Le Tourbillon de la vie ★★★☆

Et si ? Et si Julia, alors qu’elle était encore adolescente, était partie cette nuit-là à Berlin pour y assister à la chute du Mur, provoquant la colère de son père et l’interruption de ses études de piano ? Et si Julia n’avait pas rencontré Paul dans une librairie un jour d’orage ? Et si Julia n’avait pas remporté le concours Clara-Schuman et avait dû renoncer à la brillante carrière de soliste qui s’offrait à elle ? Et si, à la veille de son premier concert, elle avait eu un accident de scooter qui lui aurait fait perdre l’usage de sa main droite et aurait provoqué une fausse couche ? Et si….

Le Tourbillon de la vie pose des questions métaphysiques en diable : notre vie est-elle écrite d’avance ? sommes nous voués à vivre le destin qui nous est promis ? ou est-elle le produit de bifurcations hasardeuses, de choix plus ou moins mûris, de concours de circonstances, de rencontres – ou d’absences de rencontres – inopinées ?

Je me souviens du choc qu’avaient produit sur moi ces questions la première fois que je me les étais posées. C’était au hasard (!) d’une lecture qui marqua ma génération : L’Insoutenable Légèreté de l’être. On se souvient – ou pas – que Kundera, à rebours de la conception platonicienne de l’amour, y désacralise le coup de foudre qu’il réduit à une pure contingence. Ses deux héros, Tomas et Tereza, ne seraient jamais tombés amoureux l’un de l’autre s’ils ne s’étaient pas rencontrés par hasard dans une petite ville de Bohême : « Nous croyons tous qu’il est impensable que l’amour de notre vie puisse être quelque chose de léger, quelque chose qui ne pèse rien; nous nous figurons que notre amour est ce qu’il devrait être : que sans lui notre vie ne serait pas notre vie »

Je me souviens de mon éblouissement ravi quand je lisais ces phrases à vingt ans : la vie s’annonçait merveilleuse, riche de mille surprises…. Il suffisait de faire confiance au hasard et de savoir saisir les opportunités qui ne manqueraient pas de se présenter. Avec la crise de la quarantaine, cet optimisme béat a cédé la place à un noir pessimisme. Là encore, une lecture en fut la cause : La Vie très privée de Monsieur Sim qui tire du postulat de Kundera des conséquences diamétralement opposées. Si le hasard va nous permettre de rencontrer l’amour de notre vie ou de décrocher une opportunité professionnelle inespérée, il va plus sûrement encore nous les faire rater. Si nous croisons par hasard dans la foule un visage connu, combien en avons-nous raté de quelques secondes ou de quelques mètres ?

Pardon pour cette longue digression qui semble nous éloigner du film que je suis censé présenter et dont vous lisez patiemment – pour ceux qui ne l’ont pas encore zappée – la trop longue critique. Son seul objet était de souligner combien le sujet me touche.

Son traitement cinématographique n’était pas évident. Il s’agissait de mettre en images un processus stochastique ou, pour le dire plus simplement, un arbre de probabilités.
À ce stade, si j’en avais la compétence technique, j’insèrerais dans mon texte le schéma de cet arbre avec les embranchements énumérés dans mon introduction.

Tout l’art du film et de son scénario est d’entremêler les vies de quatre Julia potentielles qui auraient pu exister selon les options choisies.
Un scénario paresseux se serait contenté de les raconter les unes après les autres. Olivier et Camille Treiner font le pari plus risqué d’une construction ambitieuse qui entrelace ces quatre récits. Le résultat est concluant : on ne se perd jamais et on réussit – grâce notamment au maquillage et à la coiffure de Lou de Laâge – à identifier immédiatement le registre de chaque scène.

Quelle est la réponse que Le Tourbillon de la vie donne à la question qu’il pose ? Les quatre destins de ces quatre Julia semblent à première vue très différents : l’une s’installe à Berlin, une autre n’aura jamais d’enfants, une autre fera une brillante carrière internationale…. Mais toutes les quatre se retrouvent au même nœud – comme si la mort des êtres aimés, hélas, était le seul événement inéluctable de la vie. Et toutes surtout donnent à voir la même Julia qui, sous des modalités différentes, vivra la passion de la musique que lui a transmise un père aimant (Gregory Gadebois, toujours parfait).

