Un corps sous la lave ☆☆☆☆

En 1492, trois marins profitent d’une escale aux Canaries de la flotte conduite par Christophe Colomb vers les Indes pour fausser compagnie à l’équipage. Au même moment, en Galice, dans le nord de l’Espagne, une femme tente de sauver sa sœur plongée dans le coma après une tentative de suicide.

J’avais beau avoir lu les critiques peu engageantes de ce film tourné par un couple de réalisateurs espagnols, j’avais voulu lui donner sa chance et, avant qu’il disparaisse de l’écran, suis allé le voir dans une salle quasiment vide. Bien mal m’en a pris. Je m’y suis copieusement barbichonné.

J’aurais dû me méfier de Culturopoing qui écrit : « Le film se vit comme une expérience sensorielle, philosophique, touchant aux sensations intimes et à la mémoire collective plus qu’à la raison didactique » et écouter au contraire Télérama : « l’ensemble reste obscur, trop crypté pour convaincre. Faute d’incarnation et de sensations, on reste comme sur le seuil de cette traversée qui vise l’hallucination façon Werner Herzog, sans y parvenir tout à fait ».

Un corps sous la lave est un film quasiment muet qui raconte successivement deux histoires entre lesquelles je ne suis pas sûr d’avoir compris le lien. Tourné en 16mm, le grain est épais, terne, sale, comme si les réalisateurs avaient refusé d’esthétiser des paysages pourtant grandioses. Faute d’admirer de belles images, on est condamné à suivre un récit languissant, silencieux et incompréhensible. Le film a beau durer une heure et quinze minutes seulement, on s’y ennuie copieusement si on ne s’y endort pas.

La bande-annonce

Voyage au pôle sud ★☆☆☆

Écologue de formation, Luc Jacquet est un documentariste français qui a acquis une renommée mondiale grâce à son tout premier film, La Marche de l’empereur, sorti en 2005.
La cinquantaine bien entamée, il raconte à la première personne l’irrésistible attraction qui le lie à l’Antarctique et à ses curieux habitants.

Voyage au pôle sud a bien entendu une qualité indiscutable : ses paysages grandioses, filmés grand angle, qu’il faut absolument voir sur grand écran pour les apprécier à leur juste mesure. Luc Jacquet choisit de les filmer en noir et blanc. La raison en est sans doute qu’ils sont ainsi plus majestueux encore. Il faudrait pondérer leur beauté des difficultés techniques et humaines difficiles à imaginer que leur tournage a probablement rencontrées.

Mais cette qualité esthétique est hélas la seule d’un documentaire dont le sujet et surtout le traitement suscitent une irritation croissante. Très narcissiquement, Luc Jacquet s’y met seul en scène. On le voit, marchant solitaire sur la banquise, ou au milieu des manchots empereurs qui ont fait sa célébrité. Ces images, qu’on croirait tout droit sorties d’Instagram, sont lestées d’une voix off qui pèse des tonnes où l’omniprésent réalisateur d’une voix sentencieuse nous assène des vérités définitives sur le sens de la vie et l’état de notre planète : « Tout nous dépasse, le temps, les forces en présence », « Qu’il est apaisant de pouvoir vivre sans les animaux sans leur faire peur ! ».
Sur ce dernier point, ma plume fielleuse s’égare : ce Voyage n’est pas lesté du prêchi-prêcha écologiste que la plupart des documentaires animaliers se sentent obligés de s’adjoindre. Mais son contenu est si plat, si fat, qu’on en viendrait presque à le regretter.

La bande-annonce

Une affaire d’honneur ★☆☆☆

Le maître d’armes Clément Lacaze (Roschdy Zem) et le colonel Louis Berchère (Vincent Perez) sont d’anciens héros de guerre que tout oppose. Le premier, repu de violence, refuse les honneurs et exerce son art dans la salle d’armes dirigée par son vieil ami Eugène Tavernier (Guillaume Gallienne) ; le second au contraire se pavane en uniforme et défie en duel tous ceux qui ont l’impudence de lui tenir tête. C’est le cas notamment d’Adrien, le propre neveu de Lacaze, un jeune étudiant en médecine, épris de la fille de Berchère.

La trêve des confiseurs est riche en sucreries et pauvres en bons films. Entre Milady et plusieurs disney-niaiseries américaines interchangeables, Une affaire d’honneur, son casting alléchant et son sujet original étaient a priori le spectacle le plus intéressant de la semaine.

