En 2008, les habitants ancestraux d’une petite île située dans un bras de la Rivière des perles près de Canton ont été délogés manu militari et leurs maisons ont été rasées. Leur éviction devait permettre la construction d’un immense projet immobilier soi-disant écologique, à une encablure du centre-ville de Canton. Quelques habitants, sans droit ni titre, ont refusé de quitter les lieux et continuent de vivre dans les ruines. L’anthropologue franco-argentin Boris Svartzman est venu les filmer.
Le thème des mutations urbaines pénètre de part en part le cinéma chinois contemporain. Il est au cœur de l’oeuvre de Jia Zhangke, peut-être le plus grand réalisateur chinois vivant. C’est aussi le thème principal de Séjour dans les monts Fuchun ou de So Long, My Son qui ont remporté récemment en France un succès mérité, mais aussi de Vivre et Chanter ou de Les anges portent du blanc, passés plus inaperçus. Plusieurs documentaires l’ont pris à bras le corps tels que Derniers jours à Shibati réalisé par un documentariste français dans la ville multimillionaire de Chongqing au Sichuan.
Ce qui frappe, dans Guanzhou, une nouvelle ère, c’est moins ce refrain déjà souvent entendu du temps qui passe, des vieux quartiers qu’on détruit, des insolentes tours ultra-modernes qu’on érige et du dédain dans lequel on laisse les anciens habitants nostalgiques, que la liberté de ton de ces Chinois expulsés. On imaginait, à tort ou à raison, que la Chine était un État policier, cadenassé, où la liberté de parole n’existait guère et où chaque Chinois était encadré par un contrôle social très strict et un appareil d’Etat omniprésent et omniscient. Les témoignages glanés par Boris Svartzman sidèrent par leur liberté de ton et par la dureté des critiques qu’ils font entendre. Ils suscitent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses : les paysans qui ont parlé à visage découverts ont-ils été inquiétés pour leurs propos ? le réalisateur s’est-il vu interdire à tout jamais le droit de retourner en Chine ? Des réponses positives ne nous surprendraient guère et accréditeraient l’idée préconçue qu’on nourrit d’une Chine autoritaire. Des réponses négatives nous surprendraient plus et ouvriraient l’espoir (ou l’horizon) d’un État moins omniscient qu’on l’imagine et/ou acceptant qu’une contestation sociale s’exprime – dès lors qu’elle ne menace pas l’ordre établi.