Même si on en a vu pendant tout le mois de décembre la bande-annonce dans les salles, Le Tourbillon de la vie n’a fait l’objet d’aucune projection de presse. De quoi les distributeurs ont-ils eu peur ? Sans doute, des esprits chagrins pourraient trouver l’ultime scène – et l’horrible maquillage qui défigure l’actrice principale – de trop. La volonté de nous arracher des sanglots y est poussée un peu trop loin. Mais, tous ceux qui aiment mouiller leurs Kleenex au cinéma ne s’en plaindront pas. J’en suis !

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Godland ★☆☆☆

Jeune pasteur danois, Lucas est missionné par son père, pasteur comme lui-même, pour aller construire une église en Islande qui, à la fin du XIXème siècle était encore sous domination danoise. Le jeune homme, passionné de photographie emporte avec lui son matériel pour immortaliser quelques scènes. Après une longue traversée, le prêtre de constitution fragile débarque sur l’île hostile qu’il a l’intention de traverser de part en part. Quelques cavaliers l’accompagnent dont il ne parle ni ne comprend la langue. Au terme de son odyssée, Lucas arrivera enfin à destination.

Parmi les nombreux films sortis pendant les fêtes, Godland tenait la corde. Les critiques étaient excellentes, le sujet inspirant. J’allais le voir plein d’enthousiasme, espérant me laisser emporter pendant près de 2h30 dans un voyage aussi dépaysant (l’Islande est de tous les voyages que j’ai faits l’un des plus inoubliables) qu’émouvant quelque part entre Mission et Valhalla Rising.

Quelle ne fut ma déception ! Non pas que Godland soit un mauvais film. Bien au contraire. Il a une vraie ambition artistique. Il possède aussi une réelle profondeur psychologique, toute scandinave : le personnage de Lucas, sa foi contrariée, ses vains appels à une transcendance muette face à une nature sévère et hostile, rappellent ceux de Dreyer et de Bergman.

J’ai la désagréable impression d’être passé à côté d’un film qui avait tout pour me séduire mais qui, à force d’austérité, a eu raison de ma patience.

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Les Huit Montagnes ★☆☆☆

Pietro a une dizaine d’années. Turinois, garçon des villes, il passe ses vacances chaque année avec ses parents dans les montagnes du Val d’Aoste où son père, passionné de randonnée, l’entraîne à l’assaut des cimes. Pietro s’y lie d’amitié avec Bruno, un orphelin élevé à la dure par son oncle et sa tante. Malgré leurs différences de classe et leurs choix de vie antagonistes, Pietro décidant de partir au bout du monde alors que Bruno ne franchira jamais les limites de sa vallée, une amitié profonde et durable cimentera les deux hommes.

L’écrivain italien Paolo Cognetti a accédé à la gloire avec ce roman en partie autobiographique écrit au mitan des années 2010. Il obtint le prix Strega, l’équivalent du Goncourt. Sa traduction immédiate en français décrocha la même année le prix Médicis étranger. Je le lus et n’en gardai aucun souvenir. Mauvais présage.

Curieusement, son adaptation est signée de deux cinéastes belges, Felix Van Groeningen, le réalisateur des excellents Belgica, Alabama Monroe et La Merditude des choses, et sa compagne Charlotte Vandermeersch qui s’embrassèrent à bouche que veux-tu lorsque leur fut décerné en mai dernier à Cannes le prix du jury pour ce film.

Pourquoi diable ont-ils quitté le plat pays qui est le leur pour les intimidantes cimes des Alpes pennines ? Sans doute ont-ils, comme ses innombrables lecteurs, été séduits par la morale du livre.

C’est précisément cette morale, qu’on croirait tout droit sortie d’un manuel de développement personnel, qui m’a donné des boutons : retour à la terre – qui, elle, ne ment pas – hymne à la nature, transmission des valeurs, le tout agrémenté d’un zeste de philosophie bouddhiste (faut-il faire le tour des huit montagnes ou monter au sommet du mont Meru… ou pour le dire autrement faut-il ou pas quitter son village pour vivre sa vie ?)… Beurk !
Et le tout qui plus est dilué dans un film interminable de près de deux heures trente.

