Annie colère ★★★☆

Annie, la quarantaine, est ouvrière dans une petite ville du centre de la France. Mariée, mère de deux enfants, elle tombe enceinte d’un troisième. Son mari et elle sont d’accord pour avorter. Mais, en 1974, l’avortement est encore illégal. Annie doit pousser la porte d’une antenne du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception). Elle y est accueillie par des médecins et des infirmières qui vont vite la rallier à leur cause.

Alors que les Etats-Unis nous rappellent que la conquête des droits des femmes est une lutte sans cesse recommencée, alors qu’en France l’Assemblée nationale accepte, le temps d’une séance, de faire taire ses divisions pour inscrire le droit à l’avortement dans notre Constitution, le sujet d’Annie colère est d’une actualité brûlante. Il aurait pu faire l’objet d’une grande fresque politique, mettant en scène les grandes figures de ce combat : les 343, Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir, Simone Veil… Annie colère suit une autre voie.

Il met en scène une femme ordinaire interprétée par Laure Calamy. L’actrice est partout ces temps-ci, au risque de saturer l’espace public : Antoinette dans les Cévennes, Garçon chiffon, Une femme du monde, À plein temps, L’Origine du mal…. La question n’est plus de savoir si elle emportera le prochain César de la meilleure actrice, mais pour quel film ! Si cela ne tenait qu’à moi, je le lui décernerais pour À plein temps qui compte parmi mes films préférés de l’année.

Mais sa prestation dans Annie colère est tout aussi convaincante. Pourtant son personnage n’est pas d’une extraordinaire subtilité : il s’agit d’une femme simple, une femme du peuple, sans éducation, dont la conscience politique s’éveille lentement et qui s’engagera dans une cause. Cette évolution est progressive et sans surprise. Elle mettra bien entendu en péril son couple en révélant le machisme qui sommeille derrière les idées de gauche de son époux (Yannick Choirat). Mais Laure Calamy l’interprète avec une telle justesse qu’Annie devient extraordinairement émouvante. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la bande annonce et d’entendre la façon dont Laure Calamy/Annie prononce les mots « avec une aiguille à tricoter ».

Annie colère est servi par un scénario écrit à quatre mains par la réalisatrice Blandine Lenoir – à laquelle on devait déjà un portrait émouvant de femme en pleine crise de la cinquantaine, Aurore – et par Axelle Roppert – qui vient de réaliser le portrait d’une pré-ado, La Petite Solange. Elles ont su s’entourer d’une palette d’acteurs épatants, parmi lesquels on reconnaît des visages familiers, India Hair, Zita Henrot, Eric Caravaca (bouleversant en médecin aidant) ou Louise Labèque (l’actrice fétiche de Bertrand Bonello) et parmi lesquels on découvre un talent inattendu : Rosemary Standley, la chanteuse du groupe Moriarty.

Un seul couac : un titre « colérique » qui n’est pas fidèle à l’apaisante sororité dans laquelle baigne ce film bienveillant.

La bande-annonce

Aucun ours ★☆☆☆

Le dernier film de Jafar Panahi multiplie les mises en abyme. Il commence par un long plan-séquence tourné dans les rues d’une ville d’un pays étranger (il ne peut pas s’agir de l’Iran car l’héroïne est en cheveux). Ses deux personnages se disputent : un homme apporte à une femme un passeport volé qui lui permettra de gagner la France mais la femme refuse de partir seule. On comprend bientôt qu’il s’agit d’une séquence d’un film tourné à l’étranger par l’assistant de Jafar Panahi, qui a pris résidence dans un petit village situé de l’autre côté de la frontière et qui dirige le tournage via Internet en dépit d’une connexion hasardeuse. Ses deux personnages, acculés à l’exil, vivent le même drame que celui qu’ils sont en train de tourner. Quant à Jafar Panahi, il tue le temps en prenant des photos dans le village au risque de susciter la méfiance de ses habitants dont la mentalité est encore archaïque.

Jafar Panahi est un cinéaste persécuté par le régime iranien qui continue, malgré l’interdiction qui lui en a été faite depuis 2010, à tourner des films : Ceci n’est pas un film, Pardé, Taxi Téhéran, Trois visages. Chacun reçoit à l’étranger un accueil enthousiaste qui doit peut-être autant sinon plus au statut de son réalisateur qu’à ses qualités intrinsèques. Tel est le cas de son dernier en date, que la critique présente complaisamment comme le meilleur de la semaine sinon du mois. Sans insulter le martyr qu’endure son auteur – qui, depuis juillet 2022 a été arrêté et écroué à la sinistre prison d’Evin – je ne suis pas de cet avis.

