Corsage ★★☆☆

Une année dans la vie de Sissi impératrice.
Noël 1877. Elisabeth d’Autriche fête son quarantième anniversaire. Elle supporte de plus en plus mal les devoirs de l’étiquette qui lui interdisent de s’exprimer mais la contraignent à participer à toutes sortes de cérémonies protocolaires, lourdement parée. Elle s’en évade dès qu’elle le peut en se rendant en Hongrie, dont elle est passionnée, ou chez sa sœur en Angleterre. Obsédée par sa taille et par son régime, elle est astreinte à porter un corset très serré qui l’étouffe.

Corsage est le titre habile de ce biopic qui n’en est pas un. Il nous raconte, loin des afféteries mielleuses de Ernst Marischka et de Romy Schneider une année dans la vie de l’impératrice – avec laquelle il prend de nombreuses libertés historiques, notamment dans son épilogue. Mais, il aspire à l’universel dans son évocation d’une femme vieillissante, prisonnière de sa beauté et de son image et dans celle d’une princesse prisonnière d’un protocole étouffant, qui ne peut manquer de faire penser à Diana Spencer.

Vicky Krieps est étonnante dans ce rôle exigeant – dans lequel elle parle quatre langues, monte en amazone et pratique l’escrime. Elle a amplement mérité le prix de la meilleure interprétation qui lui a été décerné à Cannes à la section Un certain regard.

Corsage est un joli titre qui joue sur les mots. C’est le même en allemand, la langue originale du film, même si je doute que l’allusion soit aussi transparente. Il désigne aussi le corps condamné à la sagesse de Sissi, qui ne trompa pas son mari – même si la rumeur d’une liaison avec le comte Andrassy, le Premier ministre du Royaume de Hongrie, courut un temps – alors même qu’elle ne nourrissait pour lui aucun désir. Condamnée à la chasteté, Sissi a vécu une longue vie d’ennui qu’elle tentait d’égayer avec d’innombrables voyages.

Aussi magistralement interprété soit-il, le personnage de Sissi manque d’épaisseur. On a tôt fait de percer son mystère et de diagnostiquer sa mélancolie. Le film dure près de deux heures. Il aurait pu durer trente minutes de plus ou de moins sans que son économie en soit altérée.

La bande-annonce

Fièvre méditerranéenne ★☆☆☆

Walid, la quarantaine, vit à Haifa avec sa femme, infirmière, sa fille et son fils, affligé de maux de ventre récurrents qu’une docteure russe croit pouvoir imputer à la fièvre méditerranéenne. Il a quitté la banque qui l’employait pour se mettre à écrire, mais est victime du syndrome de la page blanche qui le plonge dans une profonde dépression. L’arrivée d’un bruyant voisin, Jalal, qui vit de louches combines, va peut-être l’en guérir. Walid en effet souhaite écrire un livre sur la pègre.

Fièvre méditerranéenne est le deuxième film de la réalisatrice palestinienne Maha Haj, qui s’était fait connaître à Cannes en 2016 avec son premier, Personal Affairs. Fièvre méditerranéenne a encore eu le privilège d’une sélection à Cannes en 2022 dans la section Un certain regard dont il a remporté le prix du meilleur scénario.

Fièvre méditerranéenne est un film déconcertant. Il se caractérise par un humour noir qu’on retrouve, à plus ou moins large dose, dans bon nombre de films palestiniens : ceux d’Elia Suleiman bien sûr (Intervention divineLe Temps qui reste), mais ceux aussi d’Eran Kolirin (Et il y eut un matin), de Tarzan et Arab Nasser (Dégradé, Gaza mon amour), d’Ameen Nayfeh (200 mètres) ou d’Annemarie Jacir (Wajib). Comme si cet humour noir était la seule arme dont disposait le cinéma palestinien pour décrire la vie des ressortissants de ce pays sans État auxquels est refusée une impossible normalité.
Sans être ouvertement politique, Fièvre méditerranéenne interroge la difficulté d’être arabe en Israël. C’est un film sur la rencontre de deux hommes que tout oppose – autant Walid est ténébreux autant Jalal est débordant de vie – et qui vont bientôt être inséparables.