Je pourrais arrêter là cette critique cinglante. Mais l’honnêteté m’oblige à reconnaître à ces Huit montagnes quelques qualités. D’abord bien sûr la majestueuse beauté des paysages, hélas engoncée dans une image carrée dont on ne comprend pas la raison. Ensuite, à rebours de la caricature que je viens d’en faire, une prise de distance par rapport aux bienfaits d’une sobriété heureuse au contact de la nature qui, si elle est riante l’été, devient ingrate l’hiver venu. Enfin une durée hors norme que justifie un récit qui prend son temps, qui raconte sur trois décennies l’histoire de deux vies et qui s’autorise quelques détours jusqu’au Népal.

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Poet ★☆☆☆

Marié et père de famille, Didar travaille à Almaty dans un journal au bord de la faillite. Il a une passion, la poésie, et un modèle, Makhambet Utemisov, un poète kazakh du 19e siècle, qui s’est rebellé contre les autorités et qui a connu une fin tragique.

Quand on tape « cinéma kazakh » sur Google, on trouve… Borat ! Pourtant le Kazakhstan a produit quelques films, peu ou mal diffusés en France, qui méritent qu’on s’y arrête. Avec Chouga (2007), Darezhan Ormibaev a transposé Anna Karénine dans le Kazakhstan contemporain. L’Étudiant (2012) du même transpose cette fois-ci Crime et châtimentLe Souffle (2014) est un des plus beaux films que j’aie vus ces dernières années, qui montre l’immense plaine kazakhe dans de longs travelings sans dialogue. Sortis en 2018 et en 2020, signés par Adilkhan Yerzhanov, La Tendre Indifférence du monde raconte une histoire d’amour impossible et A Dark-Dark Man une enquête policière tournée sous le soleil froid de la steppe kazakhe.

Près de dix ans après L’Etudiant, Poet marque le retour dans les salles de Drezhan Omirbayev, le père de cette « Nouvelle Vague du cinéma kazakh ». Le sexagénaire, habitué des plus grands festivals, y exprime une idée très abstraite et très profonde : l’incapacité du poète à vivre dans le monde qui l’entoure. L’idée n’est pas neuve : elle avait été déjà vulgarisée par les plus grands poètes du XIXème siècle (Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Musset….)… et inspirait bien des lycéens pour leur bac de français !

L’originalité de Poet est de mettre en miroir deux vies : celle banalement contemporaine de Didar qui se rend en train dans une petite ville de province pour y lire ses poèmes devant une salle vide et celle de Makhambet Utemisov, sauvagement assassiné par les sicaires du gouverneur russe au milieu du dix-neuvième siècle. Ces deux destins entremêlés pourraient renvoyer l’image du poète maudit, condamné à vivre incompris en marge des hommes.
Mais Poet n’est pas si pessimiste. La seule spectatrice de la présentation de Didar est une jeune fille bègue qui connaît toute son oeuvre et qui lui dit combien sa lecture a bouleversé sa vie. Quant à Makhambet Utemisov, si ses ossements ont connu bien des tribulations, sa mémoire est désormais honorée dans un splendide mausolée.

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Ariaferma ★★☆☆

En Sardaigne, au cœur de l’hiver, un pénitencier au bord de la ruine est sur le point de fermer définitivement ses portes. Ses derniers gardiens célèbrent tristement sa fermeture tandis que sa directrice a déjà fait ses cartons. Mais un ultime contretemps empêche le transfert d’une douzaine de prisonniers. Ils sont regroupés dans une aile de la prison sous le contrôle d’une poignée de gardes le temps de leur trouver un toit.

Des films sur la prison, on en a vu treize à la douzaine : Le Trou, Un condamné à mort s’est échappé, La Grande Évasion, Papillon, Haute Sécurité, Les Évadés, la Ligne verte, Un prophète… Ils sont souvent construits sur le même modèle. Ils sont filmés du point de vue des prisonniers. Ils n’euphémisent pas la violence déshumanisante qui règne entre les murs mais magnifient la solidarité qui se noue entre les détenus. Ils racontent leurs tentatives, pas toujours réussies, d’évasion.