Son titre m’est resté mystérieux. Il fait référence à une scène du film lors de laquelle un paysan dissuade le réalisateur de s’aventurer dans la nuit de peur de rencontrer des ours avant de lui révéler, quelques instants plus tard, après que la glace entre eux a été rompue, qu’il n’existe en fait aucun ursidé dans la région. Est-ce là une métaphore des mensonges du régime iranien, qui n’hésite pas à agiter des épouvantails pour effrayer le peuple et le maintenir sous sa coupe ?

Toujours est-il que je me suis solidement ennuyé durant toute la projection. Deux intrigues s’y entrecroisent. La première se déroule dans le village où Panahi s’est installé. Son assistant fait des allers-retours pour lui soumettre les rushes et l’exhorte à rejoindre les lieux du tournage. Mais Panahi s’y refuse. Au village, on lui reproche d’avoir pris une photo compromettante : celle d’une jeune fille en galante compagnie. Le fiancé de la jeune fille, qui estime que son honneur a été bafoué, exige réparation. Parallèlement, l’acteur et l’actrice qui tournent de l’autre côté de la frontière le film de Panahi se déchirent. Le rôle de la seconde est interprété par Mina Kavani, une actrice iranienne bannie de son pays pour avoir osé interpréter un rôle dénudé dans Red Rose en 2015.

Tout le film est construit sur le même rythme qui crée vite une certaine monotonie : des plans-séquences interminables filmant des querelles inextricables. Le farsi a beau être une langue d’une musicalité folle, l’hystérie des personnages a tôt fait d’être lassante.

Je suis désolé de ne pas avoir aimé Aucun ours que j’aurais dû pourtant adorer. Je suis sorti de la salle aussi désemparé que j’en étais sorti après EO ou Saint Omer, me faisant à moi-même le constat affligé que le cinéma intello, qu’il soit français, polonais ou iranien, n’était décidément pas ma tasse de thé. Je crois qu’il est temps de regarder la réalité en face et d’aller voir Wakanda Forever ou Black Adam.

La bande-annonce

Bones and All ★☆☆☆

Maren (Taylor Russell) a dix-sept ans. Elle a hérité de ses parents une tare encombrante : elle est cannibale. Quand son père la laisse à elle-même après une énième tentative de crime qu’il n’a pas réussi à prévenir, Maren n’a d’autre solution que de prendre la route pour retrouver sa mère au fond du Minnesota. En route, elle découvre qu’elle n’est pas la seule dans son cas. Un vieux « mangeur » (Mark Rylance) aimerait la prendre sous sa coupe. Mais Maren préfère se rapprocher de Lee (Timothée Chalamet), un garçon de son âge.

Luca Guadagnino et Timothée Chalamet s’étaient fait la courte échelle pour accéder au succès. Avec Call me by your name – un film que je suis peut-être le seul spectateur au monde à ne pas avoir adoré – le premier lançait la carrière du second qui a depuis fait un sacré bout de chemin, enchaînant films d’auteur (chez Woody Allen ou Wes Anderson) et blockbusters (Dune). Il est devenu l’icône de toute une génération, un véritable James Dean des temps modernes. Luca Guadagnino a quant à lui peiné à transformer l’essai : il n’a guère réalisé que le remake sans intérêt d’un giallo italien des 70ies Suspiria.

Les remettre tous les deux à l’affiche, c’était parier sur la fidélité et sur la curiosité de tous les amoureux de Call me by your Name. C’était aussi parier sur le parfum de scandale que le sujet transgressif du film et son interdiction aux moins de seize ans font naître.

Bones and All a des précédents. Ce n’est pas la première fois qu’on voit des cannibales amoureux à l’écran ou qu’on explore les frontières ambiguës entre l’amour passion et l’entre-dévorement : Trouble Every Day de Claire Denis, Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch. Ce n’est pas la première fois non plus qu’on filme un road movie d’un couple en cavale au travers des Etats-Unis : Les Amants de la nuit de Nicholas Ray, l’iconique Bonnie and Clyde bien sûr de Arthur Penn, La Ballade sauvage de Terrence Malick, plus près de nous American Honey de Andrea Arnold.