Mais Fièvre méditerranéenne est avant tout un film sur la dépression chronique, ce trou noir dans lequel, contre toute logique, un être humain qui a toutes les raisons d’être heureux (et Walid les a) peut sombrer. Son principal défaut est sa lenteur. Fièvre méditerranéenne s’allonge sur près de deux heures et ne contient pas assez de substance pour justifier une telle durée.

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Stella est amoureuse ★☆☆☆

À Paris, au milieu des 80ies, Stella (Flavie Delangle) a dix-sept ans. Son père (Benjamin Biolay), machiste et alcoolique, vient de quitter sa mère (Marina Foïs), qui peine à tenir seule le bistro familial.
Stella est élève en classe de terminale au lycée Rodin. Gladys, Elodie, Marion l’entourent de leur amitié chaleureuse. Stella est une élève médiocre qui espère décrocher le bac sans idée claire sur son avenir. Sophia, issue d’un milieu plus favorisé, lui propose de l’accompagner aux Bains-Douches, la boîte à la mode. Elle y découvre le monde de la nuit et André, un danseur dont elle tombe immédiatement amoureuse.

Quatorze ans après Stella, qui racontait, façon Diabolo Menthe, l’entrée en sixième d’une gamine élevée derrière le comptoir du bistro de ses parents, voici la suite de cette autobiographie à peine déguisée de Sylvie Verheyde, née en 1967, dont le tout premier film, Un frère, en 1997, qui avait lancé Emma de Caunes, César du meilleur espoir, m’a laissé un souvenir encore vif. Stella a grandi, tombe amoureuse et passe le bac. Ses parents n’ont guère changé : Benjamin Biolay retrouve le rôle qu’il jouait déjà en 2008, Marina Foïs a remplacé Karine Rocher (à laquelle Sylvie Verheyde a entretemps offert le rôle titre de Madame Claude).

Stella est amoureuse était un film immanquable que Sylvie Verheyde a raté. Le seul reproche qu’il aurait dû essuyer est d’enfoncer un peu trop de portes ouvertes : les débuts de la vie amoureuse d’une lycéenne belle comme un cœur, « on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », la reconstitution soignée des 80ies avec une bande-son aux petits oignons (Téléphone, Visage, Indeep, Patrick Juvet….), la lente prise de conscience chez Stella de la différence de classe qui sépare ses parents de ceux de ses amies, etc.

Pour rebattus qu’ils soient, tous ces thèmes auraient pu produire un film efficace, comme celui que la bande-annonce, joliment troussée, nous promettait.
Mais hélas, très vite, Stella est amoureuse s’encalmine dans un faux rythme languissant. Les scènes attendues – telle celle où Stella, transfigurée en belle de nuit, entre dans le club célèbre – perdent tout leur charme à force d’être répétées à l’infini. On a vite compris que les copines de Stella sont hyper sympas, que sa mère cache, derrière son brushing hyper laqué, une femme du peuple sachant à peine lire et qu’André, s’il danse divinement bien, n’aura pas la douceur qu’espère l’adolescente.

Stella est amoureuse dure près de deux heures et aurait pu sans préjudice être amputé d’un bon tiers. Flavie Delangle a beau être ravissante, surtout lorsqu’elle coiffe le béret, son inexpressivité sied mieux à un mannequin sur le catwalk qu’au personnage d’un film.

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La (Très) Grande Évasion ★☆☆☆

Yannick Kergoat est un monteur reconnu (il a obtenu le César du meilleur montage en 2001 pour Harry, un ami qui vous veut du bien) passé à la réalisation. Documentariste engagé à la gauche antilibérale, il avait réalisé en 2012 Les Nouveaux Chiens de garde qui dénonçait la collusion entre les médias français et le pouvoir politique.

