Sans rien cacher du caractère militant de leur engagement, Jamali Jendari et Nicolas Bernaert ont filmé pendant quatre ans les syndicalistes CGT de l’usine Ford à Blanquefort. Elle avait échappé à la fermeture en 2011 grâce à leur combat ; mais elle est à nouveau exposée à la même menace en 2018. Parmi ces syndicalistes émerge la figure charismatique de Philippe Poutou, délégué CGT et candidat à la présidentielle en 2017.
La caméra des deux documentaristes colle au plus près des ouvriers et des militants durant la longue négociation qui s’engage. Quatre acteurs y participent, aux intérêts contradictoires : Ford Europe qui entend plier les gaules et a présenté, comme la loi l’y oblige, un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ; l’Etat qui doit l’homologuer et qui essaie de retrouver un repreneur ; Punch Powertrain, un fabricant de boîtes de vitesses belge, qui a manifesté son intérêt à reprendre le site mais exige des salariés des sacrifices ; les salariés eux-mêmes divisés sur les objectifs de la lutte : défendre l’emploi à long terme en prenant le risque de se mettre en grève ou bien considérer que cette bataille-là est perdue d’avance et obtenir de Ford la prime de licenciement la plus généreuse possible.
Des documentaires sur des usines au bord du dépôt de bilan, on en a vu beaucoup. Au point de considérer qu’il s’agit désormais d’un genre à part entière : La Saga des Conti en 2013, Des Bobines et des Hommes en 2017, Le Feu sacré fin 2020… On a vu aussi des films plus ou moins réussis sur ce thème : Ressources humaines de Laurent Cantet (qui n’avait pas encore gagné la Palme d’Or pour Entre nos murs) La Fille du patron, Reprise en main de Gilles Perret il y a quelques mois à peine… Le meilleur du genre, et de loin, est de mon point de vue un film exceptionnel accueilli avec un succès mérité : En guerre de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon dans le rôle d’un syndicaliste CGT poussé à bout, ex aequo avec le film suivant de Stéphane Brizé, avec le même Vincent Lindon, Un autre monde.
On frise l’overdose avec ce nouveau documentaire sur ce sujet décidément éculé. Deux facteurs le sauvent. Le premier est le suspense qui se crée naturellement, sans avoir besoin de recourir au moindre artifice, sur le sort de l’entreprise au cours d’une négociation riche en rebondissements car aucun de ses participants ne veut porter le poids de la responsabilité de son échec.
Le second est le portrait des syndicalistes. Loin des caricatures que les positions souvent radicales de Philippe Poutou laissaient augurer, on découvre un homme posé, philosophe, souvent drôle, jamais autoritaire, à qui la célébrité médiatique n’est pas montée à la tête. Son engagement pour ses camarades fait chaud au coeur.