Mais Bones and All ne marche pas. À qui la faute ? Aux deux héros entre lesquels aucune alchimie ne se crée ? Au scénario plan-plan qui ne ménage aucune surprise ? À l’absence de tout malaise que la situation aurait pourtant dû logiquement susciter ?
Le seul personnage intéressant du film est celui joué par le grand Mark Rylance qui crée un trouble hélas vite dissipé.

La bande-annonce

She Said ★★★☆

En 2017, les deux journalistes du New York Times, Judi Kantor (Zoe Kazan) et Megan Twohey (Carey Mulligan), après une longue enquête semée d’embûches, ont révélé les agressions sexuelles systématiquement perpétrées depuis un quart de siècle par Harvey Weinstein.

Réaliser un film sur une enquête journalistique constitue un double défi. Le premier est qu’on en connaît, comme ici, souvent l’issue, réduisant à néant le suspense sur lequel tout bon film est censé être construit. Le second est que rien n’est moins cinématographique qu’un journaliste en train de taper sur son ordinateur, de prendre des notes ou de passer des coups de fil, ce qui pourtant ici constitue la matière principale du film – ainsi qu’en témoigne son affiche, austère en diable.
Pourtant, paradoxalement, ce genre de films existe et certains comptent parmi les meilleurs jamais tournés : Les Hommes du président (1976) sur le scandale du Watergate qui a fait chuter Nixon, Spotlight (2016) sur les crimes sexuels commis par l’Eglise catholique à Boston.

Je ne sais pas si She Said se hissera dans ce panthéon. Mais ce film solide et efficace en possède pourtant toutes les qualités. Dès les premières minutes, on est happé par une histoire dont l’enjeu se dessine progressivement : il s’agit moins pour les deux journalistes du New York Times d’établir la réalité des faits, qui ne fait hélas guère de doute, que d’arriver à convaincre de témoigner publiquement les femmes agressées par Weinstein, qui redoutent légitimement que leur nom soit traîné dans la boue ou que les révélations du journal fassent pschitt.

Maria Schrader, une réalisatrice allemande qui s’est fait un nom grâce aux mini-séries Deutschland 83, Deutschland 86, Unorthodox et grâce au film I’m Your Man, est aux manettes. Elle a eu l’intelligence de s’entourer de deux actrices au jeu très juste.

She Said coche, avec une efficacité avérée, toutes les cases du genre. Il entremêle le travail d’investigation des deux actrices avec leur vie privée. Il filme des rencontres chuchotées dans des arrières-salles de restaurants, des appels téléphoniques haletants. Il a l’intelligence de nous éviter la course poursuite qu’on trouve quasi-systématiquement au mitan de tout film hollywoodien pour lui redonner le rythme qu’il était en train de perdre. Il est accompagné d’une musique qui, sans être envahissante, en souligne les moments les plus tragiques.

Si She Said m’a beaucoup plu et s’il est pour moi le meilleur film de la semaine, sinon d’un mois très riche (avec Mascarade), je lui adresserai néanmoins deux reproches.
Le premier est de se terminer avec la publication du célèbre article du 5 octobre 2017, sans analyser son impact. Car, la révélation de la vérité importe moins aujourd’hui que l’impact qu’elle a sur le public, le risque existant qu’elle se heurte à un mur de silence. Comment les révélations du New York Times – et celles concomitantes du New Yorker qui enquêtait simultanément sur le même sujet et a publié quelques jours plus tard un long reportage de Ronan Farrow aux conclusions aussi explosives – ont-elles fait naître le mouvement #MeToo ?  Ou, pour le dire autrement, qu’y avait-il dans l’affaire Weinstein qui ait entraîné une prise de conscience mondiale que d’autres affaires similaires, aussi scandaleuses, n’avait pas provoquée ?
Le second est son ambition. Les journalistes du New York Times ne cessent de répéter qu’elles veulent dénoncer le sexisme systémique à Hollywood. Mais leur enquête concerne Weinstein, et Weinstein seulement. En le chargeant – et je ne dis pas qu’il ne fallait pas le faire – elle risque de construire un monstre – et je ne dis pas que Weinstein n’en est pas un – qui concentre à lui seul la violence de tout un système plutôt qu’il ne la symbolise. Pour le dire, une fois encore, autrement, en se focalisant sur Weinstein, les journalistes n’ont-elles pas raté leur cible ? La réponse à ma question existe déjà : elle est dans l’immense retentissement de cette affaire, dans le Prix Pulitzer 2018 qu’elles ont obtenu, dans l’arrestation et la condamnation de Weinstein, mais au-delà dans le mouvement #MeToo qui, au delà du magnat hollywoodien, a conscientisé toutes les victimes de violences sexuelles et mis au pilori tous leurs agresseurs.