Je suis allé le voir dans une salle bondée, ce qui, passé le désagrément de devoir partager mon accoudoir, devrait me rassurer sur l’avenir du cinéma français. Mais, las, ma déception fut à la hauteur de mon attente.

Une affaire d’honneur se conclut sans surprise par le duel des deux héros. Pour nous faire patienter en attendant ce dénouement attendu, quatre autres duels sont organisés toutes les vingt minutes. Y participent outre le neveu précité – dont on aura déjà deviné le funeste destin – une féministe endurcie qui combat pour le vote des femmes… et leur droit de porter le pantalon (Dora Tillier) et un directeur de journal misogyne (Damien Bonnard) dont, comme de bien entendu, la goujaterie sera  punie par la féministe précitée.

S’il faut reconnaître à cette Affaire d’honneur qu’on ne s’y ennuie pas, que ses décors et ses costumes sont soignés, ce sont là ses seules qualités. Sa mise en scène n’a aucun relief. Ce film, platement chronologique, dépourvu du moindre humour, se prend terriblement au sérieux. Il sent la naphtaline et aurait pu être tourné à l’identique dans les années 80.

Ses acteurs sont engoncés dans leur caricature : Roschdy Zem, toujours excellent à condition d’être dirigé, n’a tout au long du film qu’une seule moue, celle du héros marmoréen à la violence contenue ; Dora Tillier échoue à rendre crédible un personnage anachronique, censée défendre en 1887 une cause qui n’était pas encore d’actualité ; on a connu Damien Bonnard plus convaincant dans des rôles plus denses ; quant à Vincent Perez, il confirme, si besoin en était, que son seul talent résidait dans sa beauté qui, à près de soixante ans, se fane lentement.

PS : Sur le pantalon, Une affaire d’honneur réussit en trois phrases à commettre trois erreurs. 1. Ce n’est pas une loi mais une ordonnance de 1800 qui en interdit le port aux femmes. 2. Une loi ne stipule pas ; elle dispose 3. La « loi » de 1800 n’a pas été abrogée en 2013 ; mais, à cette date, la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Benkacem, en réponse à la question écrite d’un sénateur, a constaté que, du fait de son incompatibilité avec le principe constitutionnel d’égalité et avec les engagements européens de la France, elle n’était plus appliquée ni applicable.

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Augure ☆☆☆☆

Après une longue absence, Koffi (Marc Zinga) revient au Congo présenter sa compagne Alice (Lucie Debay), enceinte de jumeaux, à sa famille. Mais Koffi, qui souffre d’épilepsie et a un angiome sur la joue gauche, passe pour un sorcier chez les siens qui l’accueillent froidement. Pendant son séjour, il croisera le chemin de trois personnes frappées comme lui d’ostracisme en raison de leur originalité et de leur refus des convenances.

Le musicien et cinéaste Baloji aurait pu, pour son premier film, tourner un banal retour au pays natal. Né au Katanga, émigré très jeune en Belgique, sans doute aurait-il pu puiser dans son histoire personnelle pour le raconter. Mais il a opté pour un autre parti, plus onirique, qui s’inspire du « réalisme magique ».

Le résultat, qui fait la part belle aux costumes et à la musique auxquels Baloji lui-même a mis la main, a été salué à Cannes dont il est reparti avec le Prix de la nouvelle voix. Augure avait été choisi pour représenter la Belgique pour l’Oscar du meilleur film étranger ; mais il ne figure pas dans l’ultime liste des quinze titres restés seuls en lice.

Le résultat n’en est pas moins déconcertant. Une fois passé le choc de la rencontre avec la famille de Koffi, le scénario s’étiole dans une succession de rencontres inutiles. Avec elles, l’attention du spectateur s’évapore. Très vite, on se désintéresse du sort de Koffi et d’Alice pour sombrer dans l’ennui.

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La Vénus d’argent ☆☆☆☆

Jeanne est prête à tout pour réussir. Elle vit avec son père, son petit frère et sa petite sœur dans une caserne de gendarmerie en banlieue parisienne. Mais cette étudiante polymathe est bien décidée à intégrer le monde carnassier de la haute finance.

Quelques semaines après Le Théorème de Marguerite, voici à l’affiche – et sur son affiche – le portrait d’une jeune femme surdouée qui cherche à se faire place dans le monde hostile qui l’entoure. Pour Marguerite, c’était la démonstration de la conjecture de Goldbach. Pour Jeanne, la coupe à la garçonne, caparaçonnée dans un costume cravate trop grand pour elle, ce sera la banque d’affaire façon Le Loup de Wall Street.