Ariaferma adopte un point de vue différent à équidistance des détenus et de leurs gardiens, réunis contre leur gré par un malheureux concours de circonstances. Il oscille sur un fil ténu. D’un côté, il maintient tout du long une tension anxiogène qui fait craindre qu’une étincelle provoque une explosion de violence destructrice. De l’autre, il laisse espérer un impossible rapprochement entre deux groupes condamnés à garder leurs distances : celui des matons et celui des taulards.

Le premier est incarné par Gaetano Gargiuolo, le plus gradé des gardiens, propulsé bien malgré lui à la direction de la prison. L’immense Toni Servillo (dont je suis le seul à ne pas avoir aimé l’interprétation dans La Grande Bellezza, un film unanimement adulé) lui prête ses traits. Face à lui, silencieux et roué, Carmine Lagioia (interprété par Silvio Orlando, acteur fétiche de Nanni Moretti), dont on ne saura rien des motifs de l’incarcération, mais dont on suspecte qu’il fut un capo de la mafia. Les deux hommes s’affronteront-ils ou se tendront-ils la main ? Je vous laisse découvrir Ariaferma pour le savoir.

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Inu-Oh ★☆☆☆

Au XIVème siècle, au Japon, Tomona, un jeune orphelin frappé de cécité joue du biwa en nourrissant le projet de venger son père assassiné. Dans les rues de Kyoto, il rencontre Inu-Oh, une étrange créature aux bras démesurément longs et au visage monstrueux caché par un masque. C’est le fils du directeur de la plus célèbre troupe de théâtre de la capitale impériale. Les deux jeunes gens forment un duo décapant dont les concerts révolutionnaires rencontrent un immense succès.

Inu-Oh est l’adaptation d’un roman de Hideo Furukawa paru en 2017, Le Roi chien. Ce livre est inspiré du Dit des Heike, un grand classique de la littérature médiévale japonaise, qui raconte la lutte entre deux clans de samouraï pour le contrôle du Japon et la bataille dantesque qui les oppose à Dan-no-ura en 1185. C’est avec cette bataille que débute l’histoire de Inu-Oh, dont l’un des deux héros, Tomona, est le fils d’un plongeur assassiné alors qu’il vient de retrouver au fond des océans une épée, en fait un des trois trésors sacrés dont la réunion permettra à celui qui les possède de prétendre au titre d’empereur.

Le Dit des Heike est un texte qui s’est transmis oralement à travers les siècles. Les Biwa hoshi, les prêtres au luth, qui sillonnaient le pays en récitant cette épopée et en s’accompagnant au biwa, en étaient les gardiens. Tomona, le fils du plongeur assassiné, incarne cette tradition.

C’est cette ancienne tradition historique qui a inspiré Masaaki Yuasa, réalisateur de Lou et l’Île aux sirènes, Cristal du long métrage à Annecy en 2017, et de Ride your Wave. La musique joue un rôle important dans son film, qui compte notamment une séquence musicale délirante de près de trente minutes, dont les images folles m’ont rappelé les délires psychédéliques de The Yellow Submarine. Tout ce que l’animation autorise y est utilisé.

Je reconnais volontiers à ce cinéma ébouriffant une énergie folle et un exotisme rafraîchissant. Mais, j’ai beau essayer de m’ouvrir à des styles de cinéma qui ne me sont pas familiers, j’ai du mal à sympathiser avec ces formes-là, trop déroutantes, trop extravagantes pour moi.

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Cow ★★☆☆

« Le Silence de Luma ». Je continue, sans aucun succès à ce jour, à faire de l’oeil avec cette proposition de titre au DRH de Libération (ou de Télérama ?) dans l’espoir insensé qu’il cherche à recruter un critique de cinéma . Elle est assez obscure même si elle se veut très maline. Certains auront peut-être reconnu ma fine allusion au film des frères Dardenne, Le Silence de Lorna.

Expliquons-nous : Luma est le nom de la vache qu’Andrea Arnold a filmée pendant plusieurs années dans un film sans parole tourné, comme ceux des films Dardenne, en plan très rapproché, au plus près des « acteurs ».

On ne saura rien de Luma, sinon des paroles échangées entre son propriétaire et le vétérinaire, qu’elle attend son sixième veau. On la découvre dans son environnement quotidien : une ferme anglaise qu’on imagine ni pire ni meilleure que beaucoup d’autres. Sa vie s’y écoule entre les traites (quotidiennes ?) pratiquées grâce à un impressionnant dispositif automatisé, les vêlages (tous les ans ?) et, quand la belle saison enfin le permet, la pâture dans de vertes prairies.