La bande-annonce

Mauvaises Filles ★★☆☆

La documentariste Emérance Dubas lève le voile sur un pan oublié de notre mémoire collective : les mauvais traitements subis en maisons de correction, notamment dans les internats religieux du Bon Pasteur, par les jeunes filles placées.
Cette histoire a été soigneusement documentée par Véronique Blanchard dans sa thèse de doctorat soutenue en 2016 et publiée en 2019 sous le titre « Vagabondes, voleuses, vicieuses ». Cette publication s’est accompagnée d’un webdocumentaire accessible en ligne à l’adresse https://mauvaises-filles.fr/

Le documentaire sorti en salles cette semaine et le webdocumentaire accessible en ligne sont deux oeuvres différentes. Le webdocumentaire utilise plusieurs ressources : des témoignages de femmes placées, d’éducatrices ou de féministes, des archives, des décryptages universitaires, des portraits théâtralisés….

Le documentaire de Emérance Dubas est plus bref (il dure soixante-et-onze minutes à peine) et plus pauvre. Il mobilise seulement les témoignages de cinq femmes, Eveline, Fabienne, Michèle, Edith (qu’on ne verra pas, mais dont la voix nous accompagne) et Marie-Christine, et les images du Bon Pasteur à Bourges, un site laissé à l’abandon depuis une trentaine d’années.

Mauvaises filles revendique une filiation avec les Magdalene Sisters, cette fiction irlandaise sortie en 2002 inspirée du sort réservé aux orphelines, aux filles-mères ou aux filles « de mauvaise vie » dans les institutions religieuses irlandaises jusqu’à une date récente. Mauvais traitements, travail forcé, manque d’amour : les souvenirs que racontent ces anciennes pensionnaires au crépuscule de leur vie ne sont pas moins glaçants. Leur résistance force l’admiration ; et on ne peut s’empêcher de penser à celles, moins résilientes, qu’un tel traitement a brisées.
Un témoignage m’a touché pour des motifs très personnels : c’est celui de Fabienne qui raconte sa sortie de l’internat, à dix-sept ans à peine, du chemin de croix qu’elle a alors vécu avec plusieurs garçons qui ont abusé de sa crédulité et de l’avortement qu’elle a dû subir dans des conditions épouvantables.

Ces témoignages, toujours pudiques, émeuvent. On regrettera qu’ils n’aient pas été éclairés par une mise en contexte historique qui aurait permis de mieux les comprendre. On s’en consolera en allant consulter le webdocumentaire de Véronique Blanchard et en lisant sa thèse – ou, pour les moins courageux comme moi, en lisant le livre plus court, qu’elle avait publié avec David Niget chez Textuel en 2016 sur ce sujet.

La bande-annonce

Saint Omer ★☆☆☆

En juin 2016, la cour d’assises de Saint-Omer condamne à vingt ans de réclusion Fabienne Kabou pour la mort de sa petite fille, Adélaïde, âgée d’un an à peine, qu’elle avait déposée sur la grève, à Breck-plage avant que la marée montante ne l’emporte. La documentariste Alice Diop, impressionnée par le fait divers, avait assisté au procès. Elle a décidé de le reconstituer, en changeant le nom des protagonistes, mais en reconstituant à Saint-Omer la salle d’audience et en reprenant le verbatim du procès.

Le résultat est déconcertant. Il a été encensé par la critique. Il a obtenu le Grand Prix du jury à Venise. Il représentera la France aux Oscars l’an prochain. J’ai eu la chance de le voir en avant-première en présence de sa réalisatrice. Si souvent, ces échanges privilégiés devant un public conquis influencent positivement la réception du film, ce ne fut pas le cas cette fois-là.