Hélas ! Là où Anna Novion réussissait si bien à nous faire partager la passion dévorante de Marguerite pour les mathématiques et son mal-être, Héléna Klotz caricature le monde de la finance et crée une distance avec son héroïne et ses tourments.

Filmé à l’économie, avec deux ou trois ordinateurs, des traders gominés et des recruteurs posant des questions ridicules, le monde professionnel que Jeanne a décidé d’infiltrer est une caricature. Son patron, interprété par Sofiane Zermani, qui semble aussi à l’aise à passer des ordres de vente que je le serais à chausser des patins sur glace, est l’un des pires rôles jamais écrits. Tout en lui sonne faux, depuis les abdos soigneusement découpés, jusqu’à sa suite au Shangri-La et à sa Rolls Royce – dont la vénus d’argent qui coiffe la calandre donnera son nom au film, on ne sait pourquoi.

La chanteuse Pomme fait des débuts prometteurs à l’écran. Elle interprète une jeune femme dont on peine à comprendre le moteur. Quand le film démarre, elle retrouve le militaire (Niels Schneider) dont elle a été amoureuse quatre ans plus tôt et qui l’a abandonnée après l’avoir déflorée. Leur relation, qui constitue le fil rouge du film, est incompréhensible : veut-elle se venger du mal qu’il lui a fait ? ou au contraire renouer avec lui la relation détruite ?

On croit un instant que le film sera sauvé du naufrage par Anna Mouglalis qui, toujours aussi magnétique, y fait une apparition à son milieu. Mais, laissée à elle-même, elle est si mal dirigée, que son seul talent ne suffit pas à donner au rôle ridicule qu’elle est censée interpréter – la dirigeante d’une organisation humanitaire mêlée à des opérations louches initiées par le patron de Jeanne – un peu d’épaisseur.

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Napoléon ★☆☆☆

Napoléon Bonaparte (1769-1821) est peut-être le personnage le plus célèbre de l’Histoire de France, celui sur lequel le plus de livres ont été écrits et le plus de films tournés. Ridley Scott, un des derniers nababs hollywoodiens, qui aime à se frotter à des personnages épiques (Moïse, Commode, déjà interprété en 2000 par Joaquin Phoenix, Colomb, les Gucci…), a le cran de marcher sur les brisées d’Abel Gance et de Stanley Kubrick.

Le résultat est raté. Certes, il a la majesté des grands péplums. Il contient quelques uns des plus beaux plans que le cinéma nous ait donné à voir : Napoléon en Égypte face au Sphynx, le Sacre à Notre-Dame, la bataille d’Austerlitz, celle de Waterloo….

Mais toutes ces images d’Épinal accumulées se succèdent mécaniquement dans un film trop long qui paradoxalement va trop vite. Napoléon veut tout raconter depuis la prise de Toulon (bizarrement reconstituée à Malte), la première victoire militaire du jeune capitaine d’artillerie, jusqu’à la mort de l’Empereur sur le caillou de Sainte-Hélène. Cette exhaustivité le condamne à la superficialité. Rien n’est creusé car le temps manque.

Ce parti pris ne lui évite pas deux procès. Le premier est celui d’avoir omis des épisodes majeurs de la geste napoléonienne : les campagnes d’Italie et la prise du pont d’Arcole qui aurait été pourtant tellement cinématographique, la guerre d’Espagne où l’Empire s’est embourbé, la Berezina… Le second est celui que lui intenteront des historiens pinailleurs pour avoir travesti la réalité historique : Napoléon rencontre Joséphine après Vendémiaire ; elle est déjà morte quand il revient de l’île d’Elbe ; il n’aurait jamais participé à la mêlée de Waterloo et mis sa vie en danger comme les scènes de cette bataille le montrent…

Mais, à mes yeux, ces ergotages ne sont pas très importants. D’autres défauts sont selon moi plus graves. Le principal, je l’ai dit, est de vouloir parler de tout. Il condamne Napoléon à ne parler de rien. Chaque épisode célèbre de la vie de l’Empereur se voit consacrer une courte séquence de quelques minutes à peine qui ne révèle guère de surprises. Aucun personnage secondaire n’a le temps d’émerger. C’est à peine si on a le temps d’entr’apercevoir Barras (qu’interprète Tahar Rahim dans un anglais parfait), Sieyès, Laetitia, la mère de l’Empereur, Alexandre, le tsar russe ou Wellington. Ludivine Sagnier est créditée au générique ; mais je n’ai pas réussi à l’identifier. C’est dire…