La comparaison avec EO, le film de Jerzy Skolimowski sorti six semaines plus tôt, vient aussitôt à l’esprit. Cow comme EO – deux films qui pourraient l’un comme l’autre prétendre au titre le plus court jamais donné – respectent le même dispositif filmique : ils sont tous deux tournés à hauteur de bête (et on ne peut se retenir d’imaginer le nombre de coups de tête que les malheureux machinistes ont reçus pendant ces deux tournages). Mais ils n’ont pas le même angle : EO accompagnait, comme l’âne de Au hasard Balthazar, une bête dans ses rencontres avec toute une galerie de personnages humains. Il n’y a aucun humain dans Cow qui entend se focaliser uniquement sur la vie de Luma.

Cette vie, je l’ai dit, n’a rien de palpitant. Pourtant on ne s’ennuie pas une seule minute pendant les quatre-vingt-quatorze minutes de ce documentaire. Non pas que sa réalisatrice soit allée inventer des rebondissements rocambolesques. Mais le quotidien de Luma suffit à lui seul à capter l’attention : la naissance de ses veaux, les soins affectueux qu’elle leur prodigue, son déchirement lorsqu’ils lui sont arrachés…

Cow pose la question de l’anthropomorphisme et du biais que tout documentaire animalier est porteur. Andrea Arnold s’en défend. Elle revendique avoir tourné un documentaire qui en serait exempt, c’est-à-dire un documentaire qui ne donnerait pas au comportement et aux réactions de Luna une interprétation anthropomorphique. On veut bien le lui reconnaître. Mais le débat est peut-être faussé. Car, anthropomorphes ou pas, nous percevrons toujours le comportement d’un animal à travers nos schémas humains, trop humains. Quand Luma meugle désespérément après que son veau lui a été retiré, c’est nécessairement, pour nous humains, la détresse d’une mère séparée de son bébé que Luma incarne.

Cow est-il militant ? est-il un plaidoyer contre les violences animales et les conditions de vie imposées aux vaches laitières ? Je n’en sais trop rien. Et cette incertitude sera peut-être, pour les militants de la cause animale, la preuve de mon indifférence voire de ma complicité inconsciente avec un scandale écologique. Mais j’avoue au contraire que cette incertitude constitue à mes yeux une qualité et un hommage à ce documentaire.

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Sous les figues ★☆☆☆

Dans l’arrière-pays tunisien, au lever du soleil, un pick-up vient chercher la vingtaine d’hommes et de femmes qui vont, toute la journée, cueillir les figues d’un verger. Le patient travail sous la frondaison des arbres fruitiers s’effectue lentement. Les jeunes filles échangent des confidences, sous le regard des aînés. Des relations s’ébauchent…

Sous les figues est le premier film de la documentariste tunisienne Erige Sehiri. Il frappe par la rigueur de son dispositif théâtral : toute une journée durant, on ne quittera les pentes de ce verger où l’on verra se croiser tous les protagonistes. Une de ses faiblesses est qu’on peine à les identifier, même si progressivement, les silhouettes de Fidé, la plus libérée, Sana, la plus conservatrice, ou Melek se dessinent. Peut-être le scénario aurait-il été plus efficace s’il s’était concentré sur un nombre plus limité de personnages, par exemple sur Abdou, qui vient réclamer à son oncle des droits sur la terre dont il a été spolié et qui fut le premier amour de la jeune Melek.

Sous les figues interroge les rapports de genre et le poids du patriarcat sur des jeunes filles à la recherche d’une impossible émancipation. Il interroge aussi, avec moins de finesse, les rapports de classe à travers la figure du chef, notamment dans la scène de la distribution des gages. Autant de sujets graves et importants qui expliquent l’accueil bienveillant qu’a reçu Sous les figues à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes le printemps dernier. Pour autant, ce marivaudage trop convenu et vite ennuyeux n’a pas réussi à m’embarquer.