Pour la défense qui plaidait l’irresponsabilité pénale, Fabienne Kabou avait perdu son discernement au moment des faits. Pour le ministère public, Fabienne Kabou était une menteuse, une affabulatrice qui prétendait avoir été ensorcelée pour ne pas assumer sa responsabilité.

La mise en scène d’Alice Diop adopte un autre parti. En laissant parler l’accusée, qui s’exprime dans un français très châtié, selon un raisonnement parfaitement articulé, elle ne creuse pas la question de la maladie psychiatrique et de l’irresponsabilité pénale. Elle passe beaucoup de temps sur l’enquête de personnalité et y cherche l’explication de cet infanticide inexplicable. Fabienne Kabou y devient malgré elle la figure d’une femme racisée, invisibilisée, qui n’a pas su trouver sa place dans la société parce que la société ne lui en pas laissé la liberté.

Saint Omer (qui aurait aussi bien pu s’intituler Bar-le-Duc, Limoges ou Coutances si les faits s’étaient déroulés dans le ressort d’une de ces cours d’assises) est volontairement lent et long. Il dure plus de deux heures. Il alterne les longues audiences filmées en plans fixes américains et les interludes centrés sur Rama, une écrivaine venue assister au procès, dont la mère de l’accusée se rapproche.

On peut y voir le procès d’une Médée des temps modernes, d’une mère perdue broyée par l’appareil judiciaire. Je n’y ai rien vu de tel.

La bande-annonce

Le Menu ★☆☆☆

Margot (Anya Taylor-Joy) et Tyler (Nicholas Hoult), un couple de jeunes amoureux, embarquent à bord d’un petit bateau de croisière pour une soirée exclusive. Avec dix autres convives, ils vont dîner dans le restaurant du chef Julian Slowik (Ralph Fiennes) installé dans une île coupée du monde. Mais la soirée ne se déroulera pas comme prévu.

Pour vous mettre l’eau à la bouche (c’est le cas de le dire !), regardez la bande-annonce de ce film. Au programme du Menu, un réjouissant mélange de genres :
– la réunion dans un lieu clos, façon Agatha Christie (Le Crime de l’Orient-Express, Mort sur le Nil…) et ses récents épigones (Coup de théâtre, Murder Party, À couteaux tirés…), d’une douzaine de personnages cachant probablement chacun de lourds secrets ;
– une intrigue construite quasiment en temps réel, le temps d’un repas, autour du chef d’un restaurant étoilé à la The Chef ;
–  une satire grinçante des outrances de la haute gastronomie à la mode de Ruben Östlund (The Square, Sans filtre) ;
– le décor paradoxalement claustrophobe d’une île déserte et le huis-clos qu’il installe comme dans la série Lost ;
– le surgissement d’une violence atavique façon Sa majesté des mouches, The Wicker Man ou Midsommar.

Présenté ainsi, Le Menu est alléchant.
Mais hélas le résultat fait pschitt.
Très vite, trop vite, les pauvres ficelles de ce drame horrifique sont révélées. Elles tiennent en une phrase : au terme d’une vie de travail, un chef au sommet de sa gloire, entouré d’une brigade qui lui est corps et âme dévouée, se vengera de la médiocrité de ses convives en les entraînant dans un jeu de massacre suicidaire. On le comprend au bout de quelques minutes et on n’a plus ensuite qu’à voir ce programme sans surprise se dérouler jusqu’à son issue fatale. Les rares rebondissements ne réussissent pas à dynamiser un scénario léthargique et convenu.
Seuls piments à ce Menu insipide : le jeu de Ralph Fiennes, toujours parfait en héros dépressif (il avait déjà le même sourire navré dans The Constant Gardener) et la beauté de Anna Taylor-Joy, renversante en robe de soirée ultra-moulante.

La bande-annonce

Les Miens ★★☆☆

Immigré de la deuxième génération, Ryad (Roschdy Zem)  s’est parfaitement intégré. Présentateur à succès d’une émission de sport sur une chaîne de télévision, il vit avec Emma (Maïwenn) dans un luxueux appartement dominant la Seine. Il forme avec ses trois frères, sa sœur et leurs enfants une bruyante et joyeuse famille. Mais quand son frère Moussa (Sami Bouajila), qui traverse un divorce difficile et frise le burn out au travail, a un grave accident neurologique qui libère sa parole, les non-dits refont surface.

