Vivre ★★☆☆

Sans jamais déroger à ses habitudes, Mr Williams, un gentleman d’une cinquantaine d’années, prend chaque matin le train de banlieue pour Londres. Il y dirige le bureau des Travaux publics de la municipalité. Les cinq fonctionnaires placés sous ses ordres y font régner une routine administrative qui ne connaît aucune dérogation : dès qu’un dossier soulève une difficulté, il est soigneusement mis de côté.
Mais la vie monotone de Mr Williams est remise en cause par la funeste nouvelle que lui confirme son docteur : un cancer incurable lui laisse à peine quelques mois à vivre. Que faire de ce temps qui reste pour donner un peu de sens à une vie qui n’en avait guère ?

Ce film d’Oliver Hermanus est une entreprise déroutante. C’est la reprise, quasiment à l’identique, du film de Kurosawa de 1952. Tout y est : le même héros engoncé dans une routine étouffante et brutalement confronté à la finitude de sa vie, la même époque, celle de l’immédiat après-guerre, les mêmes administrations courtelinesques aux procédures déshumanisantes contre lesquelles vient se fracasser un collectif de femmes qui souhaitent la transformation d’un espace désaffecté en aire de jeux. Mr Williams déploiera exactement les mêmes stratégies que M. Watanabe face à la mort inéluctable : il partagera une nuit de beuverie avec un écrivain dans une station balnéaire, il prendra le thé avec une jeune employée de son service dont la fraîcheur le touche, il sacrificiera ses dernières forces à réaliser l’aire de jeux qui s’était jusqu’alors heurtée à l’inertie de son administration. Cette dernière entreprise nous est révélée dans le film de Kurosawa comme dans son remake par une série de récits racontés sous forme de flashbacks par les participants à ses funérailles.

Pourquoi faire le remake d’un chef d’oeuvre ? Psycho de Gus Van Sant, West Side Story de Steven Spielberg…. à chaque fois la même question se pose. Et les mêmes réponses peuvent y être apportées : pour rendre hommage à un chef d’oeuvre, pour lui redonner une actualité qu’il a perdue, pour le transposer dans un autre lieu et dans un autre temps et ainsi en démontrer l’universalité et l’intemporalité. Le pari ici ne tient pas à un changement d’époque mais à un changement de lieu. Et il est très malin : quoi de plus compassé, quoi de plus cérémoniel que la vie d’un fonctionnaire japonais sinon celle d’un fonctionnaire anglais ?!

L’idée en est semble-t-il venue lors d’un dîner partagé entre le producteur du film Stephen Woolley, Bill Nighy, son acteur principal, et Kazuo Ishiguro, le plus japonais des Prix Nobel britanniques et le plus britannique des romanciers japonais.
Le résultat est impeccable. Mais il laisse sans réponse une question abyssale : pourquoi aller voir le remake plutôt que revoir l’original ?

La bande-annonce

3 commentaires sur “Vivre ★★☆☆

  1. J’irais voir Vivre , je ne me rappelle pas du Kurosawa, voilà une réponse à votre question, entre autres.
    Je suis allée voir le tourbillon, perturbant serait mon ressenti et le final m’a semblé inutilement larmoyant, avec un maquillage de la comédienne peu crédible.
    Mais le questionnement je pense inévitable de tout un chacun après le film est intéressant et quelle prouesse de scénographie et bon boulot de cette jeune comédienne.
    Je pense avoir plus d’émotion avec le Kurosawa étonnamment peut-être.
    Tous mes voeux passez une bonne fin d’année et continuez à nous éclairer de vos excellentes critiques et goûts littéraires.
    Annick

  2. Le film vient de sortir à La Reunion. Vu hier matin, en Vo, on était 3 dans la salle!
    Ceux qui comme moi, n’ont jamais vu l’original de Kurozawa (et seraient bien en peine de le revoir!) peuvent répondre à ta question abyssale: cette version est superbe, soulève de profondes questions intemporelles sur notre capacité à agir à changer le monde.
    Et quelquefois, ça commence avec presque rien à bout de la rue. Et toute paresse, lâcheté, facilité, conformisme , toute honte bue, « que faisons nous de notre vie? » n’est pas qu’une question de fonctionnaires routiniers!

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