L’évasion fiscale est pour lui un sujet rêvé pour dénoncer les tares du capitalisme et stigmatiser un bouc émissaire : les ultra-riches et les multinationales dont les sommes faramineuses cachées dans les paradis fiscaux échappent à l’impôt et ne financent pas l’école, l’hôpital, l’aide sociale, dont l’immense majorité des citoyens a si cruellement besoin. S’il n’y a pas d’argent magique – une citation d’Emmanuel Macron, horresco referens, dont on comprend mal le lien avec le sujet – il existe en revanche, à en croire Yannick Kergoat, un remède magique : venir à bout de l’évasion fiscale.

Pour traiter de ce sujet complexe, Yannick Kergoat, aidé au scénario par le journaliste d’investigation Denis Robert qui avait révélé le scandale Clearstream, essaie d’être pédagogue et drôle. Il multiplie les infographies et les courtes saynètes animées et exhume des archives des vidéos, des photos ou des petites phrases qui ridiculisent ceux qui les prononcent (voir Jérôme Cahuzac parader dans un événement consacré à la lutte contre la fraude fiscale est en effet rétrospectivement croustillant) et mettent les ricaneurs de son côté.

Le principal défaut de son documentaire est son manichéisme. Il y a d’un côté les entreprises multinationales qui cachent leurs profits dans des paradis offshore pour éviter l’impôt. Ils ont pour complices la classe politique dont les discours volontaristes ne suffisent plus à masquer la passivité. Face à eux se dressent quelques lanceurs d’alerte vertueux, journalistes, juges, économistes, qui semblent détenir le monopole de la vertu…. mais qui pourtant échouent avec une belle constance à endiguer le Mal.

L’autre défaut de ce documentaire militant est qu’on n’y apprend pas grand chose, malgré sa durée – près de deux heures. Un exemple parmi d’autres : que répondre aux multinationales qui, pour se défendre du procès en évasion fiscale instruit contre elles, invoquent la pratique parfaitement légale de « l’optimisation fiscale » ? L’une – la fraude – serait illégale ; l’autre – l’optimisation – ne le serait pas. Cette dernière serait-elle blâmable pour autant car « immorale » ?

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Les Années super 8 ★★☆☆

Les Années super 8 montre les images muettes tournées par Philippe Ernaux entre 1974 et 1981 de sa femme Annie et de leurs deux fils, Eric et David, sur la caméra super 8 que le couple venait de s’offrir.
Si l’idée du film et sa réalisation sont antérieures à l’attribution à l’écrivaine du prix Nobel de littérature, sa sortie sur les écrans coïncide opportunément avec le discours qu’elle a prononcé samedi dernier à Stockholm pour sa réception.

Les Années super 8 filme une famille ordinaire, ses moments heureux et festifs : les anniversaires, les réunions de famille, les vacances au bord de la mer, les voyages au long cours… Il apporte sa pierre à une sociologie encore à faire de la bourgeoisie française sous Giscard, de son mode de vie, de sa consommation culturelle, de ses lieux de vacances. On pense aux travaux d’Ivan Jablonka et au livre dans lequel il raconte ses vacances en camping-car avec ses parents dans les 70ies-80ies.
À quelques années près, j’ai le même âge que les enfants d’Annie Ernaux et ma mère a le même âge qu’elle. Avec une nostalgie toute particulière, j’ai retrouvé dans ces films super 8 le même grain que dans les photos prises par mes parents et pieusement conservées dans l’album familial, avec la photocopie de mes bulletins scolaires. J’ai retrouvé aussi les mêmes habits hideux que ceux que nous portions : les cols roulés aux couleurs criardes, les shorts en éponge, les sandalettes….

Mais Les Années super 8 ne filme pas n’importe quelle famille. Annie Ernaux est devenue une grande écrivaine consacrée par le prix littéraire le plus prestigieux au monde. Ces images banales n’auraient pas eu une telle publicité si elle n’y figurait pas. Les voir aujourd’hui, c’est évidemment porter sur elle un regard rétrospectif et regarder cette belle jeune femme d’une trentaine d’années, semblables en tous points à tant d’autres, comme la future prix Nobel qu’elle n’était pas encore.