Napoléon replie la vie de l’Empereur sur la passion fusionnelle qui l’a lié très tôt à Joséphine de Beauharnais et qui a perduré jusqu’après son divorce en 1809. Mais l’alchimie ne fonctionne pas entre les deux personnages. Joaquin Phoenix a au moins trente ans de trop pour jouer les jeunes puceaux amoureux et Vanessa Kirby, aussi belle soit-elle, ne laisse rien percer de la femme de pouvoir que fut l’impératrice.

Le plus grave peut-être est l’image que renvoie Napoléon de l’Empereur lui-même. Joaquin Phoenix s’est glissé dans le personnage sans lui insuffler aucune flamme. Rien ne transpire de son talent oratoire ou de son génie militaire. J’attendais un grand Homme ; j’ai eu droit à un petit Corse pas très sûr de lui-même, piètre amant, donnant parfois à rire – comme le montrent les quiproquos du 18-Brumaire. Rien n’est dit de l’entreprise titanesque de réformation de la France qui fut mise en œuvre pendant son règne. Quant à sa politique étrangère, ses ressorts ne sont jamais examinés.

On peut toujours espérer que la version longue de ce Napoléon en gommera les défauts. Mais la déception face à la version courte est si grande qu’on n’est guère incité à remettre le couvert.

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MMXX ☆☆☆☆

MMXX se déroule, comme son titre l’indique, en 2020. Il se déroule aussi – mais son titre ne l’indique pas – à Bucarest et raconte quatre histoires qui sont peut-être (ou pas) reliées entre elles par un fil ténu.
Oona, une psychanalyste, reçoit à son domicile une cliente imbue d’elle-même. Le soir venu, elle aide son frère à préparer son anniversaire et apprend au téléphone qu’une amie, atteinte du Covid, vient d’accoucher à l’hôpital avant d’être brutalement séparée de son nourrisson. Le mari d’Oona, qui travaille à l’hôpital, y rejoint un ambulancier dans une salle de repos qui lui raconte une étrange histoire. Enfin, un inspecteur de police se rend à l’enterrement d’un collègue et y prend la déposition d’une femme, victime ou peut-être complice d’un réseau de prostitution.

Le cinéma roumain est âpre. Toute une génération de réalisateurs surdoués, nés à la fin des 60ies et au début des 70ies, qui ont atteint l’âge d’homme à la chute de Ceaucescu, décrivent une société anomique où des individus abandonnés à eux-mêmes, sans boussole éthique, sont confrontés à des dilemmes déchirants : Mungiu, Porumboiu, Sitaru, Muntean, Netzer…

Cristi Puiu est peut-être le plus exigeant des réalisateurs roumains. Né en 1967, formé à Genève, il a pris dans ses derniers films un tournant de plus en plus radical. Sieranevada (2016) racontait quasiment en temps réel une réunion de famille. Malmkrog (2020) filmait cinq personnages dans la Russie tsariste enfermés dans une isba.

Si MMXX semble a priori moins intimidant, sa durée l’est tout autant : 2h40 – alors que Malmkrog durait 3h21 et Sieranevada 2h53. Mais le dispositif retenu dans ces quatre segments est similaire à ceux des précédents films de Puiu : une intarissable logorrhée filmée en de non moins interminables plans-séquences.

Ce dispositif plonge le spectateur dans une lente hypnose. Suivre le film et l’inépuisable flux de paroles qu’il déverse devient rapidement difficile sinon impossible. Est-ce l’effet recherché par le réalisateur sadique ? À quel degré de masochisme le spectateur doit-il être parvenu pour accepter pareil traitement ?

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Fermer les yeux ☆☆☆☆

En 1947, dans une longère perdue au fond des bois, un riche propriétaire au crépuscule de sa vie reçoit une sorte de détective privé pour lui demander de retrouver sa fille kidnappée par sa mère en Chine.
On comprend que le long face-à-face est une scène d’un film dont le tournage en 1990 a dû s’interrompre après la disparition d’un des deux acteurs. Vingt-deux ans plus tard, le réalisateur, contacté par une chaîne de télévision, replonge dans ce passé douloureux.

