et Michel, mais assez surprenant au MK2 Beaubourg. Suffisamment en tous cas pour justifier une interdiction en France aux moins de seize ans.
La deuxième partie est plus longue – et moins pornographique. On suit Emi dans une longue déambulation durant laquelle on comprend, à travers ses conversations téléphoniques hachées, qu’elle se rend à sa convocation. Elle traverse Bucarest, une métropole embouteillée dont les habitants excédés multiplient les incivilités.
Troisième partie sous forme de parenthèse godardienne : Radu Jude met en image quelques concepts politiques (colonialisme, sexisme, maltraitance infantile, pollution….)
Il faut attendre la dernière partie pour enfin arriver au cœur du sujet : la confrontation entre la professeure et la meute de parents d’élèves, tous plus agressifs et primaires les uns que les autres, qui entendent obtenir son éviction.
La situation du film aurait soulevé en droit administratif français une question délicate dont la réponse n’est pas certaine. L’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 fait obligation aux fonctionnaires d’exercer leurs fonctions avec dignité.
Au milieu des 90ies, une gardienne de la paix avait été révoquée pour avoir tourné dans des films X. La cour administrative d’appel de Paris avait considéré que de tels faits étaient « contraires à l’obligation de dignité qu’on est droit d’attendre d’un fonctionnaire de police » et constituaient « une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire » ; mais, considérant qu’aucune référence ni mention n’avait été faite dans les films litigieux à la profession de la policière municipale et que par ailleurs, la fonction policière n’avait été, en aucune façon, dans lesdits films mise en cause ni tournée en dérision, le juge avait estimé que la sanction de l’exclusion était excessive eu égard aux faits commis (CAA Paris, 9 mai 2001, Ministre de l’intérieur contre Slujka, n° 99PA00217).
Quelle décision le juge administratif français aurait-il rendu ? Aurait-il considéré que le fait de tourner dans un film pornographique est contraire à l’obligation de dignité qu’on est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de l’éducation nationale, notamment d’un enseignant en contact permanent avec des enfants mineurs ? Pas sûr. Sans doute l’aurait il fait sans guère d’hésitation dans l’hypothèse où, comme dans l’affaire Ministre de l’intérieur contre Slujka précitée, ledit enseignant savait que ses ébats feraient l’objet d’une diffusion publique. Mais la circonstance que leur enregistrement n’avait pas vocation à être diffusée, qu’elle était réservée aux seuls amants dans l’accomplissement de leurs fantasmes, pourrait être regardée comme la vidant de tout caractère fautif. La question me semble très indécise.
À supposer qu’une faute ait toutefois été retenue, le juge administratif aurait, en tout état de cause censuré une sanction trop sévère – telle que l’exclusion – et aurait validé non sans hésitation un avertissement voire un blâme.
On me reprochera – et on aura raison – une longue disgression juridique, bien loin du film que je suis censé critiquer.
C’est que Bad Luck Banging or Loony Porn pêche par son manichéisme en mettant face à face deux arguments simplistes : Emi : « J’ai le droit à ma vie privée » vs. les parents d’élèves : « Vous avez des mœurs dépravées ».
Le réalisateur lui-même ne sait pas comment conclure et nous propose trois fins alternatives, la dernière n’étant pas la moins loufoque ni la moins hilarante.
La bande-annonce