Les bobines de films captent des moments exceptionnels de la vie quotidienne, qui elle n’avait pas de raison d’être filmée. Pourtant, Annie Ernaux n’y est jamais gaie. Elle arbore toujours une mine grave et triste, de laquelle il est trop facile d’inférer aujourd’hui qu’elle réfléchit au grand-oeuvre qu’elle est en train de commencer à écrire : elle publie Les Armoires vides, son premier roman, en 1974, et La Femme gelée, son troisième, qui hâtera son divorce, en 1981. On ne peut non plus s’empêcher de regarder ces images en sachant que la famille idyllique qui y est filmée va exploser avec ce divorce que l’on sait fatal.

Sur les images muettes de ces années, Annie Ernaux a écrit un texte qu’elle lit de sa belle voix grave. On y retrouve ce qui fait la profondeur de ses livres : la beauté de son style, la simplicité de ses mots… On est frappé par la froideur clinique avec laquelle elle se regarde et regarde les autres. Quand elle parle de son mari, qu’elle désigne systématiquement par les mots « Philippe Ernaux », il n’y a jamais aucune tendresse, même quand elle évoque son décès d’un cancer de la gorge.

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Mes rendez-vous avec Léo ★★☆☆

Nancy Stokes (Emma Thompson) a dépassé la soixantaine. Pendant des années, elle a enseigné sans passion l’éducation religieuse à des collégiennes qui ne s’y intéressaient pas. Son mari, qui ne s’est jamais soucié de lui donner du plaisir, est mort depuis peu. Son fils, qui transpire l’ennui, et sa fille, qui au contraire est un peu trop iconoclaste à son goût, vivent loin d’elle.
Au crépuscule de sa vie, Nancy a décidé de se payer les services d’un escort pour découvrir enfin les joies de l’amour physique. C’est ainsi qu’elle va faire la connaissance de Leo Grande (Daryl McCormack).

Dès l’affiche, on sait à quoi s’en tenir : Mes rendez-vous avec Léo s’attaque  à deux sujets encore tabous il y a quelques années, la prostitution masculine et la sexualité du troisième âge. La posture des deux acteurs donne le ton : ils ne seront traités ni sur un mode comique – même si la moue d’Emma Thompson laisse planer un doute – ni sur un mode romantique, ni sur un mode pornographique. Mais alors sur quel mode seront-ils traités ?

Sur un mode théâtral : Mes rendez-vous avec Léo opte pour une forme austère et exigeante. Il se déroulera, tout du long, dans l’hôtel où « Nancy » et « Leo » – car il s’agit évidemment de noms d’emprunt – se retrouvent. Tout passera donc par les dialogues entre les deux protagonistes. On pourrait craindre le formalisme de cette mise en scène. Le piège est évité grâce à la richesse des dialogues qui ratissent large. Il y sera question non seulement du passé de « Nancy », de ses inhibitions, de ses frustrations, mais aussi de celui de « Leo ».
Ces dialogues, très écrits n’évitent pas quelques incohérences et quelques lieux communs. Par exemple, on peine à comprendre comment un personnage aussi claquemuré que Nancy peut oser solliciter un escort, un acte qui, pour une personne de son âge et de son milieu, constitue une sacrée transgression. De même, les explications de Leo à Nancy, qui ne manque pas de l’interroger sur les motifs qui le poussent à se prostituer, ne sont pas d’une grande originalité.

Mes rendez-vous avec Leo est sauvé par le brio de ses acteurs.
Daryl McCormack a les yeux de Cupidon et le torse d’Apollon. Publicité ambulante pour les services d’escort, il donnerait envie aux duègnes les plus bégueules de faire immédiatement appel à ses services
Mais c’est Emma Thompson qui est la meilleure dans son rôle. Un rôle difficile menacé par le double écueil de la comédie (provoquée par la confrontation qui peut donner à rire de deux corps que près de quarante ans séparent) et de la mièvrerie (on redoute à chaque moment que Nancy et Leo tombent bêtement amoureux l’un de l’autre). Emma Thompson réussit à conserver à son personnage sa dignité – elle n’est pas une veuve rougissante qui cherche désespérément son premier orgasme – sans lui ôter son humanité – sa confrontation avec Leo est l’occasion pour elle d’une prise de conscience lucide des erreurs qu’elle a commises sa vie durant.