Pour comprendre et apprécier Fermer les yeux, il ne faut pas arriver vierge au cinéma mais avoir fait ses devoirs. Il faut savoir que son réalisateur, Victor Erice, est un monstre sacré du cinéma espagnol, qu’il a quatre-vint-trois ans et qu’il a réalisé en tout et pour tout quatre longs-métrages, le premier remontant à 1973 (où jouait déjà Ana Torrent qu’on revoit ici) et le dernier en date de 1992. Ces éléments en main, on comprend deux choses. La première : le style étonnamment démodé de Fermer les yeux qui s’ouvre par un interminable dialogue qu’on croirait tout droit sorti d’un vieux film de Buñuel. La seconde : l’écho troublant entre la vie de Victor Erice, ses difficultés à produire ses films, sa tentation de se retirer du monde, sa foi inébranlable dans le pouvoir démiurgique des images et les deux personnages du réalisateur, qui part à la recherche de son acteur évanoui, et de l’acteur qui, dans le film, était chargé de retrouver l’enfant disparu d’un vieillard moribond.

Mais hélas – et c’est un problème récurrent – on ne va pas toujours voir un film après s’être préalablement documenté sur lui. Certains de mes amis font d’ailleurs profession de ne jamais rien en lire avant la séance pour ne pas être influencés. Je ne partage pas une telle radicalité – et je ne la prône pas car elle me priverait de 90 % de mes lecteurs ! – mais je reconnais à chacun le droit de faire comme il l’entend. Et en tout état de cause je n’imagine pas qu’on oblige les spectateurs de Fermer les yeux à se renseigner sur la vie de Victor Erice avant de leur donner leur billet d’entrée.

Le problème est que, sans ces clés-là, que je n’avais pas, je n’ai pas compris grand-chose à ce film et ai trouvé le temps bien long. Car Fermer les yeux dure deux heures quarante neuf minutes, une durée obèse que rien ne vient justifier. Aurait-il été amputé de moitié, il eût été probablement plus comestible. Mais cette soupe tiédasse diluée pendant une durée interminable devient vite insupportable. D’autant que la conclusion qu’elle nous fait miroiter nous laisse sur notre faim.

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L’Expérience Almodóvar ★☆☆☆

La Voix humaine : Une femme (Tilda Swinton) est cloîtrée chez elle depuis trois jours et n’en est sortie que pour acheter une hache. Elle attend, avec comme seule compagnie celle de son chien, l’appel de son amant qui va lui annoncer leur rupture. Ce long échange téléphonique la plongera dans la folie.

Strange Way of Life : Silva (Pedro Pascal) est un vieux cowboy qui, après une longue séparation, retrouve Jake (Ethan Hawke). Les deux hommes vécurent ensemble pendant deux mois une folle passion amoureuse durant leur jeunesse. Ils passent la nuit ensemble. Mais, au réveil, Silva révèle à Jake le motif réel de leurs retrouvailles.

La Voix humaine et Strange Way of Life sont deux moyens-métrages de trente minutes chacun environ qu’un distributeur français a eu l’idée de sortir en salles ensemble. L’idée n’est pas si bête puisqu’elle m’a séduite, comme d’autres afficionados d’Almodóvar, frustrés par la production au compte-gouttes de ses longs (le dernier, Madres Paralelas, est sorti en décembre 2021 et le précédent, Douleur et gloire, en mai 2019) et par la disette de l’actualité cinématographique en cette mi-août.

Mais le produit marketing, s’il réussit à attirer quelques gogos, est franchement décevant sinon malhonnête. Deux moyens métrages sont présentés d’une durée totale d’une heure à peine et qui n’ont guère de points communs sinon qu’on y reconnaît immédiatement la patte du maestro espagnol : décors aux couleurs clinquantes et héroïne hitchcockienne dans La Voix humaine – librement inspiré d’une pièce de Cocteau – esthétique queer et romance gay dans Strange Way of Life.

Devant Strange Way of Life, on a un peu l’impression de regarder une pub pour Yves Saint Laurent. C’est d’ailleurs quasiment le cas, le film ayant été coproduit par Anthony Vaccarello, le directeur artistique de la maison YSL, qui en a dessiné les costumes.

Ne ratez pas le superbe générique de La Voix humaine. Mais méfiez-vous néanmoins d’un film dont la plus grande qualité est son générique.

