Jeanne Mayer (Blanche Gardin) est une jeune start-upeuse propulsée sur le devant de la scène médiatique pour une invention de génie – un filtre biodégradable capable de nettoyer les océans de leur plastique – et rapidement déchue de sa gloire éphémère après le naufrage de son projet. Sa situation financière ayant du plomb dans l’aile, elle n’a d’autre solution que d’aller vendre l’appartement que sa mère (Marthe Keller), suicidée l’an dernier, a légué à Lisbonne, à elle et à son frère (Maxence Tual).
Dans l’avion qui l’y amène, Jeanne retrouve Jean (Laurent Lafitte), un ancien camarade de lycée.
J’ai vu ad nauseam, pendant les semaines qui ont précédé sa sortie, la bande-annonce de Tout le monde aime Jeanne qui m’avait rebuté. J’imaginais à tort une banale comédie romantique française construite autour de Blanche Gardin et tout entière calibrée pour capitaliser sur son potentiel comique.
Je ne me trompais pas tout à fait : Tout le monde… est bien une comédie romantique dont l’issue ne surprendra guère ou, pire, nous confirmera dans nos préjugés. C’est aussi un film tout entier construit autour de Blanche Gardin, Laurent Lafitte, malgré sa popularité et son immense talent, en étant réduit au second rôle.
Mais Tout le monde…. ne s’y réduit pas. Le premier film de Céline Devaux, qui vient de l’animation, est une sacrée réussite qui dépasse de plusieurs têtes le tout-venant télévisuel auquel la comédie française nous avait habitué. Et ce pour trois raisons.
La première, c’est bien sûr Blanche Gardin, dont les one-woman shows me font hurler de rire tout en me mettant terriblement mal à l’aise tant son humour est souvent border line. Elle est ici de tous les plans, le film étant construit autour de la dépression qu’elle traverse. Une dépression causée à la fois par son échec professionnel et par le deuil qu’elle doit faire d’une mère avec laquelle elle entretenait des relations compliquées. Une telle exposition était la porte ouverte à toutes les surenchères. Blanche Gardin et sa réalisatrice ont eu au contraire l’intelligence de se brider. Blanche Gardin n’en rajoute pas. Mieux : elle sous-joue. Le comique nait moins d’elle que de son double imaginaire, un fantôme de papier qui apparaît sous le crayon de Céline Devaux et qui dit tout haut ce que Jeanne pense tout bas.
La deuxième, c’est Laurent Lafitte. Cet acteur est un génie. Il sait tout faire. Quand donc obtiendra-t-il le César du meilleur acteur qu’il mérite tant ? La bande-annonce laissait escompter un beauf envahissant qui finirait par séduire Jeanne en la sortant de sa dépression. Le personnage de Jean est plus complexe : il est moins beauf que gentiment toc-toc, moins irritant que désopilant. Ses répliques décalées sinon malaisantes (« Je suis content que tu sois encore en vie »…) font mouche sans faire exprès, l’air de rien et instille une poésie et une loufoquerie inattendues.
La troisième, c’est Lisbonne où se déroule le film. Il aurait pu tout aussi bien se passer à Paris comme tant de comédies françaises. Mais il n’aurait pas eu le même charme. Céline Devaux ne cède pas à la tentation d’en faire un décor de carte postale. On n’en verra même pas la Tour de Belem ou le Monastère des Hiéronymites. Mais on en humera le parfum sucré des pasteis, on sentira sur sa peau le soleil rasant de l’Atlantique, on en entendra la musique chuintante de la langue….
Comédie de la dépression et du deuil, Tout le monde aime Jeanne réussit à nous faire rire sur un sujet grave.