Mes rendez-vous avec Leo se termine par un plan (dé)culotté, qui en impose par sa sincérité et son audace.

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Le Torrent ★☆☆☆

Alexandre (José Garcia), la petite cinquantaine, a deux enfants :  Lison d’un premier lit, qui vient de réussir son permis de conduire et, avec Juliette (Ophelia Kolb), sa seconde épouse, Darius, un petit garçon âgé de dix ans à peine. Un week-end, que Lison est venue passer chez eux dans le beau chalet qu’Alexandre, Juliette et Darius occupent au-dessus de Gérardmer, Alexandre apprend que Juliette a eu une liaison. Une violente dispute éclate. Juliette claque la porte. Alexandre saute dans sa voiture, la rejoint, veut la forcer à y monter. La jeune femme glisse, tombe et se tue.
Écrasé par la stupeur et le chagrin, Alexandre craint d’être accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Il convainc Lison, qui avait été réveillée par la dispute, de le couvrir. Mais une enquête policière est diligentée lorsque le corps de Juliette est retrouvé. Alexandre saura-t-il écarter les soupçons que font peser sur lui à la fois l’officier de gendarmerie chargé de l’enquête (Anne Le Ny) et le père de Juliette (André Dussollier) venu avec son épouse pleurer sa fille et prendre soin de son petit-fils ?

Le Torrent est un film policier construit selon une mécanique inhabituelle. Aucun mystère n’entoure l’accident dont Juliette a été victime et la responsabilité d’Alexandre. Le suspense est ailleurs : dans le succès ou l’insuccès d’un homme à se blanchir d’un crime dont il risque d’être accusé. D’ailleurs une telle accusation n’est pas acquise par avance : la tempête qui s’est déclenchée la nuit des faits et qui a emporté le corps de Juliette dans un torrent en crue offre à Alexandre un solide alibi.
On retrouve ici le même schéma que dans Trois jours et une vie, le roman de Pierre Lemaitre porté à l’écran par Nicolas Boukhrief en 2019, qui brassait, comme ce Torrent, les thèmes du mensonge et de la responsabilité en mettant en scène un enfant, auteur d’un homicide involontaire, qui échappe à toute inculpation mais doit porter sa vie durant le poids de cette culpabilité tue.

Le Torrent ne va pas si loin. Il ne dépasse pas le stade pépère du polar bien ficelé. Tout dans son scénario, dans sa mise en scène, dans son casting, qui convoque des têtes d’affiche passées d’âge et de mode, sent la naphtaline. Mais la naphtaline ne sent pas si mauvais et son odeur est une garantie : Le Torrent, à défaut de nous emporter, ne nous fera pas passer un mauvais moment.

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Falcon Lake ★★★☆

Bastien a treize ans. « Bientôt quatorze » ajoute-t-il dans le désir de se vieillir d’une année à cet âge charnière. Il vit en France et vient passer ses vacances dans une cabane perdue au fond des Laurentides au Québec. Ses parents et lui y retrouvent une amie et sa fille, Chloé, qui vient d’avoir seize ans. Entre les deux adolescents s’installe vite une complicité ambiguë.

Charlotte Le Bon, une actrice québécoise qu’on regrette de ne plus avoir vue depuis longtemps à l’écran, passe derrière la caméra pour son premier film. Elle s’est inspirée de Une sœur, un roman graphique de Bastien Vivès (l’auteur de Polina qui avait déjà été adapté à l’écran), dont l’action se déroulait en Bretagne. Elle en transpose l’action dans les Laurentides où elle passa toutes ses vacances pendant son enfance. Elle y filme, comme on en a déjà tant vu, une initiation amoureuse entre deux adolescents. Mais elle le fait avec une immense sensibilité.

