Quiet Life ★★★☆

Après avoir été agressé par la police en Russie, Sergueï a fui son pays pour la Suède avec sa famille. Il y a déposé une demande d’asile qui lui est refusée. Au lendemain de ce refus traumatisant, sa fille cadette, Katja, qui fut témoin de l’agression de son père et dont le témoignage lui permettrait peut-être d’obtenir le titre de réfugié, tombe dans un coma profond. Elle est victime d’un mal fréquent chez les réfugiés et leurs enfants : le syndrome de résignation.

Quiet Life n’est pas un documentaire même si les faits qui l’inspirent ont été médicalement documentés en Suède. C’est une fiction qui fait un pari radical, similaire à celui du film tunisien La Source ou au Nosferatu de Robert Eggers, avec lesquels j’ai eu la dent (trop ?) dure ces jours derniers : celui de l’hyperstylisation.

Quiet Life tangente la dystopie. La froideur glaciale doublée du respect scrupuleux des droits humains avec laquelle les demandes d’asile sont traitées en Suède pourrait ressembler à ce qu’on voit dans le film mais s’en distingue néanmoins. Les réfugiés n’y sont pas accueillis dans des appartements aussi confortables (et c’est dommage) ; ils ne sont pas soumis à un stage aussi débilitant si leurs enfants sont hospitalisés (et c’est tant mieux). Mais comme dans toutes les dystopies réussies (on pense à Orange mécanique ou à Bienvenue à Gattaca), Quiet Life exagère certains traits de nos sociétés contemporaines pour en interroger les ressorts.

Comment traiter les demandeurs d’asile ? Quelles preuves leur demander pour attester des persécutions qu’ils prétendent avoir subies dans leur pays d’origine ? En demander trop, c’est courir le risque de refouler des réfugiés authentiquement persécutés ; en demander trop peu et se fier à leur seule parole, c’est courir celui d’accorder le titre de réfugié à des personnes qui n’y ont pas droit. Quel statut octroyer aux enfants des demandeurs d’asile ? Leur témoignage est-il recevable à l’appui de la demande déposée par leurs parents ? Peut-on les en séparer, dans quelles circonstances et à quelles conditions ? Leur état de santé peut-il faire obstacle à leur reconduite et à celle de leurs parents ?

Autant de questions juridiques et éthiques passionnantes que pose Quiet Life. Il le fait avec une froideur glaçante, à rebours du mélodrame. Son scénario, remarquablement écrit, distille son lot de rebondissements. Ses acteurs, dont Chulpan Khamatova qui a fui la Russie au lendemain de l’invasion de l’Ukraine en 2022 et s’est réfugié en Lettonie, sont parfaits.

Sur le même sujet, L’Histoire de Souleymane, l’un de mes films préférés de 2024, optait pour un parti bien différent : celui du naturalisme. Les deux films contiennent une scène quasiment identique : celle d’un témoignage, fébrilement préparé mais que le spectateur sait mensonger, devant un fonctionnaire de l’immigration. Les bonnes écoles de cinéma auront sans aucun doute l’idée de montrer à leurs étudiants ces deux scènes et d’en analyser les points communs et les différences.

La bande-annonce

La Source ★☆☆☆

Deux frères tunisiens, Mehdi et Amine, partent s’enrôler en Syrie dans les rangs de Daech. Leurs parents, Aicha et Brahim, de modestes pêcheurs, en sont désespérés. Quelque temps plus tard, Mehdi revient sans son frère. Une mystérieuse jeune femme, Reem, entièrement voilée, l’accompagne. Aicha décide de les cacher de la police qui pourrait les arrêter.

Deux films tunisiens récents ont évoqué le départ en Syrie de jeunes recrues et le vide qu’il laissait chez leurs parents, rongés par la culpabilité : Mon cher enfant et Les Filles d’Olfa. J’espérais que ce troisième soit aussi percutant que les deux premiers. Sa bande-annonce m’avait intrigué. J’ai hélas été fort déçu.