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Le Parfum vert ★★☆☆

Vlad, un acteur de la Comédie-Française meurt sur scène. Il a le temps de murmurer à l’oreille de Martin (Vincent Lacoste), un autre sociétaire, le nom de la mystérieuse organisation qui l’a empoisonné : le Parfum vert. Avec Claire (Sandrine Kiberlain), une bédéiste, Martin, que la police soupçonne du crime de Vlad, part à la poursuite de ces criminels à Bruxelles et à Budapest où ils ont l’intention de profiter d’une représentation de L’Illusion comique qu’y donne la Comédie-Française pour s’y approprier une arme technologique de fabrication chinoise.

Le réalisateur et scénariste Nicolas Pariser, auteur du Grand Jeu et de Alice et le maire, a convoqué les mânes de Hitchcock et de Hergé. Du premier, on reconnaît immédiatement les tics ultraréférentiels : le chignon de ses blondes héroïnes qu’on voit dès le premier plan, les escaliers vertigineusement spiraleux dès le deuxième, mais aussi les intrigues passablement emberlificotées à mi-chemin du polar et du roman d’espionnage. Au second, Nicolas Pariser a emprunté son scénario rebondissant, ainsi que le personnage de deux policiers qui ressemblent furieusement aux Dupondt.

Le résultat est désopilant. Il doit beaucoup à la musique originale de Benjamin Esdraffo et au talent des deux acteurs principaux. Dans le rôle de Tintin, Vincent Lacoste promène sa gouaille goguenarde. Je l’ai longtemps trouvé insupportable. Les années passant, son acné régressant, je lui reconnais un certain talent. Dans le rôle de Milou, Sandrine Kiberlain forme avec son cadet un couple qu’on n’attendait pas et qui n’est pas vraiment crédible. Mais qu’importe ! La crédibilité est le cadet des soucis de ce film qui joue non sans succès sur le registre du divertissement élégant.

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In Viaggio ★☆☆☆

Le grand reporter Gianfranco Rosi a bourlingué sur toute la planète. À partir des archives pontificales, il a monté ce documentaire consacré aux innombrables voyages effectués  par le pape François depuis 2013.

Au risque d’être répétitives, on y voit les mêmes images : le pape juché sur sa papamobile bénissant la foule nombreuse qui l’ovationne, le pape au pupitre lisant son discours dans toutes les langues qu’il maîtrise (il parle couramment l’espagnol et l’italien et, avec plus d’hésitation, l’anglais et le français), souvent plus convaincant dans les digressions qu’il s’autorise à partir de son texte, que dans sa lecture, le pape dans « Sheperd One » (l’équivalent d’Air Force One) répondant aux questions des journalistes.

Ces images sont l’occasion d’un formidable tour du monde géopolitique dans les pays les plus improbables : à Lampedusa où l’odyssée des réfugiés se fracasse sur la « mondialisation de l’indifférence », au Chili où les propos du pape sur les « preuves » des abus sexuels commis par l’évêque Barros suscitent un tollé et l’obligent à faire son mea culpa), au Kenya, au Japon, aux Émirats arabes unis, aux Philippines, en Israël au pied du mur des lamentations et en Palestine devant le mur érigé par Israël, en Arménie où sa dénonciation du « génocide » commis par les Turcs provoque l’ire de Ankara, à Cuba où une rencontre historique est organisée avec le patriarche Kirill, à la Maison-Blanche, au Canada où il présente ses excuses pour les abus commis sur les jeunes autochtones enfermés dans des pensionnats catholiques et parfois abusés, etc.

Partout, inlassablement, le Souverain pontife s’adresse aux plus faibles : aux réfugiés loin de leur pays, aux prisonniers privés de liberté, aux plus pauvres dans leurs bidonvilles…Quelques grands thèmes reviennent fréquemment : la dénonciation du commerce mortifère des armes, l’irréfragable respect de la dignité humaine, le droit de rêver et d’espérer….

Comme dans Le Pape François – Un homme de parole que Wim Wenders lui avait consacré il y a quelques années, la figure de François est exaltée par ce panégyrique qu’on croirait tout droit sorti du  Centro Televiso de Vaticano. Aucune distance critique n’est établie. On a parfois la désagréable impression de participer à une soirée diapositives avec un grand-oncle qui nous raconte ses voyages. Certes les voyages sont exotiques et le grand-oncle est un sacré bonhomme…. mais ça ressemble quand même furieusement à une soirée diapos !

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