Bastien et Chloé ont trois ans d’écart. Mais un monde les sépare. Lui entre dans l’adolescence ; elle est sur le point d’en sortir. Il ne se passe pas grand chose dans ce film qui ne quitte guère le petit chalet au fond des bois où les estivants se sont installés et le lac avoisinant où ils vont se rafraîchir. Pas grand chose jusqu’à son dénouement aussi surprenant que logique.

Plane au dessus de Falcon Lake une ombre menaçante. Une légende urbaine – ou plutôt forestière – voudrait qu’un fantôme qui s’y est jadis noyé hante ses berges. Cette légende a beaucoup impressionné Chloé qui, avec le goût, vaguement gothique, du paranormal qu’ont parfois les ados à cet âge, s’essaie à reconstituer, avec l’aide de Bastien, des scènes morbides et à les photographier.

Joseph Engel, que Louis Garrel avait déjà dirigé dans L’Homme fidèle et dans La Croisade, interprète à la perfection la confusion des sentiments, la peur du sexe et son attrait, l’enthousiasme des premières fois et les déchirements qu’elles provoquent. La révélation Sara Montpetit lui donne la réplique.

Couronné par le prix Louis-Delluc du premier film, Falcon Lake malgré son apparente modestie fait souffler un vent frais dans le genre pourtant essoré du coming-of-age movie.

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Nos frangins ★★☆☆

Quelques mois à peine après la mini-série qui lui était consacrée, Malik Oussekine, bastonné à mort par la police dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, en marge des manifestations étudiantes contre le projet de loi Devaquet, revient en tête d’affiche. Une affiche qu’il partage avec un autre Arabe, tué le même soir que lui par une bavure policière aussi scandaleuse, mais dont la mémoire collective n’a pas retenu le nom : Abdel Benyahia.

Le réalisateur Rachid Bouchareb tisse une œuvre qui peut se lire comme la construction de la mémoire d’une identité maghrébine en France. Indigènes (2006) racontait l’histoire des  grands-parents, tirailleurs algériens et goumiers marocains, venus combattre en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Hors-la-loi (2010) évoque les parents, engagés pour l’indépendance de l’Algérie. Nos frangins, dont le titre lui a été inspiré par la chanson « Petite » de Renaud (« Cicatrices profondes pour Malik et Abdel / Pour nos frangins qui tombent… ») est un mausolée érigé à ces frères qui n’aspiraient qu’à s’intégrer et qui furent les victimes d’un « racisme ordinaire » qui le leur refusait.

Rachid Bouchareb sait y faire. Son film est haletant. Il entremêle des images d’archives qui ressuscitent une époque, celle de mon adolescence qui garda à jamais le souvenir de ce drame. Car Malik Oussekine est un nom qui résonne à nos oreilles et que nous n’avons pas oublié.

Deux personnages et deux acteurs sortent du lot. Le premier est Samir Guesmi, décidément un des plus doués de sa génération, dans le rôle pourtant silencieux et ingrat, du père d’Abdel Benyahia, d’abord incrédule et bientôt pétrifié par le chagrin. Le second est Raphaël Personnaz – qui est ex aequo avec Anaïs Demoustier l’acteur le plus sexy que je connaisse – dans le rôle fantomatique – et créé de toutes pièces par les scénaristes – d’un inspecteur de l’IGS

Le parti, on l’a dit, de Nos frangins est de réhabiliter la mémoire d’Abdel Benyahia. Ce parti est louable. Mais il nuit à la cohérence d’un scénario qui aurait gagné à se focaliser sur l’étudiant assassiné rue Monsieur-le-Prince.
On découvre, avec son frère (Rada Kateb), stupéfait de cette découverte, que Malik était en train de se convertir au catholicisme et qu’il souhaitait devenir prêtre. Soit. Mais cela importe-t-il vraiment ? Plus intéressant aurait été d’approfondir les conséquences de ce crime : les marches silencieuses organisées dès le lendemain, le retrait du projet Devaquet et la démission du ministre de l’enseignement supérieur, la récupération de cette affaire par François Mitterrand qui lui permettra dix-huit mois plus tard d’être facilement réélu, les conséquences sur le mouvement étudiant et sur toute une génération de militants (Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray, David Assouline…).