La jeune réalisatrice Meryam Joobeur, dont c’est le premier long, prend le parti de la stylisation. Stylisation de l’image, avec une palette de couleurs froides (on se croirait plus sur une lande bretonne que sur les rivages de la Méditerranée) brutalement illuminées par le fuchsia des vêtures. Avec une caméra qui filme les personnages au plus près, laissant les arrière-plans dans le flou. Stylisation d’un récit dont on comprend (mais suis-je sûr d’avoir bien compris ?) qu’il emprunte plus au conte voire au récit fantastique qu’au documentaire ou au thriller comme son résumé  le laissait à tort augurer.

Le problème de ces partis pris, de cette caméra myope, de ce récit à trous, est qu’ils laissent bien des zones d’ombre. On me rétorquera qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un défaut. Dont acte. Pour autant ici, après une moitié de film où l’on accepte de se laisser envoûter, le pacte implicite noué entre le spectateur et le réalisateur se dissout progressivement. Quand l’intrigue se dénoue, quand on comprend qui est Reem et comment sont morts les disparus qui mettent au défi Bilal le policier (on reconnaît Adam Bessa, premier rôle des Fantômes et de Harka), près de deux heures se sont écoulées et la patience du spectateur est à bout.

La bande-annonce

Un ours dans le Jura ★★★☆

Michel (Franck Dubosc) et Cathy (Laure Calamy) exploitent bon an mal an une sapinière dans une forêt reculée du Jura avec leur fils Doudou (Timéo Mahaut, l’autre révélation des Pires). Alors que jamais on n’en avait croisé dans ce massif, un ours provoque un accident de la circulation. Michel en sort indemne ; mais les deux passagers d’une BMW sont tués. Le coffre de leur berline contient un sac de voyage rempli de billets de banque. Michel et Cathy, en indélicatesse avec leurs créanciers, décident de s’approprier le pactole à sept chiffres.

Franck Dubosc change de registre. L’humoriste, tête d’affiche de Camping 1, 2 et 3, opte pour sa troisième réalisation pour la comédie noire façon Fargo. S’il joue l’un des rôles principaux, il sait s’effacer derrière ses partenaires et joue avec une retenue à laquelle ses rôles de macho bronzé en maillot de bain ne nous avaient pas habitués.

L’histoire est réjouissante à condition d’accepter son manque de crédibilité. Si le film dure près de deux heures, on ne regarde pas sa montre une seule fois. Mais ses péripéties (trop ?) nombreuses ne sont pas le principal atout du film. Elles ne sont, comme dans Fargo, qu’un prétexte pour mettre en scène des personnages dont la balourdise apparente cache plus de finesse qu’on ne le pensait.

À ce titre, c’est Benoît Poelvoorde qui tire le mieux son épingle du jeu. Dans le rôle d’un major de gendarmerie en pleine déconfiture (sa femme l’a quitté pour son dentiste et sa fille, en année de césure après le bac, fait son désespoir), c’est à lui qu’incombe de mener l’enquête sur les cadavres qui s’accumulent – au point, dit-il malicieusement, qu’on en comptera bientôt plus que d’habitants dans cette petite commune du Haut-Jura. Laure Calamy, qu’on a beaucoup vue au risque de se huppertiser (et qu’on a vue pas plus tard que la semaine dernière dans Mon inséparable), est un diapason en-dessous. Ses meilleures répliques se trouvent quasiment toutes dans la bande-annonce.

Délicieusement amoral, plein de rebondissements, Un ours dans le Jura tient ses promesses : des acteurs bien dirigés (un coup de chapeau à Joséphine de Meaux en gendarmette empathique), des paysages enneigés, un suspens prenant, des situations désopilantes… Un cocktail réussi pour bien commencer l’année !
[En revanche, cette critique est écrite avec les pieds : il me faut un litre de café et deux Advil pour commencer l’année d’un bon pied]

La bande-annonce