Roschdy Zem est devenu tardivement la coqueluche du cinéma français. Il tourne depuis plus de trente ans (il a décroché son premier rôle en 1987 dans Les Keufs de Josiane Balasko) et a lentement creusé sa place (il est nommé six fois aux Césars entre 2000 et 2012 sans jamais décrocher de récompense). La consécration vient enfin en 2020 avec le César du meilleur acteur pour Roubaix, une lumière. Depuis, Roschdy Zem est partout : Enquête sur un scandale d’État, Madame Claude, Les Enfants des autres, L’Innocent….

Roschdy Zem avait déjà réalisé cinq films. Les Miens est son sixième, incontestablement le plus autobiographique, Le premier d’ailleurs, après Mauvaise Foi (2006), qui l’était déjà beaucoup, où il se tient des deux côtés de la caméra. Il est inspiré du grave accident neurologique qui est arrivé à son frère cadet et dont celui-ci a tiré un livre.

Roschdy Zem a co-écrit le scénario avec Maïwenn. Il en porte la patte, la même que celle, reconnaissable au premier coup d’œil qu’on sentait dans ADN que j’avais tant aimé malgré ses défauts. Car Maïwenn n’a pas son pareil pour filmer jusqu’à l’hystérie de chaotiques scènes de famille où les caractères se dessinent progressivement à travers leurs bruyantes interpellations. Chez Maïwenn, il faut s’engueuler pour se prouver qu’on s’aime. C’est sans doute fatigant dans la vie de tous les jours mais très efficace au cinéma et pas ennuyeux pour un sou.

Le Moussa du film est atteint d’une maladie qui le transforme : le frère gentil et effacé, toujours prêt à excuser les autres, ne mâche plus ses coups et lâche ses coups. Il assène à tous ses proches leurs quatre vérités, souvent cruelles. Le procédé est un peu facile ; il n’en est pas moins désopilant. Sa réussite repose largement sur l’efficacité du jeu de Sami Bouajila dont on se demande comment il a réussi à contenir les fous rires que ses répliques suscitent.

Les Miens est un film touchant et sensible sur la famille, les liens qui s’y nouent, les dettes qu’on y contracte, le soutien indéfectible dont on peut en escompter ; mais c’est un film trop léger pour laisser une trace durable.

La bande-annonce

X ★☆☆☆

Six jeunes gens vont tourner un film X dans un corps de ferme loué à bas prix à un couple de paysans hors d’âge au fond du Texas en 1979. Ils ignorent que la nuit tombée, ils subiront un déchaînement de violence meurtrière qui les décimera.

Ti West s’amuse à tourner un remake du cultissime Massacre à la tronçonneuse. Il en reprend les ingrédients essorés qui, depuis près de cinquante ans, constituent la trame du teenage scaring movie, le film d’horreur pour ados (et mettant en scène des ados) : une groupe de jeunes gens qu’unissent la même joie de vivre et la même candeur virginale, une cabane inhospitalière au fond des bois distillant une lourde atmosphère, un ou plusieurs criminels sanguinaires et tarés, une tendance fâcheuse des innocentes victimes à se séparer pour tomber, les unes après les autres sous les coups de leur bourreau. Le résultat produit son lot de jump scare (litt. « saut de peur ») et, chez le spectateur adolescent, un délicieux plaisir masochiste que je n’ai jamais compris ni partagé (on me dira que j’ai passé l’âge de ressentir un plaisir adolescent devant ces films interdits aux moins de seize ans mais dont la cible se situe paradoxalement un peu en dessous de cet âge).

Ce genre de films-là même s’il nous tient en haleine et nous fait nous tortiller d’angoisse sur notre siège ne contient aucun suspense. On sait par avance qu’il se terminera par la mise à mort systématique de la quasi-totalité des protagonistes. La seule interrogation est sur l’ordre de leur décès (en général, c’est le bon camarade, noir de préférence, qui est tué le premier), la modalité des crimes et l’identité du dernier survivant (en général une vestale candide qui révèlera dans les épreuves qu’elle traverse une résilience qu’on ne lui avait pas soupçonnée)

X, malgré la réputation élogieuse qui le précède, ne déroge pas à ces règles convenues. Sa seule qualité est peut-être la lenteur de sa première partie, qui recule au maximum l’orgie de violence qu’on attend et qui fait lentement mais sûrement monter le suspense. De peur de se faire taxer de vieux phallocrate dépravé, on ne mettra pas au nombre de ses qualités les scènes X qui y sont tournées par un producteur cynique et un jeune réalisateur idéaliste avec deux starlettes émancipées, un étalon infatigable et une preneuse de son bégueule qui ne le restera pas longtemps.