Nos frangins présente, à mes yeux, un dernier défaut. Il voudrait nous faire croire que le crime de Malik Oussekine est toujours d’actualité alors que trente-six ans ont passé. L’intégration des immigrés maghrébins s’est améliorée et même si le « racisme ordinaire » n’a pas disparu, les crimes abjects commis à l’époque ne sont plus de mise. Le projet de loi Devaquet a certes été retiré ; mais la sélection à l’entrée des études universitaires et la concurrence entre universités ont finalement été instaurées. Quant aux violences policières, dont le film voudrait nous faire croire qu’elles perdurent, en signalant que les brigades motocyclistes démantelées après l’affaire Oussekine ont été réinstaurées pour lutter contre les Gilets jaunes, elles ont été significativement réduites grâce à l’effet conjugué d’une formation plus stricte, d’une déontologie aux manquements sévèrement sanctionnés et d’une exposition médiatique qui ne permet plus de les cacher.

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Les Pires ★★★☆

Gabriel (Johan Heldenbergh), un quinquagénaire flamand, a décidé de tourner son premier film, un drame social, dans une cité HLM de Boulogne-Sur-Mer. Au terme d’un long casting, il a recruté quatre gamins Lily, Ryan, Jessy, Maylis pour tenir les rôles principaux de son film.

Lise Akoka et Romane Guéret sont directrices de casting et coaches d’enfants. Elles ont l’expérience des castings sauvages, de la détection des talents, de la gestion parfois délicate de ces personnalités souvent explosives. Elles avaient réalisé ensemble un court métrage en 2016, Chasse royale, qui se focalisait sur le casting. Les Pires parle, lui, du tournage proprement dit.

Et il le fait avec une infinie justesse. Une justesse qui provient précisément de la direction de ces jeunes acteurs dont on imagine combien elle fut délicate : il s’agissait pour les réalisatrices de faire jouer à ces enfants des rôles d’enfants en train de jouer des rôles !

Parmi les quatre, deux crèvent l’écran. L’interprète de Ryan, le blondinet de l’affiche, dix ans à peine, une boule d’énergie toujours sur le point d’exploser. Et l’interprète de Lilly, quinze ans, belle comme un cœur, affolante Lolita d’une sensualité alarmante à un âge aussi jeune. À l’un comme à l’autre, on souhaite un brillant avenir. Mais il ne faut pas oublier les deux autres : l’interprète de Jessy qui ressemble tant à Benoît Magimel et celle de Maylis qui cache derrière sa moue boudeuse une homosexualité qu’elle n’ose pas assumer.

L’autre réussite du film est la façon dont il décrit le tournage. Les précédents sont écrasants, à commencer par La Nuit américaine de Truffaut, référence indépassable du film sur le film. Les deux réalisatrices savent faire preuve d’auto-dérision dans le portrait qu’elles dressent du réalisateur, Gabriel, et de l’équipe technique qui l’entoure. Elles font également preuve de lucidité en montrant les limites vers lesquelles on tangente en poussant les acteurs, surtout lorsqu’ils sont si jeunes et si fragiles, dans leurs retranchements. Et elles n’ignorent pas la question éthique qu’un tel tournage pose : ne risque-t-il pas de stigmatiser encore un peu plus des quartiers et des populations qui le sont déjà beaucoup ?

Grand prix de la section Un certain regard à Cannes au printemps dernier, Les Pires est pour moi le meilleur film de la semaine sinon du mois. Sa dernière scène ferait pleurer les pierres et ne m’a pas laissé de marbre…

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