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Barbie ★☆☆☆

Barbie (Margot Robbie) vit une vie plus que parfaite à Barbieland jusqu’au jour où des pensées mortifères l’assaillent et de la cellulite apparaît sur ses cuisses. Le seul remède : retrouver dans le monde réel sa propriétaire qui a causé ces changements funestes. La jeune femme se lance dans cette périlleuse odyssée en compagnie de Ken (Ryan Gosling). Elle y découvre que les femmes sont un objet de concupiscence et que le patriarcat domine. De retour à Barbieland, Ken, trop content de sortir de l’état de domination dans lequel lui et les siens étaient maintenus jusqu’alors, décide de renverser l’ordre établi. Toutes les Barbies devront s’unir pour éviter cette subversion.

Je n’avais pas réussi à trouver une place pour aller voir Barbie en avant-première le 18 juillet. J’ai dû ronger mon frein (je suis en effet très souple !) une dizaine de jours avant d’aller le voir hier soir dans une salle encore presqu’aussi comble dont j’étais probablement le plus vieux spectateur. Voilà qui m’a agréablement changé des retraités narcoleptiques et des chômeurs en fin de droit dont je suis régulièrement entouré dans des salles quasi-vides devant des films kazakhs en noir et blanc.

Le pitch génial de Barbie lui garantissait une large audience : « Si vous aimez Barbie, ce film est pour vous. Si vous détestez Barbie, ce film est pour vous aussi ». Le succès est au rendez-vous : Barbie génèrera probablement plus d’un milliard de recettes à travers le monde et a déjà attiré 2,6 millions de spectateurs en France en deux semaines d’exploitation à peine.

Je me faisais une joie régressive d’aller voir ce film. J’ai été bien déçu. Pour deux raisons.

La première était la curiosité suscitée par la mise en scène de cet univers kitchissime. La production n’a pas lésiné sur les moyens. Les décors roses et plastiques de boîtes à jouets, inspirés du design californien du milieu du siècle dernier, réduits à l’échelle 0.77, sans murs, ni portes, ni escaliers, n’ont pas eu recours aux images de synthèse. Les costumes de Barbie et de Ken donnent irrésistiblement envie de (re) jouer à la poupée. Mais, l’effet de surprise dissipé au bout de quelques minutes, tout ce kitsch écœure ; tout ce rose donne la nausée.
Plus grave : l’humour qu’on m’avait tant vanté était aux abonnés absents. Certes, il faut rendre crédit à Ryan Gosling trop souvent accusé de n’avoir aucun talent. C’est lui, plus que Margot Robbie pourtant sublime, qui est le vrai héros du film – et le réel moteur de son scénario. Sa bêtise bas du front est réjouissante. Mais elle n’est pas hilarante. Je n’ai pas ri une seule fois devant Barbie et ne me souviens pas d’une punchline, d’une situation devant laquelle j’aurais dû m’esclaffer si j’avais été plus indulgent. Je regrette notamment que la VF ne se soit pas autorisé les allusions salaces qui m’auraient fait glousser (« Barbie n’a pas envie de Ken » par exemple aurait suffi à mon bonheur).

La seconde est plus substantielle. En allant voir Barbie, j’imaginais spontanément qu’il s’agirait d’un procès en règle du stéréotype hypergenré renvoyé par la bombasse de Mattel. J’ai été immédiatement dérouté par le postulat de départ : Barbieland n’est pas, contrairement au préjugé que j’en avais, un repère de bimbos décérébrées, mais au contraire une gynocratie de femmes fortes, assumant tous les métiers possibles (une présidente gouverne depuis une Maison Blanche… rose et la Cour suprême est composée de neuf femmes) et où le seul rôle des hommes (les Kens) est de les idolâtrer. C’est seulement en revenant du monde réel que Ken plante à Barbieland la mauvaise graine (métaphore condamnée à rester platonique faute pour Barbie et Ken de posséder des organes génitaux) : le patriarcat.

Le film de Greta Gerwig, dont on escomptait plus de chien, mais que le service juridique de Mattel a peut-être obligé à retenir ses coups, se termine par conséquent dans la morale tiédasse d’un dessin animé de Pixar dont l’esthétique semble tout droit sortie d’une publicité d’une Église évangélique : non pas une critique à boulets rouges de la phallocratie, non pas un plaidoyer vibrant pour les femmes et leur libération, mais un appel ultra-consensuel à toutes les Barbies et à tous les Kens à être soi-même. Pouah…..

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