Jouant peut-être sur la polysémie de la lettre X (qui désigne indifféremment des films pornographiques ou la génération qui suit celle des babyboomers) , X se leste d’une réflexion sur la sexualité du quatrième âge, plus peccamineuse en tous cas certainement moins photogénique que celle, assumée et triomphante, que les jeunes personnages entendent vivre et filmer librement. L’idée n’est pas idiote ; mais elle ne suffit pas à elle seule à donner à ce film une substance dont il manque cruellement.

La bande-annonce

Les Amandiers ★★☆☆

Au milieu des 80ies, un groupe de jeunes comédiens en herbe intègre l’école du Théâtre des Amandiers. Ils vont se former avec Patrice Chéreau (Louis Garrel) et Pierre Romans (Micha Lescot). Le premier monte Platonov de Tchekhov, le second Penthésilée de Kleist.

Valeria Bruni-Tedeschi plonge dans ses souvenirs pour raconter ses années de formation au Théâtre des Amandiers. Elle y fréquenta des jeunes acteurs aussi talentueux que Agnès Jaoui, Vincent Perez, Eva Ionesco, Thibault de Montalembert (qui fait un cameo dans le jury d’admission du début du film), Bruno Todeschini, Marianne Denicourt, Thierry Ravel dont elle fut la compagne et qui mourut à vingt-huit ans d’une overdose après des débuts pourtant prometteurs. Avec eux, elle tint le rôle principal de Platonov qui fut monté à Nanterre puis porté à l’écran en 1987 sous le titre Hôtel de France par Chéreau lui-même.

On imagine volontiers le plaisir nostalgique qu’elle a pris à retrouver ses camarades et à se rappeler avec eux leur folle jeunesse. Nous avons tous connu dans nos vies une période fondatrice de notre jeunesse, un moment parfait, ou reconstitué comme tel dans notre mémoire embellissante, notre premier flirt, notre premier chagrin d’amour, l’année du brevet ou celle du bac, un voyage scolaire à Florence ou à Paris, un examen réussi ou même raté….

Ce plaisir régressif se voit et se sent. Les Amandiers est un film sur la jeunesse qui se perd du double point de vue de la réalisatrice, la cinquantaine bien frappée, et de celui des acteurs eux-mêmes qui ont déjà cette conscience aiguë. C’est un film inscrit dans son temps et dans son milieu – même si le théâtre permettait un étonnant brassement de classes qu’a vécu très intimement Valeria Bruni Tedeschi, héritière d’une richissime famille italienne exilée à Paris pour fuir les Brigades rouges.
Ses jeunes personnages dévorent la vie avec une énergie destructrice. Ils boivent, ils baisent, ils se droguent sans que leurs aînés ne leur mettent de frein. Ceux-ci auraient d’ailleurs plutôt tendance à les y encourager.

Les Amandiers est un film électrisant porté par des jeunes acteurs pleins de flamme. Ils pourraient être les enfants, ou à tout le moins les fils et filles spirituels, des acteurs et des actrices formés par Chéreau à Nanterre dans les 80ies. Nadia Tereszkiewicz (Tom, Babysitter, Seules les bêtes) mène la danse, incandescente. On voit mal comme le César du meilleur espoir féminin lui échapperait. Elle est entourée par une bande de jeunes acteurs tout aussi prometteurs qu’elle, Sofiane Bennacern, des faux airs de Félix Moati, en tête : Liv Henneguier (Crache cœur), Sarah Henochsberg (C’est ça l’amour), Suzanne Lindon (Seize printemps)….

Pour autant, le film souffre d’un manque de rythme et s’enlise dans une durée trop longue (il aurait pu facilement être amputé d’une bonne demi-heure). Il souffre aussi d’une musique envahissante : on a beau aimer Bach et Vivaldi – et Daydream de Wallace Collection – il n’était pas nécessaire d’en coller des extraits à chaque plan.

La bande-annonce